A BETC, les "crises de la ville" et les "futurs de l'urbain" en débat

Écrit par
midi:onze
2018-02-02

A la veille de l’ouverture du Forum urbain mondial à Kuala Lumpur, et dans un contexte marqué par une série d’arbitrages délicats sur le calendrier du Grand Paris express et l’organisation institutionnelle de la métropole francilienne, le Cercle du Grand Paris, Sciences Po, Le Centre culturel International de Cerisy, le Cercle Colbert et Suez organisaient le 31 janvier dernier, dans les locaux de BETC à Pantin (93), une rencontre stimulante autour des grands enjeux urbains du XXIe siècle. Compte-rendu.

« Crises de la ville, futurs de l’urbain ». Objet d’un consensus parmi les participants, le titre de la rencontre organisée le 31 janvier dernier à Pantin par le Cercle du Grand Paris, SciencesPo, le Centre Culturel International de Cerisy, le Cercle Colbert et Suez pose d’emblée l’ambition des dix intervenants présents ce soir-là : celle d’une réflexion interdisciplinaire et prospective sur les défis posés aux territoires par le numérique, le changement climatique, l’accroissement des inégalités ou encore le tarissement des ressources des collectivités. Clin d’œil aux travaux coordonnés par l’historien Jacques le Goff à l’occasion de séminaires interdisciplinaires de recherche et de deux colloques (à l’automne 1984 à l’abbaye de Royaumont puis au printemps 1985 à Cerisy), Crises de la ville, Futurs de l’Urbain reflète les défis pluriels de l’urbanisation d’un monde interconnecté mais fragmenté. Ainsi les réponses à apporter ne peuvent-elles être uniformes ni théoriques, mais impliquent de (re)créer des capacités collectives à agir, à long terme comme à court terme, au croisement d’échelles locales et globales. Un objectif résumé au terme du débat par Nicolas Buchoud, Président du think tank le Cercle du Grand Paris de l’Investissement Durable : « Comment positionner un lieu d’échange et de rencontre qui puisse avoir un impact ? Quels modes de réflexion, quelles formes de production peuvent s’avérer utiles ? »

« Le phénomène urbain est une réalité irréversible. Selon les prévisions, nous serons 8,5 milliards d’être humains en 2030, dont 60% vivront en ville. » Maximilien Pellegrini

A ce titre, le débat du 31 janvier s’offrait en préambule à une réflexion plus large, menée sur le temps long, et qui se traduira notamment, du 3 au 6 mai prochain, par un colloque à Cerisy. « Ce ne sera pas un énième colloque sur la ville, prévient Edith Heurgon, co-directrice du célèbre Centre culturel, mais une expérience collective ». Croisant les réflexions d’élus, de chercheurs, d’acteurs associatifs, de think tanks, d’opérateurs privés ou publics, le débat organisé dans les locaux de BETC et animé par Henri de Grossouvre (Cercle Colbert), a d’abord accrédité ce constat célèbre de Wellington Webb, ancien maire de Denver : si le XIXe siècle fut celui des Empires, et le XXe siècle celui des nations, le XXIe siècle sera celui des villes. « Le phénomène urbain est une réalité irréversible », a ainsi rappelé Maximilien Pellegrini en introduction. « Selon les prévisions, nous serons 8,5 milliards d’être humains en 2030, dont 60% vivront en ville. »

Les villes au défi de l’inclusion

Or, s’il n’y a plus lieu, selon Jean-Bernard Auby, directeur de la chaire « mutation de l’action publique » à Science-Po, d’être inquiet comme il y a cinquante ans sur le devenir des aires urbaines, si nous voyons au contraire « des villes qui paraissent aptes à gérer les fléaux dont elles sont affligées », il n’en reste pas moins que celles-ci s’affrontent aujourd’hui à des défis colossaux. Premier d’entre eux : l’inclusion. Dans son intervention, Jean-Christophe Baudoin, délégué interministériel au développement de l’axe portuaire et logistique Méditerranée-Rhône-Saône CGET, souligne ainsi la situation très contrastée des territoires urbains en France, d’abord entre métropoles « totalement en phase avec la mondialisation » et villes petites et moyennes en plein « décrochage », mais aussi, au sein des métropoles, entre centres largement gentrifiés et périphéries. Si tous les intervenants ne semblent pas partager cette grille de lecture, très empreinte des travaux de Christophe Guilluy, la question de l’égalité entre territoires et entre habitants d’un même territoire n’en a pas moins été largement discutée au fil des interventions. Selon Patrick Braouzec, le « droit à la ville pour tous », pour lequel plaidait CGLU à Quito, dans le cadre de Habitat III, devrait ainsi constituer l’axe central de toute politique. Du reste, l’enjeu déborde largement selon lui le cadre urbain : après avoir distingué « ville attractive » et « ville rayonnante », le Président de Plaine Commune a ainsi appelé de ses vœux l’extension de la couverture numérique à tout le territoire. « Ce qu’on a été capable de faire avec le train et l’électricité, il faut le faire avec le numérique », plaide-t-il.

