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Le recyclage, une solution trompeuse ?

Avec Recyclage, le grand enfumage, publié aux éditions rue de l’échiquier, Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste France, signe un ouvrage à charge contre une économie contre-productive et mensongère. Une alerte salutaire.

Par un hasard du calendrier, les dernières relectures de Recyclage, le grand enfumage, paru en juin 2020 aux éditions rue de l’Echiquier, ont coïncidé avec l’épidémie de COVID-19. Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste et autrice de l’ouvrage, souligne d’ailleurs dès l’avant-propos combien l’événement vient conforter le contenu du livre. « Cette crise marque le retour en force du jetable, y affirme-elle. L’industrie du plastique, notamment, y a vu l’occasion de battre en brèche quelques avancées de ces dernières années contre les objets et emballages unique. » Sous couvert d’hygiène et de sécurité sanitaire (arguments brandis de longue date par le lobby du plastique), la société du jetable vient de remporter une nouvelle manche. Les avancées en matière de lutte contre les pollutions plastiques étaient pourtant modestes. Le pacte national sur les emballages plastiques signé en février 2019 par le gouvernement, en accord avec 13 géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution, était insuffisant. Pour une raison simple : il n’est pas contraignant. Derrière, un volontarisme de façade, la « fin du gaspillage » ne signe pas pour l’Etat la fin du jetable. L’enjeu est de recycler 60% seulement du plastique d’ici 2022. On n’envisage jamais la réduction des déchets à la source. Dans l’esprit de nos dirigeants, l’économie circulaire reste indissociable du jetable. Dans Recylage, le grand enfumage, Flore Berlingen explique pourquoi.

Le tout jetable et ses conséquences

Le livre s’ouvre sur un état des lieux du « tout jetable », dont l’avènement coïncide avec les débuts de l’ère du plastique en 1950. Depuis, l’ascension a été fulgurante : d’un million de tonnes annuelles à l’époque, on est passé à 359 millions en 2018. La mise en place du tri et du recyclage dans les années 1990 n’a pas entâmé cette progression, et le moins que l’on puisse dire est que le bilan est mitigé. Certes le volume de déchets recyclés a progressé, mais leur production a crû dans le même temps. Pour les emballages, la collecte stagne autour de 65%. Encore ce taux est-il faussé par le fait qu’on y inclut le verre, qui est à la fois plus lourd et moindre en termes d’unités.Conséquence : le nombre de décharges a été multiplié par 5, souvent dans des pays d’Asie où nous exportons nos déchets. Les coûts de collecte et de traitement des déchets, à la charge des collectivités, ont explosé. « La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! », pointe Flore Berlingen. Or, le principe du pollueur-payeur reste peu appliqué : si des filières dites de « responsabilité élargie du producteur » (REP) sont mises en oeuvre dans les années 1990, pour que les entreprises qui commercialisent des emballages jetables contribuent au financement du recyclage, « la contribution des entreprises à ce coût, via les filières REP, s’élève à 1,2 milliards d’euros, explique Flore Berligen. Autrement dit, comme de nombreuses autres « externalités environnementales » des activités économiques, le coût du traitement des déchets reste assumé par la société dans son ensemble. » En l’occurrence, c’est aux EPCI de gérer les déchets, et in fine aux particuliers.

« La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! » Flore Berlingen

Une communication trompeuse

Cet état de fait contraste avec une communication très optimiste des producteurs d’emballages, jamais à court d’arguments pour vanter la mise sur le marché de produits « recyclables ». Or, « recyclable » ne veut pas dire « recyclé » : il faut pour cela une filière de recyclage opérationnelle, chose difficile à mettre en oeuvre alors que les producteurs ne cessent d’innover en matières de matériaux… recyclables. Le logo « Point vert » est à cet égard trompeur : « trop souvent interprété comme attestant le caractère recyclable ou recyclé de l’emballage, (...) il indique simplement que le metteur sur le marché s’est bien acquitté de sa contribution obligatoire », explique l’autrice. Dans Recyclage, le grand enfumage, celle-ci multiplie les exemples de communication ambiguë, quand elle ne tourne pas franchement à la célébration des producteurs d’emballages jetables. Un écueil lié selon elle à la gouvernance des filières REP : « une fois agréés par L’Etat pour plusieurs années, les éco-organismes rendent des comptes à leurs adhérents avant tout, explique-t-elle. Leurs organes de pilotage en témoignent : Citéo compte parmi ces administrateurs les représentants de Lactalis, Coca-Cola, Nestlé, Evian, Auchan, Carrefour… Ces producteurs et distributeurs n’ont aucun intérêt à ce que le public prenne conscience de la non-recyclabilité d’une grande partie des emballages. » A ces conflits d’intérêt s’ajoutent diverses actions de lobbying auprès des parlementaires. Citéo a ainsi participé à une campagne en faveur du plastique à usage unique - le comble pour un « éco-organisme » que l’Etat français charge de promouvoir le tri et la prévention des déchets. Le même éco-organisme n’hésite pas non plus à faire peser la responsabilité de la gestion des déchets sur les consommateurs, qui sont pourtant en bout de chaîne. Il n’est d’ailleurs pas le seul à faire valoir un tel argument. Flore Berlingen rappelle à ce titre que les première campagnes portant sur les pollutions plastiques dans la nature ont été créées et financées par les producteurs de l’agro-alimentaire : « Elles apparaissent bien avant l’arrivée du tri pour signifier que le pollueur n’est pas l’entreprise qui inonde le marché de ses emballages à usage unique sans se préoccuper de leur devenir, mais l’individu qui les jette n’importe où », pointe-elle. A partir des années 1990, l’émergence de filières de tri est venue compléter cet argument d’un « nos déchets ne sont plus des déchets mais des ressources en devenir ». Une façon de rassurer les consommateurs qui seraient tentés de se détourner des emballages plastiques.

« L'extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage. » Flore Berlingen

Le mythe de l’économie circulaire

Dans le second chapitre de l’ouvrage, Flore Berlingen tire de cet état de fait une conclusion implacable : l’économie circulaire est un mythe et une forme de green washing. Celle-ci s’affronte en effet à trois grandes limites. « La première est la dispersion des ressources, qui rend difficile, sinon irréalisable, le recyclage de certains produits, écrit l’autrice. La deuxième tient à la difficulté, voire l’impossibilité, de se débarrasser, au cours du processus de recyclage, d’additifs contenus initialement dans les produits ou d’impuretés liées à leur utilisation. Enfin, l’imperfection des processus de recyclage suscite des pertes et rend nécessaire le recours à des matières premières vierges. » Difficile à mettre en oeuvre du fait des alliages de matériaux et de l’entropie propre à toute transformation, le recyclage est très loin dans les faits de conduire à une économie de ressources. Les chiffres avancés par Flore Berlingen le démontrent : entre 2005 et 2015, la production mondiale annuelle de plastique a augmenté de 45%. Cette hausse concerne toutes les ressources, dont la consommation a triplé depuis les années 1970. En somme, « l’extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage ». Il faut dire que certains secteurs d’activité, dont l’agro-alimentaire, sont particulièrement dépendants du plastique à usage unique, du fait de leur logistique mondialisée et de l’allongement des circuits de production et de distribution. Calqué sur le modèle de l’économie linéaire, l’économie circulaire ne peut fonctionner, puisqu’elle dépend de la première et son impératif de croissance. Pour être efficientes, les filières de recyclage ont besoin d’importants volumes de déchets. Bel exemple de cercle vicieux.

Une seule solution : sortir du tout jetable

Dès lors, que faire ? Pour Flore Berlingen, la solution, exposée dans le dernier chapitre, est claire : il faut sortir de l’ère du jetable. Les leviers pour ce faire sont multiples. L’auteure balaie d’emblée le boycott individuel, aux effets trop limités. C’est sur le plan des politiques publiques, pointe-elle, qu’il faut agir. Il faudrait d’abord introduire des quotas de réemploi obligatoires et progressifs, qui permettraient une transition vers des emballages lavables et réutilisables standardisés. Il convient aussi selon elle d’allonger la durée de vie des biens dits « durables », et de mettre fin à l’obsolescence programmée. Renforcer le système des bonus-malus pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques dans ce sens, comme le prévoit la loi de 2020 sur l’économie circulaire. Il convient aussi de mieux piloter et contrôler les éco-organismes, aujourd’hui aux mains des producteurs. En la matière, un changement de cap s’impose : c’est bien à la prévention des déchets qu’il faut donner la priorité, plus qu’à leur recyclage. Or, actuellement, c’est à ce dernier que vont l’essentiel des financements publics nationaux. « Sur les 135 millions d’euros attribués en 2018 par l’Ademe dans le cadre du volet économie circulaire du programme d’investissements d’avenir, moins de 1% semble avoir été consacré à des initiatives de réduction des déchets », pointe Flore Berlingen. Il faut dire que les appels à projets sont calibrés pour les grands groupes industriels, pas pour les initiatives plus modestes visant à développer les circuits courts, la consigne ou le compostage. Concernant le recyclage lui-même, il conviendrait selon l’auteure de cesser la course à l’innovation, qui conduit à mettre sur le marché toujours plus de matériaux. Il faut aussi changer la manière de communiquer sur le recyclage, qui encourage actuellement la surconsommation (on a tendance à « gaspiller » les ressources si l’on croit qu’elles peuvent être recyclées). Enfin, l’immense problème posé par les déchets plastiques plaide pour une toute autre approche de la consommation. « Pendant plusieurs années, j’ai tenté, comme d’autres, de faire passer ce message : ne misons pas tout sur le recyclage, il est indispensable mais ne suffira pas, explique Flore Berlingen. Aujourd’hui, j’en viens à penser que cette mise en garde pèche par sa faiblesse. Dans la course au recyclage, la question de l’utilité sociale des objets produits n’est plus mise en balance avec leur impact social et environnemental. On en vient à chercher des moyens de recycler ce qui ne devrait même pas exister en premier lieu. » En somme, il en va des déchets comme de l’énergie : les meilleurs sont ceux qu’on ne produit pas.

En savoir plus :

Flore Berlingen : Recyclage, le grand enfumage - comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable, éditions Rue de l’Echiquier, juin 2020, 128 pages, 13 euros

2020-09-23
Ecologie
Prats, un village des Pyrénées bientôt autonome en énergie

La petite commune de 1000 habitants de Prats-de-Mollo-La Preste située dans les montagnes des Pyrénées Orientales s’est donné 5 ans pour devenir autonome en énergie (2021). Mode d'emploi.

Ce n’est pas un élan écologique qui a fait germer ce projet mais une augmentation drastique et régulière du prix de l’électricité et de son transport, qui alourdissait régulièrement la facture énergétique des Pratsois.Pour mener à bien ce projet, une Société d’Economie Mixte (Prats’Enr) a été créée avec trois collèges d’actionnaires : la mairie (60%), la régie d’électricité locale (20%) et une SCIC d’un collectif d’habitants (20 %) dénommée Ecocit (Energie-COllectif-CIToyen).

Le mix énergétique pratsois

La commune ne partait pas de zéro. Elle avait déjà une Régie électrique et une usine hydraulique sur la rivière du Tech produisant 35 % de sa consommation électrique. Pour atteindre l'autonomie énergétique, la SEM a tout d’abord remis en service l’ancienne installation hydraulique. Inutilisée depuis 20 ans, celle-ci alimentait un établissement thermal installé sur la commune. Des microturbines ont été posées sur les canalisations d’eau potable venant de la montagne. Des panneaux photovoltaïques sont en cours d’installation sur des toitures agricoles (bergeries, étables ou granges) et industrielles. Une installation de microméthanisation alimentée par les effluents des agriculteurs du bassin complétera le panel de production.En parallèle une régie de données est en cours de création pour piloter au mieux les infrastructures de production et de distribution d’électricité de la commune. Elle permettra aussi de sensibiliser et informer les Pratsois sur leur consommation d’énergie, en vertu du postulat selon lequel la meilleure énergie renouvelable est celle qu’on ne consomme pas. La gouvernance du projet et de ces données est un chantier important pour le succès de l’opération dans un contexte de défiance à l’égard des compteurs intelligents Linky.

L'implication des habitants, facteur de réussite

La concertation et la sensibilisation ont démarré et les citoyens sont réceptifs et impliqués. Aujourd’hui 8 % des habitants (soit 80 personnes) ont adhéré au collectif citoyen, soit un taux de participation très élevé pour ce type de projets. Plus de la moitié (50) sont présents aux réunions d’information.Le projet bénéficie d’un programme de recherche action baptisé DAISEE qui a pour objectifs de développer de nouveaux liens entre consommateurs et producteurs d’énergie, de publier des connaissances ouvertes sur les questions complexes de la transition énergétique et de créer et expérimenter des solutions face aux nombreux défis à relever sur le plan technique et organisationnel.Pour sensibiliser les habitants aux pics de dépassement de production, il est par exemple envisagé d’installer dans chaque foyer une lampe qui sera verte en cas de production suffisante et rouge en cas de dépassement. Issue d’un retour d’expérience au Danemark, l'idée sera d’autant plus pertinente que le village compte de nombreux retraités n’ayant pas toujours de smartphone ni d’ordinateur susceptibles de les informer. Bref, les Pratsois ne manquent pas d’énergie pour faire aboutir ce projet !

2019-04-08
Ecologie
Transition écologique : quelles pistes ?

Lors de son allocution télévisée du lundi 10 décembre, Emmanuel Macron a annoncé pour début 2019 « un débat sans précédent pour prendre le pouls vivant du pays ». En prélude à ce moment de réflexion dont les modalités restent floues, midionze avance quelques premières pistes en faveur d’une transition écologique juste et ambitieuse. Compte tenu de l’actualité, la rédaction examinera plus en détail chacune de ces pistes dans les semaines qui viennent.

Pris avec le mouvement des gilets jaunes dans une crise politique majeure, le gouvernement a choisi le recul sur la taxe carbone : après avoir d’abord annoncé un moratoire pour 6 mois, Edouard Philippe s’est dit prêt le mercredi 5 décembre à geler toute hausse de la taxe sur les carburants. Celle-ci ne figurera donc pas au projet de loi de finance 2019. Faut-il voir dans la décision de Matignon un renoncement à toute ambition en matière de transition énergétique ?Lors du discours qu’il a prononcé le 27 novembre dernier devant le Haut conseil pour l’action climatique, fraichement créé pour aborder ces questions, Emmanuel Macron avait pourtant fixé le cap : « nous devons sortir de ce qu'on appelle les énergies fossiles. En 30 ans, c'est-à-dire en une génération, nous devons passer d'une France où 75 % de l'énergie consommée est d'origine fossile, c'est-à-dire le charbon, le fuel, le gaz naturel, à une France où, en 2050, la production et la consommation d'énergie seront totalement décarbonées. »Atteindre un tel objectif suppose d’agir, et vite. Comment mettre en œuvre une stratégie globale et un plan d’action écologiquement ambitieux, justes socialement, et aptes à être mis en œuvre rapidement ? Pour le gouvernement, le « débat national » annoncé lors de l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron doit constituer un premier pas. Si ses modalités et son calendrier restent flous, ses thématiques ont d’ores et déjà été fixées lors du conseil des ministres du 12 décembre. La « transition écologique » y figure en haut de la liste (« comment se loger, comment se déplacer, comment se chauffer »), suivie par la fiscalité, la démocratie et la citoyenneté, l’organisation de l’Etat et des services publics, mais aussi l’immigration, une "invitée surprise" qui pourrait bien constituer un point de divergence majeur au sein des gilets jaunes. En prélude à la consultation, voici quelques pistes de réflexion sur le thème de la transition écologique.

La taxe carbone, oui mais…

Comme l’expliquait récemment un article de Mediapart, la taxe carbone est un levier essentiel de la lutte contre le changement climatique. Fréquemment citée en exemple, la politique mise en œuvre par la Suède a dans ce domaine porté ses fruits : dès 1991, le pays a mis en place une taxe sur les émissions de CO2, et allégé en contrepartie les charges pesant sur le travail et les entreprises. Seules en étaient exemptées les entreprises soumises au marché européen des doits d’émission, pour des raisons de concurrence. Depuis le mois de janvier 2018, elles participent cependant à l’effort commun. En 2003, la Suède met également en place un système de certificats verts pour promouvoir la production d’électricité à partir de ressources renouvelables. Ces mesures ont permis au pays de transformer en profondeur son mix énergétique, et de favoriser le développement de l’éolien et de la biomasse. Résultat : même si la consommation d’énergie par habitant se situe dans la moyenne de l’Europe occidentale, le pays affiche la plus faible empreinte carbone de la zone. Selon un rapport de l'IFRI rédigé par Michel Cruciani, ce bilan positif tient à deux facteurs. D’abord à la capacité collective du pays à prendre un virage rapide pour décarboner l’économie et les modes de vie. Ensuite à la place qu’il accorde à la recherche et l’innovation. « L’intégration accrue du marché nordique dans un grand marché européen risque d’éroder ses avantages compétitifs », nuance toutefois le rapport.La réplication d’un tel modèle en France s’affronte à une question, qu’on pourrait résumer ainsi : comment favoriser l’acceptabilité d’une taxe carbone, ce qui suppose son équité, sans grever la compétitivité des entreprises ? En la matière, le gouvernement a tranché dans un premier temps en faveur de la compétitivité, d’où une série d’exonérations – sur le transport routier, sur l’aviation ou la pêche. Ce choix explique largement le mouvement des gilets jaunes : exprimant une demande très majoritaire en France de justice fiscale, ce dernier exige l’équité devant la transition écologique, et exige que son financement pèse d’abord sur les plus gros pollueurs. A ce titre, le débat national devra déterminer qui doit payer, et comment réaffecter au mieux le produit de toute nouvelle taxe sur les carburants.

