
Julie Pommier et Iana Vicq : « La géographie de l’invisible, c’est une géographie de la précarité. »Ce sont en grande majorité des hommes, précaires et d’origine étrangère. Ils arpentent les rues des grandes villes à vélo pour livrer à domicile les repas préparés par les restaurants référencés sur des plateformes de la FoodTech, Uber Eats et Deliveroo en tête. Leurs journées de travail sont rythmées par l’attente des commandes et leur livraison. Entre deux courses, ils se regroupent discrètement entre livreurs d’une même communauté.
Dans le cadre de l’appel à projets FAIRE du Pavillon de l’Arsenal, Julie Pommier et Iana Vicq ont consacré une étude à leur manière d’occuper l’espace public. Entre travail de terrain, recherche documentaire et analyse cartographique, celle-ci de révèle une « géographie de l’invisible », à la fois algorithmique et sociale, marquée par l’absence d’infrastructures adaptées aux besoins fondamentaux des livreurs Proposant plusieurs solutions pour améliorer leurs conditions de travail dans l’espace public, elle se présente comme un outil de sensibilisation et de réflexion à destination des pouvoirs publics, des acteurs de la ville et des citoyens.
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets FAIRE, porté par le Pavillon de l’Arsenal en 2023. Depuis la création de l’agence, nous avions envie de développer une pratique réflexive, qui ne soit pas uniquement centrée sur la maîtrise d’œuvre, mais qui ouvre le champ de notre pratique. Cette année-là, il y avait quatre thèmes, dont un sur la question des espaces publics inclusifs. Nous avons répondu avec un sujet portant sur les livreurs des plateformes numériques. Cela venait aussi d’un constat, à la suite du Covid-19, d’une forte augmentation de leur présence dans l’espace public, y compris à proximité de nos propres lieux de vie.
Ce n’était pas un engagement formel, mais plutôt une réflexion issue d’un constat de société. Le thème de l’appel à projets a fait croiser cette réflexion, et nous a décidés à nous lancer. Par ailleurs, nous nous déplaçons beaucoup à vélo, donc nous les croisons très souvent.

Nous avons répondu à l’appel à projets en collaboration avec Circé Lienart de l’association CoopCycle qui gère la Maison des coursiers, partenaire de l’étude. Il nous semblait essentiel d’avoir un lien direct avec le terrain et avec les livreurs. Nous avons commencé par un état des lieux qui a duré presque un an. Nous avons mis en place un protocole de collecte de données pour appréhender le sujet. Cela a commencé par la création d’un questionnaire en ligne, traduit en six langues : français, anglais, arabe, hindi, pachto et bengali, afin de toucher un maximum de communautés. Les traductions ont été réalisées avec l’aide des coursiers fréquentant la Maison des coursiers. Le questionnaire a été testé sur place, afin d’affiner les questions et de recueillir des retours, notamment sur la question de l’attente, qui nous intéressait particulièrement. À partir des résultats du questionnaire, nous avons identifié des points de concentration. Nous avons ensuite mené un travail d’arpentage avec CoopCycle, consistant à parcourir les quartiers et à aller à la rencontre des livreurs sur leurs lieux d’attente.
En parallèle, nous avons mené une recherche documentaire en nous intéressant aux laboratoires de recherche spécialistes de ces questions, aux ouvrages et articles existants, et nous avons réalisé de nombreux entretiens avec des chercheurs et des acteurs liés à la mobilité et à la logistique urbaine. Ensuite, nous avons souhaité retranscrire ce travail de manière plus sensible. Nous avons fait appel au photographe Arthur Crestani, avec qui nous avons refait cet arpentage. Il est allé à la rencontre des livreurs et leur a demandé leur accord pour être photographiés.
Nous savions que l’objectif était d’améliorer la situation et le confort de ces travailleurs, mais nous ne savions pas quelle forme prendrait la réponse.
De notre côté, nous avons mobilisé nos outils d’architectes, notamment à travers un travail cartographique : repérage des lieux d’attente, incidence des algorithmes sur l’espace, implantation des équipements existants dans l’espace public. Cela a constitué une base pour la suite du travail, même si nous n’avions pas, au départ, de vision précise du résultat final.
Exactement. Nous savions que l’objectif était d’améliorer la situation et le confort de ces travailleurs, mais nous ne savions pas quelle forme prendrait la réponse. Ce n’est pas notre cœur de métier habituel.

La question centrale était : où attendent-ils et pourquoi ici ? La réponse est clairement liée à l’algorithme des plateformes. Les livreurs attendent au plus près des zones où ils sont susceptibles de recevoir des commandes. Grâce à une capture d’écran de l’application d’un livreur, nous avons compris qu’ils voient en temps réel des zones de forte demande.
Ils choisissent donc leurs lieux d’attente en fonction de ces zones. Concernant les espaces publics, il n’existe pas de typologie unique, mais ils se placent généralement en retrait, à la limite de la visibilité. Il s’agit aussi de ne pas être dérangés et de ne pas déranger. Ils se regroupent par communauté, ce qui crée des formes de solidarité et d’entraide pendant les temps d’attente. Cela se manifeste par des échanges de services : aide pour réparer un vélo, recharger une batterie, ou même des repas apportés par des personnes de la même communauté. Ces regroupements se font souvent dans des espaces périphériques : sous des arbres, sur des contre-allées, près des arceaux de vélos, des places de stationnement, et non dans des espaces publics centraux et très fréquentés.
La question centrale était : où attendent-ils et pourquoi ici ? La réponse est clairement liée à l’algorithme des plateformes. Les livreurs attendent au plus près des zones où ils sont susceptibles de recevoir des commandes. Grâce à une capture d’écran de l’application d’un livreur, nous avons compris qu’ils voient en temps réel des zones de forte demande.