Le numérique, entre inquiétudes et espoirs

De fait, celui-ci joue un rôle de premier ordre dans les dynamiques urbaines. Comme le rappelle Isabelle Baraud-Serfaty, il est aujourd’hui, avec l’énergie, « le plus petit dénominateur commun » de toute activité. A ce titre, son omniprésence entraîne des mutations de taille, qui tiennent à la « personnalisation de masse » (big data) ou l’importance du temps réel, et engagent les modes de financement des collectivités, la nature et le périmètre de l’action publique, ou encore le « vivre-ensemble ». « Les collectivités sont de plus en plus concurrencées comme autorités régulatrices par des plateformes comme Airbnb », note-t-elle. Un constat partagé par Patrick Braouzec : « Aujourd’hui, on peut aller dans une métropole sans contribuer aux services produits par la collectivité. Tout l’enjeu est de déterminer comment reconstruire du commun en mettant au centre l’individu. »

« Ce qu’on a été capable de faire avec le train et l’électricité, il faut le faire avec le numérique. » Patrick Braouzec

Mais si la révolution numérique invite à repenser de fond en comble la gouvernance, la gestion des services urbains ou le périmètre de l’action publique, encore faut-il que ce soit avec une conscience claire des objectifs à atteindre : « l’innovation pour l’innovation ne m’intéresse pas », prévient Patrick Braouzec, rejoint en cela par Maximilien Pellegrini. Autrement dit : le modèle de la smart city ne peut servir uniquement des velléités de contrôle et de surveillance, auquel cas il sera contre-productif. In fine, le premier défi posé par le numérique est encore et toujours celui de l’inclusion et de l’égalité : « La cité numérique sera-t-elle égoïste ou collective ? », demande ainsi Patrice Girot, DGS CA Plaine Vallée et Président du syndicat des DGS d’Ile de France.

Vers les « PPPP » ?

Pour les participants, répondre à ces enjeux implique d’abord de réexaminer l’organisation et l’autorité des pouvoirs locaux. Olivier Landel, délégué général de l’association France active invite par exemple à sortir d’une vision nationale, pour aller vers « une alliance des territoires » fondée sur trois piliers : l’autonomie, la responsabilité et le dialogue. D’où la nécessité, souligne-t-il, de créer des instruments financiers susceptibles de doter les collectivités de ressources propres.A travers la présentation de l'UrbanLab de Paris&Co, agence parisienne dédiée à l’accompagnement de start-up, Albane Godard plaide quant à elle pour l’accompagnement public d’acteurs privés en émergence, et dont les activités pourraient constituer autant de solutions aux défis contemporains. A l’appui du propos, elle présente une série d’expérimentations menées dans les domaines de la logistique et des îlots de chaleur urbains, et pour lesquelles la mairie de Paris entend bien jouer le rôle d’un accompagnateur capable de favoriser l’innovation en limitant le risque qu’elle comporte nécessairement pour les structures les plus fragiles.En somme, pour les participants du débat, il ne s’agit pas de contrer les nouveaux acteurs privés qui remodèlent l’urbain, mais plutôt de repenser le rôle des collectivités et leurs attributions, sans oublier non plus le rôle de l’Etat. « Ce dont on a besoin, c’est de PPPP, de partenariats public-privé-population », s’accordent à dire les intervenants. Dans les mois qui viennent, définir le cadre et les modalités de telles alliances pourrait bien constituer le cœur des réflexions du groupe réuni à Pantin…Ce dernier devra aussi synthétiser les approches françaises du phénomène urbain dans une perspective européenne et globale. Le tout sur fond de changement climatique et de raréfaction des ressources.Crédit photo : Michel Tubiana