Quelles mobilités hors des métropoles ?

En matière d’émissions de GES, le transport pèse lourd : selon le ministère de l'écologie et du développement durable, il était en 2013 le premier secteur en France, avec 38% des émissions. Mais en la matière, le mouvement des gilets jaunes a mis en lumière l’extrême disparité de l’offre de transports en France métropolitaine. D’un côté, des métropoles largement dotées de transports publics, mais aussi d’un éventail toujours plus vaste de mobilités connectées (trottinettes, vélibs, etc.). De l’autre, des territoires ruraux et périurbains où la voiture demeure la seule manière d’assurer des trajets quotidiens – lesquels se voient d’ailleurs allongés par la raréfaction de l’emploi, l’aménagement de zones commerciales distantes des centres urbains et le recul des services publics de proximité (hôpitaux, écoles, trains, etc.). En 2012, un rapport visionnaire du centre d’analyse stratégique annonçait que cette disparité pourrait conduire à un « scénario noir » dès 2015 : « déjà confrontés à l’éloignement des services essentiels, y lit-on, les territoires à faible densité vont devoir faire face dans les vingt prochaines années à une hausse inéluctable du prix des carburants, due à l’augmentation du prix du pétrole mais aussi à la mise en place d’une taxe carbone, quelle qu’en soit la forme. Dans le prolongement des tendances actuelles, un tel scénario pourrait conduire à appauvrir les habitants de ces territoires et à les marginaliser. Le risque de l’inaction est réel : une hausse durable du prix des carburants (à 3 euros le litre, par exemple, voir analyse de l’AIE des tensions sur le marché mondial) mettrait en péril les budgets déjà tendus d’un nombre élevé de ménages dans les territoires à faible densité. Elle entraînerait localement une spirale d’appauvrissement des valeurs immobilières, de l’offre de services de proximité et des conditions de vie quotidienne. Elle accentuerait la « relégation » sociale d’une grande partie de ces territoires, avec une triple peine : éloignement des services, accès plus difficile à l’emploi, dépenses accrues d’énergie pour l’habitat et le transport. » L'inaction (et même le renforcement des métropoles via la loi MAPTAM en 2014) ayant été la règle depuis, le mouvement des gilets jaunes vient mettre en question l'aménagement du territoire.Comment inverser cette tendance ? La création d’une offre de mobilités souples, « agiles », voire « smart » dans les espaces ruraux et périurbains pourrait être une piste, mais comment la mener dans des zones à faible densité, et ne disposant ni de la 4G ni de connexions Internet efficientes ? Promise par Emmanuel Macron à l’horizon 2020, la fin des « zones blanches » tarde à se mettre en œuvre. La couverture numérique de l’ensemble du territoire pourrait pourtant constituer un adjuvant de taille du rééquilibrage territorial. A deux titres : elle pourrait renforcer l’attractivité des zones extra-métropolitaines pour des TPE et PME en quête de loyers abordables et d’une meilleure qualité de vie pour leurs gérants et employés, mais aussi favoriser l’émergence d’une offre de transports individuels et collectifs à la demande.L’équité territoriale suppose aussi de maintenir dans les territoires ruraux des transports publics, voire de les développer. Une politique à rebours du rapport Spinetta, qui préconise au contraire de concentrer les moyens sur les lignes à grande vitesse, au détriment des liaisons secondaires. Enfin, quid du développement du vélo dans les zones périurbaines et rurales ? L’aménagement de voies vertes est bien sûr à encourager : la pratique du vélo y est dangereuse, et impossible la nuit, faute de voies éclairées hors agglomérations. La sécurité des aménagements ne saurait donc suffire, et il faut aussi prévoir des systèmes d’éclairages autonomes en énergie, comme il en existe déjà dans certains pays.

Comment accroitre l'efficacité énergétique des logements ?

La mise en œuvre d’une politique écologique ambitieuse suppose aussi d’aborder la question du logement. Comme le rappelait récemment un article de Reporterre, la rénovation thermique est un indispensable facteur d’économies d’énergies. Renforcer les dispositifs existants (crédit d’impôt, éco-PTZ…) est à cet égard une nécessité. Or aujourd’hui, l’obtention d’aides est soumise à l’obligation d’un « bouquet de travaux ». Pour être éligible, les particuliers et copropriétés doivent en somme engager des sommes importantes. A cet égard, il pourrait être judicieux de faire évoluer les dispositifs existants vers des aides par paliers : les bénéficiaires pourraient ainsi planifier sur plusieurs années les travaux à réaliser.Réduire l’empreinte carbone du logement suppose aussi de l’aborder non comme secteur isolé, mais au contraire dans ses liens étroits avec d’autres postes, dont la mobilité. C’est ce que propose, en Suisse, la société à 2000 watts, qui vise à réduire l’empreinte carbone des pays les plus gros émetteurs en abordant globalement, selon une approche holistique, les consommations d’énergie. A cet égard, la création de permis de construire intégrant la mobilité pourrait être une piste, au moins dans le logement collectif neuf. De la même manière, la RT 2020 gagnerait à intégrer l’épineuse question des usages : aujourd’hui calculée sur des prévisions, la performance énergétique des bâtiments neufs laisse encore trop de côté les performances réelles des bâtiments dans des conditions "normales" d'utilisation. En ce sens, l’accompagnement des usagers après livraison est à développer par les promoteurs immobiliers et les bailleurs privés.Enfin, l’innovation technologique pourrait être une piste de réduction des émissions de GES du logement. Le très controversé compteur Linky propose ainsi des tarifications préférentielles en heures creuses et des délestages programmés aux périodes de pointe pour réduire les consommations d’énergie. A condition d'être accompagné et expliqué, son usage pourrait ainsi constituer un levier significatif...

2018-12-14
Ecologie
Société
Climat : l'heure de la mobilisation citoyenne ?

Le 13 octobre dernier, sous un soleil exceptionnellement chaud, des centaines de milliers de manifestants ont à nouveau défilé pour le climat dans près de 80 villes de France. Un mois après la mobilisation sans précédent qui avait suivi la démission de Nicolas Hulot, cet élan confirme que quelque chose est en train de changer sur le front de la lutte contre le dérèglement climatique…

Est-ce l’épisode de sécheresse qui frappe la France depuis le mois de juin ? La démission de Nicolas Hulot le 28 août dernier et son discours sans appel sur le rôle des lobbys dans la catastrophe écologique en cours ? La publication début octobre du 5e rapport du GIEC sur le climat terrestre, qui insiste une fois de plus sur la nécessité de contenir le réchauffement à +1,5° ? Toujours est-il que les mobilisations pour le climat prennent une ampleur inédite en France : après le succès de la marche organisée le 8 septembre dernier à l’initiative de Maxime Lelong, simple internaute, près de 120 000 personnes ont à nouveau défilé le 13 octobre dans 80 villes en France pour exhorter les hommes politiques à agir concrètement et massivement contre le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité. Les manifestants ne comptent d’ailleurs pas en rester là : les marches pour le climat promettent de se succéder tous les mois.

Dépasser le clivage entre l’action individuelle et collective

Inédites, ces manifestations constituent la part visible d’un sursaut citoyen qui se déploie sur tous les fronts, et semble enfin venir à bout d’un clivage tenace : celui qui oppose le « ça commence par moi » de citoyens rétifs au militantisme « classique » et les modes d’action des organisations militantes. Plus question d’opposer la spontanéité et la stratégie, l’action individuelle et la lutte collective : c’est dans la fine articulation de ces deux registres que se dessinent les contours du « sursaut » à l’œuvre. Pointant cette singularité du mouvement en cours, Nicolas Haeringer de l’ONG 350.org affirmait ainsi à Libération tout récemment : « ce qu’ont les organisations par rapport aux individus, c’est la capacité à penser des stratégies et à s’inscrire dans le long terme. L’enjeu est de trouver des manières de prolonger cet élan, de le canaliser, le structurer, sans que les organisations ne récupèrent la dynamique, mais en étant en mesure de s’inscrire dans la durée. (…) Maintenant, il faut arriver à atterrir sur des revendications un peu plus précises, pour gagner quelques batailles. »

Campagnes contre le changement climatique

Pour articuler changement individuel et collectif, une approche de l’action par campagnes pourrait s’avérer ici particulièrement fructueuse. Or, c’est exactement ce qui se dessine actuellement. Ainsi, le site Internet Il est encore temps regroupe les campagnes de diverses ONG et oriente  d'emblée les internautes vers des actions concrètes, en prenant soin de distinguer d’emblée ceux qui veulent agir « solo », et ceux qui envisagent de se mobiliser en groupe.  La plateforme recense une typologie d’actions très variée : pétitions, boycott à la consommation, interpellations des banques, écogestes, mais aussi action directe non-violente – à l’instar du climate Friday organisé le 23 novembre prochain, et qui invite les citoyens à cibler les super et hypermachés - et désobéissance civile, comme en Allemagne où se succèdent les actions pour protéger la forêt de Hambach et stopper l'extraction du lignite. A partir de fin octobre, la plateforme proposera aussi aux internautes une nouvelle version de 90 jours : créée en 2015, cette application « coache » ses usagers pour « changer le monde » en 3 mois ou, à défaut, réduire significativement son empreinte écologique au gré de « défis » quotidiens (faire le ménage avec du vinaigre blanc, acheter des fruits et légumes de saison, etc.).Le climat n’est pas le seul à mobiliser de plus en plus massivement. Dans le sillage de la démission du Nicolas Hulot, le journaliste Fabrice Nicolino, auteur de Pesticides, révélations sur un scandale français, a ainsi lancé en septembre dernier l’appel des coquelicots, visant à l’interdiction de tous les pesticides. A ce jour, la campagne a reçu plus de 290 000 signatures.

2018-10-16
Ecologie
Composter en ville : le livre mode d'emploi de Jean-Jacques Fasquel

Pionnier du compostage à Paris, Jean-Jacques Fasquel publie aux éditions Rustica Composter en ville : le recyclage des biodéchets pour tous et partout. Un ouvrage indispensable pour tous ceux qui veulent réduire le volume de leur poubelle et s’initier à la délicate chimie de la nature…

A priori, compostage ne rime pas vraiment avec ville. Et pourtant ! Depuis dix ans, Jean-Jacques Fasquel prouve le contraire : « tombé dans le compost » avec la « crise de la quarantaine », ce Parisien a initié dès 2007 dans son immeuble du 12e arrondissement le projet d’un compost collectif, qui attire aujourd’hui 80 foyers. Fort de ce succès, il développe depuis 2009 une activité de maître composteur et de consultant en prévention des déchets, qu’il relaie sur son blog Compostory.

Un guide pratique

Composter en ville est donc l’ouvrage d’un passionné soucieux de renverser les idées reçues, et la quatrième de couverture proclame d’ailleurs que « la vie urbaine n’est pas un obstacle au compostage ». Clair et didactique, ce manuel publié récemment aux éditions Rustica aborde successivement tous les aspects d’une pratique qui requiert un peu de savoir-faire. Le BA-ba du compostage ? Il tient selon Jean-Jacques Fasquel en quelques principes simples. D’abord, respecter les micro-organismes (vers, larves de cétoines, etc.). Ensuite, veiller au bon équilibre entre matières vertes (déchets, tontes, etc) et brunes (feuilles mortes, copeaux de bois, etc.). Enfin, assurer un brassage régulier pour permettre l’oxygénation du compost, et surveiller le taux d’humidité du bac, qui ne doit être ni trop humide, ni trop sec. Le livre fait aussi le point sur ce qui peut se composter ou pas. Les agrumes ? Pas de problème, contrairement à une idée reçue. La viande ? En théorie oui, mais ça peut attirer les rongeurs. Le papier et le carton ? Ok, à condition qu’ils ne pas pollués par les encres et autres produits ménagers… Composter en ville prodigue enfin quelques conseils pour lancer un compost domestique ou partagé en pied d’immeuble, liste le matériel nécessaire à cette entreprise, et passe en revue les solutions existantes – du simple bac au lombricompostage. Sans oublier questions juridiques et pistes méthodologiques…

Le compostage, entre protection de l'environnement et lien social

Mais l’intérêt de l’ouvrage tient aussi à sa capacité à situer le compostage dans un contexte plus large de préservation des ressources et de limitation du gaspillage alimentaire (20 à 30kg par personne et par an, selon l’ADEME !). Il rappelle d’abord qu’un tiers des 360 kg de déchets produits en moyenne par personne en France est constitué de matières putrescibles. Le compostage représente donc un levier important de réduction des déchets à l’échelle domestique – d’autant plus appréciable qu’une tarification incitative se met progressivement en place. Déjà appliquée dans 190 communes, elle pourrait concerner 15 millions d’habitants en 2020 et 25 millions en 2025. A ce titre, Composter en ville intègre des conseils pour limiter les épluchures, en vertu de ce principe élémentaire que « le meilleur déchet (même organique) est celui qu’on ne produit pas ».Dans la pratique du compostage, Jean-Jacques Fasquel voit encore d’autres avantages : un fertilisant pour les cultures, mais aussi un véritable activateur de liens sociaux et un outil de reconnexion avec la nature, via une meilleure compréhension des mécanismes naturels. Autant de raisons de s’y mettre, même si la collecte du compost et sa valorisation (dans un potager par exemple) restent compliqués dans un contexte urbain…

Pour en savoir plus :

Jean-Jacques Fasquel, Composter en ville : le recyclage des biodéchets pour tous et partout, éditions Rustica, 2018, 128 pages

2018-05-15
Ecologie
Ecojardin, le label "zéro phyto" qui pousse

Le label Ecojardin organisait le 29 janvier dernier à Paris sa remise des diplômes. Pour l'occasion, il présentait un large panel de témoignages portant sur les espaces verts labellisés. Présentation.

C’est dans l’amphithéâtre comble du siège de Paris Habitat que l'Agence de la Biodiversité en Ile de France avait invité les professionnels intéressés par la gestion écologique des espaces verts pour remettre leurs diplômes Ecojardin aux 34 nouveaux labellisés Ecojardin et présenter pendant une journée entière différents retours d’expérience.Le label a été lancé en 2012 pour certifier la gestion écologique des espaces paysagers français. Il est supervisé scientifiquement par l’association Plante & Cité et animé par l'Agence de la Biodiversité en Ile de France. Dans la dynamique du plan Ecophyto, le référentiel comporte sept domaines relevant de la gestion d’un espace vert : planification et gestion du site, sol, eau, faune et flore, mobiliers et matériaux, matériels et engins, formations des jardiniers et accueil du public. Au-delà du processus de labellisation, le référentiel est un guide de bonnes pratiques  et donc un outil d’amélioration continue pour les jardiniers et gestionnaires de ces espaces. Sur la base de la visite d’un auditeur (organisme externe indépendant) et du dossier technique du candidat, le comité de labellisation accorde ou non le label pour une période de 3 ans (5 ans en cas de renouvellement). En 2017, 128 sites ont été labellisés ou renouvelés, ce qui porte à 392 le nombre des sites EcoJardin en France.Le label ne se cantonne pas aux parcs et jardins publics (même s’ils représentent 66 % des labellisés) mais à tous les types d'espaces verts ouverts au public - publics ou privés. Il concerne ainsi les espaces naturels, les cimetières, les terrains de sport, les jardins partagés ou ouvriers, les espaces verts des bailleurs sociaux ou encore ceux des entreprises ou des lieux d’hébergement de vacances.Cette labellisation vient souvent consacrer une démarche initiée plusieurs années auparavant, souvent avec l’arrêt de l’utilisation de produits phytosanitaires. Dans les cimetières par exemple, le désherbage chimique a été remplacé dans un premier temps par un désherbage manuel ou mécanique mais aujourd’hui une étape supplémentaire a été franchie : on ne lutte plus contre le végétal, on le gère. De sorte que les cimetières, oh combien minéraux, se transforment en parcs végétalisés. Comme le citait avec beaucoup d’humour l’un des témoins de la remise des diplômes : « Quitte à manger les pissenlits par la racine, autant qu’ils soient bio ! ».Cette journée Ecojardin présentait des retours d’expérience portant sur des espaces verts divers et variés, voire atypiques. Parmi eux, le Jardin du monastère de Cimiez à Nice avec ses contraintes de « jardin de patrimoine », les cimetière de la Chartreuse de Bordeaux et Toutes Aides à Nantes, le site du champ captant des Gorgets géré par Suez à Dijon, le lycée agricole Coutances Métiers Nature, le Parc de la Pépinière à Nancy ou encore le verger partagé Essen‘Ciel à Grenoble.Chez les bailleurs sociaux,  Paris Habitat présentait sa résidence du groupe Villiot Rapée dans le 12ème arrondissement parisien et Effidis son site Les Folies de Choisy le Roy. Dans leur cas, il faut autant former les équipes internes que les prestataires espaces verts à cette nouvelle gestion écologique. Une révolution culturelle qui implique d’informer les locataires, d’autant que cette prestation leur est facturée dans les charges locatives. La création d’un jardin partagé peut être un bon moyen de les aculturer aux nouveaux aspects des espaces (massifs paillés, prairie fleurie, fauche tardive…) et de les impliquer dans cette révolution verte.

Pour en savoir plus :

http://www.label-ecojardin.fr/

2018-02-07
Ecologie
Société
Pablo Servigne : "Dans la nature, l'entraide est partout"

La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure ? Pas si sûr : dans L’entraide - l’autre loi de la jungle, qui paraît ces jours-ci aux éditions LLL, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle rappellent que les relations entre espèces et entre membres d’une même espèce ne sont pas réductibles, loin s’en faut, à la prédation et la compétition. Compilant l’état des recherches actuelles en (socio)biologie, en neurosciences, en anthropologie, en économie comportementale, en psychologie, les deux chercheurs in(Terre)dépendants montrent que l’entraide, la coopération, la symbiose sont aussi des principes du vivant, et jouent même un rôle clé dans l’évolution des espèces. De quoi contrebalancer le mythe d’une humanité plongée jusqu’au cou dans les eaux froides du calcul égoïste, comme nous l’explique Pablo Servigne au cours d’un (long) entretien.