Cela se manifeste par une fragmentation. Il y a d’un côté les lieux physiques d’attente, et de l’autre une segmentation virtuelle dictée par l’algorithme, avec des zones de forte demande et des zones où aucune commande n’est possible. Les livreurs n’investissent pas ces zones dites “blanches”, puisqu’ils ne peuvent pas y travailler. L’algorithme produit donc une géographie spécifique.
Oui. En dehors de la Maison des coursiers, tenue par CoopCycle (initialement boulevard Barbès dans le 18ᵉ arrondissement, puis déménagée dans le 2ᵉ), il n’existe pas d’autre espace dédié à Paris. Cette maison touche surtout certaines communautés, principalement dans le nord de Paris.
Dans le questionnaire, nous avons travaillé sur leurs besoins. Le besoin principal, très largement cité, est la possibilité de recharger les batteries des vélos et des téléphones. Ensuite viennent les besoins élémentaires (boire, accéder à des sanitaires), puis les besoins liés à l’abri et au repos, et enfin l’assistance administrative, juridique et médicale, notamment pour des personnes sans-papiers.
Dans le questionnaire, nous avons travaillé sur leurs besoins. Le besoin principal, très largement cité, est la possibilité de recharger les batteries des vélos et des téléphones. Ensuite viennent les besoins élémentaires (boire, accéder à des sanitaires), puis les besoins liés à l’abri et au repos, et enfin l’assistance administrative, juridique et médicale, notamment pour des personnes sans-papiers.
Oui, à la fois du fait du rôle central de l’algorithme et de l’invisibilisation de ces travailleurs, pourtant qualifiés d’essentiels pendant la crise du Covid-19. C’est aussi une géographie de la précarité, liée à des travailleurs présents dans la ville, mais que l’on préfère ne pas voir.

Nous pensions au départ arriver à un projet architectural classique, comme une Maison des coursiers améliorée. Mais au fur et à mesure de l’étude, nous avons compris que le sujet était davantage politique et global, et qu’un projet unique serait insuffisant. Répondre par un aménagement ponctuel n’est pas à l’échelle de l’enjeu. Nous avons préféré produire un travail proche d’un livre blanc, destiné à éclairer les décideurs, sans prétendre apporter une solution unique. Nous avons donc structuré nos propositions autour de trois axes : l’espace public, les réseaux d’acteurs et la logistique urbaine.
CoopCycle est aussi présent à Bordeaux. Des recherches existent à Lyon, Montréal, Manchester, et d’autres projets de Maisons des coursiers sont en cours à Grenoble, Marseille, entre autres. L’objectif affiché de CooopCycle est par ailleurs de disparaître à terme, si une régulation du travail rendait ces structures inutiles.
D’abord aux pouvoirs publics, au sens large, mais aussi aux citoyens et à l’ensemble des acteurs de la ville. L’ambition est à la fois de sensibiliser et de reposer la question de l’hospitalité urbaine. Une présentation est prévue à la Mairie de Paris en janvier. Nous espérons ensuite pouvoir diffuser ce travail dans d’autres métropoles concernées par des problématiques similaires.
Julie Pommier et Iana Vicq, Géographie de l'invisible, livreur.euse.s des plateformes numériques, éditions Pavillon de l'Arsenal, novembre 2025, 17,5 x 25 cm - 68 pages, 13 €
La présentation du projet sur le site de FAIRE :
https://www.faireparis.com/fr/projets/faire-2023/geographie-de-linvisible-2880.html
Commander l'étude :
https://www.pavillon-arsenal.com/fr/edition-e-boutique/13283-geographie-de-linvisible.html
Je tiens à préciser que je ne suis pas promoteur. J’ai choisi ce terme par provocation. C’est un mot très négativement connoté : pour les architectes et les paysagistes, le promoteur, c’est le méchant ! Or, je pense qu’on peut faire de très belles choses en tant que maître d’ouvrage, et qu’on peut avoir une approche éthique du métier. Du coup, j’entends plutôt le terme au sens de « moteur », de celui qui impulse. Quant à la « courtoisie urbaine », il faut y voir l’attitude qui consiste à prendre le temps de comprendre, d’écouter, dans une démarche empathique, à rebours de ce que font la plupart des professionnels de la ville. La courtoisie dont je parle est un idéal, un temps pour que l’humain existe. L’habitant expert existe vraiment. Il peut apporter une vraie valeur ajoutée au projet !
J’inverse le timing habituel du promoteur. Dans un schéma classique, l’utilisateur final d’un bâtiment ne participe pas à sa conception. A l’inverse, je propose de passer un an à travailler avec un groupe d’habitant, de prendre le temps d’animer une communauté, de la structurer pour voir comment elle pourra habiter ensemble. La personnalisation du logement constitue 5% de cette démarche, qui consiste surtout à construire de l’en commun. En aucun cas je ne dis aux gens comment ils devront habiter ensemble. Tout doit être discuté, y compris la performance énergétique, le choix du BBC ou du passif.
"Dans un schéma classique, l’utilisateur final d’un bâtiment ne participe pas à sa conception. A l’inverse, je propose de passer un an à travailler avec un groupe d’habitant, de prendre le temps d’animer une communauté, de la structurer pour voir comment elle pourra habiter ensemble." Rabbia Enckell, fondatrice de l'agende Promoteur de courtoisie urbaine
Absolument ! L’agence part de l’homme, dans ses interactions avec les autres. Il s’agit d’essayer de voir comment mon voisin m’aide à vivre mieux. La démarche est elle-même source de bien être, puisqu’elle permet aux gens de se rencontrer et d’échanger.
