Thierry Paquot : "L’urbanisation est un processus de changements culturels"

Écrit par
Stéphanie Lemoine
2016-06-27

Philosophe et "rhapsode de la revue L'Esprit des villes » comme il aime à se présenter, Thierry Paquot vient de publier Terre urbaine, Cinq défis pour le devenir urbain de la planète aux éditions La Découverte. Son ouvrage dresse l'état des lieux des multiples formes territoriales actuelles et analyse les défis urbains à relever pour le XXIe siècle. Interview d'un libre penseur de l'espace urbain.

Votre ouvrage Terre urbaine vient d'être réédité après une première publication en 2006. Quel constat, quelles réflexions ont motivé cette réédition ?

L’ouvrage n’était plus disponible, il annonce et complète, Désastres urbains. Les villes meurent aussi, publié en 2015 et tombe à pic avec Habitat III en octobre à Quito et avec « Mutations urbaines » à la Cité des Sciences, dont je suis le conseiller. Cette urbanisation liée au productivisme débute avec la « révolution industrielle » et se déploie entièrement avec la globalisation. Deux phénomènes s’imposent à la fin du XXe siècle, la préoccupation environnementale et le numérique.

"Le pire peut arriver", écrivez-vous à la fin de l'intro de Terre urbaine. De la 1ere à la 2e édition, quelle évolution du pire et du meilleur ? quel est votre pronostic ?

Le pire que je redoutais, malheureusement advient. Il s’agit de la transformation volontaire des individus en dividus, pour reprendre la formulation de Günther Anders dans L’Obsolescence de l’homme (1956, traduction française en 2002).

Urbanité, diversité, altérité sont les ingrédients indispensables pour assurer le devenir urbain du monde ? Les clés pour une ville idéale ?

Il n’existe pas d’idéal de ville, il y a diverses modalités d’urbanisation, dont ce que j’appelle « ville », caractérisée par l’entremêlement de ces trois qualités. L’urbanisation à l’œuvre s’effectue sans ville et contre les villes, comme les gated communities.

Vous faites état d'une urbanisation planétaire qualifiée de véritable révolution. Quels sont les principaux dangers qui menacent la ville aujourd’hui ? Et demain ?

Avec les mégalopoles, l’esprit de la ville ne peut se maintenir, se renouveler et s’enrichir, il est chahuté par une concentration trop importante d’habitants (des millions !) qui entrave tout processus participatif et délibératif propre à une certaine démocratie. Des enclaves résidentielles privées sont gérées par un staff et non pas administrées par un conseil élu pour un mandat.

A l'heure de la métropolisation, de la ville globale, les modèles démocratiques en place ne seraient plus adaptés. Vous dites « À chaque territoire sa forme démocratique » qu'entendez-vous par là ? Cela signifie que l'on devait pourvoir voter là où l'on vit et là où l'on travaille par exemple… ? Quelles seraient les limites de cette nouvelle citoyenneté ?

La métropolisation est bien ancienne, on ressort le mot pour la communication, il ne s’agit pas de cela, mais du contrôle des territoires par l’économie. C’est cette dépossession du politique que je dénonce et c’est pour le conforter que je suggère de nouvelles territorialités mieux adaptées aux modes de vie, comme la possibilité d’élire le maire de sa commune de résidence, celui de là où vous travaillez, celui du village où vous passez vos vacances… Il convient de favoriser le débat partout et d’associer en permanence les habitants à toutes les décisions qui les concernent.

Selon vous, cinq formes urbaines sont à l’œuvre (bidonville, mégalopole, enclave résidentielle sécurisée, la ville moyenne, la ville globale), qu'ont en commun ces multiples formes territoriales ? Pensez-vous qu'un modèle va t-il s'imposer dans les années à venir ?

Ces agencements son variés, aussi n’y a-t-il en commun que le regroupement des populations pour des motifs souvent différents. Le tourisme massifié exige des équipements qui sont semblables ici ou là. De même les campus, les centres commerciaux, les lotissements pavillonnaires, etc. se ressemblent de plus en plus, ils sont dessinés et construits par une poignée de groupes transnationaux et on y vit de la même manière. En ce sens, il y a un « modèle »… que je trouve effrayant et qu’il faut combattre !

