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Portrait : Le Sens de la Ville, pour une ville cousue mainC'est au quatrième étage d'un immeuble de la Cité Bisson dans le XXe arrondissement de Paris que le Sens de la Ville, un tout jeune collectif constitué il y a un peu plus d'an an, se réunit. Partageant une vision commune de la ville de demain, ces six acteurs de la ville, tous âgés d'une trentaine d'années décident de répondre à l'appel à projets innovants « Réinventer Paris » lancée par la Mairie de Paris en novembre 2014. « On se connaissait tous, différemment et autour de projets à géométrie variable, raconte Flore Trautmann, urbaniste et sociologue. Avec Gaétan Engasser (architecte-urbaniste/ Agence aEa) et Vincent Josso (urbaniste-architecte-ingénieur) on avait déjà travaillé il y a 7 ans sur un projet d'habitat participatif, puis Nicolas Bel (jardinier), Frédéric Madre (écologue) et Fanny Rahmouni (urbaniste) se sont greffés naturellement. La consultation de Paris a été le propulseur pour se structurer [en SCOP : société coopérative et participative], de se tester sur un projet ».
Tous ressentent à ce moment là l'envie de pouvoir « sortir la tête de l'eau » dans leurs pratiques professionnelles et d'échanger autour de leur vison commune de la ville. « Le Sens de la Ville nous permet de faire un pas de côté, explique Vincent Josso. Le collectif est né d'une envie de faire tomber les barrières parfois trop étanches que l'on rencontre dans l'exercice de notre profession, de décloisonner, de porter un regard collectif sur la ville, incarné dans des projets ». En somme un Think & Do Tank Urbain, comme ils se présentent eux-mêmes.
« Le Sens de la Ville nous permet de faire un pas de côté. Le collectif est né d'une envie de faire tomber les barrières parfois trop étanches que l'on rencontre dans l'exercice de notre profession, de décloisonner, de porter un regard collectif sur la ville, incarné dans des projets. » Vincent Josso, membre du collectif Le sens de la Ville
Véritable manifeste de leur approche, le projet « Réinventer Paris » sur le lot Ourcq-Jaurès rebaptisé « Echo-logis » est une proposition de lieu de tourisme alternatif au sein du Grand Paris. Articulé autour de l'alimentation durable en ville, il regroupe un hôtel, des logements, une école d'agro-écologie, un atelier et un restaurant de cuisine bio-végétarienne. Non retenu, le projet a été conservé pour être exploité sur un autre site, encore non déterminé.Leur méthode de travail repose sur une approche circulaire. Leur ambition est de mettre au cœur du projet et autour de la table dès l'origine, les utilisateurs finaux et ainsi faire dialoguer le programme, la forme et le bilan. Comme le précise Flore Trautmann : « On adaptera ce projet au territoire d'implantation, en fonction du diagnostic et des acteurs locaux avec lesquels on pourrait travailler. C'est le « cousu main » : échapper au standard et faire du sur-mesure ».

Pour ces jeunes acteurs de la fabrique urbaine, cette approche permet de replacer l'occupant à l'origine de la commande et ainsi de sortir du produit immobilier standardisé grâce à un processus davantage fondé sur la coopération entre les différentes parties prenantes.Autre projet phare, laboratoire de cette méthode : L'Escalette à Mouvaux dans le Nord-pas de Calais. Un projet de transformation d'une cité-jardin en quartier autonome en énergie. Ce quartier dit « en Troisième Révolution Industrielle » est l’un des 20 projets régionaux retenus lors du World Forum de Lille 2013 dans le prolongement du master plan Troisième Révolution Industrielle pour la Région Nord-Pas-de-Calais, piloté par Jeremy Rifkin. « Dix associés sont regroupés dans cette équipe dont l'agence « aEa » et Le Sens de la Ville, précise Gaétan Engasser. C'est un peu une première en France. Ce projet est une réflexion sur comment on rend un quartier autonome en énergie, comment on valorise le patrimoine existant tout en répondant à la nécessité d'augmenter la densité, donc construire un certain nombre de logements ». Le projet très ambitieux pourrait sortir de terre d'ici 3 à 10 ans. De premières phases d’expérimentation vont être mises en place à l'échelle 1 et des premiers prototypes opérationnels verront prochainement le jour. « C'est un projet très excitant, ajoute Gaétan Engasser. Il est pluriel car il empile toutes les couches de complexité de la ville et permettant un travail sur les espaces urbains, les réseaux, avec une copropriété mixant logements sociaux et privés, de la concertation, des réflexions sur l' économie circulaire, sur l'usage. « On interroge les acteurs locaux, on recueille les marques d'intérêt, on intègre leurs demandes, les choses sont ainsi bousculées dans l'ordre de la commande », indique Flore.