J’ai été formée à l’école du paysage à Versailles, et j’y avais comme enseignant Michel Corajoud, paysagiste et grand prix de l’urbanisme. A rebours des paysagistes de l’époque, il ne concevait pas son intervention comme une façon de remplir les creux, mais s’intéressait aux pleins de la ville. Il nous a aidés à devenir légitimes sur la ville, à en revendiquer la connaissance. Une fois mes études terminées, j’ai passé un an en agence et j’ai vu la limite des marchés de définition. Je me suis dit qu’il fallait passer du côté plein. C’est à ce moment que j’ai répondu à une offre d’emploi de Brémond. Ce promoteur m’a donné la possibilité de construire tout en restant fidèle à moi-même. Avec lui, on est dans le faire, on confronte les choses à l’échelle 1, on a la possibilité d’expérimenter : on a livré les 1ers bâtiments à énergie positive, et on s’est intéressés très tôt aux questions de responsabilité sociétale. Le participatif a été la limite de mon travail chez Brémond. J’ai senti qu’il fallait monter une structure parallèle, d’où la création de l’agence il y a un an.
Quand j’ai commencé a vouloir impliquer les habitants, je ne savais pas ce qu’était l’habitat participatif. En revanche, je connaissais le travail de patrick Bouchain. C’est lui qui m’a inspiré le terme de promoteur. Puis, j’ai découvert toutes les richesses du faire ensemble et de l’agir collectif en voyageant en Finlande. J’ai aussi vu qu’il existait dans ce champ un petit écosystème très militant, parfois trop. Mon ambition est de rendre l’habitat participatif accessible à tous, au-delà de ce cercle très politisé. Je professionnalise la démarche. Les coopératives d’habitants ont fait de très belles choses, mais dans un entre soi social. Je voulais garder ce principe de la libre association, mais sans la cooptation.
"Les coopératives d’habitants ont fait de très belles choses, mais dans un entre soi social." Rabbia Henckell
A l’île Saint-Denis, notre projet rassemble pour l’instant 9 ménages très hétérogènes : il y a des seniors, des familles, des couples mixtes, des primo accédants…
Nous participons à un programme d’habitat groupé à l’Ile Saint-Denis, dont le groupe Brémond est promoteur, et qui est pour nous un projet pilote. La ville avait inscrit dans la charte de l’écoquartier qu’il y aurait un îlot d’habitat participatif. Elle avait aussi à cœur de voir ce projet sortir de terre dans un délai satisfaisant, alors qu’il y a souvent des retards de livraison pour ce type de bâtiment. Ici, le dépôt du permis de construire ne devait pas se faire au-delà du 4e trimestre 2014. D’où l’intérêt de faire appel à une agence comme la nôtre, qui travaille dans le calendrier du promoteur.Je m’étais fixé une limite de 30 ménages, et idéalement de 20. Le programme accueillera 16 à 18 familles au final. J’ai commencé à rencontrer des familles bloquées dans leur parcours résidentiel car l’offre actuelle ne leur correspond pas. Je les ai emmenées sur place, leur ai montré les lieux et expliqué la démarche. Toutes étaient rassurées par le fait qu’il y ait un maître d’ouvrage.
"Dès le permis de construire est purgé de tous recours, on peut lancer les travaux sans attendre, comme c’est le cas dans une promotion classique, que la commercialisation soit faite à hauteur de 50%." Rabbia Henckell
Suit un premier atelier où tout le monde se rencontre. On lance la démarche au moment où on a la moitié du groupe d’habitants (comme une promotion classique). Le premier document que je distribue aux futurs habitants est une fiche des attentes. On leur demande de lister les prestations et la surface souhaitées, ainsi que le budget dont ils disposent. Ils ont un mois et demi pour définir leur logement et leurs attentes, mais aussi ce à quoi ils sont prêts à renoncer. Je leur annonce le prix de sortie du m2, et donc ce qui est possible de faire. Ensuite, on établit un contrat avec chaque habitant. Je m’y engage à leur permettre d’accéder à un logement privé, ainsi qu’à un pourcentage des parties communes dans les limites de leur budget. J’annexe à ce contrat la méthodologie de travail avec mes honoraires.Les appels de charge commencent au moment du dépôt du permis de construire. On déroule alors une VEFA classique. Dès le permis de construire est purgé de tous recours, on peut lancer les travaux sans attendre, comme c’est le cas dans une promotion classique, que la commercialisation soit faite à hauteur de 50%. En somme, le temps « perdu » en amont du projet est regagné à ce moment-là.
Anne D’Orazio, chercheuse en habitat participatif, explique qu’en auto-promotion on peut espérer économiser 20%. Sauf qu’en général, les dépassements liés à l’absence de professionnalisme se montent à 17%. Le fait de travailler avec un maître d’ouvrage, qui sait faire tenir recettes et dépenses dans un planning. Mais l’aspect participatif du projet déleste aussi des frais de commercialisation et des frais de communication… L'idée est que ma rémunération ne génère pas de surcoût supplémentaire, car elle se fait sur un nombre d'ateliers et non sur la transaction. Et puis nous ne nous lançons pas dans des outils de communication sophistiqués mais mettons en oeuvre des outils simples tels que Facebook ou autres blogs que le groupe fera vivre par lui même...
Il y a d’abord la question des espaces communs. Les promoteurs réfléchissent aujourd’hui à en proposer, parce que les communes les réclament et que la construction de commerces en rez-de-chaussée a ses limites et débouche souvent sur des vitrines au blanc d’Espagne. L’agence apporte une vraie solution à cela…Ensuite, la démarche a une haute valeur sociétale. Elle est l’occasion pour les promoteurs de démontrer qu’ils peuvent être des acteurs responsables de la ville, et non de simples spéculateurs fonciers.
"La démarche a une haute valeur sociétale. Elle est l’occasion pour les promoteurs de démontrer qu’ils peuvent être des acteurs responsables de la ville, et non de simples spéculateurs fonciers." Rabbia Henckell
Elle apporte aussi une solution à la commercialisation, même si je ne me définis en aucun cas comme une commerciale. Enfin, elle assainit la relation avec les habitants : la levée de réserves, qui est toujours un moment délicat dans la VEFA, est alors plus simple, puisque le projet est déjà approprié. Cela crée moins de frustrations.
