La ville à l’heure du changement.
Julie Pommier et Iana Vicq : « La géographie de l’invisible, c’est une géographie de la précarité. »

Julie Pommier et Iana Vicq, architectes associées d’Augure Studio, publient une étude sur la situation des coursiers à Paris. Objectif : proposer des dispositifs urbains et architecturaux inclusifs en partenariat avec l’association CoopCycle dans le cadre de l’appel à projets FAIRE 2023 du Pavillon de l’Arsenal. Entretien. 

Ce sont en grande majorité des hommes, précaires et d’origine étrangère. Ils arpentent les rues des grandes villes à vélo pour livrer à domicile les repas préparés par les restaurants référencés sur des plateformes de la FoodTech, Uber Eats et Deliveroo en tête. Leurs journées de travail sont rythmées par l’attente des commandes et leur livraison. Entre deux courses, ils se regroupent discrètement entre livreurs d’une même communauté. 

Dans le cadre de l’appel à projets FAIRE du Pavillon de l’Arsenal, Julie Pommier et Iana Vicq ont consacré une étude à leur manière d’occuper l’espace public. Entre travail de terrain, recherche documentaire et analyse cartographique, celle-ci de révèle une « géographie de l’invisible », à la fois algorithmique et sociale, marquée par l’absence d’infrastructures adaptées aux besoins fondamentaux des livreurs Proposant plusieurs solutions pour améliorer leurs conditions de travail dans l’espace public, elle se présente comme un outil de sensibilisation et de réflexion à destination des pouvoirs publics, des acteurs de la ville et des citoyens.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce sujet ?

Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets FAIRE, porté par le Pavillon de l’Arsenal en 2023. Depuis la création de l’agence, nous avions envie de développer une pratique réflexive, qui ne soit pas uniquement centrée sur la maîtrise d’œuvre, mais qui ouvre le champ de notre pratique. Cette année-là, il y avait quatre thèmes, dont un sur la question des espaces publics inclusifs. Nous avons répondu avec un sujet portant sur les livreurs des plateformes numériques. Cela venait aussi d’un constat, à la suite du Covid-19, d’une forte augmentation de leur présence dans l’espace public, y compris à proximité de nos propres lieux de vie.

C’était une réflexion que vous aviez déjà engagée avant l’appel à projets ?

Ce n’était pas un engagement formel, mais plutôt une réflexion issue d’un constat de société. Le thème de l’appel à projets a fait croiser cette réflexion, et nous a décidés à nous lancer. Par ailleurs, nous nous déplaçons beaucoup à vélo, donc nous les croisons très souvent.

Des livreurs en attente de commande. Crédit : Augure Studio

Pouvez-vous présenter plus précisément votre étude et la manière dont vous avez travaillé ?

Nous avons répondu à l’appel à projets en collaboration avec Circé Lienart de l’association CoopCycle qui gère la Maison des coursiers, partenaire de l’étude. Il nous semblait essentiel d’avoir un lien direct avec le terrain et avec les livreurs. Nous avons commencé par un état des lieux qui a duré presque un an. Nous avons mis en place un protocole de collecte de données pour appréhender le sujet. Cela a commencé par la création d’un questionnaire en ligne, traduit en six langues : français, anglais, arabe, hindi, pachto et bengali, afin de toucher un maximum de communautés. Les traductions ont été réalisées avec l’aide des coursiers fréquentant la Maison des coursiers. Le questionnaire a été testé sur place, afin d’affiner les questions et de recueillir des retours, notamment sur la question de l’attente, qui nous intéressait particulièrement. À partir des résultats du questionnaire, nous avons identifié des points de concentration. Nous avons ensuite mené un travail d’arpentage avec CoopCycle, consistant à parcourir les quartiers et à aller à la rencontre des livreurs sur leurs lieux d’attente.

En parallèle, nous avons mené une recherche documentaire en nous intéressant aux laboratoires de recherche spécialistes de ces questions, aux ouvrages et articles existants, et nous avons réalisé de nombreux entretiens avec des chercheurs et des acteurs liés à la mobilité et à la logistique urbaine. Ensuite, nous avons souhaité retranscrire ce travail de manière plus sensible. Nous avons fait appel au photographe Arthur Crestani, avec qui nous avons refait cet arpentage. Il est allé à la rencontre des livreurs et leur a demandé leur accord pour être photographiés.

Nous savions que l’objectif était d’améliorer la situation et le confort de ces travailleurs, mais nous ne savions pas quelle forme prendrait la réponse.

De notre côté, nous avons mobilisé nos outils d’architectes, notamment à travers un travail cartographique : repérage des lieux d’attente, incidence des algorithmes sur l’espace, implantation des équipements existants dans l’espace public. Cela a constitué une base pour la suite du travail, même si nous n’avions pas, au départ, de vision précise du résultat final.

Vous aviez donc un objectif, mais pas de réponse prédéfinie ?

Exactement. Nous savions que l’objectif était d’améliorer la situation et le confort de ces travailleurs, mais nous ne savions pas quelle forme prendrait la réponse. Ce n’est pas notre cœur de métier habituel.

Les zones d'attente des livreurs. Crédit : Augure studio

Qu’avez-vous appris sur les formes d’occupation de l’espace public par les livreurs ?

La question centrale était : où attendent-ils et pourquoi ici ? La réponse est clairement liée à l’algorithme des plateformes. Les livreurs attendent au plus près des zones où ils sont susceptibles de recevoir des commandes. Grâce à une capture d’écran de l’application d’un livreur, nous avons compris qu’ils voient en temps réel des zones de forte demande.

Ils choisissent donc leurs lieux d’attente en fonction de ces zones. Concernant les espaces publics, il n’existe pas de typologie unique, mais ils se placent généralement en retrait, à la limite de la visibilité. Il s’agit aussi de ne pas être dérangés et de ne pas déranger. Ils se regroupent par communauté, ce qui crée des formes de solidarité et d’entraide pendant les temps d’attente. Cela se manifeste par des échanges de services : aide pour réparer un vélo, recharger une batterie, ou même des repas apportés par des personnes de la même communauté. Ces regroupements se font souvent dans des espaces périphériques : sous des arbres, sur des contre-allées, près des arceaux de vélos, des places de stationnement, et non dans des espaces publics centraux et très fréquentés.

La question centrale était : où attendent-ils et pourquoi ici ? La réponse est clairement liée à l’algorithme des plateformes. Les livreurs attendent au plus près des zones où ils sont susceptibles de recevoir des commandes. Grâce à une capture d’écran de l’application d’un livreur, nous avons compris qu’ils voient en temps réel des zones de forte demande.

Comment cela se traduit-il à l’échelle du territoire ?

Cela se manifeste par une fragmentation. Il y a d’un côté les lieux physiques d’attente, et de l’autre une segmentation virtuelle dictée par l’algorithme, avec des zones de forte demande et des zones où aucune commande n’est possible. Les livreurs n’investissent pas ces zones dites “blanches”, puisqu’ils ne peuvent pas y travailler. L’algorithme produit donc une géographie spécifique.

Avez-vous aussi travaillé sur leurs besoins concrets ?