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A Venise, la biennale d'architecture mise sur l'adaptation

En sondant la manière dont diverses formes d’“intelligences” peuvent venir au chevet du climat, Carlo Ratti, commissaire général de la 19e Biennale d’architecture de Venise, signe une édition spectaculaire, mais pleine d’ambivalences…

Une Biennale d’architecture placée sous le signe de l’intelligence ? Vu la trajectoire de son commissaire Carlo Ratti, il n’y a là rien qui doive surprendre. L’ingénieur et architecte italien est en effet à la tête du MIT Senseable City Lab, dont le crédo est de développer et mettre en œuvre divers outils et applications numériques permettant aux citadins de mieux interagir avec leur environnement. 

Le thème de la 19e édition de la Biennale de Venise ne se réduit pas pour autant à mesurer l’apport de l’intelligence artificielle dans le pilotage et la gestion des villes. En accordant le terme au pluriel, il s’agit plus largement de voir comment trois approches différentes - la première fondée sur la nature, la deuxième sur les technologies, la troisième sur l’humain et le collectif - peuvent se conjuguer pour répondre à un défi majeur : le dérèglement climatique. 

Des solutions de toutes natures

Dans la Corderie de l'Arsenal qui accueille pour cette édition l’exposition principale, l’enjeu est posé dès l’entrée. Plongés dans le noir, une série de climatiseurs y saturent l’air d’une chaleur étouffante. Il faut passer dans la salle suivante pour renouer avec la fraîcheur du bâtiment et découvrir un ensemble de “solutions” fondées sur la “nature” : végétaux, minéraux, mais aussi culture de micro-organismes…

Dans le pavillon du Canada, le projet Picoplanktonics mise sur la culture de plancton pour créer une architecture durable et résiliente


La salle suivante tranche avec la douceur de cette première section, où les matériaux les plus vernaculaires (briques, pierre, chaume, corde…) composent une série d’abris spectaculaires (arches, tentes, etc.) : on y aborde l’apport des nouvelles technologies au pilotage des villes via un ensemble de projets comme celui de Sidewalk Labs, chantre de la smart city imaginé pour la ville de Toronto, et abandonné.

Am I a strange loop ? de Takashi Ikegami et Luc Steels dans la section "Artificial" de l'exposition à l'Arsenal

Il y est aussi possible d’y converser avec un robot humanoïde conçu par Takashi Ikegami et Luc Steels  (Am I a strange loop ?), qui semble à l’opposé de l’idée développée dans la salle suivante, selon laquelle c’est la discussion, le débat, l’agir politique qui sauveront le monde. Dans cette section, domine l’impressionnante agora en bois (le speaker’s corner) conçue par Christopher Hawthorne, Johnson Marklee et Florencia Rodriguez. S’y dégage l’idée générale que l’architecture et l’aménagement sont une forme de ménagement, une culture du soin et de l’attention. 

A la corderie de l'Arsenal, une installation faite de climatiseurs plonge l'entrée de l'exposition dans une chaleur étouffante

S’adapter ou trouver une planète B ? 

Fruit d’une consultation mondiale, “space for ideas”, qui a permis d’ouvrir la Biennale à environ 750 participants et de souligner la diversité des approches de l’architecture, cette 19e édition pose question pour plusieurs raisons. A parcourir les divers pavillons situés dans les Giardini, on comprend que le discours global en matière de dérèglement climatique a définitivement tourné une page : celle de l’atténuation. Malgré la gravité des constats opérés ici et là, dont le pavillon du Chili, qui souligne de manière spectaculaire l’impact des data centers, il s’agit désormais de s’adapter. C’est notamment le discours à l'œuvre dans l'espace d’exposition aménagé par l’agence Jacob & McFarlane devant le pavillon français, fermé pour rénovation : intitulée “vivre avec”, leur proposition tourne au catalogue de projets séduisants, mais dont on devine d’emblée l’insuffisance. 