Travailler dans le cadre d’une VEFA permet justement de les contourner. C’est le promoteur qui souscrit la garantie future d’achèvement, qui donne la caution immobilière pour le terrain, qui paye le permis de construire, le géomètre, etc. Le fait de travailler avec un maître d’ouvrage permet aussi de contourner la solidarité financière qui fait que si quelqu’un se désiste, tout le groupe est fragilisé. Aujourd’hui, les banques sont intellectuellement incompatibles avec l’habitat participatif. Alors qu’en restant dans le cadre de la VEFA, on les rassure.
Il y a une demande sociale de plus en plus forte pour ce type de projet, mais pas d’offre. Nous vivons une crise du sens, et l’habitat participatif est une façon de fabriquer de l’en commun, de permettre aux gens de se rencontrer et de se connaître. La demande est aussi liée aux économies qui découlent de la mutualisation des espaces… Le type de projet que nous montons est dans l’air du temps, mais il répond aussi à un besoin.
Dans un contexte où l’urbanisme durable invite à « horizontaliser » la fabrique de la ville, la participation prend des allures de pensum encombrant. Le mot est si usé qu’il devenait urgent d’en ranimer toutes les promesses. C’est justement l’une des ambitions de la rétrospective que le Lieu Unique (LU) consacre à Simone et Lucien Kroll, respectivement paysagiste et architecte. Dans l’ancienne friche industrielle nantaise réhabilitée par Patrick Bouchain et sous son patronage, l’exposition (« celle d’un architecte sur un architecte », explique Bouchain) déroule les travaux les plus emblématiques de la démarche du couple. On y retrouve évidemment leur projet le plus célèbre : la « Mémé », maison médicale des étudiants en médecine de Louvain érigée à la fin des années 1960 à Woluwé-Saint-Lambert dans la banlieue de Bruxelles. Né d’une fronde contre un projet de campus, ce patchwork architectural à la façade hétérogène est le parfait contre-manifeste du fonctionnalisme : « Suivant une tendance qui se façonne d’expérience en expérience, j’ai envisagé (…) de faire participer des groupes de futurs habitants (les étudiants en médecine, puis les assistants, les professeurs, les employés et les habitants du quartier), à la conception, à l’étude détaillée et au principe de gestion des volumes à construire, explique Lucien Kroll. Cela allait susciter, dès la prise de possession des lieux par les habitants, un milieu urbain plus animé, duquel les habitants se sentent responsables et auquel ils puissent s’attacher au lieu de se contenter de camper dans des logements impersonnels. »

Qu’il s’agisse de construire un immeuble autogéré comme à Auderghem où les Kroll vivent encore aujourd’hui, ou de réhabiliter un grand ensemble pour insuffler à la froide rigueur des lieux un peu de la chaleur des habitants, Lucien Kroll n’a cessé de penser l’architecture à contre-courant de ses contemporains. Quand l’après-guerre généralise le zonage et donne à la rationalité technique la forme brutale et impersonnelle des grands ensembles, il revendique une approche « paysagère » de son activité – paysagère, c’est-à-dire « globale, relationnelle et de longue durée ». Ecologique en somme. A la planification rigide et l’industrialisation de l’habitat, il oppose la vicinitude (cette relation au voisinage qui est « l’inverse de la solitude ») et surtout l’incrémentalisme, défini comme une manière d’inventer en faisant, sans préalable rigide, et selon les avis des futurs usagers d’un lieu.
"Notre proposition, plutôt que de s’attacher à une architecture qui exprime l’industrie de consommation, s’appuie sur des attitudes d’habitants plus familières et plus responsables." Lucien Kroll
« Notre proposition, résume Lucien Kroll, plutôt que de s’attacher à une architecture qui exprime l’industrie de consommation, s’appuie sur des attitudes d’habitants plus familières et plus responsables. » Pas question pour autant de bannir l’industrie. L’architecte choisit plutôt de la pousser dans ses derniers retranchements et de la plier au service de l’habitant. Expérimentant à l’occasion le préfabriqué, il en fait par exemple un moyen de diversifier les formes et de refléter la variété des attentes.
Faire participer les usagers à l’élaboration de leur logement nécessite du temps, de l’écoute et de la patience. Pour mener à bien leurs projets, les Kroll peuvent aussi compter sur un outil simple et efficace : les maquettes. Elaborées collectivement avec les moyens du bord et les matériaux les plus banals (du bois, de la mousse, du papier, du carton…), elles permettent de préfigurer un futur bâtiment, d’esquisser la forme d’un lieu. A partir des années 1980, l’agence leur substitue l’informatique. Au Clos d’Emery à Emerainville où ils doivent construire 80 logements, les Kroll expérimentent la conception assistée par ordinateur par le biais de Paysage, un logiciel maison. L’outil autorise « une juxtaposition sans limite perceptible » et « les situations les plus diverses possibles : villa isolée, jumelée, groupée, petits collectifs intermédiaires ». A côté des maquettes et perspectives nées grâce l'informatique, l’exposition au LU présente aussi des documents plus banals. De ceux qui composent l’arsenal technique de tout architecte : plans masses, esquisses, dessins de façades…
Ce n’est pourtant pas ce maelström de visuels et de textes (Lucien Kroll est l’auteur d’un abondant appareil théorique) qui rend le mieux sensible la démarche du couple. Si la rétrospective parvient à toucher le spectateur, elle le doit d’abord à son caractère d’exposition « habitée ». Ainsi à l’extérieur du LU, au bord du canal, Simone Kroll a conçu pour l’occasion un luxuriant potager. Planté de capucines, de sauge, de cucurbitacées, de choux, d’ipomées, le tout avec la participation des riverains, il évoque le jardin éco conçu en 1992 par la paysagiste pour le Festival des jardins à Chaumont. Lui répond, à l’intérieur, l’ « appartement témoin » aménagé sur ¼ de la surface de l’exposition par le collectif d’architectes ETC. Reproduisant l’un des appartements de l’immeuble d’Auderghem, cet espace évolutif accueillera 12 jeunes agences d’architectes, locales pour la plupart, pendant toute la durée de l’exposition. En investissant le lieu à leur guise, elles illustreront la démarche des Kroll. Elle souligneront aussi combien le couple, malgré sa discrétion et la singularité de sa démarche, a inauguré une féconde lignée. « Toute cette exposition est une affaire de filiation », prévient ainsi Patrick Bouchain…