"La ville doit être un écosystème urbain où les déchets organiques sont recyclés localement, évitant au maximum les flux et les nuisances. Une ville végétale favorise le bien être." Nicolas Bel, membre du collectif Le sens de la Ville
Ces projets sont autant d'occasions de tester leur approche et de l’expérimenter. Nicolas Bel et Frédéric Madre contribuent à semer l'idée d'une ville nutritive et riche en biodiversité. « Ma vision de la ville de demain repose sur une symbiose avec la nature qui passerait notamment par le retour des animaux sauvages en ville avec par exemple des corridors pour les renards ou des « immeubles-collines » qui offriraient une continuité entre le sol, les murs et les toits pour favoriser au maximum ces corridors. La ville doit être un écosystème urbain où les déchets organiques sont recyclés localement, évitant au maximum les flux et les nuisances. Une ville végétale favorise le bien être », estime Nicolas Bel. Le Sens de la Ville se veut un collectif militant. « Dans la règle du jeu urbaine, on reproduit souvent les mêmes projets, les mêmes programmes et souvent avec les mêmes personnes », considère pour sa part l'architecte Vincent Josso. Et en ce moment des choses bougent comme la démarche « Réinventer Paris ». Aujourd'hui, la ville n'est pas très joyeuse, pas très juste et c’est cela que l'on veut changer : dépasser ce jeu global de la fabrique urbaine qui nous dépasse et faire une ville plus inclusive car pensée de façon collective, plus durale, plus joyeuse».

L'équipe a par ailleurs lancé un questionnaire à destination de toutes les équipes candidates de « Réinventer Paris » pour partager leurs expériences sur cet appel à projets inédit. « Cette démarche a été une vraie « bombe » positive dans la fabrique urbaine. Il nous semblait intéressant de s’interroger ensemble sur les nouveaux modes de faire la ville notamment en vue des « prochaines saisons » de la série Réinventer… », ajoute Vincent Josso. Le 9 mars, une soirée à l’Hôtel de Ville de Paris est prévue où Le Sens de la Ville et Urbanova animeront un partage d’expériences. Un temps d'échanges indépendant de la Ville de Paris, suivie par une intervention de Jean-Louis Missika, Adjoint à la Maire de Paris, en charge de l'urbanisme.Une belle vitrine pour Le Sens de La Ville qui met en action ses convictions : jouer collectif pour dessiner les contours des méthodes de la fabrique urbaine de demain.
Vers une ville adaptée aux besoins des enfants ?La ville, nous rappelait récemment le géographe Yves Raibaud, est d’abord une affaire d’hommes blancs, en bonne santé et sans obligations familiales. La situation des enfants n’est pas vraiment de nature à lui donner tort : cantonnés à quelques aires de jeux et quelques squares chétifs, mais globalement privés de rue s’ils ne sont pas accompagnés et même sommés de rester entre quatre murs au moindre pic de pollution, ces derniers font figure d'exclus de la ville et semblent compter parmi les oubliés de l'aménagement urbain.
Pourtant, ici et là, quelques signes laissent entendre qu’une prise de conscience pourrait s’amorcer en leur faveur. Après l’exposition que Thierry Paquot dédiait en 2015 à la « ville récréative » à la Halle aux sucres à Dunkerque, le CAUE de Paris embrasse à son tour la thématique. Dans le sillage d’une série de conférences organisées en 2013, il consacre à l’enfant la sixième édition des Petites leçons de ville, qui se tiendra à partir du 3 mars et jusqu’au 7 juillet au Pavillon de l’Arsenal sous le titre manifeste de « Place aux enfants ! ». L’enjeu des cinq rencontres planifiées cette année : examiner successivement la façon dont les plus jeunes se déplacent, jouent et se retrouvent dans l’espace urbain, mais aussi dont ils participent à la fabrique de la ville. Ce soir, jeudi 3 mars, la conférence inaugurale réunira ainsi Pascale Legué, urbaniste et anthropologue, et Didier Heintz, architecte et cofondateur de l'association Navir autour de l’articulation complexe entre espaces domestiques souvent exigus et espaces publics inadaptés aux besoins des plus jeunes.