Oui. En dehors de la Maison des coursiers, tenue par CoopCycle (initialement boulevard Barbès dans le 18ᵉ arrondissement, puis déménagée dans le 2ᵉ), il n’existe pas d’autre espace dédié à Paris. Cette maison touche surtout certaines communautés, principalement dans le nord de Paris.

Dans le questionnaire, nous avons travaillé sur leurs besoins. Le besoin principal, très largement cité, est la possibilité de recharger les batteries des vélos et des téléphones. Ensuite viennent les besoins élémentaires (boire, accéder à des sanitaires), puis les besoins liés à l’abri et au repos, et enfin l’assistance administrative, juridique et médicale, notamment pour des personnes sans-papiers.

Dans le questionnaire, nous avons travaillé sur leurs besoins. Le besoin principal, très largement cité, est la possibilité de recharger les batteries des vélos et des téléphones. Ensuite viennent les besoins élémentaires (boire, accéder à des sanitaires), puis les besoins liés à l’abri et au repos, et enfin l’assistance administrative, juridique et médicale, notamment pour des personnes sans-papiers.

C’est ce que vous appelez la “géographie de l’invisible” ?

Oui, à la fois du fait du rôle central de l’algorithme et de l’invisibilisation de ces travailleurs, pourtant qualifiés d’essentiels pendant la crise du Covid-19. C’est aussi une géographie de la précarité, liée à des travailleurs présents dans la ville, mais que l’on préfère ne pas voir.

Un projet de kiosque à destination des livreurs. Crédit : Augure studio

Vous proposez également des pistes de solutions. Pouvez-vous les présenter brièvement ?

Nous pensions au départ arriver à un projet architectural classique, comme une Maison des coursiers améliorée. Mais au fur et à mesure de l’étude, nous avons compris que le sujet était davantage politique et global, et qu’un projet unique serait insuffisant. Répondre par un aménagement ponctuel n’est pas à l’échelle de l’enjeu. Nous avons préféré produire un travail proche d’un livre blanc, destiné à éclairer les décideurs, sans prétendre apporter une solution unique. Nous avons donc structuré nos propositions autour de trois axes : l’espace public, les réseaux d’acteurs et la logistique urbaine.

  • Pour l’espace public, nous avons par exemple travaillé sur les effets potentiels des zones à trafic limité, qui vont transformer l’espace urbain et pourraient intégrer davantage les besoins de la livraison à vélo.
  • Sur  les réseaux d’acteurs, une piste accessible est le recours à des plateformes solidaires lors des commandes, ce que CoopCycle expérimente déjà.
  • Enfin, sur la logistique urbaine, nous proposons une réflexion sur l’intégration des livreurs de plateformes aux infrastructures de cyclo-logistique, notamment à travers la mutualisation de hubs existants, offrant des équipements et des espaces de repos.

Votre étude s’intéresse à la situation dans la capitale. Avez-vous observé les mêmes phénomènes dans d’autres villes en France ?

CoopCycle est aussi présent à Bordeaux. Des recherches existent à Lyon, Montréal, Manchester, et d’autres projets de Maisons des coursiers sont en cours à Grenoble, Marseille, entre autres. L’objectif affiché de CooopCycle est par ailleurs de disparaître à terme, si une régulation du travail rendait ces structures inutiles.

A qui s’adresse votre étude et quelle est votre ambition avec ce projet ?

D’abord aux pouvoirs publics, au sens large, mais aussi aux citoyens et à l’ensemble des acteurs de la ville. L’ambition est à la fois de sensibiliser et de reposer la question de l’hospitalité urbaine. Une présentation est prévue à la Mairie de Paris en janvier. Nous espérons ensuite pouvoir diffuser ce travail dans d’autres métropoles concernées par des problématiques similaires.

En savoir plus

Julie Pommier et Iana Vicq, Géographie de l'invisible, livreur.euse.s des plateformes numériques, éditions Pavillon de l'Arsenal, novembre 2025, 17,5 x 25 cm - 68 pages, 13 €

La présentation du projet sur le site de FAIRE :

https://www.faireparis.com/fr/projets/faire-2023/geographie-de-linvisible-2880.html

Commander l'étude :

https://www.pavillon-arsenal.com/fr/edition-e-boutique/13283-geographie-de-linvisible.html

2025/12/09
Les food bikes, une alternative écolo aux food trucks

Depuis quelques années, des restaurateurs à vélo se sont installés dans les rues des centres-villes, modifiant le paysage urbain et la façon de consommer cafés, cookies, salades ou sandwichs veggie. Dans la veine des food trucks mais en plus écolos, les food bikes séduisent les amateurs de street food.

Depuis octobre 2012, Julie régale les passants toulousains de ses cookies faits maison en arpentant la ville avec son triporteur rose, le «  Cookie's bike ». Cette trentenaire, pâtissière de métier, a eu l'idée et l'envie de détourner et de relooker le triporteur avec lequel elle emmenait ses enfants à l'école pour en faire une boutique sur roues. « L’un des principaux avantages du food bike c'est la liberté ! explique-t-elle. Et financièrement c’est très intéressant car il n'y pas de locaux à payer donc moins de charges ! J'ai investi environ 2 000 euros pour ce triporteur et ça a marché tout de suite. Enfin, ça offre une vraie proximité avec les clients ».

"L’un des principaux avantages du food bike c'est la liberté !" Julie, fondatrice du Cookie's bike

Installé à deux pas d'elle, Guillaume 25 ans s'est lancé avec un ami dans un food bike « barista » qui propose cafés et cappuccinos. Leur investissement a été un peu plus conséquent : entre 10 000 et 15 000 euros pour l’équipement. La mairie de Toulouse tolère ces initiatives même si les food bikers confessent : « parfois la police municipale nous embête un peu, puis elle nous laisse tranquilles. En principe, on ne doit pas rester si on ne vend pas, on doit tourner en permanence et ne s’arrêter que quand quelqu'un nous interpelle ! » Comme pour les food trucks, la difficulté est en effet pour beaucoup de ces restos mobiles de trouver un emplacement, certaines municipalités rechignant à délivrer des autorisations de stationnement.

Un minimum d'émissions...

Pourtant, à l’heure où la réduction de la pollution et de la circulation dans les centres-villes est un enjeu urbain de premier plan, le triporteur semble séduire et retrouve sa place dans les rues après une éclipse de plusieurs décennies. Pour ses zélateurs, la dimension mobile du triporteur est fondamentale. «  Notre idée était réellement de promouvoir la vente ambulante, estime Guillaume. La dimension itinérante nous plaît beaucoup et c’est tellement plus simple de se déplacer en ville en vélo ! » Un point de vue partagé par les Biscuits Voyageurs, une biscuiterie artisanale ambulante à Bayonne qui se positionne sur les circuits courts, les produits locaux et la mobilité douce. « Le choix du triporteur n’est pas anodin, peut-on lire sur leur page web. En plus d’être non polluant et non nuisible, le but est de redonner vie à l’utilisation du vélo qui était courante il y a de ça quelques décennies pour tous types d’activités. De plus, la conservation du commerce de proximité, proche des gens, est la garantie de la survie des centres-villes. »

pour une qualité maximale

Autre caractéristique de ces cycloporteurs : proposer des produits de qualité et faits maison. « On veut aussi faire passer le message que la street food n'était pas forcément de la junk food, ajoute Julie. Pour mes cookies, je veille à la qualité de tous les ingrédients que j'achète, et je prépare tout à la maison ». Même positionnement pour les Parisiens de «  A bicyclette » qui délivrent des salades, quiches et soupes aux pieds des immeubles d'entreprises à Boulogne-Billancourt. « On s’est lancés après avoir fait le constat du vrai manque de bons produits pour la pause déjeuner du midi », raconte Pauline.