Toutes les citations de Lucien Kroll sont extraites du catalogue de l’exposition : Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée, sous la direction de Patrick Bouchain, éditions Actes Sud, 2013.Lucien Kroll, Tout est paysage, éditions Sens&Tonka, 2012
"Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée", du 25/09 au 1/12/13
Le Lieu unique
Quai Ferdinand Favre - Nantes
T/ 02 40 12 14 34
www.lelieuunique.com
Horaires d'ouverture : Mardi-samedi : 14h-19h//dimanche 15h-19h
Entrée libre
D’une façon générale, les gens se sont déconnectés progressivement des questions énergétiques : on appuie sur un interrupteur et on a de la lumière. Ils ont aussi le sentiment que l’énergie n’est pas une question collective, qu’elle relève d’un système très centralisé. C’est assez culturel et pour tout dire assez français : dans notre pays, on reporte beaucoup de choses sur le gouvernement alors que sur ces questions, il faudrait au contraire que les citoyens et les collectivités reprennent le pouvoir. L’indifférence que vous pointez tient peut-être aussi à l’organisation du débat, pour lequel une machine très lourde s’est mise en place. Enfin, les médias ne s’y sont pas du tout investis, et ce n’est pas faute de les avoir sollicités. Il faut dire que la transition énergétique est une question complexe, qui nécessite de réfléchir et de sortir d’une opposition binaire se résumant, en gros, à être pour ou contre le nucléaire. Il y a pourtant un réel intérêt du public pour ces questions : l’association Négawatt a organisé plus de 250 conférences et nous avons toujours fait salle comble !
Rien moins que la façon dont on va vivre demain ! Nous sommes comme dans une voiture lancée à 130 km/h face à un mur. Dans ces conditions, le débat ne résume pas à se déclarer pour ou contre le gaz de schiste et le nucléaire. Il s’agit de savoir si l’on peut diviser par 4 nos émissions de GES d’ici 2050, c’est-à-dire dans moins de deux générations. Un tel objectif a des conséquences dans tous les domaines. Il implique de repenser l’urbanisme, de restructurer un très grand nombre d’emplois (or le scénario Négawatt apporte des réponses à cette question), de revoir nos modes de déplacement et la façon dont on bâtit et l’on rénove nos bâtiments. Il appelle en somme une transformation radicale mais progressive de la société.
"Les hommes politiques n’ont pas compris que la transition était une formidable opportunité économique, et non une contrainte." Thierry Salomon, président de Negawatt
Si l’on ne s’y engage pas plus fortement, nous devrons faire face à une augmentation très forte de la précarité et de la dette. Il s’agit aussi de réduire notre dépendance énergétique : chaque année, nous donnons 61 milliards d’euros à la Russie et au Qatar ! Les hommes politiques n’ont pas compris que la transition était une formidable opportunité économique, et non une contrainte. Si le gouvernement ne s’y engage pas, il perdra une chance historique. L’Allemagne de son côté l’a bien compris et a annoncé sa sortie du nucléaire en 2023. Savez vous que dimanche dernier, 46% de l’énergie allemande a été produite grâce au photovoltaïque ?
Leur scénario est très simple. Il se résume à cette seule expression : Business as usual ! Même le retour à 50% de la part du nucléaire dans le mix énergétique est combattu. A la place, certains groupes prônent l’avènement des smart grids et des appareils dits « intelligents », qui sont de gros consommateurs d’énergie. Certains plaident aussi pour le gaz de schiste et citent l’exemple du « miracle » américain.
Contrairement à Jeremy Rifkin ou même à Armory Lovins (auteur de Réinventer le feu aux éditions rue de l’échiquier), le scénario négaWatt ne plaide pas seulement pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, mais aussi pour la sobriété. Comment défendre une telle position dans un contexte où il est impensable de contraindre les gens à consommer moins d’énergie ?
Dans l’association négaWatt, nous faisons un parallèle avec le code de la route. Il a été conçu pour qu’en allant d’un point A à un point B, vous ayez une chance d’arriver à B. Pour cela, il importe d’éviter les comportements extravagants. En matière d’énergie, c’est la même chose ! La sobriété énergétique est une question de bon sens, mais elle doit aussi conduire à la mise en place de règles simples et collectives. Prenons l’arrivée massive des écrans publicitaires à très forte consommation d’énergie. Un million de ces écrans, c’est un réacteur nucléaire dont il faudra gérer les déchets pendant 100 000 ans. Qu’est-ce qu’on y gagne en bien-être ? L’idée de Négawatt, c’est d’avoir une vraie réflexion sur nos usages de l’énergie. Sont-ils sources de bienfaits ? Sont-ils superfétatoires ? La sobriété dont nous parlons renvoie à l’intelligence dans l’usage, collective et individuelle, plutôt qu’à la performance des équipements.
"La sobriété dont nous parlons renvoie à l’intelligence dans l’usage, collective et individuelle, plutôt qu’à la performance des équipements." Thierry Salomon
Cela passe par de la pédagogie, des règles, des incitations. Il faudrait en somme que l’énergie fasse l’objet d’un mouvement comparable à celui des déchets il y a quelques années. Il ne faut pas avoir peur de la sobriété. C’est plutôt l’ébriété qui est à craindre. Et puis, le mot « sobriété » exprime bien en lui-même ce qui le distingue du quota, du rationnement et de la privation.