Dans votre livre vous parlez « d'urbanisation des mœurs » ? De quoi s'agit-il ?

J’étudie « l’urbanisation des mœurs » dans Homo urbanus (1990) et veux montrer par cette formulation que l’urbanisation ne se résume pas à un pourcentage de répartition de la population selon qu’elle réside en ville ou à la campagne. Pour moi, l’urbanisation est un processus de changements culturels qui vise à homogénéiser les pratiques alimentaires, vestimentaires, sexuelles, affectives, éducationnelles, etc., selon les standards urbains. Elle participe grandement aussi à un imaginaire commun, comme en témoignent les séries télévisées.

Vous notez que le monde est en train d'achever sa transition démographique urbaine, mais pointez en même temps qu'en Europe, on assiste à ce qui pourrait être les prémices d'un exode urbain. Cet exode, qui pourrait n'être pas seulement géographique, mais aussi culturel (on parle même de "néo-paysans"), pourrait-il signer la fin de l'urbain généralisé qui est notre condition présente, ou marque-t-il au contraire sa pleine réalisation ? Avec la progression de l'écologie, des décroissants, des chantres de la simplicité volontaire, peut-on imaginer que l'urbanisation des moeurs se retourne en "ruralisation des moeurs" ?

L’exode urbain appartient à la phase actuelle de l’urbanisation et ne produit pas une « ruralisation des mœurs ». Nous sommes tous des urbains, sans pour autant être obligatoirement des citadins, c’est-à-dire des individus agissant politiquement sur leur cadre de vie. Ce qui peut advenir serait plutôt une écologisation de nos modes de vie, mais je crois au Père Noël…

Les NTIC bouleversent les mobilités. Selon vous, l'enjeu n’est plus de bouger mais de communiquer ?

Les TIC, plus si nouvelles que cela, changent principalement notre compréhension de l’espace et du temps, notre façon de les vivre et de les représenter. C’est une modification anthropologique dont on mesure mal la portée : nouvelle hiérarchisation des sens, seconde oralité, approches inédites de la distance et de la proximité, valorisation de no man’s time (l’attente, l’ennui, la sieste…), etc. C’est tout une autre univers mental qui s’ouvre à nous.

Vous préférez le terme d’« écologie existentielle » qui semble plus pertinente que le terme de développement durable ou politique environnementale pour penser, « ménager » les territoires. Que recouvre cette notion ? En quoi vous semble t-elle plus adaptée ?

La question environnementale est fondamentale, elle nous oblige à envisager autrement nos relations avec le monde vivant et entre humains, aussi faut-il développer une écologie temporelle (qui prenne en compte la chronobiologie de chacun et les harmonisations des temps sociaux et personnels), une écologie des langues (nous habitons avant tout notre langue), une écologie des territoires (l’être humain se révèle topophile), etc. Cet ensemble, je le désigne par « écologie existentielle », afin de souligner son importance philosophique et pas seulement sa dimension « défense et protection de la nature »…

Quelles différences avec l' urbanisme décent dont vous faîtes également mention ? A quelles conditions l'évitement de la catastrophe écologique en cours est-il compatible avec l'urbain généralisé ?

L’urbanisme est le moment occident de l’urbanisation productiviste, il se révèle agressif, imposé, dominateur et parfois anxiogène. Il ne peut aucunement devenir « décent » comme je l’espérais, il repose sur la spéculation foncière et la rationalisation territoriales des fonctions, il faut rompre avec lui et expérimenter de nouvelles manières de fabriquer la demeure des humains plus soucieuses de ménager (c’est-à-dire « prendre soin ») des gens, des lieux et des choses.

L'intervalle qui sépare la parution de Terre urbaine de sa réédition a vu s'imposer le paradigme, assez flou, de « ville durable ». Quel regard portez vous sur ses différentes déclinaisons, de la ville nature à la smart city ? Que peut-on en attendre ?