« On veut aussi faire passer le message que la street food n'était pas forcément de la junk food." Julie

Pour leur projet, ils ont ainsi choisi de s'approvisionner auprès des fournisseurs de palaces étoilés parisiens comme la Maison Colom pour les fruits et légumes de saison. Et la recette semble fonctionner car les deux associés projettent l'achat de nouveaux triporteurs très prochainement.Ces vélos atypiques séduisent au-delà des seuls passionnés de street food et sont également utilisés pour le déplacement de personnes à mobilité réduite, la mobilité touristique ou encore les livraisons de marchandises. Des collectifs commencent à s’organiser au niveau national et européen pour fédérer ces nouveaux entrepreneurs à vélo. Et certains voient déjà les vélos triporteurs à assistance électrique comme le véhicule du futur.

2015-10-20
Le téléphérique urbain en plein essor

Davantage associé au transport touristique de skieurs, le téléphérique est de plus en plus prisé pour déplacer les travailleurs et citadins pressés. Déjà présent à Barcelone, Porto, New York ou en Amérique du Sud, le téléphérique urbain se développe désormais dans quelques villes en France. Le téléphérique, le transport public de demain ?

Pertinent dans un contexte de coupure urbaine

Depuis quelques années, de nombreux urbanistes et aménageurs vantent ce mode de déplacement peu cher et économe en énergie. Il offre aussi une faible empreinte au sol et permet de contourner de fortes contraintes topographiques comme les fleuves, vallées, dénivelés et axes ferroviaires ou routiers. A Brest par exemple, le téléphérique reliant les deux rives de la Penfeld devrait être en service en 2016. Pensé pour délester les deux ponts routiers saturés aux heures de pointe tout en raccordant le nouveau quartier Les Capucins, il a notamment convaincu par son coût. « Un pont levant permettant aux navires de passer aurait coûté plus de 120 millions d'euros alors qu’avec le téléphérique, le coût prévisionnel du projet se situe autour de 19 millions d’euros, précise Victor Antonio, responsable de la mission tranway et téléphérique à Brest Métropole.  Mais il va surtout permettre un rééquilibrage urbain en requalifiant le quartier de la rive droite en difficulté. Il était indispensable d’améliorer les accès pour accompagner le développement économique du nouveau quartier. Il y a un enjeu de cohésion sociale. »

Un outil de marketing territorial ?

En Ile de France où la saturation des réseaux routiers et des transports en commun est une problématique quotidienne, le Téléval reliant Villeneuve-Saint-Georges et Créteil devrait être opérationnel en 2018. Un des atouts mis en avant pour convaincre les riverains : ses qualités environnementales. L’émission de CO2 par km et par passager serait en effet 30 fois inférieure à celle d’une voiture…A Toulouse également le projet est bien entamé et le tracé initial devrait même être allongé par la nouvelle municipalité. « Le téléphérique est un projet de transport à part entière innovant. Aussi, il participe fortement au marketing territorial de la ville, en lui donnant une nouvelle image», estime Alain L’Hostis, chercheur à l'Ifsttar, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux. A Medellín en Colombie, le « Metrocable », projet précurseur lancé en 2004 a profondément participé au renouvellement de l’espace urbain en devenant un outil de désenclavement pour les quartiers pauvres situés sur les collines. Depuis des infrastructures se sont développées près des stations et le taux de criminalité a fortement chuté dans les quartiers desservis. Et l'image de Medellín a également pu évoluer... Mais Pour Alain L‘Hostis, le téléphérique devrait rester un transport de niche. «  Le vrai transport urbain du futur est selon moi le tramway ».

2015-06-23
Écrit par
midi:onze
Vers une ville sans voitures ?

Entre le bruit et les pics de pollution, la voiture en ville est passée du rang de libératrice à celui de nuisance. Faut-il pour autant la bannir totalement de l'espace urbain ? Midi:onze fait le point.

En 1973, André Gorz publie dans Le Sauvage un texte à charge contre ce qu’il nomme « l’idéologie sociale de la bagnole ». Il y décrit notamment la façon dont ce fétiche des sociétés contemporaines a profondément altéré l’espace urbain : « la bagnole, y explique-t-il, a rendu la grande ville inhabitable. Elle l’a rendu puante, bruyante, asphyxiante, poussiéreuse, engorgée au point que les gens n’ont plus envie de sortir le soir. Alors, puisque les bagnoles ont tué la ville, il faut davantage de bagnoles encore plus rapides pour fuir sur des autoroutes vers des banlieues encore plus lointaines. Impeccable circularité : donnez-nous plus de bagnoles pour fuir les ravages que causent les bagnoles. »

"La bagnole a rendu la grande ville inhabitable. Elle l’a rendu puante, bruyante, asphyxiante, poussiéreuse, engorgée au point que les gens n’ont plus envie de sortir le soir. Alors, puisque les bagnoles ont tué la ville, il faut davantage de bagnoles encore plus rapides pour fuir sur des autoroutes vers des banlieues encore plus lointaines. Impeccable circularité : donnez-nous plus de bagnoles pour fuir les ravages que causent les bagnoles." André Gorz, "l'idéologie sociale de la bagnole", 1973

Puante, bruyante, asphyxiante, poussiéreuse, engorgée… La liste des nuisances générées par la voiture n’a guère évolué depuis 40 ans. Le pic de pollution de mars 2014 en témoigne : la circulation motorisée, en France particulièrement où le diesel est roi, génère de sérieux problèmes de santé publique. Du reste, les particules fines ont tendance à masquer bien d’autres incommodités liées à l’hégémonie de la bagnole, et feraient presque oublier le danger qu’elle représente pour les autres usagers de la voirie (en milieu urbain, en 2012, la circulation a coûté la vie à 334 piétons et 58 cyclistes ), la place démesurée qu’elle occupe, son inefficacité relative (en milieu dense, sa vitesse dépasse rarement les 15 kilomètres/h, soit la vitesse d’un… vélo), ou encore son effet délétère sur la vie de la rue (à partir de 50km/h, elle avait tendance à désertifier et stériliser l’espace public). Sans parler de l’étalement urbain qu’elle entraine, avec ce qu’il suppose d’éloignement des aménités, et donc de dépendance… à la bagnole. Bref, malgré l’attachement viscéral des automobilistes à leur voiture, nul ne doute plus que celle-ci soit un fléau en ville. D’où l’utopie tentante d’une ville enfin débarrassée de ce moyen de transport encombrant, polluant et globalement nuisible. Reste à déterminer si la chose est possible. Et surtout est-elle souhaitable ?