On se retrouve assez avec Pierre Rabhi et le mouvement Colibri. Récemment, il s’est un peu radicalisé, passant d’un discours centré sur l’action individuelle à une réflexion plus sociétale et politique, et c’est tant mieux. En revanche, même si je suis souvent d’accord avec ce que Latouche écrit, je trouve qu’il appuie trop sur le mot décroissance. Or ce terme pose un problème de langage. Il pollue le débat car il reflète très mal l’idée qu’on puisse coupler décroissance de la consommation d’énergie et augmentation du bien-être. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’indicateur du PIB est mauvais, mais parler de décroissance généralisée peut être mal compris, et interprété comme une récession volontaire. C’est pourquoi chez négaWatt, nous ne reprenons jamais cette notion de décroissance. Nous ne rejetons pas la technique, nous ne prônons pas le fameux « retour à la bougie » (soit dit en passant, celle ci a une très mauvaise efficacité énergétique, et elle est faite à partir de pétrole !)… Nous proposons simplement, à travers les renouvelables, de revenir à une économie de flux, en opposition à l’économie extractiviste du charbon et du gaz.
Pour avoir vécu les 7 mois de ce débat, je pense que la réponse est la suivante : Delphine Batho venait plutôt de la sécurité, elle est jeune, c’est une femme, elle était assez inexpérimentée sur le sujet, elle n’était porteuse d’aucune vision. De plus, son ministère avait été dépouillé : alors que Borloo était numéro 2 du gouvernement et a joué à plein son rôle de skipper sur le grand navire du Grenelle, son ministère à elle n’avait plus l’urbanisme, ni le logement, ni le transport. Le débat sur la transition énergétique a donc commencé avec une ministre nommée à la suite d’un débarquement, dont le ministère était très appauvri, qui avait des difficultés à se faire respecter en tant que telle, et devait mettre en branle une très grosse mécanique. De plus, Hollande et Ayrault ne se sont à aucun moment invités dans le débat, ils ont laissé faire, avec pour seul objectif qu’on en sorte avec des recommandations. Bref, le portage politique a été très faible. A force de travail et de réunions, Delphine Batho a tout de même fini par comprendre l’importance de l’affaire. Elle a pris conscience qu’on ne s’en sortirait pas si l’on n’avait pas une volonté très ferme de réduction par deux de la consommation d’énergie. On l’a sentie de plus en plus affirmée sur cette question-là dans ses derniers discours. C’en était trop pour les producteurs d’énergie, qu’il s’agisse des pétroliers ou des électriciens. Celle qu’on croyait faiblarde à commencer à remuer. La question des budgets a été la goutte d’eau qui a fait chavirer le navire.
Je pense que toute une frange du Parti socialiste n’a pas compris qu’il fallait changer de logiciel. Nous avons affaire à un microcosme qui s’en tient à une vision purement tacticienne et politicienne des choses – en gros à une vision qui ne va pas au-delà des prochaines municipales. Le PS propose de chercher un consensus sans force et de maintenir la situation jusqu’à ce que ça s’écroule. Il lui manque une vision politique forte. Du reste, les îlots de résistance ne se trouvent pas seulement dans la classe politique : les pétroliers, une grande partie du MEDEF et les électriciens ne sont pas près de bouger. Il y a pourtant des tas d’entreprises qui ont immensément à gagner à la transition, dans le bâtiment notamment où la rénovation pourrait être un fabuleux gisement d’emplois locaux… Mais la transition fait peur à nos hauts-fonctionnaires, et aussi à nos syndicats, pour qui elle équivaut à la remise en cause de positions acquises. Par exemple, quelqu’un qui travaille à EDF paye 10% de son courant, et le comité d’entreprise d’EDF est financé par 1% du Chiffre d’affaires de l’entreprise. Dans ces conditions il faut vendre le plus d’énergie possible. Alors forcément, quand nous affirmons qu’il faut réduire nos consommations, ce discours leur paraît radical. Quand vous faites la somme des résistances, que vous comptabilisez leurs forces et calculez leurs moyens, vous comprenez que c’est David contre Goliath. Mais dans l’histoire, c’est David qui gagne !
Pour répondre à votre question je voudrais vous rapporter une petite anecdote, que j’ai vue de mes yeux. En septembre 2012, lors de la conférence environnementale à laquelle participaient les PDG de l’énergie, le MEDEF et les ONG, Montebourg a voulu montrer qu’il s’ennuyait ferme, et a commencé à lire un magazine dont il a montré sciemment la couverture à l’assemblée. Il s’agissait de l’Usine nouvelle, qui titrait « Le trésor du gaz de schiste ». L’anecdote montre bien que le débat n’a été guidé par aucune vision, ni aucun attelage. Pourtant, il aurait été fort que Delphine Batho, Cécile Duflot et Arnaud Montebourg se montrent unis à la tribune dans un même discours.

Les positions de négaWatt trouvent des alliés assez inattendus, notamment dans les collectivités locales, les ONG, mais aussi dans de grandes institutions comme l’ADEME ou GRDF, dont les scénarios sont assez proches du nôtre. Ça crée un rapport de forces qui a permis à nos idées de sortir du débat très renforcées…
Elles ont tout intérêt à reprendre la main sur la question énergétique. L’énergie, c’est trois choses : la production, la distribution et la consommation. Les collectivités sont gagnantes à tous les niveaux. D’abord, les renouvelables sont une production locale et les collectivités y ont intérêt au titre d’une meilleure utilisation de ces ressources. Quant à la distribution, elles en ont laissé la gouvernance à EDF-GDF, à travers des concessions. Pourtant, on voit bien avec l’exemple de l’eau ce qu’elles pourraient gagner à reprendre la main, notamment en termes de prix. Sur le volet de la consommation, les collectivités y ont intérêt pour deux raisons : pour lutter contre la précarité énergétique et accroître le pouvoir d’achat, mais aussi pour créer sur place un grand nombre d’activités, notamment dans le domaine de la rénovation.