Le pavillon français conçu par l'agence Jacob & McFarlane invite à "Vivre avec"


Carlo Ratti semble lui-même douter de la capacité de l’architecture à faire face à l'immense défi de l’adaptation. C’est en tous cas ce que suggère la dernière salle de l’exposition dont il signe le commissariat à l’Arsenal. Il n’y est plus question d’intelligence naturelle, artificielle ou collective, mais bien de survie en milieu hostile. Dans l’obscurité, diverses tentes, combinaisons, dispositifs émergent, et dévoilent autant d’outils et de moyens de s’implanter dans l’espace. Façon de suggérer que si, il y a bien une planète B ? Ou plutôt de pointer l’urgence d’agir pour éviter la fuite dans l’espace ?  Quoi qu’il en soit, l’ensemble fait froid dans le dos, et tempère sérieusement l’optimisme et la séduction des projets présentés par ailleurs.

Dans la dernière salle de l’Arsenal, un abri pour survivre dans l’espace
SPACESUITS US: A CASE FOR ULTRA THIN ADJUSTMENTS d’Emily Ezquerro, Jerónimo Ezquerro, Charles Kim, Stephanie Rae Lloyd, Emma Sheffer et Sam Sheffer

Infos pratiques

19e biennale d'architecture de Venise - du 10 mai au 23 novembre 2025

L’exposition se déroule dans deux lieux différents (à 10 minutes à pied l’un de l’autre). Les horaires d’ouverture sont valables pour les deux lieux de visite.

Giardini : Viale Trento 1260 und Sant’Elena (Viale IV Novembre)

Arsenal : Campo della Tana 2169/F et Ponte dei Pensieri (Salizada Streta)

Horaires : 11h-19h

A la Biennale d'architecture de Venise, une journée d'études pour sonder l'intelligence des villes

À l’occasion de la 19ème édition de la Biennale d’architecture de Venise qui se tient jusqu’en novembre 2025 sur le thème des “Intelligences”, naturelle, artificielle et collective”, une journée d’études était organisée le samedi 24 mai.

Son ambition :  réunir des experts de différentes disciplines pour réfléchir à la fabrique des villes face aux bouleversements contemporains.

Cet événement a été organisé, dans le lieu historique de la Biennale, par six acteurs de référence de la fabrique et la recherche urbaine à l’initiative de Jean-Louis Missika, ancien adjoint au maire de Paris chargé de l'urbanisme, de l'architecture, des projets du Grand Paris avec l’agence PCA-STREAM, la Saemes, le Pavillon de l’Arsenal, la Chaire Ville Métabolisme et Ecofaubourgs. Le séminaire, construit autour de 5 tables-rondes, s'est conclu par la restitution de deux hackathons, explorant l’évolution des paradigmes urbains et les défis des villes face aux enjeux actuels. Le changement climatique, le poids des technologies dans le modèle de la Smart City, la connectivité entre les zones urbaines, périurbaines et rurales et la ségrégation spatiale opérant sur certains territoires de fortes disparités entre les populations, bousculent la façon de penser et de construire la ville. En rebond de la thématique de la Biennale sur les Intelligences, c’est la question de l’intelligence des villes, et en particulier des petites villes, qui a été questionnée par les intervenants présents (sociologues, urbanistes, architectes, ingénieurs, journalistes) pour tenter de comprendre comment les villes peuvent aujourd’hui s’adapter face à ces évolutions.

La place des espaces invisibles de la ville et des sous-sols

Une première table-ronde, animée par Jean-Louis Missika, ancien élu à l’urbanisme à la Ville de Paris et co-organisateur de la journée, a interrogé la place des espaces invisibles de la ville et des sous-sols en mettant en exergue le cas de la Défense. 

Parmi les spécialistes présents, Adrien Larcade, directeur de projet sur le quartier d’affaires chargé du développement immobilier et du projet Cathédrale de Paris La Défense, a répondu à nos questions.

Le verdissement de la ville

Comment relever les défis du verdissement de la ville ? Quelles solutions apparaissent aujourd’hui comme pertinentes face aux enjeux climatiques ? Voici quelques-unes des questions auxquelles ont voulu répondre les experts de la deuxième table-ronde, parmi lesquels l’architecte et paysagiste belge Bas Smets. Dans cette vidéo, il nous parle de son approche de l'architecture du paysage pour répondre aux défis climatiques de nos environnements urbains. Il présente aussi l’exposition Building Biospheres au sein du pavillon belge de la Biennale d’architecture de Venise, en parallèle de l’exposition Changer les climats à Bap ! à Versailles.