Votre précédent ouvrage, Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), présentait la forte probabilité de l’effondrement, à court terme, de la civilisation thermo-industrielle. Vous y abordiez déjà, mais superficiellement, la question des relations sociales en cas d’effondrement. Vous écriviez notamment que « se préparer à une catastrophe signifie d’abord tisser du lien autour de soi. » Votre nouvel ouvrage ouvre-t-il un nouveau champ de recherche, encore embryonnaire, de la collapsologie ? Comment s’inscrit-il dans la continuité du livre précédent ?

J’ai commencé ce livre sur l’entraide avant celui sur la collapsologie : ça fait douze ans que j’y travaille. Entre temps, nous avons écrit en trois mois Comment tout peut s’effondrer après avoir constaté que ce que je croyais être un acquis pour tout le monde ne l’était pas. Et la question de l’effondrement faisait finalement écho à mes travaux sur l’entraide. Ce champ de recherche, qui est loin d’être embryonnaire, mais au contraire gigantesque, répond à l’une des questions absolument fondamentales de la collapsologie : est-ce qu’on va tous s’entretuer ? Nous y répondons de manière nuancée et ouvrons des perspectives intéressantes au niveau politique et organisationnel, afin de préparer la suite.

Notre imaginaire est dominé par une vision de l’effondrement conduisant à un scénario à la Mad Max, et plus loin, par une vision des relations inter et intra-espèces héritée d’une certaine interprétation de Darwin. Pourquoi est-il nécessaire selon vous de contrebalancer cet imaginaire, et de le faire en s’appuyant sur l’avancée des recherches scientifiques, notamment en sociobiologie ?

Ma formation scientifique de biologiste et d’écologue, mais aussi mon côté naturaliste m’ont toujours montré que la nature n’était pas uniquement régie par la compétition, l’agression et l'égoïsme. J’ai donc voulu faire le bilan de ce que la science avait accumulé comme découvertes et comme connaissances depuis Darwin (qui avait d’ailleurs déjà mis en évidence la coopération), et mettre tout cela au jour pour rééquilibrer la balance entre coopération et compétition, un peu comme si on retrouvait l’équilibre entre le yin et le yang. Une société fondée uniquement sur la compétition devient toxique : la compétition est fatigante pour les individus, elle crée des inégalités, de la défiance, de la violence, et détruit les autres êtres vivants. L’agriculture en est un exemple. Elle se fonde sur la compétition : si des insectes arrivent dans un champ de blé et le ravagent, ils entrent en compétition avec nous pour le blé. On va donc les détruire – et d’ailleurs beaucoup de produits « phytosanitaires » sont des produits en -cide, faits pour tuer. Une autre posture, celle d’une agriculture de coopération, serait d’apprendre à retrouver de la diversité et les cycles du vivant pour pouvoir accueillir d’autres insectes susceptibles de réguler les ravageurs. Cette recherche d’un équilibre est ce que fait naturellement le vivant !

Peut-on aussi imputer ce décalage au fait que les études auxquelles vous faites référence sont relativement récentes, ou s’agit-il d’un décalage plus fondamental, lié à une vision du monde ?

Les deux. Il existe beaucoup de découvertes récentes dont personne n’a entendu parler, et dont les scientifiques n’ont même pas fait la synthèse. Comme j’ai été chercheur, j’ai la chance de pouvoir lire, analyser et synthétiser ce qui se publie dans les journaux scientifiques spécialisés. Je tiens une veille depuis 15 ans, et je peux vous dire que les travaux sur le sujet sont exponentiels, il en existe des milliers ! Dans le même temps, notre monde s’est noyé dans une vision du monde néo-libérale, une caricature du libéralisme originel d’Adam Smith. Cette idéologie exagérément compétitive déforme notre imaginaire et nous empêche de voir tout ce que l’on sait sur l’entraide et les mutualismes depuis Darwin. Il s’agissait donc de remettre les pendules à l’heure.

Votre ouvrage est double. Il se présente comme un ouvrage scientifique faisant état des recherches sur l’entraide, et dans le même temps, il insiste sur la nécessité de transformer les imaginaires. Comment articulez-vous ces deux visées : scientifique et idéologique ?

J’assume complètement ce caractère idéologique. Ce n’est pas un gros mot. La science est toujours en partie un produit de l’idéologie de son époque, et inversement, les idéologies sont influencées par les découvertes scientifiques. Notre livre est aussi le produit d’une époque : il ne serait pas nécessaire si on ne vivait pas dans ce bain ultra-compétitif ! Je raconte ce que la science a découvert pour pouvoir créer de nouveaux récits, provoquer des « déclics » et changer les imaginaires. Je le fais car je suis scientifique et que c’est mon langage, ma manière de voir et de comprendre le monde, et ma chance est que la société croit beaucoup en la science. Charles Darwin, Pierre Kropotkine, Edward O. Wilson, Steven Jay Gould, ou même Albert Einstein, sont pour moi de grands scientifiques car ils n’ont jamais séparé science et société. Ils ont été conscients de leur époque. Cela ne déforce pas du tout leurs travaux, au contraire, cela les rend plus crédibles et plus puissants. Penser la science détachée d’une époque, de ses idéologies et de ses mythologies, est pour moi très dangereux.

"Des expériences économiques incroyables montrent que plus on demande à des sujets de réfléchir, plus ils font des choix égoïstes. Et plus on leur demande de répondre spontanément, plus ils sont coopératifs. Etonnant, non ?" Pablo Servigne

Vous vous inscrivez contre l’idée d’un Homo oeconomicus rationnel et égoïste, et montrez la part d’irrationalité de l’individu et du groupe. Le prix Nobel d’économie vient d’être attribué à Richard Thaler, dont les travaux sur les nudges développent la même idée. Est-ce que cet événement laisse à penser que votre livre participe d’un mouvement de mise en question profonde de cette idée d’un être humain plongé dans la compétition ?

Gauthier Chapelle et moi nous inscrivons dans une filiation intellectuelle qui n’est pas nouvelle du tout – je pense notamment au prix Nobel d’économie Daniel Kahneman qui a bien montré que les comportements économiques sont très irrationnels. L’Homo oeconomicus était un modèle mathématique, un peu théorique, qui a servi à quelques découvertes, mais aurait dû rester dans les laboratoires car il n’est pas du tout représentatif de la complexité humaine. Le problème, c’est que certains en ont fait une idéologie qui s’est répandue d’autant mieux qu’elle arrange les puissants. Dans ce livre, nous avons synthétisé ce qui se sait sur l’altruisme et la coopération dans le monde vivant, mais aussi chez l’être humain. Par exemple des expériences économiques incroyables montrent que plus on demande à des sujets de réfléchir, plus ils font des choix égoïstes. Et plus on leur demande de répondre spontanément, plus ils sont coopératifs. Etonnant, non ? L’originalité de notre travail est de mettre en lien tous ces travaux économiques avec des travaux en biologie, en psychologie, en anthropologie, en neurosciences, pour pouvoir apercevoir un tableau général. On a essayé de faire émerger l’architecture — très solide d’ailleurs ! — de ce principe du vivant qu’est l’entraide.

Quelles sont les principales découvertes qui ressortent de cette synthèse ?

Ce qui nous a d’abord intéressés, dans la lignée des travaux du Plaidoyer pour l’altruisme de Matthieu Ricard (Nil, 2013), et La Bonté humaine de Jacques Lecomte (Odile Jacob, 2012), a été d’aller dans le monde des « autres qu’humains », et de voir que l’entraide était partout, tout le temps, et prenait des formes très diverses. Ensuite, ce qui nous a surpris, c’est l’entraide spontanée, et le fait par exemple qu’en situation de catastrophe, après une attaque terroriste, un tremblement de terre ou une inondation, il n’y a jamais de panique et peu de comportements égoïstes, mais au contraire des comportements spontanés d’entraide, de calme et d’auto-organisation. Les travaux en sociologie des catastrophes sont à cet égard massifs et convaincants. Cela va à l’encontre de notre imaginaire, de cette mythologie qui veut qu’en temps de catastrophe, tout le monde s’entretue dans une panique générale. Un mythe hollywoodien… Mais le fait que certaines personnes aient un élan prosocial ne suffit pas à faire société. Ce qu’on a découvert dans cette architecture de l’entraide est que son pilier est la réciprocité entre personnes : donner génère une irrépressible envie de rendre. C’est ce que le célèbre anthropologue Marcel Mauss appelait le « contre-don ». Pourtant une réciprocité simple entre deux personnes ne suffit toujours pas à faire société. On observe aussi que depuis des milliers d’années, la réciprocité s’étend au sein d’un groupe via des mécanismes de renforcement tels que la réputation, la punition des tricheurs, la récompense des altruistes, bref l’ensemble des normes morales que les groupes et même les institutions mettent en place pour généraliser les comportements prosociaux, l’entraide. Ces mécanismes s’observent dans tous types de groupes, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un pays, d’un club, d’une réunion de copropriétaires, etc.

"En situation de catastrophe, après une attaque terroriste, un tremblement de terre ou une inondation, il n’y a jamais de panique et peu de comportements égoïstes, mais au contraire des comportements spontanés d’entraide, de calme et d’auto-organisation." Pablo Servigne

Pour autant, vous distinguez différentes échelles de groupes, qui appellent des niveaux de complexité croissants…

Entre deux personnes, la réciprocité est très chaleureuse. Mais plus on agrandit le groupe, plus cette réciprocité s’étiole, se dilue, se refroidit, et donc nécessite de mettre en place des systèmes de renforcement. Dans les très grands groupes de millions de personnes, les systèmes coopératifs, institutionnels et froids tels que la sécurité sociale ou l’Education nationale sont devenus invisibles en tant que tels, alors qu’ils sont de puissants instruments d’entraide. Cette dilution des liens d’entraide pose la question de la taille limite du groupe. Au final, l’être humain est la seule espèce qui pratique l’entraide de manière si puissante, entre des millions d’individus non apparentés génétiquement, et souvent entre inconnus ! Nous sommes une espèce ultra-sociale. Ce sont les normes sociales, la culture et les institutions qui rendent ce phénomène possible.Par ailleurs, cette question de la taille du groupe permet aussi de mettre en relief certains mécanismes de l’évolution. Les évolutionnistes ont découvert ces dernières années un principe du vivant qui veut que lorsqu’un groupe se forme, ce soient les égoïstes qui « gagnent », notamment parce que, dans le cas des animaux, ils se reproduisent plus vite. Mais, ce faisant, ils désagrègent le groupe. Simultanément, une autre force évolutive agit à un niveau supérieur et sélectionne les groupes les plus coopératifs… Autrement dit, deux forces opposées, paradoxales, s’équilibrent en fonction de l’environnement et créent cette diversité de comportements, ce yin et ce yang entre égoïsme et altruisme. Il faut voir l’évolution comme un processus dynamique, un équilibre entre ces forces. Tout l’objet du livre était de mettre en lumière l’une de ces forces, l’entraide, pour ne pas rester dans une vision hémiplégique du monde.

Vous soulignez dans l’ouvrage l’importance décisive du milieu sur ces équilibres, en convoquant la figure du prince anarchiste russe Pierre Kropotkine. Vous expliquez que ses découvertes sur l’entraide se fondent sur l’analyse d’un milieu de rareté et de pénurie, très différent du milieu d’abondance dans lequel Darwin a fait ses observations. Que nous apprennent ces travaux sur le contexte actuel, justement caractérisé par une raréfaction des ressources ?

Kropotkine est un personnage fascinant. Ce grand géographe était passionné par Darwin, et pourtant il n’avait pas du tout une vision compétitive du monde vivant. Après avoir lu les écrits de Darwin, il est parti à la recherche d’observations de sélection naturelle. Il s’est rendu en Sibérie – un endroit froid et hostile —, et il y a vu surtout de l’entraide entre les individus, et que c’était précisément ce qui permettait aux espèces de survivre. Il en a tiré ce grand principe : l’entraide est un facteur d’évolution. Darwin ne le niait pas non plus, même s’il a mis davantage l’accent sur la compétition parce qu’il a mené ses observations dans les milieux tropicaux, qui sont des milieux d’abondance, où la compétition territoriale a plus de chances d’émerger. Cette anecdote historique montre d’abord qu’on peut faire dire beaucoup à une découverte, en termes idéologiques : l’Angleterre victorienne des débuts du capitalisme s’est tout de suite emparée de la théorie darwinienne pour justifier ses fondements éthiques — la compétition —, alors que l’anarchisme s’est emparé des travaux de Kropotkine pour justifier l’entraide et la solidarité.Ce principe général nous a frappés : dans le monde vivant, plus le milieu est hostile, pauvre ou difficile, plus l’entraide apparaît. Au contraire, plus le milieu est abondant, plus la compétition domine. Cette découverte va à l’encontre de notre mythologie libérale. On a plutôt tendance à croire que si des catastrophes adviennent, on va tous s’entretuer pour la dernière goutte de pétrole, pour le dernier sac de sucre dans les magasins. On est convaincu que lorsque que la pénurie arrive apparait une compétition généralisée, la loi du plus fort. Le monde vivant démontre le contraire. C’est un paradoxe qu’on a pu dénouer dans l’épilogue. En fait, ce n’est pas un paradoxe, les deux observations sont réelles, mais elles n’ont pas la même temporalité. A court terme, on peut effectivement se préparer aux catastrophes dans la peur, le repli et l’attente de la violence présumée. C’est ce qui caractérise le mouvement survivaliste, et c’est compréhensible. Mais à long terme, ce sont les groupes les plus coopératifs qui survivront aux catastrophes… C’est ce que nous apprend le vivant.

"Dans le monde vivant, plus le milieu est hostile, pauvre ou difficile, plus l’entraide apparaît. Au contraire, plus le milieu est abondant, plus la compétition domine. Cette découverte va à l’encontre de notre mythologie libérale." Pablo Servigne

Votre livre est-il aussi une manière de prendre parti contre l’idéologie survivaliste, et en faveur d’une approche de type « transition », à la Rob Hopkins ?

Ce n’est pas si tranché. Mon souci est de révéler tout l’éventail des postures. En fait, nous avons tous une part de survivaliste et de transitionneur en nous. Tout est question de curseur à la fois individuel et social. Si l’on met trop le curseur vers la compétition, la peur, la violence, on crée une société violente par prophétie autoréalisatrice, par anticipation. Notre vision du monde fabrique le monde qui vient. Le livre tente de décomplexer les personnes qui souhaitent se créer des récits plus coopératifs, altruistes, afin de rendre l’avenir moins violent. Mais c’est un pari ! Sur cette question, le point important à saisir est que nous vivons dans une société d’abondance grâce essentiellement aux énergies fossiles. Nous avons chacun l’équivalent de 400 esclaves énergétiques qui travaillent pour nous tous les jours pour nous nourrir, nous chauffer, nous transporter, etc. Le fait qu’on soit tous très riches énergétiquement nous donne la possibilité de dire à notre voisin : « Je n’ai pas besoin de toi, je t’emmerde ». Mais c’est un luxe de pouvoir dire ça ! L’abondance crée une culture de l’individualisme, de l’indépendance, alors que la pénurie crée une culture de la coopération et de l’interdépendance.

Pourtant, l’abolition de l’esclavage suit de peu la Révolution industrielle, et l’on ne peut s’empêcher de voir une corrélation entre progrès techniques et une certaine horizontalisation des rapports sociaux…

La conquête humaniste de l’abolition de l’esclavage a été rendue possible parce qu’on a découvert d’autres sources d’énergie comme le charbon. C’est un phénomène qui a été bien montré par des historiens des sciences comme Christophe Bonneuil ou Jean-Baptiste Fressoz. Mais il ne faut jamais oublier que pour maintenir une croissance, on a besoin d’énergie de manière exponentielle. On a donc eu besoin du pétrole, en plus du charbon, etc. Pour moi, cela ne conduit pas à une horizontalisation des rapports sociaux, mais au contraire à extension des inégalités, à des classes sociales de plus en plus stratifiées entre des ultra-riches et des pauvres de plus en plus nombreux. Certes, les rapports démocratiques se sont accrus, mais il faut se rendre compte que plus les sociétés sont riches énergétiquement, plus elles sont inégalitaires.

Or vous montrez dans votre ouvrage que inégalités sont des freins à l’entraide…

En effet, le sentiment d’inégalité et d’injustice est absolument toxique pour les relations d’entraide et la bonne santé d’un groupe. Par ailleurs, dans un précédent livre Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), nous montrions que les inégalités économiques et sociales avaient toujours été de grands facteurs d’effondrement des civilisations. Nous prenons aujourd’hui une trajectoire qui va dans ce sens, les inégalités sont revenues au niveau de la crise de 1929. On est au bord d’une cassure. Dit autrement, si l’on veut développer l’entraide de manière plus facile, fluide et spontanée, il faut absolument réduire les niveaux d’inégalité. C’est une condition indispensable.

"Avec la diminution de l’approvisionnement en énergies fossiles, nous allons retrouver des sociétés plus petites où l’entraide sera plus facilement accessible, où les institutions auront moins de chances de généraliser la compétition au profit des puissants." Pablo Servigne

Comment faire pour réduire les inégalités ?