Il y a des « villes » qui ont trop duré, comme Dubai ! Je plaisante, mais cette notion de « ville durable » n’a aucun sens, du moins, je ne la comprends pas. La smart city appartient à la mode, d’ici peu on aura oublié cette formule remplacée par une autre comme data city ou écopolis, qui disparaitront également…

Pour en savoir plus :

Thierry Paquot, Terre urbaine, cinq défis pour le devenir urbain de la planète, éditions La découverte, 228 pages, 21 €

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« Nous réinstaurons de la nature dans les lieux les plus contre-nature qui soient » : entretien avec Nadia Herbreteau, présidente de l'agence de paysage Ilex

D’architecte, comment devient-on paysagiste ? Et comment le paysage, son temps long, son caractère imprévisible, sa qualité d’espace innerve-t-il en retour la pratique architecturale ? Telles sont les premières questions posées à Nadia Herbreteau, architecte et urbaniste, présidente de l’agence de paysage et d’urbanisme Ilex.

Formée à l’architecture et à la maîtrise d’œuvre urbaine dans le contexte de Saint-Nazaire, ville en mutation après le déclin de ses chantiers navals, puis dans une agence particulièrement active dans les quartiers prioritaires transformés par l’ANRU, c’est par goût pour l’espace public, la réappropriation par les habitants de leur cadre de vie et de ses usages qu’elle a rejoint, d’évidence, une agence de paysagistes, Ilex, il y a plus de vingt ans.

Après un tel début de parcours, pourquoi des paysagistes ?

Parce que ce sont eux qui ont la main sur les questions d’espace public. Je suis attachée à la notion de communs, qui forment le préalable à la structure sociale, foncière et architecturale d’un projet. À une époque, il y a vingt ans, où les projets urbains étaient davantage pensés par le plein que par le vide, le travail des paysagistes m’a inspirée.

Ilex est aujourd’hui une agence lyonnaise de trente personnes. Comment choisissez-vous les projets auxquels vous répondez ?

Ce ne sont désormais plus que des projets d’espace public au sein desquels le végétal est central. Et pour neuf projets sur dix, de la réhabilitation, le plus souvent d’anciens espaces dévolus à la voiture qu’il faut reconquérir. Car la marge de manœuvre aujourd’hui de l’espace public, c’est la place accordée à la voiture. Mais ce qui était un vrai combat il y a encore quelques années – moins de voitures, plus de nature en ville, une meilleure gestion de l’eau, moins d’infrastructures routières et des commandes moins technocratiques – devient aujourd’hui la nécessité, rattrapés que nous sommes par le dérèglement climatique et la demande sociale. Il est plus facile désormais de proposer ces projets, souvent portés par des exécutifs socialo-écologistes. Ça nous permet d’aller plus loin. Par exemple, de défendre une vision non académique et non dessinée de l’espace urbain, davantage fait de motifs juxtaposés que de grandes compositions. En tant que Lyonnais, nous pratiquons la ville. Nous ne sommes pas déconnectés comme certains architectes qui construisent ailleurs, là où ils ne vivront jamais. Pour chaque projet, nous nous demandons si nous souhaiterions vivre et nous projeter dans l’endroit que nous fabriquons.

"La marge de manœuvre aujourd’hui de l’espace public, c’est la place accordée à la voiture. Mais ce qui était un vrai combat il y a encore quelques années (...) devient aujourd’hui la nécessité."

Pour investir davantage l’espace public en végétation, en paysages, en parcs, dans des projets où la valeur foncière est une pression, notre premier combat est de démontrer que la commande initiale ne repose pas sur une bonne équation économique. Souvent la commande est mal posée : le périmètre n’est pas adapté, très sectorisé, faisant fi de l’existant autour ; elle s’appuie sur des études qui ont parfois vingt ans et ont donc imaginé des espaces publics aujourd’hui caducs. Tout le monde revendique une expertise sur l’espace public. Parfois, nous avons 40 pages de remarques pour un projet, toutes contradictoires. Il faudrait donc trouver un compromis qui satisfasse tout le monde. Mais aujourd’hui, plutôt que de faire un projet qui satisfasse une somme d’intérêts particuliers, je préfère porter un projet sans compromis et qui relève de l’intérêt général. Paradoxalement, le manque d’argent public nous aide. Végétaliser revient moins cher que goudronner ; il est moins coûteux d’utiliser l’existant que de faire une grande composition ; plus facile de faire avec les contraintes que de s’imposer à elles.