"Les collectivités ont tout intérêt à reprendre la main sur la question énergétique." Thierry Salomon
Un vaste programme destiné à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, c’est 30 ans de travail pour des entreprises locales. Les collectivités seraient les grandes gagnantes de cette revitalisation de l’économie, et un certain nombre d’entre elles l’ont bien compris – notamment la région Rhône-Alpes ou le Nord. Dans ces régions là, la transition énergétique apparaît comme une vraie opportunité, une manière de tendre vers une société meilleure. Les sondages montrent que 85% des français sont d’accord avec ce que je viens de raconter : il existe une quasi unanimité en faveur des renouvelables et les résistances, notamment vis-à-vis de l’éolien, sont en train de tomber. Nos compatriotes voient bien que la crise pétrolière peut surgir à tout moment, ou que le nucléaire n’est pas sûr.
Pour le comprendre, il faut regarder dans les analyses de la CRE (Commission de régulation de l’énergie). Elle a montré un décalage très fort entre le coût de revient de la production d’électricité en France et les prix. En France en effet, les tarifs sont régulés par le gouvernement. Evidemment, le 1er ministre n’a aucune envie que le prix de l’électricité monte. Malgré l’augmentation des coûts, on a fait en sorte que le prix stagne, et l’écart est devenu tellement considérable que ça peut être dangereux pour EDF. La CRE a donc demandé un rattrapage. Il faut aussi savoir que se profilent devant nous une série de coûts : au niveau de la production, se pose l’énorme problème du remplacement des centrales nucléaires, de leur arrêt ou de leur grand carénage. La prolongation de la durée d’exploitation des centrales coûterait 1,2 milliards par réacteur. Pour l’ensemble des réacteurs, il faut alors envisager une dépense de l’ordre de 50 à 80 milliards d’euros. Ne serait-il pas judicieux d’investir une telle somme dans la transition énergétique ?
"Qui va régler la facture ? Les futurs consommateurs, qui vont devoir payer notre héritage..." Thierry Salomon
Autre grande inconnue : la centrale EPR de Flamanville. Les coûts initialement annoncés étaient de 3,2 milliards, et on en est déjà à 8,5. Quant au traitement des déchets radioactifs, on parle de 35 milliards d’euros. Bref, on est face à une industrie qui double ses devis, et on ignore tout des coûts de démantèlement. Qui va régler la facture ? Les futurs consommateurs, qui vont devoir payer notre héritage...
La loi ne sera pas pour l’automne, mais plutôt pour février ou mars, pas avant. Et encore ! Nous sommes quelques-uns à penser qu’il faudra attendre encore car il y a les municipales au printemps. Pour tout dire je suis un peu pessimiste. Il aurait été intéressant que le débat puisse s’emparer du projet de loi, voire le rédiger, ce qui n’est pas le cas. Nous avons abouti à une recommandation, et ce seul mot était déjà tellement révolutionnaire que le MEDEF a souhaité le faire remplacer par le terme d’ « enjeu ». Mais un enjeu, n’est-ce pas ce qu’on pose au début d’un débat ? En somme, on a passé 7 mois sur un texte qui ne vaut pas grand-chose. Reste maintenant à guetter comment les députés vont s’emparer du projet de loi... Est-ce que celui-ci sera porté par la commission des affaires économiques, auquel cas cela signifiera que l’économie prime sur le reste ? Est-ce que ce sera la commission Développement durable, plus favorable à la transition énergétique ? Il va falloir être vigilants…
Association Négawatt, Manifeste Négawatt : réussir la transition énergétique, éditions Actes Sud, 2012, 20,30 euros
Amory B. Lovins, Réinventer le feu : des solutions économiques novatrices pour une nouvelle ère énergétique, éditions rue de l'échiquier, 2013, 29 euros
Le terme agriculture urbaine est nouveau, mais l’agriculture dans la ville a toujours existé. La dernière vache a quitté Paris en 1971 ! En France, la séparation entre ville et agriculture s’est faite au début du 20e siècle, et surtout au cours des 30 glorieuses, du fait de l’étalement urbain et de l’industrialisation des filières agricoles.Le terme agriculture urbaine est arrivé relativement tard dans notre pays – depuis une quinzaine d’années tout au plus. La question s’est d’abord posée dans les pays du Sud, notamment lors de l’arrivée massive de paysans dans les villes à cause des guerres (dans l’Afrique des Grands Lacs en particulier).
"Le terme agriculture urbaine est nouveau, mais l’agriculture dans la ville a toujours existé." Christine Aubry, ingénieur de recherche à l'INRA
L’agriculture urbaine y est alors un vrai moyen de subsistance. Elle se définit d’abord par son lien fonctionnel avec la ville plus que par sa localisation qui peut être intra ou périurbaine. Elle partage avec l’espace urbain le foncier et la main d’œuvre ainsi que d’autres ressources (l’eau par exemple), et cherche à concilier aire de production et de consommation. Dans les pays du Nord en particulier, alors qu’on imagine l’agriculture urbaine comme construite en opposition à l’espace urbain, elle en est souvent complémentaire, ne serait-ce que parce que dans bien des cas, c’est le salaire d’un conjoint travaillant en ville qui permet à un agriculteur de maintenir son exploitation.
Je ne suis pas sociologue ni historienne, mais ce qu’on peut constater cependant, c’est qu’il existe des parallèles avec d’autres phénomènes aussi en plein essor. J’en vois au moins deux : d’une part, l’intérêt croissant des politiques et des citoyens pour le développement durable, et notamment pour le développement durable urbain ; d’autre part, les crises alimentaires en Occident, qui ont mis les consommateurs en alerte. A partir de la fin des 1990, une inquiétude croissante quant aux conséquences sanitaires de notre modèle agricole a amené une partie de la population à vouloir diversifier les liens avec les agriculteurs, voire à auto-produire. On explique ainsi notamment l’essor des circuits courts, et aussi le fait qu’aujourd’hui, la plupart des collectivités sont confrontées à des demandes quotidiennes d’espaces à cultiver par les habitants…
La multifonctionnalité n’est pas propre à l’agriculture urbaine. La plupart les exploitations agricoles remplissent de fait plusieurs fonctions . Par exemple, un mouton produit de la viande, mis aussi de la laine ou du cuir. En ville toutefois ou à ses alentours, cette multifonctionnalité est extrêmement poussée et très fréquente : une même exploitation pourra concilier production alimentaire, activités pédagogiques ou sociales, aménagements paysagers, etc. D’ailleurs, une exploitation urbaine ne fonctionnera que si elle apporte plusieurs types de services.