Pas facile ! Dans Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2014), Thomas Piketty remarquait que les sociétés s’étaient mises à réduire les inégalités et à redistribuer pour le bien commun lors de grandes catastrophes comme la crise de 1929 ou les guerres mondiales. Ce n’est pas un plaidoyer pour la guerre, mais une constatation : plus on ira vers les catastrophes, plus à mon avis on refera naître des mécanismes d’entraide et de coopération. Je pense aussi qu’un enchainement de catastrophes mènera à une simplification des macro-structures d’organisation comme l’Europe ou l’Etat nation. Avec la diminution de l’approvisionnement en énergies fossiles, la taille de nos sociétés va se réduire et que nous allons retrouver des sociétés plus petites, où l’entraide sera plus facilement accessible, ou plus précisément, où les institutions auront moins de chances de généraliser la compétition au profit des puissants. Encore une fois, comme ça a été le cas depuis des millions d’années, les groupes les plus coopératifs survivront le mieux et les individualistes mourront les premiers.

Peut-on voir dans la crise catalane un signe de cet effritement des macro-structures ?

J’aimerais vous dire que oui, mais je n’en suis pas sûr, car en Catalogne, la poussée indépendantiste est ancienne. D’une manière générale, je suis favorable à une diminution des niveaux d’échelle et de la taille des organisations, ce qui nous conduirait, par exemple à une Europe des régions et un fédéralisme régional. La taille de l’Etat me paraît disproportionnée, inhumaine pour gérer des groupes humains. Ce fédéralisme devrait évidemment s’accompagner de mécanismes de redistribution et d’entraide entre régions. L’un des problèmes de la Catalogne, c’est qu’elle semble se détacher parce qu’elle est très riche et qu’une frange de ses habitants ne veut plus participer à la redistribution avec les régions les plus pauvres d’Espagne. Ce qui est intéressant aussi dans cette émergence des régionalismes et des nationalismes, c’est le sentiment identitaire qu’elle peut révéler. Pour prendre le cas de l’Europe, sa construction s’est faite à l’envers, en retirant les frontières sans bâtir d’Europe politique. Ainsi, on a miné le sentiment de sécurité des Européens, ce qu’on a appelé la « membrane de sécurité » du groupe. Depuis quarante ans, en Europe, le choix a été de mettre tout le monde en compétition, ce qui a créé un sentiment d’insécurité, extrêmement néfaste pour l’apparition de comportements de solidarité et d’entraide. Pire : par un retour de bâton, les gens se tournent vers le nationalisme parce c’est le moyen le plus facile et le plus connu de se sentir en sécurité, dans une sorte de membrane de protection. Les poussées identitaires sont selon moi une conséquence de la libéralisation et de la mise en compétition de chacun contre tous. Pour palier cette dérive, l’une des pistes serait par exemple de remettre des frontières. Mais de belles frontières ! En décidant ensemble ce qu’on laisse passer et ce qu’on ne laisse pas passer. Plutôt que de laisser passer les marchandises et de stopper les humains, faisons par exemple le contraire. Mais je suis conscient que cette idée va à contre-courant de l’idéologie actuelle qui fait de l’idée de frontière ou de protectionnisme des gros mots. Pourtant, ce n’est que lorsqu’on se sent en sécurité qu’on peut aller vers l’autre et tisser des liens d’interdépendance…

Dans votre livre justement, vous faites état de recherches qui montrent les effets positifs sur l’entraide de la norme sociale, de la punition, de la sécurité. Ces résultats vont à l’encontre d’une certaine doxa, à gauche notamment, qui tient ces notions pour suspectes. Vos découvertes vous ont-elles amené à négocier avec certains de vos principes « moraux » ?

Je pourrais répondre de manière oblique grâce à l’exemple de Kropotkine, qui, au début du 20e siècle, s’est mis toute la droite à dos parce qu’il s’opposait à un imaginaire de compétition généralisée, mais qui s’est aussi mis à dos toute la gauche marxiste qui pensait qu’il fallait se séparer de la nature pour pouvoir « faire table rase » et mettre en œuvre des sociétés coopératives…Dans le livre, en effet, nous parlons aisément de mécanismes de punition, de réputation (l’importance des ragots dans l’apparition de l’entraide), mais aussi de sécurité, de frontières, de norme sociale. Ce sont des mots qui ont une connotation négative à la fois pour l’individu libéral (qui déteste être contraint), mais aussi pour la gauche, qui s’est par exemple dessaisie de la question de la sécurité, pourtant fondamentale. C’est l’un des besoins les plus élémentaires de l’être humain ! Prenez simplement le besoin de « sécurité sociale », par exemple. Je pense au contraire que ce sont des mécanismes qui, s’ils sont maîtrisés, justes, et à la bonne échelle, sont absolument essentiels à toute société. Notre proposition est d’arriver à le constater, à l’accepter et à maîtriser tous ces mécanismes pour devenir des experts en coopération, et pas seulement en compétition.

Vous évoquez la désignation d’un bouc émissaire, d’un ennemi commun comme un moyen de renforcer la cohésion des groupes, et notamment des groupes de grande taille. Mais vous expliquez qu’il existe d’autres manières de fédérer des groupes. Lesquels ?

Lorsqu’on veut souder les membres d’un groupe, l’un des mécanismes les plus courants consiste à créer un épouvantail extérieur, un grand méchant loup. Le groupe devient alors un super-organisme où les relations se fluidifient, et les individus s’entraident pour aller détruire l’ennemi. L’effort de guerre par exemple soude de manière très forte les habitants d’un pays. Mais on a découvert qu’on n’était pas obligé de créer un grand méchant loup : le fait de subir des catastrophes, des aléas climatiques permet aussi de souder les groupes, et plus généralement, sous certaines conditions, le fait d’avoir un objectif commun le permet aussi. Plusieurs ingrédients, plusieurs mécanismes possibles, permettent donc de renforcer l’entraide au sein des groupes.

"Ce qui m’a toujours gêné dans la notion d’humanité, est qu’elle exclut les « autres qu’humains » et crée une société « hors-sol »." Pablo Servigne

Dans votre ouvrage, vous n’évoquez pas ce modèle capitaliste et technologique d’entraide, qu’est l’économie collaborative, porté notamment par Jeremy Rifkin. Des plateformes comme Airbnb ou Blablacar usent peu ou prou des mêmes mécanismes de renforcement de l’entraide que ceux que vous décrivez – la réputation et la punition des comportements antisociaux notamment. Quel regard portez-vous sur ce modèle ?

J’y vois deux niveaux de lecture. D’abord, comme Rifkin, je constate l’émergence d’une société fondée sur des modes d’organisation plus horizontaux, latéralisés, et sur des structures en réseau. C’est un fait, et ce mode d’organisation est très puissant car il s’inspire des processus vivants. Dans la nature, les structures hiérarchiques pyramidales n’existent pas car elles sont très mauvaises pour s’adapter à un environnement changeant. Mais ensuite, il y a le problème que ces nouvelles organisations ne sont pas forcément reliées à une éthique ni à une raison d’être qui favorise le bien commun. On peut avoir des groupes très collaboratifs qui ont une raison d’être délétère pour la société. Si le but d’une telle horizontalité est d’enrichir des actionnaires, de générer toujours plus d’argent et d’inégalités, je n’y vois pas d’intérêt. Au contraire, c’est même plutôt dangereux.

Dans votre ouvrage, affleure aussi cette question abondamment discutée dans l’espace intellectuel et médiatique, de la nécessité d’étendre la notion d’entraide au-delà de l’espèce, à l’ensemble du vivant…

Oui, c’est la question très contemporaine du spécisme, du véganisme, que je trouve passionnante. J’aime beaucoup cette tendance actuelle à décloisonner l’humanité. Ce qui m’a toujours gêné dans la notion d’humanité, est qu’elle exclut les « autres qu’humains » et crée une société « hors-sol », qui permet de plus facilement tuer ou exploiter ce qui n’est pas humain. Elargir la frontière du groupe aux êtres vivants permet de retrouver une fraternité avec les autres qu’humains et donc des relations d’interdépendance beaucoup plus fortes. Elargir la frontière ne veut pas dire renoncer à nos membranes, ça n’enlève rien à nos identités, cela les enrichit. Je ressens une certaine fraternité avec l’ensemble des humains, mais je peux aussi ressentir une certaine fraternité avec un brin d’herbe, un goéland, une bactérie ou un scarabée. On se rapproche alors de sensations proches des extases mystiques, et de ce que Freud appelait le « sentiment océanique ». Cette sensation d’interdépendance radicale avec un grand tout (avec un truc qui nous dépasse) n’est pas seulement agréable, elle est aussi puissante et plutôt bienvenue à notre époque. Cela fait du bien à nos relations avec le reste du monde. J’ai pourtant une culture scientifique, rationaliste, et je suis toujours aussi fâché avec les religions, mais par ce chemin de l’interdépendance, je redécouvre le sens du sacré… C’est très étrange, et fascinant.

Pour en savoir plus :

Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L'entraide : l'autre loi de la jungle, éditions Les Liens qui Libèrent, octobre 2017, 22 euros.

Pierre Kropotkine, L'entraide : un facteur de l'évolution, Les éditions Invisibles (d'après l'édition Alfred Costes), 1906, à lire ici en format pdf .

2017-10-13
Ecologie
Les municipalités, leviers de la transition ? Débat à la Biennale de Grenoble

Le week-end dernier, se tenait la 5e biennale de Grenoble, consacrée cette année aux villes en transition. Sous la houlette d’Eric Piolle, maire de la ville, l’événement a été l’occasion de discuter, bonnes pratiques à l’appui, une notion insuffisamment définie, et dont l’institutionnalisation fait débat. Par notre envoyé spécial.

Une municipalité peut-elle célébrer la transition ? C’est ce qu’a tenté de faire celle de Grenoble, ce week-end, à l’occasion de la « Biennale des villes en transition ». Pour la cinquième édition de cet événement auparavant réservé au seul habitat durable, la mairie avait ainsi décidé d’en élargir sensiblement l’objet, y incluant des réflexions autour de la participation citoyenne, les monnaies locales, la construction en bois, l’éducation populaire, etc., soit l’ensemble des enjeux qui participent d’une transformation profonde dans l’organisation de nos régimes politiques.Une première qui faisait sens pour Eric Piolle, le maire de Grenoble : « les villes sont aujourd’hui les territoires au carrefour de toutes ces transitions et les acteurs les plus susceptibles d’y répondre ». Une manière aussi de plaider en faveur de la reconnaissance du rôle des villes et de leur autonomisation politique pour faire face aux défis du XXIème siècle - discours de plus en plus fortement porté depuis la COP 21 : « en 2040, 60% de la population mondiale sera urbaine, rappelait ainsi Laurence Tubiana, ancienne négociatrice en charge de l’accord de Paris et marraine de cette Biennale. Il faut désormais compter sur les villes comme pouvoir essentiel dans le changement du modèle de développement ».

La transition, une constellation de bonnes pratiques

Pendant quatre jours, l’exercice a surtout consisté à raconter ce vaste mouvement à travers diverses initiatives déjà à l’œuvre, à Grenoble comme ailleurs. Du système géothermique géré par une SEM (société d’économie mixte) sur la presqu’île grenobloise à la renaturation des sites miniers de Essen, ville allemande nommée capitale verte européenne pour l’année 2017, de la réinsertion professionnelle par le maraîchage urbain organisée par une association dans la grande couronne de Grenoble à la piétonisation du centre-ville de Pontevedra en Espagne, c’est une mosaïque de bonnes pratiques dans le champ social, économique et environnemental que la Biennale mettait en lumière. Pour la ville présentée comme un laboratoire politique en France depuis l’élection d’une majorité composite de gauche, écologiste et citoyenne, en mars 2014, il s’agissait, de l’aveu d’Eric Piolle, de « rassembler des sources d’inspirations pour se donner de la force en partageant les richesses de tout ce qui existe partout ». Cet échange d’expériences s’est toutefois heurté à la difficile problématisation du phénomène : tout type de projet, par tout type d’acteurs, à toute échelle, peut-il se revendiquer de la transition ? « Ce sentiment d’éparpillement révèle aussi où en est le mouvement, qui est pour l’heure une sorte de constellation » confiait un organisateur. Si l’objectif du bien-vivre, auquel était consacrée une grande conférence avec Nicolas Hulot – l’autre parrain de l’événement – fait office de slogan de ralliement, des notions importantes telles que la résilience ou l’autonomie ont été plus effacées des débats.

« La transition est un mot qui convient à tout le monde, y compris aux institutions dominantes qui s’accommodent bien de cette idée de compromis. » Kirsten Koop

Or cette absence de définition de la transition pourrait s’avérer contre-productive, voire dangereuse : « la transition est un mot qui convient à tout le monde, y compris aux institutions dominantes qui s’accommodent bien de cette idée de compromis » expliquait Kirsten Koop, géographe, dans une table-ronde consacrée à la place de la société dans la transition. Raison pour laquelle ce terme même est en question : « la transition porte l’idée de continuité alors que c’est une rupture de civilisation qui se dessine. Je préfère parler de métamorphose » explique Olivier Frérot, philosophe invité à observer les débats, qui se montre aussi bienveillant à l’égard de la démarche que sceptique sur son issue : « cette « transition » ne peut pas s’opérer depuis les institutions existantes puisqu’elles sont directement câblées aux systèmes de valeur qui caractérisent le modèle dont on veut sortir ». C’est pourquoi ce dernier appelle depuis longtemps à « regarder ce qui est en train de naître en dehors ou à côté des institutions qui s’effondrent »[1].

Puissance publique ou citoyens : qui porte la transition ?

Le mouvement de la transition ne fait pas exception à cette longue histoire des rapports tendus entre mouvements sociaux et sphères politiques. Si la question de l’institutionnalisation se pose depuis le début pour les « transitionneurs »[2], elle a de nouveau traversé certains des débats de la Biennale. Ainsi de la grande Assemblée des communs, qui s’est tenue le samedi matin et a réfléchi en petits ateliers à la gouvernance d’un certain nombre de biens communs – la nature, la santé, l’urbain et la connaissance. Si la démarche s’inspire de ce qui se fait ailleurs en France, à Brest par exemple[3], elle se doit de suivre une méthodologie particulière : « cela ne peut pas se faire à l’initiative de la puissance publique » raconte une participante réticente à l’hébergement de cette Assemblée dans le cadre de la Biennale. Pour provoquer un débat sur ces questions-là, un « Off » avait été organisé en parallèle des conférences officielles. « Présenter la ville comme toute-puissante et alternative aux formes traditionnelles de pouvoir évacue la question des rapports de force à l’intérieur de cette ville » précisent les organisateurs de l’Atelier Populaire d’Urbanisme.

« Présenter la ville comme toute-puissante et alternative aux formes traditionnelles de pouvoir évacue la question des rapports de force à l’intérieur de cette ville. » L’Atelier Populaire d’Urbanisme.

Et une fois la conquête du pouvoir effectuée, on se confronte aux contradictions du pouvoir : « gagner une élection ne signifie pas reprendre la ville » rappelait Beppe Caccia, chercheur en histoire politique, lors de la soirée conclusive orientée sur la question du nouveau municipalisme. Evoquant Murray Bookchin, père du municipalisme libertaire, Magali Fricaudet, coordinatrice à CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) s’est appuyée sur l’exemple des villes espagnoles : « ce ne sont pas des partis politiques qui y ont gagné les grandes villes, mais des alliances de mobilisation très ancrées dans les territoires, sur des sujets concrets ». A Barcelone, on appelle même cela des « confluences », « car le terme de coalition sous-entend trop l’idée de pouvoir » explique Cesar Ochoa du mouvement Barcelone En Commun, dont il rappelle que Podemos est une composante parmi d’autres : « le parti politique n’est qu’un vecteur, c’est le citoyen qui est le producteur des politiques publiques ».En substance, c’est pourtant la même idée que prône Eric Piolle, dans un autre débat sur les fractures urbaines : « si on attend que ce soit la ville qui se lance, par exemple en agriculture urbaine, cela ira moins vite que si les citoyens mènent leur propre projet ». Récusant les craintes de récupération politique, le maire de Grenoble défend l’idée d’une municipalité en « accompagnement » des projets de terrain, qui rend possible l’engagement citoyen dans une société d’acteurs en réseau[4]. « Les citoyens sont les artisans à la racine de la transition » résume Kirsten Koop dans ce qui ressemble à un constat partagé. Il pourrait y en avoir un autre, concernant la vocation majoritaire de ces mouvements de fond. Car Eric Piolle ne s’en désespère pas : « c’est un peu plus que l’avenir, c’est déjà le présent : la transition, ce ne sont pas plein de petites gouttes un peu partout, c’est une vague en formation ». On lui souhaite de ne pas s’échouer trop tôt.

[1] Voir la tribune dans Libé (http://www.liberation.fr/auteur/15802-olivier-frerot) ou différentes publications telles que « Nos institutions publiques à bout de souffle » et « Solidarités émergentes, institutions en germe » (https://solidaritesemergentes.wordpress.com/).

[2] Voir à ce sujet l’article dans Reporterre relatant un débat sur cette question lors du Festival des Utopies Concrètes, en 2013.

[3] Plus d’infos sur le site Assemblée des communs : http://assembleedescommuns.org/

[4] Voir à ce sujet l’interview dans Reporterre d’Eric Piolle en mai 2016

2017-03-15
Ecologie
LAVille : une utopie en réponse à l'explosion urbaine

Dans le cadre de l'association les Grands projets du 21e siècle (AGP21), Damien Giolito présentait le 23 février dernier à Paris le concept LAVille. Soit un modèle urbain pouvant s'appliquer jusqu'aux villes de 3 millions d'habitants, résilient, durable, inclusif et adaptable dans le monde entier. Midionze y était.