Un projet illustre bien ces propos : celui du Delta vert à Nanterre. Au sein de ce projet paysager d’une dizaine d’hectares se trouve le Champ de la Garde, une friche de quatre hectares sur le toit de l’autoroute A14, aux franges de l’Université Paris-Nanterre, dernier espace non construit sur les terrasses qui courent de la Défense à la Seine. Depuis 2008, l’équipe de la Ferme du bonheur – installée depuis trente ans à proximité du terrain – prend soin, nettoie, cultive et aménage cet impensé de l’urbanisme en y menant une grande variété d’actions écologiques, culturelles et sociales. Comment s’insérer dans un projet aux démarches agro-écologiques et collaboratives affirmées ?

Le projet du Delta vert illustre bien la réalité actuelle : nous réinstaurons de la nature sur les lieux les plus contre-nature qui soient. On nous a filé les pires morceaux, ceux dont personne n’a voulu parce qu’ils n’ont pas de valeur foncière. À Nanterre, le Champ de la Garde est un délaissé pollué, toiture d’une autoroute, encastré entre une voie de chemin de fer et des barres de logements. Sa valeur foncière est nulle, voire négative, et notre rôle est de lui redonner une valeur autre, écologique, paysagère. Depuis quinze ans, la Ferme du bonheur a redonné vie à ce sol et à cet espace, comme un paysan qui redonne un substrat fertile à un mauvais sol. Les pratiques vernaculaires mises en place sur ce terrain, c’est ce que nous aimerions faire dans les espaces que nous aménageons. Cette façon de ménager l’espace avec le temps, le déjà-là, de jour en jour, en bricolant de manière paysanne, confère à ce lieu une âme alors qu’il semble, au milieu des infrastructures voisines, contre-nature.

"Le contexte de disette actuelle nous permet de faire mieux en faisant moins."

La première étape a été de retourner la commande de Paris La Défense. L’aménageur du terrain souhaitait poursuivre ici son travail entamé sur les terrasses qui partent de la Grande Arche, à savoir construire sur cette zone de pleine terre et créer des parcs sur des zones déjà imperméabilisées. Nous avons passé du temps à reformuler la commande, à l’expertiser sous l’angle du bon sens et du moins coûteux. Aménager coûte cher, donc là encore le contexte de disette actuelle nous permet de faire mieux en faisant moins. La clé sera à l’avenir dans le financement des paysagistes et des architectes [rémunérés aujourd’hui au prorata du montant total des travaux engagés, ce qui incite évidemment à construire, ndlr]. À partir de là, nous essayons de faire parc, de faire jardin.

La corniche des forts à Romainville - Crédit : Karolina Samborska

Un autre de vos projets emblématiques est le parc de la corniche des forts à Romainville, une forêt à travers laquelle le promeneur chemine en hauteur sur une passerelle…

Là encore, la longueur des procédures a rendu la commande de ce projet caduque puisqu’il s’agissait, au départ, de construire une plaine de loisirs. Or, le terrain en gypse est fragile et troué comme du gruyère. Il ne pouvait pas soutenir de gros équipements. Nous avons donc simplifié les choses au maximum en laissant cet espace dans son jus, en le renaturalisant de fait et en y donnant un accès visuel. La passerelle est hors-sol mais bien fondée à plusieurs mètres. De telle sorte que le promeneur n’a accès qu’à 10% de l’espace mais peut l’appréhender visuellement dans son entier. C’est un retournement : auparavant, les parcs requéraient un accès total à travers de grandes pelouses. Il y a toujours une tension dans le paysage entre sacraliser des espaces rendus inaccessibles et y donner accès.