De fait, la ville est quasi systématiquement décrite comme un milieu hostile pour les enfants, à l’inverse de la campagne où les plus petits peuvent faire, loin du trafic automobile, l’expérience d’une liberté bien plus grande. Si la marginalisation des enfants en milieu urbain a crû avec la société de consommation et l’avènement de l’automobile comme produit de masse, elle pourrait être beaucoup plus ancienne. Sous l’Ancien Régime déjà, le taux de natalité était plus faible à Paris qu’ailleurs, et les jeunes parents qui en avaient l’opportunité exilaient volontiers leur progéniture chez des nourrices à la campagne. Bien que la place acquise par l’enfant au sein de la famille contemporaine rende impensable de telles mesures de séparation, l’exode qui touche les ménages avec jeunes enfants semble démontrer que la ville n’a pas vraiment cessé d’apparaître comme un repoussoir à familles – et notamment pour des raisons d’accès au foncier. Pour se loger décemment, les parents ont ainsi tendance à déserter les villes-centres à la naissance du premier et surtout du deuxième enfant, et à troquer leur appartement exigu pour le confort du pavillon en périphérie avec jardin, balançoire et animal domestique.
"Depuis les années 1990, plusieurs études ont ainsi démontré le recul croissant de la marche chez les enfants depuis cent ans."
Moins présent en ville, l’enfant y est aussi moins mobile. Depuis les années 1990, plusieurs études ont ainsi démontré le recul croissant de la marche chez les enfants depuis cent ans. Exit l’image à la Doisneau du jeune garçon courant les rues une baguette sous le bras ou occupant l’espace public de ses jeux : la place et la vitesse des véhicules à moteur conduisent les parents à limiter et contrôler strictement les déplacements de leurs enfants et à privilégier les trajets motorisés, sécurité oblige. Alors que nos grands-parents parcouraient couramment plusieurs kilomètres à pied par jour au début du vingtième siècle, nos enfants ont vu le rayon au sein duquel ils sont autorisés à se déplacer seuls réduit à moins de 500 mètres. Une telle limitation est certes de nature à réduire les accidents de la circulation impliquant des enfants. Le hic, c’est qu’elle a aussi des effets délétères sur leur santé, puisqu’elle contribue à faire progresser l’obésité et à diminuer les capacités respiratoires des plus jeunes.

Si l’enfant semble avoir été sacrifié après la guerre aux flux routiers, il n’est pas absent pour autant des réflexions des architectes et urbanistes de l'époque. D’Emile Aillaud concevant la Grande Borne à Grigny comme une « cité des enfants » aux plans d’aménagement pour la ville de Philadelphie dessinés par Louis Kahn certains (rares) professionnels de l’urbain tâchent de lui faire une place. Une telle ambition revient à limiter la place dévolue à la voiture, mais aussi à favoriser le partage de l’espace et la cohabitation de tous les usagers, à rebours du fonctionnalisme séparateur d’un Le Corbusier.
A partir des années 1990, la prétention du développement durable à tendre vers une ville plus inclusive conduit elle aussi à reconsidérer la place de l’enfant dans l’espace urbain, et éventuellement à faire de sa présence dans les rues le signe et presque le manifeste d’une reconquête de la ville par ses usagers non motorisés.
"A partir des années 1990, la prétention du développement durable à tendre vers une ville plus inclusive conduit elle aussi à reconsidérer la place de l’enfant dans l’espace urbain, et éventuellement à faire de sa présence dans les rues le signe et presque le manifeste d’une reconquête de la ville par ses usagers non motorisés."
Les Spielstrassen (littéralement « rues de jeu ») allemandes en sont un bon exemple : signalées par un simple panneau, elles reversent le régime habituel de la rue où la voiture domine et dicte tous les autres usages. Ici au contraire, le mètre étalon de l’aménagement viaire, c’est l’enfant susceptible de jouer dans la rue, de l’occuper et d’y circuler. L’automobiliste n’est pas exclu d’un tel espace, mais sommé de s’y adapter en réduisant sa vitesse et en adoptant une conduite particulièrement vigilante.