Naissance d’une utopie

L’idée d’une ville sans voiture n’est pas neuve. Elle naît au moment où la circulation motorisée cesse d’être le privilège d’une élite pour devenir un phénomène de masse : dans les années 1960. Une ville comme Amsterdam voit alors lever dans les rangs des Provos, ces pseudo-situationnistes potaches, une fronde contre le « terrorisme de la majorité motorisée » : pour contrer l’asphyxie et la congestion, le mouvement écolo-anarchiste organise des manifestations à mi-chemin de l’art et de l’activisme et oppose les vertus du vélo (pour l’occasion badigeonné de blanc) au vice des véhicules à moteur. La part du vélo dans la métropole néerlandaise (environ 22% des déplacements ) montre qu’il en est resté quelque chose. A la même époque, des opérations analogues sont fomentées en France dans un contexte où urbanistes et architectes adaptent la ville entière à la circulation motorisée. L’An 01, ce catalogue filmique des utopies de l’époque, montre ainsi une manifestation sur les Champs Elysées dont le mot d’ordre est : « pas d’autos, des vélos ». Si les années 1970 et 1980 ont raison d’un tel pensum, l’émergence dans les pays industrialisés d’une « conscience climatique » au tournant du millénaire voit renaître le projet d’une ville sans voitures. Celui-ci déborde alors largement la sphère militante et infuse l’aménagement du territoire. « Que ce soit pour des questions d’espace, de pollution ou des sécurité, on est en train de se rendre compte qu’il faut sortir du tout voiture, note Olivier Razemon, journaliste et auteur du Pouvoir de la pédale aux éditions Rue de l’échiquier. Aujourd’hui, l’argument qui prévaut chez les décideurs français est celui du CO2. Ce n’est peut-être pas le plus efficace, mais c’est facile à mesurer. » Exit le zonage et l’étalement urbain : les urbanistes redécouvrent les vertus de la ville dense, où l’on circule à pied ou à vélo. La décennie 2000-2010 sera ainsi celle des pistes cyclables, du tramway, de la piétonisation des centres-villes. Le phénomène est si massif que quand Olivier Gacquerre, maire de Béthune, annonce en avril 2014 la création d’un parking sur la grand-place car « il faut vivre avec son temps », on croit tomber de l’armoire tant le projet semble anachronique.

La voiture, indispensable moyen de transport pour une majorité de citadins

Et pourtant. Les mesures adoptées massivement n’ont jusqu’alors pas suffi à entamer le règne de la voiture, qui demeure le moyen de transport privilégié des Français, et notamment pour les trajets domicile-travail. Faut-il en conclure qu’une ville sans voiture (ou disons, avec un peu moins de voitures) est un inaccessible horizon ?C’est précisément ce que Marie-Hélène Massot a cherché à interroger en 2005 avec Jimmy Armoogum, Patrick Bonnel, et David Caubel dans Une ville sans voiture : utopie ? Pour la chercheuse es mobilités, l’enjeu est alors de définir dans quelles proportions l’automobile peut se reporter vers d’autres modes de transport (on appelle ça le report modal). « A l’époque, explique-t-elle, on entendait dire partout que les conducteurs sont irrationnels et prennent surtout leur voiture pour de petits déplacements. On a voulu savoir quelles pouvaient être les alternatives, notamment en matière de report modal. » Dans l’étude qu’elle mène conjointement à Paris et à Lyon, l’équipe de recherche cherche alors à savoir quelles sont les raisons pour lesquelles on choisit la voiture, et s’il est possible de faire autrement. A rebours des discours fustigeant l’égoïsme des automobilistes et leur attachement à un confort préjudiciable à tous, les résultats sont sans appel : l’immense majorité d’entre eux (plus de 90%) sont contraints, et leur temps de transport doublerait sinon plus, s’ils devaient choisir un autre moyen de transport – transports en commun notamment. Les raisons d’une telle dépendance ne tiennent pas seulement aux choix résidentiels des populations étudiées et à leurs conséquences sur les distances domicile-travail. Pour Marie-Hélène Masson, ils sont aussi liés à la diversité des activités induites par le moyen de déplacement. « Quand on construit le programme de sa journée, rappelle-t-elle, on le fait en fonction du mode de transport. Autrement dit, si l’on va au travail en voiture, on en profite aussi pour faire des courses, aller chercher les enfants, etc. » Dans ces conditions, les transports en commun sont difficilement substituables à la bagnole, à moins de doubler son temps de transport.

Dissuader les automobilistes ?

Les politiques des villes en matière de transport se fondent pourtant très largement sur le report modal. Depuis le tournant du millénaire, on a d’abord vu la quasi totalité des métropoles (et même certaines villes moyennes) se doter d’une ou plusieurs lignes de tramway, au risque de les voir engorgées sitôt construites. « Ce n’est pas un tramway qui va révolutionner les choses, note Marie-Hélène Massot. L’offre de transport public ne résout rien. » Dans un contexte où les transports en commun sont déjà saturés, on comprend mieux pourquoi leur gratuité en cas de pic de pollution est une mesure aussi coûteuse qu’inefficace…L’aménagement d’infrastructures (pistes cyclables, voies piétonnes…) ou de dispositifs signalétiques encourageant les modes dits « actifs » (marche, vélo…) figure aussi parmi les mesures préférées des élus. Avec des résultats mitigés : à Paris, la part des cyclistes plafonne à 3% malgré le succès du Velib. Surtout, après des décennies de tout-voiture, les politiques publiques s’attachent désormais à en décourager l’usage. Les leviers sont d’abord d’ordre financier. Une crise économique comme celle que nous vivons ou un renchérissement du prix du carburant contribuent – directement ou indirectement – à réduire la mobilité des ménages. « Quand il y a un problème de coût, explique Marie-Hélène Massot, on commence par réduire les activités qui coûtent cher, et donc les déplacements qui vont avec. » Dans ces conditions, diminuer drastiquement la part de la voiture en ville suppose d’aller bien au-delà du seul domaine des transports et de transformer modes de vie. Un tel objectif implique de revoir notre relation au travail, nos choix résidentiels (encore faut-il que ce soit possible dans un contexte de flambée du foncier), nos loisirs, etc. « L’enjeu est de mieux organiser l’espace pour que ceux qui n’en ont pas les moyens puissent accéder à des logements dans des zones moins excentrées où ils aient la possibilité de vivre mieux », plaide Marie-Hélène Massot.

"L’enjeu est de mieux organiser l’espace pour que ceux qui n’en ont pas les moyens puissent accéder à des logements dans des zones moins excentrées où ils aient la possibilité de vivre mieux." Marie-Hélène Massot, chercheuse

Parmi les mesures les plus efficaces, on pointe aussi la raréfaction des places de stationnement et l’aménagement de zones « pacifiées » où les voitures sont sommées de réduire leur vitesse. Au report modal, s’ajoute la volonté de favoriser le partage modal : « Il faut que la voiture soit bienvenue en ville, mais qu’elle n’y soit plus la seule légitime, insiste Olivier Razemon. Il s’agit de construire une société où elle cohabite avec d’autres modes de transport. » A Paris, la généralisation discrète du code de la rue va dans ce sens. Des zones 30 (où la vitesse est limitée à 30km/h) au double sens cyclable, elle prend le contrepied des décennies passées, et cherche à adapter la voiture à la ville plutôt que l’inverse. La bagnole cesse alors d’être une nuisance et contribue même à la vie de la rue. « La voiture est un objet merveilleux, conclut Olivier Razemon. Il faut juste l’utiliser différemment. »

A lire sur le sujet :

Olivier Razemon, Le Pouvoir de la pédale : comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, coll. "Les petits ruisseaux", éditions Rue de l'échiquier, 192 p., 15 euros

2014-06-10
Écrit par
Pierre Monsegur
Réenchanter le monde : un manifeste architectural

A la cité de l’architecture et du patrimoine, une exposition manifeste trace dans le sillon des Global awards for sustainable architecture quelques perspectives réjouissantes et propose rien moins que de « réenchanter le monde ». Visite.

