
Parce qu’elle concentre commerces, bureaux, administrations, espaces publics et habitat, la ville est par excellence le lieu de la rencontre, de la « force des liens faibles ». Pourtant, cette « ville relationnelle » est très largement sous-estimée par les décideurs politiques. C’est en tout cas ce que notent Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin dans un ouvrage du même nom aux éditions Apogée (2024). « Aujourd’hui encore, les villes consacrent l’essentiel de leurs ressources financières et humaines à se maintenir en fonctionnement aussi régulier que possible », posent dès l’introduction ces trois spécialistes de l’urbain. Quant à cette ville des liens, elle « reste encore trop souvent dans l’angle mort des politiques publiques. »
Cette négligence se marque spatialement : « la ville relationnelle représente à peine 10 à 20% des mètres carrés qui composent les villes européennes, tandis que la ville fonctionnelle en accapare encore les 80 à 90% restants. » Il faut dire que la ville des liens semble fonctionner d’elle-même, contrairement à la gestion des flux ou l’entretien des réseaux, bref à tout ce métabolisme urbain complexe qu’il faut administrer. Son "aménagement" requiert aussi des approches différentes, qui empruntent à l’urbanisme tactique, au design thinking ou à l’art dans l’espace public. Enfin, elle suppose une bonne dose d’expérimentation - une approche peu compatible avec la planification urbaine.
« La ville relationnelle représente à peine 10 à 20% des mètres carrés qui composent les villes européennes, tandis que la ville fonctionnelle en accapare encore les 80 à 90% restants. »
La ville relationnelle a été écrit tout exprès pour inciter le monde de la fabrique urbaine à mieux saisir l’enjeu et le décliner dans les politiques publiques. Même si l’ouvrage est riche en chiffres et en exemples, il se veut moins un état des lieux qu’un programme à mettre en œuvre. Il s’adresse d’ailleurs explicitement à un public opérationnel - élus surtout, mais aussi aménageurs ou promoteurs. Pour mieux les convaincre, Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin ont opté pour l’écart avec les attendus de tout manuel d’urbanisme. Leur texte est ponctué de récits d’expériences concrètes et quotidiennes de relations, où la part du vrai et de la fiction est bien difficile à démêler. Il est également rythmé par les illustrations de Lisa Subileau, qui offrent autant d’instantanés de la ville relationnelle.
Cette approche originale permet de « donner corps » au programme décliné dans l’ouvrage en 7 figures. Les voici présentées succinctement :
Bien sûr, ces diverses modalités de la ville relationnelle sont non-exclusives et poreuses. « Il ne s’agit pas de dire que les 7 figures doivent être mises en oeuvre simultanément au cours d’une seule et même mandature, peut-on lire dans l’ouvrage. Les collectivités peuvent plus raisonnablement se donner pour objectif de réussir à matérialiser de façon incrémentale deux à trois de ces figures de ville par mandature. »
D’après Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin, il est en tous cas urgent d’accélérer la « transition comportementale. » Selon eux, celle-ci se conjugue en effet à d’autres transitions et peut en déterminer le succès. « La décarbonation ne pourra se faire que dans une ville devenue relationnelle, expliquent-ils, une ville où primeront les dynamiques de proximité, les sociabilités - fortes ou faibles - et une relation au vivant qui sera tout autre que celle que nous connaissons aujourd’hui. »
D’ailleurs, l’enjeu est tel pour les auteurs du livre qu’ils ont conçu La ville relationnelle comme une entrée en matière, un genre de préambule. L’ouvrage est le premier opus d’une collection de quatre livres qui exploreront divers versants des interactions urbaines et décriront les leviers et dispositifs susceptibles de les favoriser. À suivre, donc.
La Ville relationnelle, les sept figures, de Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin, Paris, éditions Apogée, 2024. 200 pages, 15 euros.
A l’entrée, un cartel prévient : « cette exposition ne donnera pas de solution immédiate à votre problème de chauffage. Elle ne vous guidera pas dans votre choix d’un logement, neuf ou ancien. »
On pourrait ajouter qu’elle ne dresse pas davantage le catalogue des innovations contemporaines en matière de logement intelligent ultra connecté. « Habiter demain » à la Cité des sciences et de l’Industrie se distingue en effet résolument de la Maison du futur à Vilvorde (Belgique) et de son côté high tech : la part consacrée aux objets intelligents (compteurs électriques, meubles « cradle to cradle », etc.) y est résiduelle, et se borne à une seule salle où l’intégration des technologies dans nos espaces de vie se dessine comme simple hypothèse. De fait, l’enjeu est tout autre : « point[er] les paradoxes de nos modes de vie, livr[er] des pistes utiles, nous révèle[er] le lien intime qui unit l’habitat à la société. »
Au gré d’une scénographie en colimaçon (en écho à l’affiche, qui érigeait l’escargot en emblème de l’habitat), l’exposition déroule sur 600 m2 un ensemble de thématiques consubstantielles à la question du logement contemporain. Première d’entre elles : la santé. Au moyen de films, de panneaux, mais aussi via un bouquet d’odeurs (de cuisine, d’encens, de moisissures) propre à hystériser les enfants, sont ainsi évoqués le bruit et la piètre qualité de l’air intérieur de nos logements. L’accrochage aborde aussi le thème des matériaux, ou celui des standards et normes dans l’habitat, qui offre de mieux cerner la notion de logement décent et ses contours arbitraires (en France, il doit avoir une surface minimale de 9 m² pour 2,2m de hauteur sous plafond).