A leur façon, les credos de la ville créative et de la ville parc d’attraction viennent eux aussi nourrir l’élan vers un espace public plus ouvert aux enfants. Dans la lignée des Situationnistes, d’Archigram, mais aussi sur le modèle d’Epcot, de Las Vegas ou Dubaï, la métropole contemporaine tend à miser de plus en plus sur l’attractivité de ses espaces publics, et sur leur caractère résolument ludique. Cet élan se traduit d’abord par la création d’espaces séparés destinés non plus aux seuls enfants, mais à toutes les classes d’âges : aires de jeux pour les plus petits, skateboard parks pour les adolescents, espaces sportifs pour les adultes. Mais les aménagements dévolus au jeu tendent désormais à déborder le cadre de quelques espaces dédiés pour investir les places ou le mobilier urbain : de plus en plus, c’est la ville toute entière qui devient un terrain de jeu, comme en témoigne la valorisation (somme toute récente) de pratiques résolument ludiques comme le Street art, le Parkour et la plupart des cultures urbaines. A croire que dans la ville contemporaine, il n’y a pas de grandes personnes…
La ville récréative : enfants joueurs et écoles buissonnières, sous la direction de Thierry Paquot, éditions Infolio, Paris, 2015.
Dossier de Métropolitiques sur l’enfant dans la ville : http://www.metropolitiques.eu/Les-enfants-dans-la-ville.html
Le bâtiment frugal : une alternative aux normes de construction durables« Notre point de départ est parti d'un constat, explique Alain Bornarel, ingénieur cogérant de Tribu, bureau d'études spécialisé dans le développement durable, aux manettes du groupe de travail de l'ICEB chargé du guide Le bâtiment frugal. Il existe aujourd'hui en France une production de bâtiments performants qui sortent des sentiers battus et dont on ne parle pas. Aujourd'hui, la production est très normalisée. Or, nous pensons qu'à l'heure du changement climatique, les solutions actuelles ne sont plus valables et qu'il y a une nécessité à faire évoluer les standards. Une révolution dans ce domaine est nécessaire si l'on veut répondre aux enjeux climatiques d'aujourd'hui et de demain ». Fruit d'un travail débuté il y a deux ans, Le bâtiment frugal marque la volonté de proposer une alternative au « passif » proche du standard Passiv'Haus, davantage adapté à des climats du Nord et de l'Est de la France, et de privilégier au maximum l'approche bioclimatique. C'est aussi à partir des recherches sur l'innovation frugale du « mieux avec moins », inspirée du concept indien Jugaad, qu'ont travaillé les membres du groupe de travail. « Cette approche correspond très bien à l'esprit low-tech et à une démarche qui minimise aussi bien l’énergie que les ressources », précise Alain Bornarel. Actuellement, on construit de la même façon à Strasbourg et à Marseille. C’est ce qu'on ne veut pas faire. Un bâtiment frugal est avant tout un bâtiment lié à son territoire, inscrit dans un contexte climatique, de ressources, d’énergies et de modes de vie ».
"Actuellement, on construit de la même façon à Strasbourg et à Marseille. C’est ce qu'on ne veut pas faire. Un bâtiment frugal est avant tout un bâtiment lié à son territoire, inscrit dans un contexte climatique, de ressources, d’énergies et de modes de vie." Alain Bornarel, ingénieur cogérant de Tribu
De fait, l'approche frugale privilégie les matériaux et les savoir-faire locaux. C'est notamment le cas de l'école Monoblet dans le Gard. Livré à la rentrée 2014, ce groupe scolaire bâti dans un village de 600 habitants offre un bilan thermique très performant (38.7 kWh/m²/an de consommation énergétique (en énergie primaire). Pour ce projet, les architectes ont misé sur une utilisation massive de bois régional (une façon de limiter les déplacements), mais aussi sur des matériaux de récupération et renouvelables, comme le béton de chanvre qui offre un bilan carbone bas voire négatif. « Nous avons cherché à éliminer tous les toxiques, souligne Yves Perret, l'un des architectes en charge du projet*. Ici, la dimension frugale s'observe à long terme et aborde des aspects tels que la santé et la réduction des maladies ».