"Il y a toujours une tension dans le paysage entre sacraliser des espaces rendus inaccessibles et y donner accès."

À Romainville, en Seine-Saint-Denis, la pression d’usage était forte puisque la population manque d’espaces verts. Il fallait éviter de la frustrer. Nous avons donc trouvé cette alternative de la passerelle : mettre en réserve l’espace sans donner l’impression de le clôturer. Pareil pour le site de Nanterre, dont une partie sera peut-être dévolue à la culture, donc inaccessible pour beaucoup de promeneurs, tout en leur donnant le sentiment qu’il leur appartient. Au fond, il s’agit d’appliquer au paysage la démarche déjà en vigueur pour les grands sites de France, comme la pointe du Raz ou le Mont-Saint-Michel. Il y a vingt ans, on pouvait se garer devant et avoir accès à tous les espaces. Aujourd’hui, le parking a reculé, les cheminements qui permettent de rejoindre les sites sont pensés pour que la flore reprenne sa place et cet accès par une marche rallongée renforce l’expérience de ces lieux, dont la fréquentation ne diminue pas, bien au contraire.

A Venise, la biennale d'architecture mise sur l'adaptation

En sondant la manière dont diverses formes d’“intelligences” peuvent venir au chevet du climat, Carlo Ratti, commissaire général de la 19e Biennale d’architecture de Venise, signe une édition spectaculaire, mais pleine d’ambivalences…

Une Biennale d’architecture placée sous le signe de l’intelligence ? Vu la trajectoire de son commissaire Carlo Ratti, il n’y a là rien qui doive surprendre. L’ingénieur et architecte italien est en effet à la tête du MIT Senseable City Lab, dont le crédo est de développer et mettre en œuvre divers outils et applications numériques permettant aux citadins de mieux interagir avec leur environnement. 

Le thème de la 19e édition de la Biennale de Venise ne se réduit pas pour autant à mesurer l’apport de l’intelligence artificielle dans le pilotage et la gestion des villes. En accordant le terme au pluriel, il s’agit plus largement de voir comment trois approches différentes - la première fondée sur la nature, la deuxième sur les technologies, la troisième sur l’humain et le collectif - peuvent se conjuguer pour répondre à un défi majeur : le dérèglement climatique. 

Des solutions de toutes natures

Dans la Corderie de l'Arsenal qui accueille pour cette édition l’exposition principale, l’enjeu est posé dès l’entrée. Plongés dans le noir, une série de climatiseurs y saturent l’air d’une chaleur étouffante. Il faut passer dans la salle suivante pour renouer avec la fraîcheur du bâtiment et découvrir un ensemble de “solutions” fondées sur la “nature” : végétaux, minéraux, mais aussi culture de micro-organismes…

Dans le pavillon du Canada, le projet Picoplanktonics mise sur la culture de plancton pour créer une architecture durable et résiliente


La salle suivante tranche avec la douceur de cette première section, où les matériaux les plus vernaculaires (briques, pierre, chaume, corde…) composent une série d’abris spectaculaires (arches, tentes, etc.) : on y aborde l’apport des nouvelles technologies au pilotage des villes via un ensemble de projets comme celui de Sidewalk Labs, chantre de la smart city imaginé pour la ville de Toronto, et abandonné.

Am I a strange loop ? de Takashi Ikegami et Luc Steels dans la section "Artificial" de l'exposition à l'Arsenal

Il y est aussi possible d’y converser avec un robot humanoïde conçu par Takashi Ikegami et Luc Steels  (Am I a strange loop ?), qui semble à l’opposé de l’idée développée dans la salle suivante, selon laquelle c’est la discussion, le débat, l’agir politique qui sauveront le monde. Dans cette section, domine l’impressionnante agora en bois (le speaker’s corner) conçue par Christopher Hawthorne, Johnson Marklee et Florencia Rodriguez. S’y dégage l’idée générale que l’architecture et l’aménagement sont une forme de ménagement, une culture du soin et de l’attention. 