Damien Giolito est ingénieur génie civil de formation. Il a travaillé pendant 15 ans sur des constructions diverses avant de passer son brevet de pilote et se lancer dans la cartographie aérienne. C’est sûrement cette vue macro du développement du territoire et notamment des villes qui lui a inspiré son concept de ville durable, qu’il a nommé LAVille.Sa réflexion part d’un constat sans concession quant aux impasses de notre développement actuel. "La population urbaine est de 4 milliards aujourd’hui et compte déjà près de 1 milliard de personnes habitant dans des logements précaires. 2,5 milliards de nouveaux citadins sont attendus dans les villes d’ici 2045, écrit-il sur son blog. Il sera donc nécessaire de créer des infrastructures (villes, logements, industries, bureaux, commerces, hôpitaux, écoles) pour sensiblement 3 milliards de personnes dans le monde d’ici la moitié du siècle." Or, les villes se développent aujourd’hui de façon concentrique, comme des « grumeaux » qui finissent par s’agglomérer et détruisent au passage la nature et les ressources en terres arables qui pourraient les nourrir.

Un cahier des charges exigeant

L'ingénieur a donc imaginé un développement urbain durable et résilient à partir d’un cahier des charges très exigeant : pas de pétrole, pas de voitures, pas de déchets, pas de pollution, neutralité carbone, un accès à la nature à moins de 2kms et un autre aux transports à moins de 1 km, une auto-suffisance alimentaire - le tout sans anticiper aucune rupture technologique !Alors finis les grumeaux qui collent, vive l’architecture multicellulaire. Damien Giolito propose d'aménager une ceinture urbaine de 2km de large entourée de quatre voix de trains (deux sens et deux vitesses : express et omnibus). Des constructions de 4 étages maximum agrègent différentes fonctions (industrie, logements, commerces, services, …) et accueillent 3millions de personnes avec une densité de 6 000ha/m2. Différentes bandes intérieures concentriques sont destinées aux loisirs, aux jardins familiaux, aux services de recyclage, à la production d’énergies renouvelables (panneaux solaires, méthanisation, éoliennes, ..) et au stockage de l’eau. Le cœur de cette cellule de 80 km de diamètre est réservée à de la permaculture et LAVille est entourée de « vraie nature » sanctuarisée. Le concept qui n’est pas sans rappeler celui des cités-jardins de Ebenezer Howard  est séduisant sur le papier mais cette cité durable ne restera t elle qu’un « paradis de l’ingénieur » ?

Pour en savoir plus :

La vidéo de présentation du concept : https://www.youtube.com/watch?time_continue=143&v=9nfSbas3fGM

2017-02-24
Ecologie
Scott D. Sampson : "Nous ne résoudrons pas la crise écologique si nous ne réduisons pas l’écart entre les enfants et la nature"

Son dada à lui, ce sont les dinosaures. Paléontologue chevronné et vulgarisateur scientifique hors pair, le canadien Scott D. Sampson est aussi un fervent défenseur de la nature. Dans Comment élever un enfant sauvage en ville (éditions les Arènes, 2016), il souligne la nécessité d’engager les plus jeunes à renouer avec un milieu naturel que l’urbanisation, le règne des écrans et l’obsession sécuritaire rendent de plus en plus lointain et abstrait. Il a expliqué à midi :onze comment faire.

Vous êtes un biologiste un paléontologue de renom. Pourquoi avez-vous choisi d’écrire Comment élever un enfant sauvage en ville ?

Ma mère et mon père avaient en commun leur amour de la nature, et ils s’adonnaient à cette passion en allant fréquemment camper ou lors d’excursions dans des espaces naturels. Evidemment, dans les années 1960 et 1970, la plupart des enfants avaient la liberté de vagabonder. Pour moi, cela équivalait à explorer la forêt située à quelques blocs de ma maison dans les quartiers ouest de Vancouver, en Colombie Britannique. Ma mère en particulier était un merveilleux mentor, même si je doute qu’elle se définissait de cette manière. Elle alimentait en permanence ma curiosité pour tout ce qui avait trait aux sciences naturelles. L’un de mes sujets de prédilection était les dinosaures. Alors que tous les enfants ont leur phase dinosaure, je n’en suis jamais sorti ! Certains aiment à dire que je ne suis jamais vraiment devenu adulte !En tant que père d’une adolescente, j’ai eu très envie d’élever une enfant sauvage. Quand j’ai découvert qu’il n’y avait pas de livres grand public offrant aux parents, aux enseignants et autres éducateurs les outils et stratégies dont ils avaient besoin pour connecter les enfants avec la nature,  j’ai décidé d’écrire Comment élever un enfant sauvage en ville.

Dans ce livre, vous décrivez une enfance contemporaine confinée entre les quatre murs du logement ou de l’école, alors que votre propre enfance était une succession d’explorations de votre environnement. Quand s’est opéré ce basculement, et quelles en sont les causes ?

La « migration vers l’intérieur » de l’enfance s’est opérée seulement à la dernière génération. Les technologies numériques en sont les principales responsables : une fois passé tant de temps devant des écrans, il en reste bien peu pour les aventures en plein air. Vient ensuite la peur du risque, et l’idée que les enfants vont devoir affronter la menace d’inconnus si on les laisse sans surveillance. Alors que les taux d’enlèvements et d’abus d’enfants par des étrangers ne sont pas plus élevés aujourd’hui qu’en 1950 ou 1960, les peurs parentales en ce domaine sont bien réelles et ne peuvent être dissipées. Autre problème : l’emploi du temps surchargé des enfants. Pour leur offrir les meilleures chances de réussite et d’épanouissement, on leur donne beaucoup plus de devoirs que la génération précédente. Et c’est désormais la norme de les inscrire au sport, à un cours de musique, et autres activités extra-scolaires. Il ne s’agit pas de rendre les parents et éducateurs fautifs de cette migration vers l’intérieur : chacun veut le meilleur pour ses enfants. Mais il est temps de faire une pause et d’admettre que nos efforts en ce sens ne sont peut-être pas ce qu’il y a de mieux pour la santé et le bonheur de nos enfants, ni pour développer leur potentiel. La nature n’est pas une panacée, mais elle peut être une étape décisive vers une enfance plus saine et épanouissante.

Quels sont les effets d’une éducation passée à l’intérieur (sur la santé, mais aussi sur le changement climatique, la biodiversité, etc.) ?

L’idée d’écrire Comment élever un enfant sauvage en ville est née d’un double constat. Le premier tient à la déconnexion contemporaine des enfants et de la nature, et de ses effets sur leur santé. L’enfant nord-américain moyen passe entre sept et dix heures par jour devant un écran, et quelques minutes à jouer librement dehors – ce qui constitue un changement dramatique par rapport à la génération précédente. Sans surprise, les taux d’obésité, de TDAH (trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité), de maladies cardiaques et de dépression infantiles ont monté en flèche. De nombreuses études démontrent à présent l’importance cruciale du jeu libre pour le développement physique et cérébral. D’autres études tout aussi nombreuses soulignent le pouvoir de l’apprentissage pratique et en contexte dans des espaces naturels. Pour le dire simplement, les enfants ont besoin de nature, et ce besoin n’est pas satisfait.

"L’enfant nord-américain moyen passe entre sept et dix heures par jour devant un écran, et quelques minutes à jouer librement dehors – ce qui constitue un changement dramatique par rapport à la génération précédente. Sans surprise, les taux d’obésité, de TDAH (trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité), de maladies cardiaques et de dépression infantiles ont monté en flèche." Scott D. Sampson

Le second constat tient à la santé des espaces où nous vivons. Demandez à un groupe de scientifiques de nommer les principaux défis de notre temps : il y a fort à parier qu’ils vous citent le changement climatique, l’extinction des espèces et la destruction de leur habitat. A cette liste, nous devons ajouter une autre crise très largement commentée : la déconnexion homme/nature. Or, comment créer des sociétés écologiques et durables si nous ne nous soucions pas des lieux où nous vivons ? Et comment s’en soucier si nous ne passons pas du temps en plein air, et n’établissons aucune connexion intellectuelle et émotionnelle avec ces espaces ? Aider les enfants à tomber amoureux de la nature mérite d’être une priorité nationale (et internationale), au même titre que la réduction des émissions de GES et la préservation des espèces et espaces naturels. En effet, on peut démontrer qu’il sera impossible de résoudre la crise écologique si nous ne réduisons pas l’écart entre les enfants et la nature.

A l’inverse, quels sont les bénéfices d’un contact régulier avec la nature ?

Des recherches récentes indiquent que les expériences menées dans la nature sont essentielles à une croissance saine. Une exposition régulière  la nature peut atténuer le stress, la dépression et les troubles déficitaires de l’attention. Elle réduit également l’agressivité, combat l’obésité et dope les résultats scolaires. Plus significativement encore, passer du temps dans des espaces naturels semble bénéfique au développement cognitif, social et émotionnel des enfants.

Dans nos sociétés urbaines, les enfants connaissent principalement la nature à travers des écrans et des images. Les livres pour enfants, notamment, sont pleins de vaches, de moutons et de loups. Dans votre livre, vous explique qu’une telle approche ne remplace pas le contact direct avec la nature. Pourquoi ?

Les technologies et les images de la nature peuvent être les adjuvants d’une connexion avec la nature. Mais la vraie connexion s’enracine dans  l’expérience directe, fréquente, multisensorielle dans des espaces extérieurs sauvages et semi-sauvages. Heureusement, on peut trouver ce genre d’espaces y compris dans les villes.

Comment les adultes peuvent-ils aider les enfants à se connecter avec la nature ?

Le processus de connexion avec la nature résulte de trois facteurs, applicables à tout âge, et contenus dans l’acronyme EMC.  E désigne l'expérience, entendue comme une série de contacts directs qui engagent tous les sens. La nature doit être appréhendée par les yeux, les oreilles, l’odorat et les pores de la peau tout autant que par le cerveau. Une minorité d’entre nous ont besoin d’être convaincus qu’il existe une légenre différence entre tenir une limace ou contempler un ciel étoilé par une chaude nuit d’été et leurs versions virtuelles. Seule cette expérience directe a le pouvoir de nourrir des connexions émotionnelles.

"La nature doit être appréhendée par les yeux, les oreilles, l’odorat et les pores de la peau tout autant que par le cerveau." Scott D. Sampson

Le M de EMC est le mentorat. Etre un mentor de la nature ne revient pas à apprendre aux enfants à survivre dans un milieu sauvage. Cela ne nécessite pas d’être un expert de la nature (même si certains mentors le sont), ou de guider chaque activité d’un enfant au grand air. Un mentor pose beaucoup de questions et offre peu de réponses. Il est un complice, un compagnon d’explorations, un chasseur d’indices, qui dirige de derrière plutôt que de devant. Le mentor accorde lui-même de la valeur à la nature, et transmet cette valeur aux enfants. Plus important, il s’assure que les enfants disposent d’un temps suffisant et libre dans les espaces naturels.Le dernier point de EMC est comprendre. L’accent ici n’est pas mis sur l’accumulation d’informations sur la nature, telles que le nom des plantes et des animeaux (même si cela arrive). Bien plus important est de donner au enfants un sens du grandiose de l'environnement, et de les aider à percevoir les connexions profondes qui les lie au monde naturel. De quelle manière l’énergie et la matière irriguent votre écosystème ? Quelle est l’histoire de votre environnement – celui qui englobe la Terre, la vie et les humains ? Une fois que ce savoir de base est instillé, même de façon générale, les enfants gagnent durablement en perspicacité. Et pour que la connexion avec la nature puisse réellement se faire, la connaissance doit être incarnée et être de nature à influer aussi bien sur l’esprit que sur les émotions. Si les adultes s’assurent que les enfants reçoivent ces trois ingrédients, ceux-ci vont naturellement entrer en contact avec la nature.

Dans votre livre, vous décrivez l’adulte comme un mentor et l’invitez à se comporter comme un coyote. Pouvez-vous développer cette idée ?

Les coyotes sont malins. Tout comme les mentors. Ils inspirent non pas en rapportant des faits, mais en posant des questions provocantes. Ils guident les enfants en conspirant avec eux. Ils créent des occasions de surprise et d’émerveillement. Et ils permettent aux enfants d’avoir autant de liberté que ne l’autorise leur sécurité. Dès le milieu de l’enfance (et parfois plus tôt), les enfants ont besoin de se séparer des adultes et d’en être indépendants. L’un des plus grands défis des mentors de nature est de satisfaire ce besoin, et de combattre la tentation d’être toujours présent. Au lieu d’être des parents « hélicoptères », il faut se faire colibri – ce qui consiste à donner aux enfants de l’espace et de l’autonomie pour prendre des risques, en sirotant du nectar à distance et à s’approcher seulement si c’est nécessaire. Si l’idée de rester en arrière vous rend nerveux, éloignez vous progressivement et voyez comment vous réagissez. Surveillez aussi la façon dont les enfants ressentent votre éloignement. A mesure qu’ils grandissent, il devient de plus important d’acter cette séparation pour laisser aux enfants la liberté de prendre des risques, de faire des erreurs et d’en assumer les conséquences. Le but ne devrait pas être d’éliminer le risque ; mais plutôt d’apprendre aux enfants à appréhender le risque, faute de quoi ils devront en subir des conséquences bien plus grandes une fois adolescents ou adultes. En suivant cette voie vers une liberté de plus en plus grande, vous verrez vos enfants gagner en capacité et en confiance en eux.

"Des interactions fréquentes avec le monde naturel à proximité de chez soi sont les plus à même d’influencer nos émotions et de favoriser une connexion profonde." Scott D. Sampson

La traduction française de votre livre est « Comment élever un enfant sauvage en ville. » Dans votre ouvrage au contraire, vous décrivez des expériences menées dans un contexte naturel. Est-il possible d’élever un enfant sauvage en ville, où la nature sauvage est absente ? Si oui, à quelles conditions ?

Dans la mesure où le contact avec la nature doit s’appuyer sur une vaste somme d’expériences en plein air, l’enjeu est moins de faire des excursions ponctuelles dans des espaces vraiment sauvages tels que les parcs nationaux, que de passer davantage de temps dans une nature proche. Des interactions fréquentes avec le monde naturel à proximité de chez soi sont les plus à même d’influencer nos émotions et de favoriser une connexion profonde. C’est pourquoi la nature proche qui s’épanouit dans les arrière-cours, les jardins, les cours d’école et les parcs sont des terrains plus propices à une connexion avec la nature que des paysages sauvages plus éloignés. La clé est de commencer à remarquer la nature environnante, à s’engager avec elle directement, et à promouvoir cette capacité à l’émerveillement qui vient naturellement aux enfants.

Quel rôle l’école peut-elle jouer dans cette découverte de la nature ?

Les écoles peuvent jouer un rôle immense dans la connexion avec la nature. En effet, l’éducation à la nature se diffuse partout dans le monde. Les cours d’écoles peuvent devenir des salles de classe, tout particulièrement si elles sont agrémentées de jardins et de plantes vernaculaires susceptibles d’attirer les insectes et les animaux. Une simple requête Google sur les « cours d’écoles vertes » vous révélera pléthore d’idées incroyables !Quels sont les obstacles à une telle « école de la nature » ?Le plus grand obstacle aux « écoles de la nature » est le manque d’expérience des enseignants en matière d’enseignement en plein air et de capacité à mobiliser les élèves sur n’importe quel sujet en utilisant la nature environnante. Heureusement, il existe aujourd’hui de nombreuses ressources en ligne et formations pour les enseignants…

Pour en savoir plus :

Scott D. Sampson, Comment élever un enfant sauvage en ville, éditions les Arènes, 2016, 396 pages, 21,90€

2017-02-16
Ecologie
Témoignage : Le compost, entre transition écologique et lien social, par Jean-Jacques Fasquel

Jean-Jacques Fasquel est Maître-Composteur, consultant en prévention des déchets et accompagne collectivités, bailleurs, établissements scolaires, jardins partagés ou entreprises  dans la mise en place de cette gestion locale de traitement des déchets organiques. Pour midionze, il revient sur sa CompoStory et décrit la façon dont elle a inspiré la Mairie de Paris.

En 2007, quand certains pensaient à la présidentielle en se rasant, moi je pensais au compost en épluchant !  A cette époque, j’étais engagé à titre personnel dans une transition écologique et la question des bio-déchets s’est vite posée, d’autant qu’ils représentent un tiers de notre poubelle domestique. Le compostage in situ me semblait la solution évidente pour détourner cette matière organique de la collecte, de l’incinération et de ses pollutions induites. J’habite à Paris (12ème) dans une résidence de 540 logements appartenant à un bailleur social, Paris Habitat. M’appuyant sur un retour d’expérience de Rennes Métropole qui s'était déjà lancée dans l’aventure dès 2006, j’ai proposé à mon bailleur et à ma Mairie d’arrondissement de lancer un compost en pied d’immeuble. J’avais identifié une ancienne aire de jeu pour enfants désaffectée qui paraissait un lieu idéal. Après un silence du bailleur, la Mairie d’Arrondissement a organisé une réunion où les différentes parties prenantes se sont mises autour d’une table pour s’accorder sur les conditions de cette expérimentation, qui n’existait pas encore dans la capitale. L’association des locataires a accueilli le projet avec enthousiasme, le bailleur est devenu un soutien motivé et a financé le projet. J’ai pu commencer à recruter les volontaires par un courrier avec coupon réponse distribué dans toutes les boites aux lettres de l’immeuble.C’est ainsi qu’en juin 2008 une vingtaine de foyers se sont retrouvés pour inaugurer le site de compostage. Un Maître-Composteur nous a expliqué la marche à suivre. Elle consiste à stocker nos déchets organiques (épluchures ou restes de fruits et légumes, marc de café ou encore coquilles d’œufs) dans un « bio-seau » (un réceptacle plastique de 7 à 10 litres) distribué à tous, et à venir le vider, au rythme de notre choix (idéalement au moins une fois par semaine) dans l’un des composteurs. Nous mélangeons cet apport aux anciens déchets et ajoutons de la matière sèche (feuilles mortes, broyat) pour aérer et équilibrer le compost. Les composteurs sont de grands bacs en bois (600 litres) à couvercle dans lesquels les déchets organiques se transforment progressivement en quelques mois (et sans odeurs) grâce aux bactéries, aux champignons et enfin aux invertébrés dont le ver Eisenia Foetida est la star incontestée.