L'autre particularité de cette école est la participation des enfants à la conception et à la réalisation. « Pour qu'un bâtiment soit habité, il ne faut pas qu'il tombe du ciel ! Il faut associer les futurs habitants, explique Yves Perret. Dans le cas de ce projet, nous avons demandé aux enfants d'apposer une pierre avec le maçon, d'aider à la fabrication de carreaux de terre cuite avec une potière ou encore de contribuer à la fabrication de la mosaïque sur les supports des lavabos. Quelques mois plus tard, les instituteurs nous ont dit que la capacité de concentration s’était améliorée, mais c'est juste parce que les enfants étudiaient dans de meilleures conditions : luminosité, espace, organisation. Et aussi parce que c'était « leur » école qu'ils avaient contribué à construire. Lors de la livraison, ils connaissaient et avaient compris les principes de son fonctionnement ».Autre exemple de bâtiment frugal dans le sud de la France : le concept taki développé par Solari Architectes. Installé à Aix-en-Provence, Jérome Solari a conçu ce système de construction en bois orienté bâtiment durable et architecture bioclimatique. Le point de départ ? Une forte demande de maisons en bois et durables mais avec de petits budgets. L'architecte réfléchit alors à la possibilité de pré-fabriquer 70 à 80 % du bâtiment pour réduire les coûts et les délais : « l’exercice est très intéressant car le principe de 20 % sur-mesure laisse une place pour innover et inventer de nouvelles formes et solutions, précise-t-il. Et l'on gagne 500 €/m² TTC par rapport à un projet classique en bois avec un coût final de 1900 €/m² ». Optimiser au maximum les postes de travaux, les matériaux, les temps d’études et de réalisations permet une approche frugale. Il s'agit de réduire les fondations et terrassements grâce à des pilotis, d'optimiser les postes techniques et de privilégier le passif, notamment via la ventilation naturelle et systèmes passifs. Car c'est bien là un des aspects fondamentaux du bâtiment frugal : faire appel à l’intelligence de ses utilisateurs plutôt qu’à des technologies complexes. « L'usage est très important en confort d'été, la ventilation est centrale. Cela fonctionne si la maison est fermée le jour et ouverte la nuit », indique Jérôme Solari. Quatre maisons « taki » sont déjà sorties de terre et 25 projets sont en cours. « Villa, extensions, surélévations, bâtiment tertiaire, on peut faire beaucoup de choses avec ce concept il y a une diversité de projets et de programmes : le concept Taki permet d'apporter le durable pour des budgets plus restreints. »[caption id="attachment_2701" align="aligncenter" width="502"]

La frugalité est une notion qui peut également se penser à l’échelle du quartier ou de la ville. « On a un certain nombre d'indications qui font le bâtiment frugal peuvent s'envisager à l’échelle de la ville notamment pour ce qui concerne les modes de vie », précise Alain Bornarel. Le rapport à l'usage et à la propriété qui modifie le bâtiment avec le développement de locaux collectifs ou de jardins partagés peut en effet s'appliquer au-delà du seul programme immobilier. Les questions des circuits-courts pour alimentation, le rapport à la nature et à la biodiversité prennent de plus en plus d'importance et font écho à cette notion de frugalité. « Ce concept peut être très intéressant pour ce qui touche à la bioclimatique urbaine, précise Alain Bornarel. On a l'habitude de travailler sur du bioclimatique du soleil. Les recherches sur le bâtiment frugal nous ont montré qu'une approche avec du bioclimatique de vent peut être beaucoup plus pertinente pour certains territoires et je pense qu'à l'échelle de la ville cela est encore plus vrai pour répondre aux problématiques d’îlot de chaleur urbain notamment. »
"Aujourd'hui, un chantier, c'est une simple production de mètres carrés et non pas un moment de vie. Un bâtiment devrait être le moyen d'un échange." Yves Perret, architecte
Reste à faire sortir de terre ce type de projets. En décembre dernier, l'ICEB organisait un cycle de conférences intitulé « Hors la loi » évoquant notamment le bâtiment frugal. L'enjeu aujourd'hui semble pour les professionnels du secteur de contourner l'arsenal réglementaire qui les contraint dans leurs productions, incite à l'utilisation des standards actuels, et participe souvent aux surcoûts des réalisations dites frugales. « Aujourd'hui, un chantier, c'est une simple production de mètres carrés et non pas un moment de vie. Un bâtiment devrait être le moyen d'un échange », rappelle l'architecte Yves Perret.