A la corderie de l'Arsenal, une installation faite de climatiseurs plonge l'entrée de l'exposition dans une chaleur étouffante

S’adapter ou trouver une planète B ? 

Fruit d’une consultation mondiale, “space for ideas”, qui a permis d’ouvrir la Biennale à environ 750 participants et de souligner la diversité des approches de l’architecture, cette 19e édition pose question pour plusieurs raisons. A parcourir les divers pavillons situés dans les Giardini, on comprend que le discours global en matière de dérèglement climatique a définitivement tourné une page : celle de l’atténuation. Malgré la gravité des constats opérés ici et là, dont le pavillon du Chili, qui souligne de manière spectaculaire l’impact des data centers, il s’agit désormais de s’adapter. C’est notamment le discours à l'œuvre dans l'espace d’exposition aménagé par l’agence Jacob & McFarlane devant le pavillon français, fermé pour rénovation : intitulée “vivre avec”, leur proposition tourne au catalogue de projets séduisants, mais dont on devine d’emblée l’insuffisance. 

Le pavillon français conçu par l'agence Jacob & McFarlane invite à "Vivre avec"


Carlo Ratti semble lui-même douter de la capacité de l’architecture à faire face à l'immense défi de l’adaptation. C’est en tous cas ce que suggère la dernière salle de l’exposition dont il signe le commissariat à l’Arsenal. Il n’y est plus question d’intelligence naturelle, artificielle ou collective, mais bien de survie en milieu hostile. Dans l’obscurité, diverses tentes, combinaisons, dispositifs émergent, et dévoilent autant d’outils et de moyens de s’implanter dans l’espace. Façon de suggérer que si, il y a bien une planète B ? Ou plutôt de pointer l’urgence d’agir pour éviter la fuite dans l’espace ?  Quoi qu’il en soit, l’ensemble fait froid dans le dos, et tempère sérieusement l’optimisme et la séduction des projets présentés par ailleurs.

Dans la dernière salle de l’Arsenal, un abri pour survivre dans l’espace
SPACESUITS US: A CASE FOR ULTRA THIN ADJUSTMENTS d’Emily Ezquerro, Jerónimo Ezquerro, Charles Kim, Stephanie Rae Lloyd, Emma Sheffer et Sam Sheffer

Infos pratiques

19e biennale d'architecture de Venise - du 10 mai au 23 novembre 2025

L’exposition se déroule dans deux lieux différents (à 10 minutes à pied l’un de l’autre). Les horaires d’ouverture sont valables pour les deux lieux de visite.

Giardini : Viale Trento 1260 und Sant’Elena (Viale IV Novembre)

Arsenal : Campo della Tana 2169/F et Ponte dei Pensieri (Salizada Streta)

Horaires : 11h-19h

A la Biennale d'architecture de Venise, une journée d'études pour sonder l'intelligence des villes

À l’occasion de la 19ème édition de la Biennale d’architecture de Venise qui se tient jusqu’en novembre 2025 sur le thème des “Intelligences”, naturelle, artificielle et collective”, une journée d’études était organisée le samedi 24 mai.

Son ambition :  réunir des experts de différentes disciplines pour réfléchir à la fabrique des villes face aux bouleversements contemporains.

Cet événement a été organisé, dans le lieu historique de la Biennale, par six acteurs de référence de la fabrique et la recherche urbaine à l’initiative de Jean-Louis Missika, ancien adjoint au maire de Paris chargé de l'urbanisme, de l'architecture, des projets du Grand Paris avec l’agence PCA-STREAM, la Saemes, le Pavillon de l’Arsenal, la Chaire Ville Métabolisme et Ecofaubourgs. Le séminaire, construit autour de 5 tables-rondes, s'est conclu par la restitution de deux hackathons, explorant l’évolution des paradigmes urbains et les défis des villes face aux enjeux actuels. Le changement climatique, le poids des technologies dans le modèle de la Smart City, la connectivité entre les zones urbaines, périurbaines et rurales et la ségrégation spatiale opérant sur certains territoires de fortes disparités entre les populations, bousculent la façon de penser et de construire la ville. En rebond de la thématique de la Biennale sur les Intelligences, c’est la question de l’intelligence des villes, et en particulier des petites villes, qui a été questionnée par les intervenants présents (sociologues, urbanistes, architectes, ingénieurs, journalistes) pour tenter de comprendre comment les villes peuvent aujourd’hui s’adapter face à ces évolutions.