"On se retrouvait autrefois autour du lavoir. C'est désormais au pied des composteurs… au moment des apports ou à l’occasion des opérations de maintenance (brassage, retournement, tamisage,…) et des moments de convivialité." Jean-Jacques Fasquel

Cette inauguration s’est clôturée par notre premier « apéro-compost », dont je me souviens avec émotion : au-delà du caractère  « pionnier » de cette expérience nous étions en train de tisser du lien social et nombre des personnes présentes ce jour-là sont devenues des amis. On se retrouvait autrefois autour du lavoir. C'est désormais au pied des composteurs… au moment des apports ou à l’occasion des opérations de maintenance (brassage, retournement, tamisage,…) et des moments de convivialité.Dès le lendemain de l’événement, un bouche à oreille positif a généré de nouvelles  inscriptions, pour atteindre au fil des années un plafond de 80 foyers (nous sommes tout de même limités par la place). Nous avons dû ajouter régulièrement des bacs complémentaires pour pouvoir absorber les 8 tonnes de déchets organiques déposés chaque année par les participants. Nous obtenons en six mois un compost de qualité qui est utilisé pour les plantes d’intérieur ou de balcon, et sert surtout à amender le sol d'un jardin partagé de quarante-cinq parcelles que nous avons créé pour boucler la boucle du retour à la terre. Deux ruches, un poulailler et autres nichoirs ou abris à insectes complètent la panoplie de notre jardin éco-responsable.En s’inspirant de cette initiative, la Ville de Paris a lancé en 2010 un accompagnement pour favoriser le compostage collectif en pied d’immeuble. Ainsi,  tout Parisien qui habite un immeuble et souhaite installer un compost collectif peut soumettre sa candidature et, si le projet remplit les conditions (notamment l’accord du gestionnaire de l’immeuble et la participation de 10 habitants minimum), bénéficier gracieusement du matériel (3 bacs, des bio-seaux et un mélangeur), de la formation et de l’accompagnement d’un Maître-composteur dans les différents phases du projet (audit, installation et suivi) pendant une année. Ce programme est également proposé aux écoles maternelles et primaires ainsi qu'à des sites institutionnels de la Ville. Aujourd'hui prés de 500 sites de compostage collectif ont ainsi été mis en route.Le compostage de quartier est une autre solution pour les citoyens qui n'ont pas la chance de pouvoir le faire au pied de leur immeuble (pas d'espace ou pas d'accord des parties prenantes). Il y a également une vraie demande des Parisiens pour cette alternative et je m'en suis bien rendu compte quand j'ai lancé le premier compost de quartier en octobre 2014 dans les jardins de la Maison des Associations du 12e sous l'égide de l'Association Compost A Paris. Nous avons recruté 130 foyers et nous étions même complets avant l'inauguration ! Depuis, de nombreux projets ont été lancés ou sont en cours de genèse. Ils ont d’ailleurs été plébiscités dans le dernier budget participatif parisien. Je travaille par exemple sur la création d'un autre site dans le 12e à Bercy.

"Mon cœur ira toujours vers les solutions de compostage partagé et citoyen car elles permettent à chacun de prendre la responsabilité de ses déchets plutôt que d'être consommateur d'un service de collecte et, comme on l’a déjà dit, cerise sur le gâteau, de créer du bien vivre ensemble." Jean-Jacquel Fasquel

Même si la Ville de Paris est volontaire et proactive sur le compostage partagé, il reste deux points cruciaux à améliorer. Il faut d’abord être en capacité de livrer aux sites le broyat nécessaire à l’équilibrage du compost et donc à sa bonne transformation sans odeurs. Cela semble une gageure en l’absence de transversalité entre les divers services municipaux. Le broyat (bois broyé) est en effet produit par le Service Espaces Verts mais est utilisé par le Service Propreté, pilote du programme de compostage. Autre blocage : le Service Espaces Verts refuse aujourd’hui d’utiliser le compost produit en quantité par les composts de quartier qui n’ont pas toujours les débouchés suffisants.En ce début d’année 2017, une expérimentation de collecte sélective de biodéchets et de compostage et de méthanisation va débuter dans les 2e et 12e arrondissements. Fort des retours d’expérience cette collecte sera généralisée à terme à tout Paris. Même si cette collecte sélective est indispensable et complémentaire pour une ville aussi dense que Paris, mon cœur ira toujours vers les solutions de compostage partagé et citoyen car elles permettent à chacun de prendre la responsabilité de ses déchets plutôt que d'être consommateur d'un service de collecte et, comme on l’a déjà dit, cerise sur le gâteau, de créer du bien vivre ensemble.

Crédit photo : Anne-Lore Mesnage

2017-01-27
Ecologie
Société
Mainstenant préfigure l'avenir des friches

Ecolieux, éducation, agroécologie et émancipation : ces quatre mots pourraient résumer la démarche de l'association Mainstenant, née sur les braises de Nuit Debout. Architectes, urbanistes, étudiants, sociologues, entrepreneurs..., ils ont décidé de prendre en main le devenir du monde en faisant revivre des territoires en friche. Véritables explorateurs urbains, ils identifient des zones à l'abandon et se mettent en lien avec les pouvoirs publics. Six mois après le début de l'aventure, les premiers résultats sont plus qu'encourageants.

« Toujours des mots, encore des mots… parole, parole, parole »… C’est justement pour ne pas tomber dans la caricature des mouvements utopiques que les fondateurs de Mainstenant se sont tous relevé les manches pour que l'idée d’une ville reconnectée à ses campagnes puisse éclore plus rapidement. Ce collectif, devenu depuis peu une association, est aujourd'hui présidé par Nicolas Voisin, son cofondateur avec huit autres personnes. Celui qui à une autre époque s'est illustré en créant un média inédit, le défunt Owni, est totalement galvanisé quand il explique, très clairement, l'objectif d'une telle réunion de savoir-faire et d'esprits collaboratifs. « Une bonne partie d'entre nous s'est rencontrée à Nuit Debout. Pendant six mois nous avons lutté contre les institutions avec ce sentiment que cela ne suffisait pas, que nous n'allions pas gagner. Mais quitte à ne pas gagner tout de suite autant construire la suite du monde. Petit à petit s'est décantée cette idée d'aller travailler sur des lieux abandonnés avec une triple démarche : réappropriation des métiers traditionnels émancipateurs, création de classes buissonnières, reconnexion entre ville et campagne afin de nourrir les centres urbains grâce à la permaculture, l'aquaponie, les mini-fermes... » Et pourquoi ne pas faire des émules partout ailleurs en France tout en s'inspirant des démarches qui existent et qui sont convaincantes ?

Il ne faut pas être résigné. Nous inventons la suite. Je ne crois pas que cela soit utopique. Paradoxalement, c’est même plutôt dans l'air du temps. La plus âgée est architecte et travaille sur ces sujets depuis plus de trente ans. Le plus jeune a dix-neuf ans.

Réparer le monde

Maintenant, main dans la main (d'où le nom Mainstenant), ces néo-ruraux veulent donner leur chance aux générations futures de s'en sortir, de prendre en main leur futur alors même que le sens actuel de l'histoire ne joue pas en leur faveur. Nelson Mandela, a dit : « L'éducation est l'arme la plus puissante que vous pouvez utiliser pour changer le monde... ». C'est aussi le principal crédo de l'association. Ainsi, l'un des principaux objectifs est de parvenir à mettre en place ces fameuses écoles buissonnières afin d'accueillir des jeunes citadins une ou deux fois par semaine et de les mettre en contact avec la terre sur les deux premiers sites qu'ils expérimentent depuis l'été 2016 : « La plage » sur l'île du Platais (78) et l'ancienne piscine municipale d'Esbly (77). « Nous avons une whish list d'une dizaine de lieux en région parisienne sur lesquels nous nous documentons et deux lieux sur lesquels nous sommes désormais présents et avons entamés des discussions avec les habitants, les municipalités, et les propriétaires, explique Nicolas Voisin. La Marne et la Seine nous passionnent : il y a 250 îles dont un tiers ne sont pas occupées. Sur la Marne, il y a un potentiel incroyable car ce n'est pas une autoroute à bateau. La Seine, c'est plus compliqué... ».

Les difficultés ne proviennent pas essentiellement du trafic mais surtout du nombre d’interlocuteurs. Du côté de Platais, qui se situe à l'intersection de trois communes (Médan, Villennes-sur-Seine, Triel-sur-Seine) et se divise en deux parties (le village Physiopolis et « La Plage », un ancien complexe aquatique abandonné depuis le début des années 2000 et appartenant à des propriétaires privés), les démarches sont moins évidentes qu'à Esbly, où l'on s'achemine courant mars vers la signature d'une convention d'occupation précaire. Un projet à destination du conseil municipal a d'ailleurs été élaboré afin de se projeter durant les trois prochaines années. Il met en avant la réalisation d'une mini ferme, d'un espace de coworking, d'un fablab, d'espaces d'accueils pour les enfants dans les « soucoupes » en béton et de jardins de permaculture. Il y a donc deux dynamiques différentes et le collectif se fait un devoir de tout documenter sur les projets en cours d'une manière totalement transparente via son site Internet.

"Ces lieux, nous les aimons tels qu’ils sont, le but n’est pas de les transformer totalement pour gentrifier un territoire." Nicolas Voisin

Des "oasis de vivre-ensemble"

Actuellement, et en attendant le feu vert de la mairie d'Esbly pour débuter des chantiers participatifs, une dizaine de membres, dont certains ont même abandonné leur travail, se retrouvent régulièrement à Physiopolis, l'ancien village dit naturiste initié sur l'île du Platais par les Frères Durvilles, où un sympathique voisin leur a mis à disposition pour l'hiver un chalet. Ils en profitent pour faire des études de sols, envisager la réhabilitation de bungalows, la mise en terre d’un potager avant de lancer très prochainement une campagne de Crowdfunding. L’autre grand chantier de l’année, c’est la rédaction d’un rapport destiné aux maires de France, afin de leur montrer l’intérêt de valoriser des territoires abandonnés en « oasis de vivre-ensemble ». « Ces lieux, nous les aimons tels qu’ils sont, le but n’est pas de les transformer totalement pour gentrifier un territoire », insiste Nicolas Voisin. Comment éviter la gentrification ? Tout simplement en travaillant avec d’autres associations comme Aurore et les Grands Voisins sur du logement précaire et des chantiers de réinsertion. Le chemin est encore long, mais chaque semaine, le collectif séduit de nouveaux membres ou sympathisants avec des talents et des savoir-faire qu’ils sont prêt à partager. Quand on pense open-source, collaboration et environnement, l’avenir prend tout de suite une tournure plus salvatrice.

2017-01-23
Ecologie
Education à l'environnement : où en est l'école écolo ?

Si l’environnement s’est fait une place dans les médias et dans les préoccupations des français, en est-il de même dans l’éducation ? Sur les bancs de l’école, la biologie ou les sciences de la vie et de la terre sont enseignées depuis plusieurs dizaines d’années. Mais de la maternelle au lycée, évoque-t-on réellement les problématiques liées au développement durable, aux énergies renouvelables ou au réchauffement climatique ?

En septembre 2011, la génération 93 pourra choisir le premier cursus post bac intégrant la notion de développement durable dans son programme. Baptisé STI2D (Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable), ce bac technologique qui viendra remplacer la filière STI, aura quatre nouvelles matières à son programme : Système d’information et numérique (SIN), Energie et environnement (EE), Architecture et construction (AC) et Innovation technologique et éco-conception (ITEC). Cette filière, si elle ne donne aucun savoir-faire professionnel, permettra à ceux qui l’intègrent d’envisager un large éventail de formations jusqu’au niveau bac + 5, masters universitaires et diplômes d’ingénieur.

L'enjeu : sensibiliser certains élèves aux problématiques environnementales. Mais l’ensemble de cette génération de bacheliers aura-t-elle profité dans ses années de maternelle, d’école primaire, de collège et de lycée d’une éducation à l’environnement ? Pas vraiment car les réformes en la matière ont tardé à se mettre en place. Ainsi, si le ministère de l'Environnement propose dès le début des années 90 l'opération "Mille défis pour ma planète" aux enseignants, il s’agit d’une opération unique sur l’année et qui n’est pas imposée dans les programmes de l’Education nationale. A l’échelle locale, un projet de préservation de la nature est choisi par les enfants pendant les heures de cours et régulé ensuite par des adultes, qui se réunissent hors temps scolaire.

Que disent les textes ?

Dans les textes, une circulaire de 1977 définit pour la première fois les contenus et les méthodes de l’éducation à l’environnement. La dimension donnée est essentiellement écologique au sens scientifique du terme. Mais les aspects économiques ne sont pas absents. La notion de développement durable apparaît en filigrane. Concrètement, il faut attendre 2004 et une nouvelle circulaire qui remplace celle de 1977 et fait apparaître clairement la notion de développement durable. Elle préconise que "l’Éducation à l’Environnement pour un Développement Durable (EEDD) doit être une composante importante de la formation initiale des élèves, dès leur plus jeune âge et tout au long de leur scolarité, pour leur permettre d’acquérir des connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de manière responsable. " Cette première phase définissait les conditions de généralisation de l’EDDD.

En 2007, un nouveau plan triennal (2007-2010) en faveur de l’éducation à l’environnement pour un développement durable (EDD) est annoncé. Cette deuxième phase vise trois objectifs : "inclure l’éducation au développement durable dans les programmes de toutes les disciplines à l’école, au collège et au lycée, multiplier les établissements en démarche de développement durable (EDDD) et former les professeurs à cet enseignement, quelle que soit leur discipline."

Une matière interdisciplinaire

Si ces dispositions sont désormais obligatoires, le caractère interdisciplinaire de l’EDD rend difficile son application. Car l’EDD n’existe non pas sous forme d'une nouvelle discipline mais dans le cadre des disciplines existantes, à l’image de la biodiversité, enseignée en fil rouge tout au long du parcours scolaire. Difficilement contrôlable, l’enseignement du développement durable dans l’éducation est donc avant tout une question de volonté de la part des enseignants et de la direction des écoles. Certains cas prouvent pourtant qu’il est possible de placer l’EDD au cœur du programme éducatif. L’école du Colibri dans la Drôme s’applique ainsi à mettre en relation "les enfants avec le monde du vivant pour l’apprentissage d’un mode de vie respectueux aussi bien de la planète que des humains qui y séjournent, pour l’acquisition d’une responsabilité écologique et relationnelle." En Ardèche, "l'école de La Ferme des Enfants prend sa place au sein d'un écovillage à vocation pédagogique et intergénérationnelle : le Hameau des Buis." Enfin, si d’autres écoles ne jouissent pas d’un cadre naturel propice à cet apprentissage écologique, cela n’empêche pas certaines de valoriser la notion de développement durable dans leur programme à l’image de l’école Living School de Paris.

Sans aller aussi loin, des programmes ponctuels sont proposés aux écoles et aux enseignants. Plus faciles à mettre en place, ces derniers ont le mérite de faire plancher les élèves sur des situations concrètes. C’est par exemple le cas des Jeunes reporters pour l’Environnement (JRE). Ce programme d’éducation à l’environnement est destiné aux jeunes de 11 à 20 ans. Encadrés par leurs enseignants, les élèves mènent des enquêtes journalistiques sur des thématiques d’environnement local et communiquent leurs conclusions au grand public sur différents supports (écrit, audio, exposition, photo, vidéo, site internet…).

Au bon vouloir des enseignants

L’Eco-Ecole est quant à lui "un label décerné aux écoles élémentaires et secondaires qui s’engagent vers un fonctionnement éco-responsable et intègrent l’EDD dans les enseignements." Ici, les élèves, les enseignants, la direction et le personnel travaillent en partenariat avec les élus locaux, les associations locales et les parents d’élèves. Ensemble, ces partenaires locaux évaluent la situation environnementale de l’école lors d’un diagnostic relatif à l’eau, l’énergie, les déchets et l'alimentation. Au sein du comité de suivi, force d’impulsion du projet, ils définissent des actions pour améliorer la situation de départ puis ils évaluent la portée de ces actions.

Autre exemple avec le Stockholm junior water prize qui est un concours scientifique international pour les jeunes. Il vise à récompenser les initiatives d’amélioration de la qualité et de la gestion de l'eau ainsi que la protection des ressources en eau.

Enfin, les établissements d’enseignement peuvent aussi se lancer dans des actions éducatives d'impulsion ministérielle comme les classes de découverte ou les ateliers scientifiques et techniques. Certaines actions proposées aux écoles, collèges ou lycées sont également menées conjointement par le ministère de l'Éducation nationale et différents partenaires à l’image de celle de l’année dernière baptisée "L'eau, une ressource vitale". Un kit d'exposition et des documents pédagogiques sont fournis aux classes participantes.

Mais là encore, les textes indiquent que "les enseignants ont la possibilité de monter des projets". Aucune obligation n’est mentionnée, et il en va donc avant tout de la bonne volonté des enseignants et directeurs d’école. Charge à eux de former la génération verte de demain.