*Maîtres d’œuvre de l’École MonobletAtelier d’architecture PERRET – DESAGES//Yves PERRET Architecte//Atelier d’architecture ARCHISTEM-Fabrice PERRIN Architecte
Réinventer Paris : 22 projets pour faire la ville de demain autrement ?A travers les maquettes, perspectives, dessins, animations 3D, témoignages vidéos des experts et jurys internationaux, les 900 mètres carrés dédiés à l'Appel à projets et scénographiés par Peaks architectes donnent bien la mesure du travail considérable réalisé par les différentes équipes qui se sont investies dans cette aventure. D'après les chiffres officiels, la Mairie a reçu 372 candidatures venues du monde entier, émanant d'univers très divers. En effet, l’hétérogénéité des disciplines qui ont constitué les équipes a été l'une des particularités de cette consultation. Y ont participé aussi bien des architectes, paysagistes, urbanistes et promoteurs que des associations, entrepreneurs, artistes, chefs cuisiniers ou agriculteurs.
Résultat : de nombreux projets jouent la carte de la végétalisation (Plus de 26.000m² de nouvelles surfaces plantées sont prévues, dont une forêt de «1.000 arbres», des jardins, de l’agriculture urbaine, des toits et des murs végétalisés) et font appel à l'économie circulaire. Co-living et coworking, incubateurs, tiers-lieux, habitat participatif… : les projets sélectionnés font la part belle aux tendances actuelles de l'habitat. Ils se déploient sur des terrains de natures différentes : hôtel particulier, friches industrielles, terrains vagues. Au total, 1.341 logements dont 675 sociaux seront construits.
« Réinventer Paris va radicalement changer notre façon de penser la ville » a déclaré Anne Hidalgo, maire de Paris. L'autre caractéristique de cet Appel à projets repose sur le principe des consultations de promoteurs, c'est à dire que la Mairie et ses opérateurs ont vendu leurs terrains aux promoteurs dont les équipes ont été lauréates. Et contrairement à un concours public habituel, la Mairie ne rémunère pas les équipes non finalistes. Un choix critiqué par de nombreux architectes qui reprochent le fait que « la matière grise » n'ait pas été payée.
Pour Jean-Louis Missika, adjoint au Maire en charge de l'urbanisme, qui a répondu à ces accusations au Moniteur, un tel procès est infondé : « Nous avons pris la peine de vérifier et si nous n’avons pas encore l’intégralité des résultats, nous avons maintenant la conviction que la majorité des 75 équipes d’architectes, mais aussi les bureaux d’études, qui étaient finalistes, ont été payés par les promoteurs », explique-t-il.
Représentant un investissement privé de plus de 1,3 milliard, les 22 sites retenus vont permettre pour la Mairie 565 millions d'euros de recettes. La Ville de Paris souhaite renouveler l’opération en 2017 avec une nouvelle édition : « Réinventer Paris II » et lance en mars « Réinventer la Seine », sur des territoires allant de Paris jusqu'au Havre.
Réinventer Paris, du 4 février au 8 mai 2016
Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland (4e)
Entrée libre
Robins des Villes : pour une gouvernance participative de l'espace urbainS'ils se font appeler les Robins des Villes, c'est qu'ils volent bien quelque chose pour le redistribuer. Ici cependant, on ne parle pas d'argent mais de pouvoir. En l'occurrence, il s'agit donner le pouvoir à ceux qui en sont habituellement privés pour construire et aménager des espaces urbains. « C’est le côté militant de l'association », explique Mathieu, membre des Robins des Villes depuis 4 ans. Cette structure est née dans une école d’architecte de Vaux-en-Velin près de Lyon. Dés le départ, elle ambitionne de sensibiliser les habitants de tous âges à leur cadre de vie en adoptant une démarche participative. « En 1995, nous faisions le constat que la parole des habitants et usagers était confidentielle et que l'architecte ne pouvait seul faire la synthèse. Pour le nom de notre structure, nous cherchions un héros dont le nom exprime à la fois une grande générosité et une valeur sûre à qui on peut faire confiance ... », raconte Hervé Saillet, fondateur et président des Robins des Villes. Aujourd'hui, sept salariés y travaillent et près d'une soixantaine de bénévoles participent aux différents projets dans plusieurs axes : sensibilisation, éducation, concertation, formation.