En 2007, l’architecte et professeure Jana Revedin créait le Global award for Sustainable architecture. L’enjeu de ce prix soutenu par l’UNESCO et la Fondation LOCUS : récompenser et promouvoir des démarches architecturales qui, loin des mégalomanies pritzkerizées, s’affrontent aux défis écologiques, sociaux et économiques contemporains et cherchent à concilier leur pratique avec la préservation des ressources naturelles et les besoins réels des usagers. En somme, des pratiques qui renouent avec l’idée d’un rôle social de l’architecte et déjouent les routines professionnelles pour mieux s’affronter aux défis contemporains…Jusqu’au 6 octobre prochain, la Cité de l’architecture et du patrimoine, partenaire du prix dès l’origine, rassemble ses 40 lauréats autour d’une exposition-manifeste : Réenchanter le monde. Au gré d’une scénographie faite de cubes empilés façon legos et de vidéos, mais aussi d’un cabinet de curiosités où chaque architecte présente ses fétiches et outils de travail, l’accrochage égrène plus de 200 projets. On y retrouve quelques réalisations phares de ces dernières années, parmi lesquelles la réhabilitation de logements sociaux à Tourcoing par l’agence Patrick Bouchain, le pôle oenotouristique de Philippe Madec à Saint-Christol ou la bibliothèque de Medellin signée Giancarlo Mazzanti.

Essaimés sur tous les continents, les bâtiments présentés s’inscrivent dans les contextes urbains et économiques les plus divers – du bidonville sud-africain à la campagne européenne, en passant par la vieille ville yéménite – et s’affilient à des courants esthétiques et formels extrêmement variés. L’accrochage s’articule ainsi autour de six problématiques ultra contemporaines, dont la globalisation et l’uniformité qu’elle sécrète, la gestion des ressources naturelles, la métropolisation ou encore la question de l’habitat pour tous, cruciale dans les pays du Sud où l’exode rural et essor démographique déversent dans d’infinies mégalopoles des populations aussi nombreuses que précaires.Cette diversité n’exclut pas quelques traits communs, que l’exposition entend justement mettre en exergue. Parmi eux, l’attention portée au contexte (géographique, historique, culturel…), le caractère résolument expérimental et parfois bricoleur des projets, l’habitude de jongler avec des ressources (naturelles ou budgétaires) limitées, la volonté d’excéder le champ disciplinaire de l’architecture au nom d’une conception très large de l’habitat, le recours aux savoirs et savoir-faire locaux, mais aussi une certaine éthique architecturale alliant humanisme et modestie. D’où le caractère « manifeste » de Réenchanter le monde. A travers les projets présentés, se dessine en effet une pratique alternative du métier d’architecte, marquée par la volonté d’être en prise avec les transitions qui s’opèrent dans l’espace urbain contemporain. S’y joue très logiquement la liquidation tranquille du style international, dont les architectes primés troquent la radicalité esthétique et la manie planificatrice contre une architecture « radicante », c’est-à-dire adaptée à son lieu d’apparition, coopérative plutôt qu’autoritaire, ingénieuse autant qu’ « ingénieure », flexible et adaptable au gré des évolutions fonctionnelles et des besoins générationnels, incrémentale, souvent low-tech et sans cesse en mouvement. Dans un contexte de convergence des crises (économique, écologique, sociale), cette réinvention est vivifiante et nécessaire.

Infos pratiques :

Réenchanter le monde : architecture, ville, transitions, du 21 mai au 6 octobre 2014Cité de l'architecture et du patrimoine
Galerie basse des expositions temporaires1, Place du Trocadéro et du 11 novembre, Paris 16eEntrée au tarif A : PT 5 € - TR 3 €

Publications :

Réenchanter le Monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions
Direction scientifique, Marie-Hélène Contal (Coordination scientifique), Aliki-Myrto Perysinaki,
Coédition Cité/Alternatives, Manifesto,  224 p., 17 €

Sustainable Design III. 
Vers une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville / Towards a new ethic in architecture and town planning. 
M.H. Contal et J. Revedin, avec une préface de C. Alexander 
Co-éditions Gallimard – LOCUS Foundation, mai 2014 - Éditions séparées français et anglais, 39 €

Hors-série :
Réenchanter le monde
Architecture, ville, transitions
L'Architecture d’aujourd’hui , 72 p., fçs/angl., 10 €

2014-05-28
Écrit par
Pierre Monsegur
La psychanalyse au secours des névroses urbaines

Depuis 10 ans, le comédien Laurent Petit psychanalyse les villes au sein de l’ANPU (Agence nationale de psychanalyse urbaine). Il vient de publier aux éditions la Contre Allée un livre qui relate son expérience sur le mode potache. Portrait.

De la sarcellite (ou « maladie des grands ensembles ») aux fractures territoriales, il semblerait que l’aménagement urbain sécrète ses pathologies propres, comme le corps a les siennes. Soigner l’espace pourrait alors mobiliser les mêmes recettes que la médecine. D’où l’ambition affichée par Laurent Petit, fondateur de l’ANPU (agence nationale de psychanalyse urbaine) : psychanalyser les villes du "monde entier" pour identifier le "PNSU" (point névro-stratégique urbain) où se concentrent les névroses géographiques et amorcer un "TRU" (traitement radical urbain) de nature à guérir les troubles. Pour ce faire, il questionne habitants et experts avec les bénévoles qu’il aura su mobiliser, compulse les archives, dissèque le territoire puis livre ses conclusions au cours de conférences canulars où il aura pris soin de convoquer les équipes municipales. Depuis 2003, ce quadragénaire potache et faussement ingénu a ainsi couché sur le divan Vierzon, Tours, Marseille, Hénin-Beaumont, et même des départements entiers comme les Côtes d’Armor. Il le fait généralement à l’invitation d’institutions culturelles – théâtres ou centres d’art.

Du théâtre de rue à la psychanalyse urbaine

Il faut dire que Laurent Petit n’est ni psychanalyste ni urbaniste ou expert de l’aménagement. L’homme vient du théâtre de rue, dans lequel il s’est lancé sur le tard après une fugace et morne carrière d’ingénieur. Ses premières interventions publiques ont consisté à démontrer les liens secrets qui unissent Mickey Mouse à Michel-Ange ("Mickey l'ange"). L’idée de psychanalyser les villes lui est venue un peu par hasard, quand le collectif d’architectes eXYZt lui a demandé de jouer les experts à l’occasion d'une remise de diplôme.