Mais c’est évidemment à la question énergétique que l’exposition fait la part belle. Production d’énergie renouvelable en circuit court, réduction des consommations et rénovation thermique des logements sont ainsi abordées de manière complète et ludique : un jeu interactif permet de réaliser un projet de construction participative, une simulation nous montre que toute rénovation est un compromis entre performances, durabilité et coûts, un dispositif nous permet de produire de l’énergie en pédalant, etc. Enfin, l’exposition se clôt sur une salle dédiée au vivre ensemble, où se dessine l’image d’une ville en réseau, où se posent aussi de manière accrue les questions de la solidarité et du partage…
Avouons-le : le professionnel de la construction et le lecteur assidu de Midi onze rompu aux thèmes de la construction et de l’habitat on n’apprendront pas grand-chose en visitant « Habiter demain ». Tout au plus y piochera-t-on quelques noms de produits et de matériaux. Mais à ceux qui ne savent pas grand-chose des problématiques contemporaines en matière de logement (notamment les enfants), l’exposition offre une introduction complète, ludique et pédagogique. A voir en famille, donc, ou avec la classe, pour réfléchir aux modalités d’un habitat plus sain, équitable et durable.
Habiter demain, ré-inventons nos lieux de vie. Du 4 décembre 2012 au 10 novembre 2013
Cité des sciences et de l'industrie
30 avenue Corentin Cariou, Paris 19e
Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h et le dimanche de 10h à 19h
Plein tarif : 8 €Tarif réduit : 6€
Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde, éditions ULMER, 2012, 288 pages.
Troisième ville de Suède, Malmö est sortie de la crise industrielle grâce au développement durable. Dans les écoquartiers de Bo01 à Vasträ Hamnen et Augustenborg, la ville conjugue prouesse architecturale, participation locale et respect de l'environnement...
C’est le prototype de logement « Parasite Prefab » de Lara Calder qui suggère de prendre possession des piles d’un pont, la Rucksack House de Stefan Eberstadt (Maison sac à dos), l'installation « Quartiers d'été » du collectif Cabanon Vertical, qui propose des extensions sur les façades, ou encore le projet « Ermitage » du collectif polonais "Centrala",qui vise à aménager une résidence d’artiste dans une dent creuse large de… 122 cms.
Selon l’architecte Stéphane Malka, ces espaces portent en eux une véritable identité : « Les porosités ne sont pas des non lieux mais de vrais espaces dépourvus de fonctionnalités. Il faut transcender l'âme du lieu en leur trouvant un nouvel usage ». Ses études sur les porosités urbaines vont de la galerie Bunker (2009) qu'il greffe sous la station du métro Barbès à des échafaudages en guise de jardins (Bio-Box, 2006) ou au projet manifeste « Auto-Défense (2009) », qui propose d'installer des modules d'habitations dans l'Arche dans un esprit de « guérilla architecturale ».
"Les porosités ne sont pas des non lieux mais de vrais espaces dépourvus de fonctionnalités. Il faut transcender l'âme du lieu en leur trouvant un nouvel usage." Stéphane Malka, architecte
Investir ces lieux « alternatifs » n'est pas une excentricité de l'architecture contemporaine. Déjà en 1965, quelques architectes soulignaient le danger de l'explosion démographique et imaginaient un volet de solutions, dont la plupart sont restées au stade de l'utopie. Parmi eux, Yona Friedman, membre du GIPA (Groupe international d'architecture prospective) : construite en suspension à partir de modules attachés à une ossature surélevée de plusieurs mètres, sa Ville Spatiale propose rien moins que de superposer une ville à la ville. A la même époque, les utopistes d’Archigram ont également alimenté la réflexion sur la densité urbaine avec le projet « Instant City », qui mettait en avant l'idée d'une ville nomade et aérienne dans laquelle des structures gonflages créent une architecture de l'instantané. Favoriser la prothèse plutôt que la transformation radicale a aussi nourri l'architecte prospectif jean-Louis Chanéac qui a imaginé des cellules parasites à poser sur les façades des grands ensembles pour agrandir les appartements, reflet de ses convictions sur la modularité et l'accès à l'habitat pour le plus grand nombre.
"Le fait de reconstruire sur la ville déjà existante tempère les prix et permet surtout d'augmenter l'offre." Stéphane Malka
Le monde de l'Art n'est pas en reste. L'artiste japonais Tadashi Kawamata, dont les cabanes réalisées à partir de matériaux de récupération ont orné la façade du Centre Pompidou en 2010, s'intéresse à ces zones intermédiaires qui subsistent dans l’espace urbain. C’est aussi le cas d’Alain Bublex : reprenant les idées d'Archigram, le plasticien français imagine « Plug-in City », soit des unités mobiles d'habitations à poser sur des structures déjà existantes.
Pour Stéphane Malka, les délaissés urbains comportent de nombreux avantages. Premier d’entre eux : contourner un prix du foncier particulièrement élevé dans les grandes métropoles. « Le fait de reconstruire sur la ville déjà existante tempère les prix et permet surtout d'augmenter l'offre. De plus, cela permet de créer des surprises et génère de la spontanéité », estime l’architecte, ajoutant que « cela permet de faire des économies liées aux destructions et au recyclage des déchets de chantier ». Pourtant, un tel positionnement se heurte encore aux réticences de ceux qui veulent préserver le patrimoine en l'état. « Les seules limites aujourd'hui sont les règlementations, qui restent rigides. C’est le cas de mon projet « Bio-Box » (installer des terrasses en façades) qui n’a pas reçu aujourd'hui d’ autorisation, alors qu’il permettrait au Parisiens de disposer d'une terrasse pour quelques centaines d'euros » .