"Nous faisons de l’éducation populaire à l'Espace. A chaque fois, nous passons par une phase utopique pour libérer l’imaginaire puis on revient aux contraintes pour ensuite aller vers un projet partagé." Mathieu, membre des Robins des Villes.
Réaménagement de cours d'écoles, réhabilitations de friches ou de jardins… Les projets des Robins des villes ont en commun de partir des représentations des habitants et de privilégier les petites échelles. Ils travaillent actuellement sur les temps périscolaires sur le thème « défis urbains » avec les enfants de Montreuil en Ile-de-France et réalisent avec eux maquette, sons, photographies, cartes, dessins. Ils accompagnent aussi le centre social des Escourtines à Marseille pour réfléchir à un aménagement partagé du parc de la Solitude. Différentes actions dans l'espace public ont été menées ainsi que des ateliers participatifs avec les adultes et les enfants.Autre projet développé de mars à juin 2015 : le travail sur la biodiversité avec les hébergés du CADA (centre d’accueil de demandeur d'asile) de ville de Bron dans le Rhône pour améliorer les espaces communs. Résultat : des nichoirs pour mésange bleue, un hôtel à insectes, des espaces fleuris, des bancs, des tables ont été fabriqués puis installés par les hébergés, associés de l'élaboration à l'inauguration du projet.

« Nous faisons de l’éducation populaire à l'Espace. A chaque fois, nous passons par une phase utopique pour libérer l’imaginaire puis on revient aux contraintes pour ensuite aller vers un projet partagé », explique Mathieu. Pour redonner la parole aux habitants et à ceux qui habitent les lieux, Les Robins des Villes ont développé une méthodologie bien à eux, utilisant des journaux, maquettes et jeux de rôles mais aussi des outils qu'ils développent eux-mêmes comme la « cabine à souhaits » qui détourne le principe de l'isoloir ou « la Ville en Valise », une valise à roulettes abritant des valisettes mots-clés liés à la ville (« urbanisme », « paysage », « architecture », etc.). Autant d’outils pouvant être utilisés en autonomie par les enseignants et animateurs qui désirent développer projets ou activités relatives aux enjeux urbains.
"Ce qui nous intéresse c'est la vision collective des habitants, de faire ensemble, d’offrir le cadre pour que les gens s’approprient les lieux. La ville de demain pour nous est forcément diverse, et les décisions y sont prises de manière locale par les gens. C’est une ville où les habitants peuvent se rencontrer."Mathieu des Robins des Villes
La dimension ludique est toujours présente et à chaque fois, les outils sont adaptés au contexte. S'ils s'attachent à offrir un autre regard sur la façon de « fabriquer » la ville, les Robins des Villes ne portent pas de vision sur ce que la ville devrait être. « Ce qui nous intéresse c'est la vision collective des habitants, de faire ensemble, d’offrir le cadre pour que les gens s’approprient les lieux. La ville de demain pour nous est forcément diverse, et les décisions y sont prises de manière locale par les gens. C’est une ville où les habitants peuvent se rencontrer », explique Mathieu des Robins. Et les notions de durabilité semblent de plus en plus s'inscrire naturellement dans les débats. "Des projets d'agriculture urbaine reviennent souvent sans que l'on ait besoin de les insuffler. La mobilisation des habitants eux-mêmes est là ». Pour le fondateur Hervé Saillet, « la ville de demain est pour nous une ville douce qui intègre les « sans voix » que personne ne représente. Une ville dont les orientations seront co-décidées avec les habitants ». Pour les Robins des Villes, le principal défi urbain est bien de répondre à l'enjeu démocratique de permettre à chaque habitant de participer aux décisions, de créer le cadre pour que chacun puisse s'approprier l'espace public.