La place des espaces invisibles de la ville et des sous-sols

Une première table-ronde, animée par Jean-Louis Missika, ancien élu à l’urbanisme à la Ville de Paris et co-organisateur de la journée, a interrogé la place des espaces invisibles de la ville et des sous-sols en mettant en exergue le cas de la Défense. 

Parmi les spécialistes présents, Adrien Larcade, directeur de projet sur le quartier d’affaires chargé du développement immobilier et du projet Cathédrale de Paris La Défense, a répondu à nos questions.

Le verdissement de la ville

Comment relever les défis du verdissement de la ville ? Quelles solutions apparaissent aujourd’hui comme pertinentes face aux enjeux climatiques ? Voici quelques-unes des questions auxquelles ont voulu répondre les experts de la deuxième table-ronde, parmi lesquels l’architecte et paysagiste belge Bas Smets. Dans cette vidéo, il nous parle de son approche de l'architecture du paysage pour répondre aux défis climatiques de nos environnements urbains. Il présente aussi l’exposition Building Biospheres au sein du pavillon belge de la Biennale d’architecture de Venise, en parallèle de l’exposition Changer les climats à Bap ! à Versailles.

Dans cette interview, Philippe Chiambaretta, architecte, fondateur et directeur de l’agence PCA et animateur de cette table-ronde, évoque la place de la végétalisation des villes et la régénération des zones rurales, le cas d’étude de la Défense, la chaire « Ville-Métabolisme » et plus largement l’avenir des villes.

Les friches et les petites villes

Après une table-ronde qui a abordé la notion du pilotage d’un système de vidéo surveillance de manière démocratique par l’IA, le sujet des friches et des petites villes a rassemblé différents intervenants de la fabrique de la ville dont Alexandre Born, cofondateur et directeur général de la foncière immobilière solidaire Bellevilles.

Mobilité, immobilité : quel avenir pour les habitants des petites villes ?

La dernière table-ronde intitulée Mobilité, immobilité : quel avenir pour les habitants des petites villes ? a réuni, aux côtés de la sociologue Yaëlle Amsellem Mainguy et de Laurent Eisenman, directeur du programme Nouveaux usages et services ruraux de la SNCF, l’architecte Léa Deveaux, co-fondatrice du Studio d’écoutes rurales. Elle évoque ici la méthodologie développée au sein de son agence et revient sur le cas d'étude mené avec son équipe dans la petite ville de Brou dans la Beauce.


Les hackatons

Parallèlement à ces échanges, deux hackathons étaient organisés en direct. Ils regroupaient des étudiants en architecture, urbanisme, histoire de l’art, archéologie et design, pour développer et présenter des solutions innovantes sur deux cas pratiques. Le premier visait à explorer et réinventer les volumes sous la dalle de La Défense et le second à favoriser l’appropriation des espaces communs par les usagers de La Cité Bahut, un programme immobilier en rénovation porté par les Ecofaubourgs dans une petite ville en zone rurale. Le projet situé à Semur-en-Auxois a été particulièrement apprécié par son maître d’ouvrage, Vidal Benchimol.

« Les étudiants ont travaillé sur les usages que l’on pouvait faire en termes de réemploi du matériel dont nous disposons à la Cité Bahut (matériel scolaire, dortoirs de l’ancien pensionnat). Plusieurs idées ont émergé et vont nous amener à revoir une partie du projet initial. Ces propositions, ainsi que celles de La Défense devraient donner lieu à une exposition sur le site prochainement »

La clôture du séminaire a donné la parole aux étudiants pour les présentations finales des projets. Eléonore Houssard et Térence Fournié nous ont partagé leur expérience.