Après ce premier contact avec la fabrique de la ville, il enchaîne rapidement et s'adjoint le concours de quelques complices, dont Charles Altorffer alias « Urbain l’enchanteur ». Il y a d’abord la psychanalyse de Vierzon, un fiasco qu’il raconte sur le mode potache dans La Ville sur le divan : introduction à la psychanalyse urbaine, ouvrage paru début octobre aux éditions La Contre Allée. Mais c’est Maud LeFloc’h, directrice du pOlau, pôle des arts urbains, qui lui met véritablement le pied à l’étrier en 2008 : « quand je lui ai parlé de psychanalyse urbaine, ça a fait tilt tout de suite, explique Laurent Petit. Elle m’a invité à analyser Tours, où elle travaillait. » Comme il le raconte dans son livre, la cité ligérienne est un cas vraiment étonnant : si son « arbre mytho-généalogique » révèle un rapport compliqué à la Loire, mère volage n’arrêtant pas de changer de lit, c’est surtout dans la rivalité avec Saint-Pierre-des-Corps, batârde « rouge » malmenée par Tours la blanche bourgeoise, que se noue la névrose locale. Après avoir situé le PNSU tourangeau sous l’autoroute qui clive les deux villes, le psychanalyste propose donc de les réconcilier en inaugurant le Point zéro, un pilier peint en rouge et blanc, en présence des maires des deux villes.

"A Port-Saint-Louis dans les Bouches du Rhône, le maire est venu nous dire qu’on en était arrivés aux mêmes conclusions que l’agence d’urbanisme locale, mais pour un prix largement inférieur !" Laurent Petit, "psychanalyste urbain

Ailleurs, la cure peut passer par la création de Z.O.B (zones d’occupation bucolique, destinées à fertiliser la ville) ou d’AAAH (autoroutes astucieusement aménagées en habitations), selon le trouble identifié. Dans tous les cas, on rit beaucoup.

Une autre façon d'approcher le projet urbain

Malgré le potache de ses mises en scène (ou plutôt grâce à lui), l’ANPU pourrait pourtant se révéler un allié inattendu du politique dans la tâche délicate qui consiste à aménager le territoire. Les analyses produites par Laurent Petit s’avèrent souvent pleines de bon sens : « A Port-Saint-Louis dans les Bouches du Rhône, le maire est venu nous dire qu’on en était arrivés aux mêmes conclusions que l’agence d’urbanisme locale, mais pour un prix largement inférieur ! ». S’adjoindre l’expertise d’un psy urbain ne coûte pas grand-chose en effet – entre 7 et 10 000 euros, donc bien moins qu’une étude diligentée par un cabinet « sérieux ». Surtout, la candeur et la bouffonnerie de l’ANPU ouvrent sur une tout autre façon de mettre en scène un projet urbain. Voyant dans sa démarche une façon de faire de la concertation autrement, Laurent Petit est très attentif à mobiliser un public étranger à la fabrique de la ville : « la mode est à la déresponsabilisation, mais en trouvant des approches ludiques, on peut remettre les habitants dans le jus, » note-t-il. Il jouit pour mener à bien cette tâche d’un privilège propre à l’artiste : le franc-parler. « Aucun élu ne peut venir expliquer que la bagnole ou le pavillon, c’est fini, explique-t-il. Nous, on a la possibilité de projeter la population dans trente ou quarante ans, mais on le fait avec humour, pour décongestionner tout ça. »

"Aucun élu ne peut venir expliquer que la bagnole ou le pavillon, c’est fini. Nous, on a la possibilité de projeter la population dans trente ou quarante ans, mais on le fait avec humour, pour décongestionner tout ça." Laurent Petit

En mobilisant grâce à l’humour et la poésie, Laurent Petit ouvre ainsi sur une autre manière d’interpréter le territoire et de « faire la ville ». Dans la lignée de la psychogéographie, projet situationniste visant à analyser l’influence du milieu géographique sur le comportement psycho-affectif des individus, sa démarche dresse la critique en acte de cinquante ans de fonctionnalisme : « la psychanalyse urbaine est un outil poétique qui permet de lutter contre la rationalité, les statistiques, les moyennes, résume Laurent Petit. C’est une façon de mettre un peu d’enchantement, de poésie et d’irrationnel dans la pratique des professionnels de la ville. » Rien de surprenant dès lors à ce que l’ANPU ait d’emblée intéressé architectes et urbanistes, et se soit vu convier à des colloques très sérieux. Dans cet engouement, Laurent Petit voit le signe qu’il est peut-être temps de lancer sa discipline sur la carte du monde. Il se réjouit d’être invité à des formations, et de voir les textes de l’ANPU traduits en Italien, où pourraient voir le jour les premières analyses hors de l'ANPU. Voulue comme une « introduction à la psychanalyse du monde entier », La ville sur le divan, son premier livre, devrait y contribuer. Idem pour le Traité d’urbanisme enchanteur que prépare son complice Charles Altorffer...

A lire :

Laurent Petit, La Ville sur le divan : introduction à la psychanalyse urbaine du monde entier, éditions La contre allée, Paris, 2013, 316 p., 20 euros

2013-10-17
"Ma cantine en ville" : la street food à voir et à manger

Au Palais de Chaillot, l'exposition "Ma cantine en ville, Voyage au coeur de la cuisine de rue" présente les lauréats du cinquième concours Minimaousse. Organisé par la Cité de l'architecture et le VIA sur le thème de la Street food, l'événement offre de questionner un phénomène en plein renouveau...

Ils s’appellent "ramène ton bol", "au coin du grill", "deux à deux" ou "la machine à vapeur" et s’égrènent au milieu des photographies de cantines itinérantes comme les étals des commerçants sur un marché. Conçus par des étudiants en art, design, paysage, architecture ou école d’ingénieur, ces prototypes en bois à l’échelle 1 figurent parmi les lauréats du concours Minimaousse, qui récompense tous les deux ans des projets de micro-architecture, avant de les présenter à la Cité de l'architecture et du patrimoine.

Le thème de cette cinquième édition, « ma cantine en ville », avait donné lieu l'an dernier à une exposition au VIA assortie d'un colloque. Puisant dans la foisonnante typologie établie alors, les trente dispositifs primés (sur 400 dossiers reçus) disent la variété des moyens mis en oeuvre à travers le monde pour nourrir les citadins pressés, et rassemblent en un même objet, mobile et modulable, de multiples fonctions : transporter les aliments (à vélo, à mobylette, par porteur, etc.), les conserver, les préparer, les cuire, les présenter et les consommer. Une façon de montrer que la « street food », pratique universelle en plein renouveau sous nos latitudes, ne se limite pas aux food trucks et autres baraques à frites, ni même au seul acte de manger… Pour Fiona Meadows, responsable de programmes à la Cité de l’architecture et organisatrice de Minimaousse 5, la cuisine de rue permet d’abord de questionner nos usages de l’espace urbain contemporain, et notamment de ses « vides » : « à l’origine du concours, explique-t-elle, notre intérêt pour les espaces publics et le constat que nos sociétés avaient tendance à en exclure la street food, sinon à l’interdire. »

La « street food », pratique universelle en plein renouveau sous nos latitudes, ne se limite pas aux food trucks et autres baraques à frites, ni même au seul acte de manger…