Qui est Alejandro Aravena, lauréat du Pritzker prize ?Il se passe décidément quelque chose dans le monde de l’architecture : un peu plus d’un mois après l’attribution du prix Turner au collectif anglais Assemble pour sa participation à la réhabilitation d’un quartier déshérité de Liverpool, c’est un autre professionnel socialement engagé que le jury du Pritzker prize, le plus prestigieux prix d’architecture au monde, a décidé de primer le 13 janvier 2016. A 48 ans, l’architecte chilien Alejandro Aravena, qui est le quatrième latino-américain à recevoir la récompense, tranche en effet sur les « starchitectes » précédents nommés, de Jean Nouvel à Shigeru Ban. « Alejandro Aravena a expérimenté une pratique collaborative qui produit des œuvres architecturales puissantes, mais qui embrassent les grands enjeux du vingt-et-unième siècle, a expliqué Thomas J. Pritzker lors de la remise du prix. Ses réalisations offrent des solutions économiques aux moins privilégiés, atténuent les effets des catastrophes naturelles, réduisent les consommations d’énergie, et proposent des espaces publics accueillants. Innovant et inspirant, il montre comment l’architecture la meilleure peut améliorer la vie des gens. »
"Alejandro Aravena a expérimenté une pratique collaborative qui produit des œuvres architecturales puissantes, mais qui embrassent les grands enjeux du vingt-et-unième siècle." Thomas J. Pritzker
Concepteur de bâtiments basse consommation adaptés aux contraintes climatiques locales à l’université catholique du Chili à Santiago, il est surtout depuis 2001 la tête pensante de l’agence ELEMENTAL, un « do tank » engagé notamment dans la construction, au cœur des favelas, de logements sociaux évolutifs et participatifs. Son crédo ? « La moitié d’une bonne maison vaut mieux qu’une petite maison. » « Quand le financement est insuffisant, écrivait-il en 2014 dans Réenchanter le monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions (ouvrage publié sous la direction de Marie-Hélène Contal aux éditions Alternatives), la bonne réponse n’est pas nécessairement de réduire (la taille et la qualité). Il faut reformuler le problème et penser en termes d’architecture constructive. Dans cette optique, l’auto-construction peut cesser de représenter un handicap et devenir une partie de la solution. »
Pour faire face aux contraintes financières qui grèvent l’habitat social et informel, Alejandro Aravena a conçu plus de 2 500 logements « incrémentés » : « L’habitat incrémenté doit être planifié, poursuit l’architecte. Se pliant au bon sens et à la loi du moindre effort, la forme initiale doit prévoir comment l’autoconstruction permettra à une famille d’accéder au niveau de la classe moyenne. A Elemental, nous identifions un ensemble de paramètres architecturaux qui intègrent la future expansion de l’habitat. »
"Quand le financement est insuffisant, la bonne réponse n’est pas nécessairement de réduire (la taille et la qualité). Il faut reformuler le problème et penser en termes d’architecture constructive." Alejandro Aravena
Ainsi, tandis que l’équipe architecturale intervient pour bâtir les fondations mais aussi pour informer et former les destinataires des logements sociaux (il s’agit notamment de les alerter sur les contraintes de structure et les mesures de sécurité à respecter), le soin des finitions et de l’habillage (dont dépendra la plus-value future) est confié à ces derniers. La structure des bâtiments prend en compte, dès la conception, les extensions à venir, et l'architecture mobilise volontiers le préfabriqué pour réduire les coûts et les délais de livraison. En somme, Elemental prend à sa charge la moitié de la construction, l’autre étant laissée aux soins des familles. L’avantage d’un tel mode constructif n’est pas seulement financier : il permet aussi d’éviter la standardisation de mise dans l’habitat social, en donnant aux habitants la possibilité de customiser leur logement selon leur goût, et ainsi de mieux s’y identifier.En rupture avec l’approche classique du logement informel et social, cette manière d’associer les habitants à la conception de leur environnement bâti n’est sans doute pas étrangère au fait qu’Alejandro Aravena ait été désigné comme le commissaire de la quinzième biennale d’architecture, dont l’inauguration est prévue en mai 2016 à Venise. Significativement intitulée « des nouvelles du front », celle-ci s’annonce en effet comme très politique…
Ré-enchanter le monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions, sous la direction de Marie-Hélène Contal, éditions Alternatives, 2014, 160 pages, 17 euros