2011-04-05
Ecologie
Proumouvoir les comportements écologiques sans contraindre : la piste des nudges

Entre la fiscalité verte et la réglementation, certains économistes comme Richard Thaler explorent une troisième voie pour promouvoir les comportements écologiquement "vertueux" sans contrainte : les nudges, ou "coups de pouce".  Mais cette méthode de persuasion douce en débat.

Lors d’un voyage d’étude dans le Vorarlberg, j’ai eu la chance de visiter un immeuble passif parmi les plus performants au monde. Pourtant, le bâtiment, qui avait été conçu pour fonctionner avec très peu d’énergie (moins de 15 kwh/m²/an), révélait des consommations supérieures aux estimations initiales des bureaux d’études… Comment expliquer cet écart ?

De la théorie à la pratique

Certainement pas par d’éventuelles erreurs de conception : Hermann Kaufmann, l’architecte du bâtiment, est parmi les meilleurs que je connaisse. La cause du phénomène est plutôt à chercher dans les comportements des habitants. Bien qu’informés sur les caractéristiques de leur logement (étanchéité à l’air, ventilation double-flux…), certains d’entre eux continuaient à ouvrir les fenêtres pour aérer et à laisser leurs appareils électriques allumés en permanence…Pour éviter cet écueil et faire en sorte que les usages d’un bâtiment n’en grèvent pas les performances, on a alors pensé qu’il suffisait d’informer l’usager. On s’est mis à lui distribuer des guides et des livrets d’accueil. Sans grands résultats : si elle est une condition nécessaire pour changer les comportements, l’information n’est pas suffisante. Elle peut même s’avérer contre-productive, et induire ce qu’on appelle un effet rebond : conscient des bénéfices écologiques d’un bien ou d’un service, son usager relâche alors sa vigilance, et se laisse aller à des comportements peu économes…Pour vous donner un second exemple de ce que je viens d’avancer, je citerai l’étude menée en 2009 par Ethicity et l’ADEME sur la consommation durable. On y apprend par exemple que si ¾ des Français pensent que le développement durable est une nécessité, seuls 20% d’entre eux sont des « consom’acteurs » (ie : qui choisissent les produits en fonction de critères éthiques). Bref, alors qu’une immense majorité marque son adhésion aux valeurs portées par le développement durable (surtout compris comme synonyme de « protection de l’environnement », à l’exclusion de ses volets social et économique), seule une frange marginale de la population traduit ces valeurs en actes.

Pourquoi nous n'agissons pas de façon rationnelle

Des deux exemples qui précèdent, il faut conclure ceci : nos raisons d’agir et de consommer sont multiples, et ne se fondent pas (ou pas uniquement) sur la rationalité. D’autres facteurs entre en jeu et peuvent freiner le passage à l’acte alors même qu’on est convaincu de la nécessité d’agir. Olivier Oullier, conseiller scientifique au Centre d’analyses stratégiques, énumérait quelques-uns de ces freins le mercredi 9 mars lors d’un colloque intitulé « Incitations comportementales et environnement », auquel j’ai assisté avec intérêt. Voici les principaux :

  • La difficulté d’appréhender le risque : le changement climatique et l’écologie sont souvent minorés au profits d’événements qui impactent plus directement le quotidien
  • L’inertie face au changement
  • Le coût (financier, temporel…) du changement
  • Le sentiment d’impuissance : « les effets bénéfiques de ces actions ne pouvant être observés à court terme, explique dans une note Olivier Oullier, le sentiment d’impuissance et la difficulté d’estimer le retour sur investissement s’en trouvent renforcés. »
  • Les situations paradoxales liées au changement. Par exemple, un cycliste décidé à lutter contre la pollution se trouve plus exposé à celle-ci qu’un automobiliste roulant vitres fermées.
  • La marginalité : il est d’autant plus difficile d’adopter un comportement s’il n’est pas majoritaire et ne constitue pas la norme.

Les nudges, une troisième voie

Dès lors, quels leviers actionner pour généraliser les « éco-gestes » et faire évoluer les pratiques ? En France, les politiques publiques privilégient deux approches :

  • La réglementation : puisque le volontarisme ne permet pas de généraliser des modes de consommation plus durables, on va encadrer et contraindre. La nouvelle réglementation thermique (RT 2012), qui impose des normes de construction moins énergétivores, va dans ce sens.
  • La taxation : il s’agit de décourager les comportements peu durables en jouant sur le signal prix. C’était l’objectif de la taxe carbone, dont l’adoption dans nombre de pays européens a permis de réduire les émissions de GES et d’opérer des transferts de fiscalité. Les raisons qui ont conduit à annuler la mise en œuvre de la taxe carbone nous ont largement éclairés sur les limites d’un tel dispositif : les inégalités qu’il génère.

Entre contrainte et taxation, le monde anglo-saxon explore depuis quelques années une « troisième voie » : les incitations comportementales ou « nudges » (traduisez par : « coup de pouce »). Comme l’expliquent Olivier Oullier et Sarah Sauneron, cette stratégie formalisée par Cass Sunstein et Richard Thaler dans l’ouvrage du même nom consiste à « conduire l’individu à faire des choix qui aillent dans le sens de l’intérêt général, sans être pour autant prescriptive ou culpabilisante. » Cette politique de « paternalisme libertaire » hérite des sciences comportementales et met en œuvre des dispositifs d’information et de communication simples, positifs et présentés (à tort ou à raison) comme peu coûteux pour implémenter le changement.En voici quelques exemples :

  • L’option par défaut : pour favoriser les économies de papier, certains organismes américains (banques, fournisseurs d’énergie, etc.) adressent par défaut des factures électroniques. Ceux qui veulent recevoir leur facture sous forme papier doivent le demander, et le service est facturé… Le fait de ne pas distribuer de sacs plastiques aux caisses et de les faire payer est un autre exemple d’option par défaut.
  • L’argument de la norme : en Californie, pour inciter les foyers à utiliser des ventilateurs plutôt que des climatiseurs très gourmands en énergie, on informe les habitants d’un quartier que c’est « le choix le plus populaire ». Résultat : l’argument de la norme s’est avéré beaucoup plus efficace que la responsabilisation (« ça consomme moins d’énergie ») ou l’argument économique (« c’est moins cher »). Autre exemple bien connu : celui de l’hôtel où l’on incite les clients à réutiliser leur serviette en leur signifiant que « 75% des personnes ayant occupé [la] chambre avant [eux] ont (…) utilisé leurs serviettes de toilettes plusieurs fois. » Les gérants de l’hôtel ont alors constaté que 44,1% des clients répondaient à l’incitation, contre 35,1% lorsque la statistique n’était pas mentionnée.
  • Les dispositifs « intelligents » : en France, l’ERDF expérimente les compteurs électriques Linky, qui permettent à l’usager de suivre sa consommation en temps réel et de contrôler la mise sous tension de certains appareils. Ces objets pourraient par ailleurs être combinés à des systèmes d’alertes par SMS.

Evidemment, les nudges ne sont pas une panacée et présentent un certain nombre de limites, parmi lesquelles l’existence d’effets pervers induits par la comparaison et l’invitation à se conformer aux normes sociales. Pourtant, leur expérimentation a le mérite d’apporter un complément aux instruments traditionnels des politiques en matière d’environnement. Si l’on veut rendre le changement désirable, on a en effet tout intérêt à le mettre en œuvre sans contrainte. D’où l’intérêt des nudges, qui insistent sur les effets positifs des comportements vertueux plutôt que sur l’effort à entreprendre pour mettre en œuvre une société plus durable…

Pour en savoir plus

Le blog de R. Thaler et C. Sunstein :  http://nudges.wordpress.com/

Un article très complet sur les nudges dans la vie des idées.

2011-03-11
Ecologie
Le sommet de Copenhague en question

Du 7 au 18 décembre prochain, se déroulera à Copenhague une conférence sur le climat rassemblant plus de 200 pays.

L'enjeu : élaborer un accord global pour faire suite au protocole de Kyoto, et définir des objectifs précis de réduction de GES (gaz à effet de serre) pour la période 2013-2017. A l'occasion du Blog action day, qui vise à mobiliser les internautes sur les risques liés au changement climatique, les Ecofaubourgs font le point sur ce sommet crucial.

Qui organise COP15?

Le sommet de Copenhague est organisé par l'ONU, dans le cadre de la CCNUCC (convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques). Elaborée en 1990 et signée par 154 pays lors du sommet de la Terre à Rio en 1992, celle-ci a pour objectif d'assurer la stabilisation des émissions de GES. Copenhague sera la 15e réunion des Parties (pays signataires de la CCNUCC), d'où le nom donné à la conférence : COP15 (Conference of parties n°15).

Qui y participe ?

Les 200 pays participants sont regroupés en 5 groupes stratégiques :

  • Le G77 : il réunit 130 pays, dont la plupart sont en voie de développement.
  • L'Alliance des petits états insulaires (AOSIS en anglais) : ce sont 43 îles et pays à faible élévation côtière, donc des zones menacées par l'élévation du niveau des océans.
  • Les PMA (pays les moins avancés) : on y trouve 49 pays.
  • L'Union européenne et ses 27 états membres
  • Le « groupe parapluie » : cette coalition de pays industrialisés formée après l'adoption du Protocole de Kyoto comprend l'Australie, le Japon, le Canada, l'Islande, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Russie, l'Ukraine et les Etats-Unis
  • Le Groupe de l'intégrité environnementale (GIE) : cette coalition comprend le Mexique, la Suisse et la Corée du Sud.

Par ailleurs, les ONG comptent sur une large mobilisation citoyenne en marge du sommet. Leur objectif : mettre une pression sans précédent sur les parties pour aboutir à un accord ambitieux, comme le montre la vidéo ci-dessous.

Quels sont les objectifs du sommet ?

L'enjeu du sommet de Copenhague est simple en apparence : limiter le réchauffement climatique à 2°C en fin de siècle par rapport à la période 1980-1999. Or, pour atteindre cet objectif, le GIEC (groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat) préconise de réduire de 25% à 40% les émissions de GES des pays développés d'ici 2020. Un objectif beaucoup plus ambitieux donc, que celui fixé en 1997 à Kyoto, où a été décidée une réduction des émissions de GES d'au moins 5,2 % entre 2005 et 2012.

Autre défi : fonder un nouveau mécanisme de collecte mondiale pour assurer la collaboration des pays industrialisés et de pays en développement (PDE). De même, il s'agit d'assurer le transfert des technologies des premiers vers les seconds.

Enfin, la lutte contre la déforestation, qui aggrave le changement climatique, s'annonce comme l'un des points forts du sommet.

A quelles conditions COP15 sera-t-il un succès ?

Le succès de Copenhague dépend d'abord de la capacité des grandes puissances à trouver un accord. Or, si l'Europe plaide en faveur d'objectifs ambitieux, les Etats-Unis, qui avaient refusé de ratifier le protocole de Kyoto, suscitent plus d'inquiétude que d'espoir : non seulement la lutte contre le changement climatique s'y résume à la volonté de mettre en oeuvre un marché des émissions, le « Cap and Trade », mais ce dernier se heurte à l'hostilité des républicains et d'une majorité des entreprises américaines, qui y voient une « taxe nationale sur l'énergie ».

Ensuite, selon une étude du Centre d'analyses stratégique parue en septembre, l'issue de Copenhague est étroitement liée à la question des rapports Nord-Sud. Pour les participants, l'un des enjeux majeurs du sommet sera de trouver une juste répartition des efforts entre responsables « historiques » du changement climatique et pays émergents. Or, si les pays industrialisés veulent obtenir davantage d'efforts de PED comme l'Inde et la Chine (celle-ci est le 1er émetteur mondial de GES depuis 2007), ces derniers défendent mordicus leur statut dérogatoire, qui les exonère pour l'instant d'objectifs contraignants.

Pour en savoir plus

Le site officiel de la conférence : http://fr.cop15.dk/

     
       
2009-10-28
Ecologie
Buzz de la semaine : quand les Yes Men disent non au changement climatique

La semaine dernière, les Yes Men, ce duo d'activistes passé maître dans l'art du détournement,  décidait de préparer à sa manière le sommet de Copenhague. Résultat : une déferlante de « hoax » (canulars) sur la ville de New York...

Le 12 novembre 2008, soit quelques jours après la victoire d'Obama, un groupe d'activistes distribuait aux habitants de la grosse pomme un faux New York Times. Y était annoncé un chapelet de bonnes nouvelles, dont certaines, comme le retrait des troupes en Irak, avaient des accents prémonitoires. Derrière ce canular médiatique, deux trublions du nouveau militantisme : les Yes Men. Deux types tellement drôles et déjantés qu'on hésite à rappeler leurs faits d'armes, tant ils sont désormais célèbres. Les magasins de jouets inondés de Barbie dont le disque vocal avait été troqué contre celui de GI Joe's, c'était eux. Le faux représentant de Dow Chemical annonçant sur CNN que l'entreprise assumerait enfin sa responsabilité dans la catastrophe de Bhopal (Inde) et indemniserait les victimes, c'était encore eux. Bref, partout où le néolibéralisme le plus débridé impose sa loi, se tiennent les Yes men, prêts à toutes les bouffonneries, pour peu qu'elles révèlent le cynisme des puissants. Comme le stipule l'un de leurs slogans, "parfois, il faut mentir pour révéler la vérité."

Or, voici que les deux activistes s'attaquent au changement climatique. A l'occasion du sommet du G20 à Pittsburg la semaine dernière, ils ont multiplié les actions pour alerter l'opinion sur la nécessité d'agir. Première salve lundi dernier : près d'un an après le canular du New York Times, les Yes Men détournaient à nouveau la presse écrite en parodiant le New York Post. Sous le titre « We're screwed » (« On est baisés »), le faux tabloïd relayait une étude bien réelle, mais occultée, sur les conséquences du changement climatique. Y suivaient d'autres mise en garde, dont un article sur "Flopenhague", et même Snoopy périssait englouti par les eaux, victime des dérèglements du climat…

Le lendemain, alors que les grandes puissances se réunissaient au siège de l'ONU, les Yes Men faisaient un nouveau coup d'éclat. Réunis sur la plage de l'East River, 21 activistes se  jetaient à l'eau et menaçaient de prendre d'assaut les Nations-Unis. Une menace franchement cocasse, quand on voit la façon dont étaient attifés les trublions : chacun d'entre eux avait enfilé pour l'occasion une « Survivaball », grotesque combinaison censée résister à toutes les catastrophes et illustration parodique des dérives du green business.

Sous ses allures d'activisme potache, ce prélude à une campagne de désobéissance civile nommée « Balls across America »est aussi un habile coup de pub. En effet, le film des Yes Men, diffusé en avant-première sur Arte mi-septembre, sort le 7 octobre sur les écrans américains.

2009-09-27
Ecologie
Du bruit pour le climat

Lundi 21 septembre à 12h18, réveils et téléphones portables ont sonné partout à travers la planète. Imaginée par tcktcktck et relayée par nombre d'OGN, dont Greenpeace, cette bruyante flash-mob avait pour but de réveiller les hommes politiques.

Le 22 septembre 2009, se tenait au siège de l'ONU à New York une réunion sur le changement climatique. Autant le dire : ce prélude au sommet de Copenhague laisse peu d'illusions aux militants écologiques, qui depuis Kyoto ont eu tout le loisir de constater l'inertie des dirigeants face au changement climatique.

D'où cette idée de Tcktcktck, plateforme écologiste regroupant diverses ONG : organiser une fash-mob planétaire suffisamment bruyante et médiatique pour attirer l'attention sur la nécessité de trouver enfin un accord.

Le 21 septembre à 12h18, chacun de nous était ainsi invité à faire sonner son réveil ou son téléphone portable pour "réveiller les hommes politiques". Une façon comme une autre de mesurer l'implication de la société civile dans l'avènement d'une société plus durable...

2009-09-19
Ecologie
Terre vivante : un éditeur durable

Créée en 1979 par une poignée de militants, Terre vivante s'est peu à peu taillé la part du lion dans le domaine de l'édition écologique. Avec un magazine bimestriel, une douzaine de publications annuelles et un centre écologique ouvert au public, cette structure atypique a su évoluer pour mieux répondre aux attentes d'un lectorat en pleine expansion.

Sur son site Internet, Terre vivante annonce « 30 ans au service de l'écologie ». Un âge respectable, quand on sait combien récent est l'engouement des professionnels du livre pour le développement durable. Du reste, la maison d'édition n'est pas seulement un acteur « historique » de l'édition verte : organisée en SCOP depuis 2005, cette structure d'une trentaine de personnes est aussi un modèle d'organisation, et prouve si besoin était que l'écologie n'est pas incompatible avec le monde de l'entreprise.

Tout commence en 1979. Cette année-là, sept amoureux de la nature créent une association destinée à promouvoir les techniques et modes de vie respectueux de l'environnement et de la santé. Leur démarche est emblématique du basculement qui s'opère à la fin des années 1970 : loin des grandes « causes » de la décennie écoulée, ces militants plus gandhiens que soixante-huitards se veulent pragmatiques. Le magazine des 4 saisons, qui commence à paraître dès 1980, en est une bonne illustration : que ce soit en matière de jardinage, d'habitat, d'alimentation ou de santé, il offre à ses lecteurs un bouquet de solutions concrètes à mettre en oeuvre dans le cadre de la vie quotidienne. Et ça marche. Non seulement le nombre d'abonnements croît rapidement, mais une communauté se fédère autour du magazine : on appelle ça « l'esprit 4 saisons ».

Face à ce succès, les membres de Terre vivante décident dès 1982 d'offrir à leurs lecteurs un complément d'information en se lançant dans l'édition de livres. Comme le magazine, les titres publiés s'adressent essentiellement au particulier avide de solutions concrètes. Tout au plus la maison d'éditions concède-t-elle de temps à autre un ouvrage dédié aux grands enjeux écologiques. Mais le contexte économique actuel pourrait bien amener Terre vivante à diversifier ses publications.