Fédératrice et bon marché, celle-ci est pourtant un adjuvant rêvé de tous ceux qui veulent fertiliser la ville et y aménager les conditions favorables au « vivre ensemble ». En transformant une place, un trottoir ou un parking en point de rassemblement où l’on peut s’asseoir, manger et discuter, elle permet de rompre avec l’urbanisme fonctionnel, pour qui les espaces publics sont essentiellement des lieux où l’on passe, jamais des lieux où l’on reste. D’où l’intérêt croissant des artistes et collectifs de tout poil pour les cantines de rue : d’EXYZT à Cochenko, en passant par l’artiste autrichien Erwin Wurm qui vient d’installer une baraque à frites ultra design dans le centre-ville de Lille, ils sont de plus en plus nombreux à y reconnaître un moyen efficace de mobilisation et de dialogue, et ce d’autant plus qu'à l'inverse du fast food standardisé, la street food se veut savoureuse et de qualité. « Ces dispositifs témoignent du bonheur d’être en ville, note Fiona Meadows. Manger dans un lieu qui a la rue pour décor fait évidemment partie du plaisir. »

Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que le concours Minimaousse ait proposé pour consignes de « réactiver l’espace public » et d’« inventer de nouvelles civilités »…  La reconquête collective de la rue ne justifie pourtant pas à elle seule le regain d’intérêt des créatifs et des gastronomes pour la street food. Reflet de l’appétit contemporain pour la mobilité et le nomadisme, le phénomène dit aussi les mutations à l’œuvre dans la sphère économique, et pourrait être l’indice d’une précarisation croissante de nos sociétés. Dans les pays pauvres, la cuisine de rue est depuis toujours un moyen de subsistance. Il se pourrait qu’elle le soit aussi de plus en plus dans les pays riches : « pour de jeunes chefs qui débutent et n’ont pas les moyens d’acheter un fond de commerce, ça peut être un moyen de développer une activité, souligne Fiona Meadows. Dans un contexte de montée du chômage, la street food représente un tout petit investissement, et permet de créer de l’emploi. »

"Pour de jeunes chefs qui débutent et n’ont pas les moyens d’acheter un fond de commerce, ça peut être un moyen de développer une activité." Fiona Meadows, organisatrice du concours Minimaousse

Encore faut-il que le contexte réglementaire soit favorable à son épanouissement, ce qui est encore loin d’être le cas en France. Perçue par les restaurateurs comme une concurrence déloyale, la cuisine de rue se voit opposer tout un tas d’obstacles par les municipalités. D’où la création de l’association « Street food en mouvement » sous la houlette de Thierry Marx. Son objectif ? Contribuer au développement du phénomène en encadrant les pratiques et en aidant les projets à obtenir les autorisations nécessaires. Pour le cuisinier français, l’enjeu est de taille : « La street food est une vraie alternative à la malbouffe, un puissant moteur d’intégration dans la société, peut-on lire sur le site Internet de l’association. La Street food, c’est l’avenir. »

Infos pratiques :

"Ma cantine en ville, voyage au coeur de la cuisine de rue", jusqu'au 2 décembre à la Cité de l'architecture et du patrimoine.1, place du Trocadéro, Paris 16e. Tous les jours sauf le mardi, de 11h à 19h, le jeudi jusqu'à 21h. Entrée libre.

A lire :

Minimaousse 5, Ma cantine en ville : voyage au coeur de la cuisine de rue, Paris éditions Alternatives, 2013, 252 p., 25 euros

2013-11-07
Écrit par
Pierre Monsegur
La gentrification, une "lutte des places"

Avec l'envolée des prix de l'immobilier dans les métropoles européennes, les classes sociales les plus favorisées ont tendance à se loger dans les quartiers populaires des centres-villes, dont elles évincent à terme les habitants originels. Et si le processus, connu sous le terme de gentrification, était emblématique des nouveaux rapports de classe dans l'espace urbain contemporain ?

L’installation d’un caviste ou d’une boutique bio au milieu des commerces exotiques, l’ouverture d’une galerie branchée dans une zone que la clientèle aurait pourtant le réflexe d’éviter, l'aménagement d'une zone 30 : c’est à ce genre de signes qu’on peut mesurer la transformation sociale d’un quartier. Les Parisiens repèrent ces signes d’autant mieux qu’ils ont accompagné la « boboïsation » de Belleville, Ménilmontant ou Montreuil depuis la fin des années 1990, et qu’ils commencent aujourd’hui à se faire jour, quoique très discrètement, à Pantin ou Saint-Denis. C’est toujours peu ou prou la même histoire : d’abord relativement épargnés par l’envolée du prix du mètre carré, les quartiers populaires attirent une population de plus en plus aisée en quête d’opportunités, et qui vient disputer aux habitants originels la réserve foncière disponible. Pour décrire un phénomène qui touche Paris comme New York, Berlin ou Bordeaux, on ne parle pas d’embourgeoisement mais de « gentrification ».

"le déclin des emplois d’ouvriers (en partie compensés par les emplois de service peu qualifiés) et la forte augmentation des emplois cadres sont des facteurs de gentrification, explique Anne Clerval, géographe et auteur de Paris sans le peuple aux éditions La Découverte. Ils sont eux-mêmes liés aux choix politiques macro-économiques qui ont accompagné la mondialisation néolibérale et l’internationalisation croissante de la production." Anne Clerval, autrice de Paris sans le peuple (éditions La découverte)

L’anglicisme a l’avantage de souligner ce que le processus doit aux mutations récentes de l’économie et la recomposition sociale qu’elles entraînent : « le déclin des emplois d’ouvriers (en partie compensés par les emplois de service peu qualifiés) et la forte augmentation des emplois cadres sont des facteurs de gentrification, explique Anne Clerval, géographe et auteur de Paris sans le peuple aux éditions La Découverte. Ils sont eux-mêmes liés aux choix politiques macro-économiques qui ont accompagné la mondialisation néolibérale et l’internationalisation croissante de la production. » Autrement dit, la mondialisation et la concentration dans quelques grandes villes des activités les plus qualifiées (ie : la métropolisation) accouchent d’une nouvelle géographie sociale marquée par une mise à l’écart (spatiale, économique et culturelle) des classes populaires. Alors que celles-ci sont assignées aux grands ensembles et, de plus en plus, à l’espace périurbain et rural, les villes centres tendent à devenir l’apanage quasi exclusif des populations les mieux intégrées à l’économie-monde : cadres, professions intellectuelles supérieures, etc.

Un processus complexe

Selon Anne Clerval, la gentrification serait d’abord le fait de la petite bourgeoisie intellectuelle issue de la massification scolaire et caractérisée par un fort capital culturel. Pour la chercheuse, cette frange occupe une position « intermédiaire dans les rapports de classe entre la bourgeoisie, qui détient encore les moyens de production, et les classes populaires, qui n’ont que leur force de travail. Elle joue un rôle d’encadrement, en facilitant directement l’exploitation des employés et des ouvriers par les détenteurs du capital », à moins qu’elle n’ait « un rôle indirect d’inculcation idéologique, à travers tous les métiers de l’enseignement, de la culture, des médias, et toutes les fonctions qui sont prescriptrices de normes, qui assurent le maintien de l’ordre social. » Relativement homogène en termes de valeurs et dominante sur le plan culturel, elle est en revanche hétérogène sur le plan du revenu. A Paris, avec la hausse des prix de l’immobilier dans les années 1990, sa frange la plus fragile économiquement a donc été contrainte de s’installer dans les zones qu’elle avait jusqu’alors soigneusement évitées : les quartiers populaires de l’Est, qu’il s’agisse du canal Saint-Martin, de Belleville et dans une moindre mesure de Château Rouge, ou, plus loin, de Montreuil ou Bagnolet. C’est en effet  dans ces quartiers que le différentiel de rente foncière (rental gap), c’est-à-dire l’écart entre la rente liée aux usages actuels du sol et celle qui pourrait être capitalisée si ces usages changeaient, est la plus grande. Bien qu’insalubres et mal famés, ils sont proches du centre, bien pourvus en offre de transports, et se caractérisent par un bâti ancien de type faubourien ou industriel facile à valoriser, pour peu qu’on le réhabilite. C’est la raison pour laquelle la gentrification de l’Est parisien s’est accompagnée d’un vaste mouvement de rénovation du parc immobilier privé.