Dans cette interview, Philippe Chiambaretta, architecte, fondateur et directeur de l’agence PCA et animateur de cette table-ronde, évoque la place de la végétalisation des villes et la régénération des zones rurales, le cas d’étude de la Défense, la chaire « Ville-Métabolisme » et plus largement l’avenir des villes.

Les friches et les petites villes

Après une table-ronde qui a abordé la notion du pilotage d’un système de vidéo surveillance de manière démocratique par l’IA, le sujet des friches et des petites villes a rassemblé différents intervenants de la fabrique de la ville dont Alexandre Born, cofondateur et directeur général de la foncière immobilière solidaire Bellevilles.

Mobilité, immobilité : quel avenir pour les habitants des petites villes ?

La dernière table-ronde intitulée Mobilité, immobilité : quel avenir pour les habitants des petites villes ? a réuni, aux côtés de la sociologue Yaëlle Amsellem Mainguy et de Laurent Eisenman, directeur du programme Nouveaux usages et services ruraux de la SNCF, l’architecte Léa Deveaux, co-fondatrice du Studio d’écoutes rurales. Elle évoque ici la méthodologie développée au sein de son agence et revient sur le cas d'étude mené avec son équipe dans la petite ville de Brou dans la Beauce.


Les hackatons

Parallèlement à ces échanges, deux hackathons étaient organisés en direct. Ils regroupaient des étudiants en architecture, urbanisme, histoire de l’art, archéologie et design, pour développer et présenter des solutions innovantes sur deux cas pratiques. Le premier visait à explorer et réinventer les volumes sous la dalle de La Défense et le second à favoriser l’appropriation des espaces communs par les usagers de La Cité Bahut, un programme immobilier en rénovation porté par les Ecofaubourgs dans une petite ville en zone rurale. Le projet situé à Semur-en-Auxois a été particulièrement apprécié par son maître d’ouvrage, Vidal Benchimol.

« Les étudiants ont travaillé sur les usages que l’on pouvait faire en termes de réemploi du matériel dont nous disposons à la Cité Bahut (matériel scolaire, dortoirs de l’ancien pensionnat). Plusieurs idées ont émergé et vont nous amener à revoir une partie du projet initial. Ces propositions, ainsi que celles de La Défense devraient donner lieu à une exposition sur le site prochainement »

La clôture du séminaire a donné la parole aux étudiants pour les présentations finales des projets. Eléonore Houssard et Térence Fournié nous ont partagé leur expérience.

La ville relationnelle : un livre pour susciter le désir d’autres modes de ville

Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin sont tous trois spécialistes de la ville : la première en tant qu’anthropologue, géographe et fondatrice du cabinet de prospective Bfluid, le 2e en tant que directeur artistique de la ZAT à Montpellier, le 3e en tant que chercheur. Ensemble, ils signent un ouvrage que tout élu ou aménageur devrait lire : La ville relationnelle.

Parce qu’elle concentre commerces, bureaux, administrations, espaces publics et habitat, la ville est par excellence le lieu de la rencontre, de la « force des liens faibles ». Pourtant, cette « ville relationnelle » est très largement sous-estimée par les décideurs politiques. C’est en tout cas ce que notent Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin dans un ouvrage du même nom aux éditions Apogée (2024). « Aujourd’hui encore, les villes consacrent l’essentiel de leurs ressources financières et humaines à se maintenir en fonctionnement aussi régulier que possible », posent dès l’introduction ces trois spécialistes de l’urbain. Quant à cette ville des liens, elle « reste encore trop souvent dans l’angle mort des politiques publiques. » 

Cette négligence se marque spatialement : « la ville relationnelle représente à peine 10 à 20% des mètres carrés qui composent les villes européennes, tandis que la ville fonctionnelle en accapare encore les 80 à 90% restants. » Il faut dire que la ville des liens semble fonctionner d’elle-même, contrairement à la gestion des flux ou l’entretien des réseaux, bref à tout ce métabolisme urbain complexe qu’il faut administrer. Son "aménagement" requiert aussi des approches différentes, qui empruntent à l’urbanisme tactique, au design thinking ou à l’art dans l’espace public. Enfin, elle suppose une bonne dose d’expérimentation - une approche peu compatible avec la planification urbaine.