Comme le confesse Claude Fournier, directrice générale de la maison depuis 1986, les deux dernières années ont marqué l'émergence d'un phénomène auquel ces éditeurs « historiques » étaient peu habitués : la concurrence. « Depuis le Grenelle de l'environnement, la niche explose, le marché émerge, explique Claude Fournier. Il est même probable qu'en ce moment, il précède la demande. » Aussi Terre vivante est-il particulièrement vigilant : « nous sommes plus que jamais attentifs à éditer des livres qui durent, qui soient bien documentés et bien illustrés, nous explique Claude Fournier. Surtout, nous nous sommes fixé un nouvel objectif : produire environ 20 livres par an à partir de 2010. Il s'agit de répondre aussi bien au débutant motivé qu'à l'amateur confirmé ».

Pour faire face à ses concurrents, Terre vivante possède de solides atouts. Premier d'entre eux : sa légitimité. Les ouvrages publiés par la maison d'édition sont de qualité et largement diffusés. Surtout, ils sont conçus de la façon la plus écologique possible : « En tant qu'éditeurs durables, nous voulons faire des livres qui durent, explique Claude Fournier. Donc, plutôt que de rentrer dans la logique actuelle du livre jetable, on met à jour, on réédite, on essaie de faire vivre le fond. Idem pour la production : les livres sont imprimés à moins de 600 kms du siège social et nous apportons un soin particulier au choix du papier. Seul bémol : le transport. D'où notre intérêt croissant pour le livre électronique ».

Cette conformité de Terre vivante aux valeurs qui ont fait son succès excède du reste le strict champ de l'édition. En effet, depuis 1992, l'association a quitté Paris pour Mens, dans les environs du Vercors, où elle a aménagé un parc à thème écologique ouvert au public de mars à septembre. Soit 50 hectares où réserves naturelles, jardins et maisons bioclimatiques offrent au visiteur un concentré d'écologie pratique dans le droit-fil de la maison d'édition.

Pour en savoir plus

Le site Internet de Terre vivante http://www.terrevivante.org/

2009-09-09
Ecologie
Du tri au recyclage : vers l'objectif zéro déchet

Réduire, réutiliser et recycler : l'objectif zéro déchet est d'une simplicité désarmante. Voici comment faire.

Réduire, réutiliser et recycler : l'objectif zéro déchet est d'une simplicité désarmante. L'ordre de ces « trois R » est important. Il s'agit en effet de tendre en premier lieu à l'élimination des déchets à la source, de bannir ensuite le jetable au profit du durable, et enfin de valoriser au mieux les déchets subsistants.

Le fonctionnement se veut proche de celui des écosystèmes : une logique cyclique, plutôt que linéaire, dans laquelle les déchets des uns constituent une ressource pour les autres. L'objectif zéro déchet vise donc plus précisément à réduire au minimum possible les déchets résiduels qui subsistent à la fin de la chaîne de traitement.

En France, c'est 80 % des déchets ménagers qui étaient encore mis en décharge ou incinérés en 2004, contre 13% triés pour recyclage et 6% subissant un traitement biologique (compostage ou méthanisation).La mise en décharge est pourtant limitée depuis le 1er juillet 2002 aux seuls déchets ultimes, c'est-à-dire ceux dont on ne peut plus réduire le caractère polluant ou dangereux « dans les conditions techniques et économiques du moment ». Si ces limites techniques et économiques existent en effet, force est de constater que l'objectif zéro déchet n'est pas un simple leurre.

Et si nos ordures étaient la principale ressource de demain ?

La valorisation matière (recyclage, compost) ou énergétique (récupération de chaleur, production de biogaz) permet à nos déchets d'être à nouveau utilisés comme matière première.

Les politiques zéro déchets font intervenir une palette de techniques, qui, combinées, permettent de maximiser la valorisation. Parmi les initiatives les plus souvent retenues : mise en place du tri sélectif permettant un recyclage plus efficace, distribution de composteurs individuels et mise en place de plateformes de compostage collectif.

Mais la démarche ne se réduit pas au recyclage ou à la valorisation. Les politiques zéro déchet visent à encourager la production propre et l'éco-conception des produits, pour réduire à la source la quantité de déchets produite, et surtout limiter l'utilisation de matériaux polluants ou qui ne pourraient être traités.

Jusqu'à 80% de déchets valorisés en Nouvelle-Zélande

De nombreuses collectivités dans le monde ont d'ores et déjà mis en place leur plan zéro déchet.

La Nouvelle-Zélande est l'un des pays précurseurs, le gouvernement ayant dès 1997 créé une fondation vouée à la promotion de cette politique. La Zero Waste New Zealand Trust accompagne ainsi plus de la moitié des collectivités locales du pays. Dans certaines d'entre elles, jusqu'à 80% des déchets sont détournés de la mise en décharge.

Certaines communes françaises sont également engagées depuis plusieurs années dans une démarche de réduction active des déchets. Dans la Communauté de Communes de la Porte d'Alsace, où l'on a distribué des composteurs à partir de 1994 et mis en oeuvre la pesée-embarquée dès 2001, 70% des déchets collectés sont désormais destinés à la valorisation matière.

Chiffres : ADEME (France), Zero Waste NZ Trust, Communauté de Communes de la Porte d'Alsace.

2008-12-09
Ecologie
Les biocarburants : d'une génération à l'autre

Les biocarburants seraient une alternative crédible au carburant classique dérivé du pétrole ? Pas sûr,  leur concurrence directe avec la filière alimentaire semble désormais les condamner à une utilisation limitée. Place désormais au biocarburant de deuxième génération issu de ressources végétales, agricoles et forestières, jusqu'alors inexploitées.

Depuis le 1er janvier 2009, les grands groupes pétroliers ont dû avaler la (petite) pilule. Les biocarburants (éthanol, superéthanol, EMHV) font en effet l'objet d'une réduction progressive des avantages fiscaux dont ils bénéficiaient jusque-là. Pire, cette réduction de la TIPP (Taxe Intérieure de consommation sur les Produits Pétroliers) sera graduellement diminuée jusqu'en 2012. En réalité, les biocarburants sont simplement victimes de leurs succès. Si le gouvernement avait jusqu'à cette année encouragé les sociétés pétrolières à incorporer du biocarburant dans les essences classiques (via ces avantages fiscaux), la mesure avait si bien fonctionné qu'elle menaçait désormais de coûter trop cher à l'état. Or, en ces périodes de disette financière, toute dépense excessive (même bordée de bonne intention) n'est pas forcément la bienvenue. Mais pas de panique, les biocarburants devraient subir une augmentation de seulement 2 centimes du litre d'ici 2012. Mieux, le gouvernement va désormais encourager les particuliers à s'équiper de véhicules roulant au super éthanol E85, grâce à un abattement de 40 % sur les taux d'émissions de CO2. On vous conseillera pourtant avant tout achat précipité la consultation de la carte des stations E85 de France, car le seuil des 300 lieus de distribution en France n'a même pas encore été dépassé.  

Une première génération condamnée ?

Aujourd'hui, la plupart des biocarburants commercialisés sont dits de "première génération". On entend par là tout les carburants issus d'origine agricole (maïs, soja, céréales, tournesols...). Mais si cette première génération a permis de développer de nouveaux marchés agricoles (nombres de paysans brésiliens vivent aujourd'hui grâce à cette culture), elle a aussi atteint ses limites en concurrençant directement la filière alimentaire et en limitant ses surfaces exploitables. Autrement dit : en nourrissant les voitures au détriment des hommes. Une problématique pointée du doigt du dernier sommet de la FAO sur la sécurité alimentaire en 2008. L'exemple le plus flagrant provient forcément du bioéthanol. Présent Portes de Versailles sur le Salon de l'Agriculture (21 février au 1er mars), cette filière expose sur son "Village du Bioéthanol" (Hall 2.2) une Renault Clio Rip Curl qui roule à l'E85. Du champ au pot d'échappement, le bilan en gaz à effet de serre de carburant est plutôt bon. Selon l'ADEME, l'éthanol issu du blé émet 60% de CO2 en moins qu'un carburant de référence. Mais gros point noir, il utilise les ressources alimentaires de base (amidon, canne à sucre, céréales) pour sa production.

2009-03-10
Ecologie
Les biocarburants : d'une génération à l'autre (2e partie)

Les biocarburants seraient une alternative crédible au carburant classique dérivé du pétrole ? Pas sûr,  leur concurrence directe avec la filière alimentaire semble désormais les condamner à une utilisation limitée.

Adieu la graine, bonjour la tige

L'axe de recherche s'oriente donc désormais sur des carburants de deuxième génération, tirés de cultures non alimentaires ou "ligno-cellulosiques dédiées", c'est-à-dire valorisant la plante entière (par exemple, l'épi de maïs est utilisé comme denrée alimentaire et la tige de la plante, comme productrice de biocarburant). Plusieurs annonces récentes de pétroliers vont d'ailleurs dans ce sens. Le groupe britannique BP (numéro trois mondial) a racheté l'année dernière la société américaine Verneium, productrice d'éthanol cellulosique. Un carburant de seconde génération qui sera produit dans une usine de Floride à partir de 2012 avec 800 000 barils par an. De son côté, le groupe français Total a annoncé en septembre 2008 sa participation au projet Futurol sur les biocarburants de deuxième génération. Prévu sur huit ans, l'objectif de cette société française est de concevoir un combustible créé à partir de la fermentation de la biomasse (valorisation des déchets des forêts et de l'agriculture) grâce à l'apport d'une enzymes capables d'accélérer la décomposition du bois, des déchets urbains ou de la paille. Certains constructeurs eux-mêmes se sont lancés dans la production de ce type de carburant, à l'image de Toyota qui a annoncé une production industrielle pour 2015.

Un baril à 65 dollars sinon rien

Toutes ces initiatives encouragées par les subventions publiques devraient permettre de poursuivre la dynamique engagée sur les biocarburants, tout en respectant la filière agricole classique. Un virage bienvenu d'autant que les biocarburants ne représentent aujourd'hui que 0,7% du marché mondial alors qu'on prévoit qu'ils atteignent 4 à 7% à l'horizon 2030. Mais de nombreux défis restent encore à relever pour permettre à cette nouvelle génération de carburant d'atteindre une telle production. Son coût de production à grande échelle devra être rentabilisé pour permettre aux grandes firmes pétrolières de se lancer concrètement sur le créneau. Le prix du baril de pétrole sera donc un indicateur essentiel à cet effet. Selon l'Institut français du pétrole, seul un gazole produit à partir d'un brut à 60-65 dollars le baril rendra compétitif le biodiesel. D'autre part, des infrastructures adaptées devront être élaborées (on pense notamment aux champs d'algues sur les océans). En 2008, même Georges Bush (pourtant peu réputé pour ses tendances environnementales) déclarait au Forum économique mondial de Davos son intention de réduire la consommation d'essence de 20% d'ici à 2017. Mais Georges n'est plus au pouvoir depuis bientôt deux mois. À charge à son successeur de mettre en pratique les bonnes intentions initiales.

2009-03-11
Ecologie
Tourisme : quelles conséquences sur l'environnement ?

Cette année encore, le nombre de touristes à travers le monde devrait battre des records. Mais si cette activité ouvre de nouveaux espaces de liberté et de rencontres et qu'elle contribue au développement de plusieurs pays, elle n’est pas sans risque pour la planète. À l'heure où les notions de tourisme écolo ou solidaire se développent, quel est l'impact réel du premier secteur économique mondial sur l'environnement ?

Un milliard de touristes

L'année prochaine, on aura passé le milliard ! Le milliard de touristes dans le monde sur un an, selon les prévisions de l'Organisation Mondial du Tourisme (OMT). En 2007, l'OMT avait déjà recensé 903 millions de touristes, soit une croissance de 6,2 % par rapport à l'année précédente. Avec 685 milliards de dollars par an, ce secteur représente 12 % du PIB mondial. Pourtant, il n'est responsable que de 5 % des émissions globales de gaz à effet de serre.

Loin donc des 27 % du transport ou des 25 % du secteur de la construction. Pourquoi dès lors s'intéresser à ce secteur ? Car l'on ne passe pas de 25 millions de touristes dans le monde en 1950 à un milliard 60 ans plus tard sans conséquence sur l'environnement. Et c'est justement cette augmentation constante du nombre de touristes depuis près de 60 ans qui apparaît préoccupante pour l'avenir. Chiffre symbolique, le tourisme représente 60 % du trafic aérien international. En matière de pollution, un trajet Paris / New York émet la même quantité de CO2 que celle produite par un habitant en six mois, soit 2436 kg de CO2. Or, on sait que pour stabiliser la concentration en CO2 dans l'atmosphère, chaque habitant devrait se limiter à 500 kg de CO2 émis par an.

On est donc loin du compte. Hormis les impacts environnementaux liés aux déplacements touristiques, le tourisme est aussi préoccupant quand à son impact lors du séjour. On pense notamment à l'utilisation d'équipements de tourisme et de loisir (ports de plaisance, remontées mécaniques) et à la construction d'hébergements touristiques (résidences secondaires, hôtels, campings). Enfin, la forte densité de population sur les lieux de vacances génère des pressions sur la ressource en eau et les milieux naturels.

Rando à vélo = tourisme écolo !

En 2004 l'IFEN (L'institut français de l'environnement) a publié une étude comparative des émissions de carbone émises par plusieurs types de vacances. Les données ont été obtenues en calculant les kilogrammes équivalant carbone d'une famille composée de quatre personnes sur une durée de quinze jours. Au rang des vacances les plus "écolos", la randonnée à vélo (qui comprend l'aller-retour en train pour se rendre sur le lieu de vacances) remporte la palme avec 46 kg de CO2 émis pour toute la famille.

Dans le même genre, le camping et le long séjour dans une maison ancienne ne sont pas loin avec respectivement 76 et 89 kg de CO2 émis sur les deux semaines. On passe la barre des 100 kg avec les vacances d'été en location (124) ou en caravane (126). Des chiffres qui restent plutôt raisonnables comparé aux vacances d'été en résidence secondaire (264) et aux quinze jours de sports d'hiver (320), pour lesquels le chauffage fait grimper le bilan. Et comme cité précédemment, on atteint les sommets pour tout déplacement en avion. Ils vous en "coûtera" ainsi pas moins de 1008 kg de CO2 pour quinze jours de vacances au Maroc.

Cette année, les professionnels du tourisme ont annoncé que la crise obligerait davantage les français à visiter la France. Un mal pour un bien en quelque sorte.

Pour en savoir plus

2009-06-23
Ecologie
Halte au gaspillage : comment économiser l'énergie chez soi ?

Souvent mal isolés (surtout s’ils ont été construits avant 1975, date de la 1ere réglementation thermique), nos logements sont de véritables « passoires » énergétiques. Pourtant, il est possible de faire fondre sa consommation d’électricité sans pour autant s’engager dans de faramineux travaux d’isolation. Pour cela, il suffit de suivre quelques conseils de bon sens…

Avoir chaud chez soi sans chauffer la planète

Le chauffage constitue le premier poste de consommation d’énergie domestique : en 2004, il représentait 72% de l’énergie consommée au sein du logement. Avant d’entreprendre les travaux d’isolation nécessaires à une meilleure efficacité du chauffage, quelques gestes devraient vous aider à baisser significativement votre facture énergétique : - Maintenez une température de 19°C dans les pièces communes et 16°C dans les chambres : 1 degré de moins, c’est 7% d’énergie économisée. - En hiver, fermez rideaux et volets pendant la nuit. Vous pourrez éviter jusqu’à 50% de pertes de chaleur. - Installez un thermostat d’ambiance : non seulement vous gagnerez en confort, mais vous économiserez 10% d’énergie en moyenne.

Une meilleur usage de l’eau chaude

Deuxième poste énergétique au sein du logement : l’eau chaude (11%). Là aussi, quelques gestes simples vous permettront de coupler économies d’énergie et meilleure gestion de l’eau. - Prendre une douche plutôt qu’un bain, c’est diviser par deux sa consommation d’énergie sur ce poste. - Abaissez la température du chauffe-eau plutôt que de la mitiger au robinet. Attention toutefois : en-deçà de 60°C, risquent de se développer des micro-organismes. - En une minute, un robinet peut laisser s’écouler 12 litres d’eau (chaude ou froide). Ne laissez pas couler l’eau inutilement !

Moins d’électricité dans l’air

Eclairage et appareils électroménagers représentent 11% de l’énergie consommée au sein du logement. Voici comment optimiser ces usages dits « captifs » de l’électricité :

  • Les appareils de production de froid étant de loin les plus énergétivores (32% de la consommation domestique), il importe de les choisir avec soin : entre un modèle A++ et un modèle ancien, la consommation peut être divisée par six ! De même, dégivrez régulièrement vos équipements et réglez la température aux alentours de 5°C.
  • Ne faites tourner votre lave-linge que lorsqu’il est plein, et choisissez un programme basse température (40°C, voire 30°C). Surtout, prohibez les sèche-linge, qui consomment deux fois plus qu’une machine à laver.
  • Choisissez des ampoules fluocompactes, qui consomment jusqu’à 5 fois moins qu’une ampoule à incandescence.
  • Débranchez vos appareils électroniques : la fonction « veille » des ordinateurs, téléviseurs, etc. dévore consciencieusement les kilowattheures, jusqu’à 900 par an !
  • Un ordinateur branché en permanence finit par consommer comme… 6 réfrigérateurs ! Pensez à l’éteindre entre deux usages, d’autant plus que les allumages successifs ne l’endommageront pas.
2009-05-04