Selon Anne Clerval, la gentrification serait d’abord le fait de la petite bourgeoisie intellectuelle issue de la massification scolaire et caractérisée par un fort capital culturel.

En France, ce mouvement a été largement secondé par les politiques de la ville. Dans l’Est parisien, il a coïncidé dans les années 1990 avec la mise en œuvre d’incitations à la rénovation. Les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) subventionnent alors en partie les travaux d’amélioration du logement conduits par les propriétaires privés et copropriétés, cependant que la réforme du prêt à l’accession et la baisse des taux d’intérêt stimulent la course à l’achat. A la même époque, la déréglementation des loyers dans le cadre de la loi Malandrin-Mermaz (1989) accélère la gentrification en favorisant nettement l’intérêt des propriétaires et donc l’investissement locatif et la spéculation. Conséquence : entre 1998 et 2012, le prix des appartements anciens a été multiplié par 3,7 à Paris…

Vivre ensemble et distinction sociale

On le voit : la gentrification est essentiellement une dynamique foncière et patrimoniale. Cumulative, elle est d’abord le fait des franges les plus précaires de la petite bourgeoisie culturelle (artistes, intermittents, pigistes, etc), puis touche des catégories sociales de plus en plus favorisées : cadres, journalistes dans l’audiovisuel, ingénieurs, etc.  A mesure que celles-ci conquièrent un quartier, l’offre culturelle se développe, le cadre de vie s’améliore et de nouveaux commerces font leur apparition. L’envolée des prix ne recouvre pourtant pas entièrement un phénomène qui s’accompagne partout où il a lieu de discours enthousiastes sur les vertus de la mixité sociale – mixité que les gentrifieurs confondent généralement avec la diversité ethnique et culturelle. La valorisation du « vivre-ensemble » et de « l’ouverture à l’autre » vient ainsi justifier après coup un choix résidentiel largement contraint par le marché. On peut alors voir dans la tolérance des gentrifieurs une stratégie de distinction sociale vis-à-vis de la bourgeoisie traditionnelle vivant dans « l’entre soi » des « ghettos du ghota », mais aussi vis-à-vis des « beaufs » qui peuplent les banlieues pavillonnaires et votent FN. Une telle lecture est d’autant plus tentante que les discours des gentrifieurs sur la mixité sociale cadrent mal avec leurs pratiques quotidiennes. Ils coïncident par exemple avec un évitement scolaire quasi systématique, qui contraint les enfants des classes les plus aisées à des trajets quotidiens parfois très longs dans le seul but d’éviter le collège ou le lycée de secteur. En somme, comme l’écrit le géographe Christophe Guilluy dans Fractures françaises, « l’image sympathique du « bobo-explorateur » arrivant en terre « prolo-immigrée » dissimule la réalité d’une violente conquête patrimoniale. L’euphémisation de ce processus est emblématique d’une époque « libérale libertaire » où le prédateur prend le plus souvent le visage de la tolérance et de l’empathie. » Ce « visage » avenant des gentrifieurs pourrait d’ailleurs expliquer, au moins en partie, pourquoi leur mainmise sur la ville soulève à Paris si peu de résistances dans les rangs des militants et parmi les classes populaires…

La production de logements sociaux, une réponse insuffisante

Face à un phénomène qui touche toutes les métropoles françaises, la seule réponse politique consiste à relancer la production de logements sociaux. Votée en 2000, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (dite loi SRU) contraint ainsi les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) à porter à 20% la part de leur parc social. A Paris, selon les estimations de l’Apur, on serait ainsi passé de 13,4% en 2001 à 17,6% en 2012. Pourtant, même quand les municipalités jouent le jeu (et nombre d’entre elles s'y refusent) une telle mesure a des effets limités sur la gentrification, et ce pour deux raisons. D’abord, la production de logements sociaux coïncide avec la raréfaction des logements privés dégradés, voire insalubres, qui étaient jusqu’alors occupés par les classes populaires : « La construction de logements sociaux n’est pas suffisante, affirme Anne Clerval, en particulier à Paris parce qu’elle passe par la destruction (ou le remplacement) d’un plus grand nombre de logements (certes de piètre qualité) qui étaient accessibles aux classes populaires. »

"La construction de logements sociaux n’est pas suffisante, en particulier à Paris parce qu’elle passe par la destruction (ou le remplacement) d’un plus grand nombre de logements (certes de piètre qualité) qui étaient accessibles aux classes populaires." Anne Clerval

Autrement dit, la production de logements sociaux ne compense pas la captation et la rénovation par les gentrifieurs du parc social « de fait ». Entre 1982 et 1999, la part des logements dits « sans confort » est ainsi tombée de 29,4% à 3,6%.Ensuite, les logements sociaux créés dans le cadre de la loi SRU ne s’adressent plus seulement aux classes populaires. A Paris, pour favoriser la mixité sociale dans certains quartiers pauvres, une grande partie du parc y a été attribuée, via des dispositifs comme le prêt locatif à usage social (PLUS), à des ménages dont les revenus excédaient pourtant les plafonds d’attribution. A l’inverse, les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI, qui recouvrent le logement très social) ne constituent que 25% des logements agréés entre 2001 et 2011.Enfin, les appels à la mixité sociale à l’échelle du quartier se traduisent par un rééquilibrage géographique du logement social dont les effets sont délétères : à Paris, sous prétexte de favoriser la production de logements sociaux dans les arrondissements déficitaires, tout en la maîtrisant dans les zones déjà bien pourvues, on a limité la part des classes populaires à l’échelle de la ville…Dès lors, il se pourrait qu’une lutte efficace contre la gentrification passe d’abord par la reconnaissance de son caractère social : « les bons sentiments comme l’ouverture à l’autre n’ont pas grand-chose à voir avec une politique de redistribution des richesses, rappelle Anne Clerval. Autrement dit, c’est l’idéologie même de la mixité sociale qu’il faut remettre en cause à l’heure où on ne parle plus du tout de remettre en cause les inégalités sociales. »

A lire sur le sujet :

Anne Clerval, Paris sans le peuple : la gentrification de la capitale, Paris, la découverte, 2013. Lire un extrait ici et un article sur le sujet.Christophe Guilluy, Fractures françaises, Champs essais, Paris, Flammarion, 2013

2013-10-10
Écrit par
Pierre Monsegur