« La ville relationnelle représente à peine 10 à 20% des mètres carrés qui composent les villes européennes, tandis que la ville fonctionnelle en accapare encore les 80 à 90% restants. »

La ville relationnelle a été écrit tout exprès pour inciter le monde de la fabrique urbaine à mieux saisir l’enjeu et le décliner dans les politiques publiques. Même si l’ouvrage est riche en chiffres et en exemples, il se veut moins un état des lieux qu’un programme à mettre en œuvre. Il s’adresse d’ailleurs explicitement à un public opérationnel - élus surtout, mais aussi aménageurs ou promoteurs. Pour mieux les convaincre, Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin ont opté pour l’écart avec les attendus de tout manuel d’urbanisme. Leur texte est ponctué de récits d’expériences concrètes et quotidiennes de relations, où la part du vrai et de la fiction est bien difficile à démêler. Il est également rythmé par les illustrations de Lisa Subileau, qui offrent autant d’instantanés de la ville relationnelle. 

7 figures inspirantes    

Cette approche originale permet de « donner corps » au programme décliné dans l’ouvrage en 7 figures. Les voici présentées succinctement : 

  1. La ville de la rencontre : c’est la ville des places et des parcs, de tous les lieux publics où l’on peut se poser le temps d’une halte ou d’un rendez-vous, où l’on peut alterner “aloning” et “togethering”. Elle réclame beaucoup de “mètres carrés relationnels”, mais surtout, elle invite à ralentir : la vitesse et le bruit des véhicules à moteur ne font pas bon ménage avec elle.
  2. La ville du dehors : c’est la ville des trames vertes et bleues, où l’on se connecte au vivant par tous les sens, où l’on engage son corps en se déplaçant à pied où à vélo, au contact direct de l’air et de l’environnement.
      
  3. La ville amie de toutes les générations : elle place les enfants, les familles ou les personnes âgées au coeur de la conception urbaine et rompt avec une approche zonée qui leur ménage des espaces dédiés, sortes de « réserves d’Indiens ».
  4. La ville du faire et du tiers solidaire : c’est la ville de la jachère, qui ménage des espaces d’expérimentation collective dans les friches et accepte une certaine part d’informel, de spontanéité et de « laisser-faire » dans l’espace public.
  5. La ville de la surprise : elle accueille un foisonnement d’interventions artistiques pour susciter l’étonnement et enrichir les imaginaires urbains.
  6. La ville comestible : elle assume son rôle productif et invite les citadins à mettre les mains dans la terre, seuls ou ensemble, pour explorer de nouvelles formes de relations avec le monde végétal et/ou partager un repas.
  7. La ville du temps libre : elle est celle « qui envisage toutes les relations entre les espaces publics et les temporalités de la vie ordinaire. » Elle prend en compte la diversité des rythmes urbains et des usages de la ville. Attentive à ce qui se fait en dehors du temps de travail, elle s’intéresse tout particulièrement à la nuit - espace-temps de la fête, mais aussi du repos et de la contemplation des étoiles. 

L’urgence d’une « transition relationnelle »

Bien sûr, ces diverses modalités de la ville relationnelle sont non-exclusives et poreuses. « Il ne s’agit pas de dire que les 7 figures doivent être mises en oeuvre simultanément au cours d’une seule et même mandature, peut-on lire dans l’ouvrage. Les collectivités peuvent plus raisonnablement se donner pour objectif de réussir à matérialiser de façon incrémentale deux à trois de ces figures de ville par mandature. »

D’après Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin, il est en tous cas urgent d’accélérer la « transition comportementale. » Selon eux, celle-ci se conjugue en effet à d’autres transitions et peut en déterminer le succès. « La décarbonation ne pourra se faire que dans une ville devenue relationnelle, expliquent-ils, une ville où primeront les dynamiques de proximité, les sociabilités - fortes ou faibles - et une relation au vivant qui sera tout autre que celle que nous connaissons aujourd’hui. » 

D’ailleurs, l’enjeu est tel pour les auteurs du livre qu’ils ont conçu La ville relationnelle comme une entrée en matière, un genre de préambule. L’ouvrage est le premier opus d’une collection de quatre livres qui exploreront divers versants des interactions urbaines et décriront les leviers et dispositifs susceptibles de les favoriser. À suivre, donc. 

À lire : 

La Ville relationnelle, les sept figures, de Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin, Paris, éditions Apogée, 2024. 200 pages, 15 euros.