"Une exploitation urbaine ne fonctionnera que si elle apporte plusieurs types de services." Christine Aubry
Pour une raison très simple : les fermes situées à proximité des villes souffrent souvent de leur proximité avec l’espace urbain à travers la pression sur le foncier, les difficultés de circulation, les conflits avec le voisinage etc. ; elles ont donc tout intérêt à transformer ces nuisances en avantages, par exemple en organisant la vente directe de produits et de services aux citadins…
C’est déjà largement le cas ! L’apiculture urbaine est en plein boom et va sûrement continuer à se développer. On commence aussi à voir quelques élevages de volailles, avec des formes plus domestiques. Par exemple, Yerres dans l’Essonne a une politique de développement des poulaillers. Commencent aussi à s’y développer des élevages de type multifonctionnel. C’est le cas des moutons de Clinamen à Saint-Denis : les ovins servent de tondeuses à gazon, mais fournissent aussi des services pédagogiques et alimentaires. Pour un certain nombre de collectivités territoriales, réinstaller des élevages dans l’espace urbain et périurbain peut être intéressant. En Ile-de-France toutefois, leur essor est limité à cause du démantèlement des abattoirs de proximité et de la rareté des services vétérinaires. Pour que l’élevage urbain se développe, il faut parfois retisser toute une structure de transformation.
L’agriculture urbaine prend les formes les plus diverses, que ce soit par sa localisation, par la fonction principale des exploitations ou par leurs filières (auto-consommation ou vente, et dans quels circuits ?). Le caractère multifonctionnel de l’agriculture urbaine rend très difficile l’établissement de typologies immuables. Par exemple, les formes non professionnelles d’agriculture ne sont pas pour autant dénuées d’intérêt économique : dans un jardin familial de 150 m2, on a une production alimentaire relativement importante, qui vient se cumuler aux bénéfices sociaux, voire thérapeutiques du projet. De même, les initiatives émergentes, notamment dans l’intra-urbain, sont très souvent des projets de nature hybride : à un but strictement commercial, s’ajoute souvent une visée pédagogique et éventuellement sociale. Les business model de ces initiatives sont eux-mêmes conçus en fonction de plusieurs types de services et de rémunérations afférentes. On est dans une hybridation très forte. C’est la même chose outre-Atlantique, où l’on voit se nouer des liens très forts entre par exemple les toits productifs et l’agriculture péri-urbaine.
"Les innovations en matière d'agriculture urbaine viennent rarement, hélas, du monde agricole." Christine Aubry
Ce qui caractérise les projets d’agriculture urbaine, c’est qu’il s’agit de formes innovantes, et que tout est en construction. Ces innovations viennent rarement, hélas, du monde agricole. En effet, les systèmes techniques mis en œuvre par l’agriculture urbaine diffèrent très largement des modes de production « traditionnels », et les agriculteurs ne sont pas soutenus aujourd’hui dans ce genre d’innovation par leurs organisations professionnelles qui ne semblent pas avoir encore pris la mesure des développements possibles de l’agriculture urbaine. Mais c’est peut être une simple question de temps.
Il est évident que les formes urbaines sont déterminées par l’accès au foncier. Les fermes urbaines qui s’installent en pleine ville dans des zones en déshérence (les friches industrielles par exemple, fréquentes aux USA mais aussi dans certains villes européennes) ont plutôt tendance à développer la production hors-sol, alors que le péri-urbain est plus propice aux cultures en plein champ. Toutefois cette distinction n’est pas figée, et on voit aussi des projets hors-sol dans le périurbain, et de l’agriculture en plein champ au cœur des villes… Cela dépend beaucoup des structures urbaines elles mêmes.
Il est très difficile pour l’heure de répondre à cette question. On commence à avoir quelques données en la matière, mais elles sont à manier avec beaucoup de précautions. Paris a fait une estimation de ses toits productifs. Il existe dans la capitale environ 300 hectares de toits plats, dont 80 seraient cultivables, sans préjuger du coût de mise en culture. Ce qu’on a pu montrer à l’INRA, c’est qu’on peut produire entre 5 et 8 kilos de légumes par m2 sur un toit productif en plein air ou dans des jardins associatifs urbains. Il est clair qu’on est très loin de l’autosuffisance maraîchère en ville ! Mais le potentiel de production urbaine n’est pas pour autant négligeable, surtout en ce qui concerne les populations les plus vulnérables. De plus, ces formes d’agriculture peuvent remplir des services alimentaires particuliers : restauration collective, réinsertion, accès aux produits frais de populations vivant dans des « déserts alimentaires », ce qui est plus souvent le cas outre atlantique que chez nous, là encore pour des questions de structure des villes. Mais si l’on avait l’objectif politique d’assurer le plus possible l’approvisionnement des villes par les différentes formes d’agriculture urbaine, on pourrait le faire…
C’est très difficile à dire. Dans les pays du Sud, notamment africains, l’agriculture urbaine assure entre 60 et 100 % de l’approvisionnement en produits frais. En Occident, on est beaucoup moins bons, et surtout on sait beaucoup moins ! Par exemple, en Ile-de-France, la quantité de salades produites peut théoriquement couvrir 80% des besoins de la région, mais on n’a aucune idée des liens réels qui unissent production et consommation. Idem pour les céréales cultivées dans l’espace périurbain, dont la moitié est exportée. Quand vous achetez une baguette, vous ne savez pas d’où provient la farine, alors qu’on aurait la possibilité d’approvisionner largement l’Ile-de-France grâce au blé produit sur place ! En somme, l’agriculture urbaine met en question notre modèle de production. A la fois dans les liens aux consommateurs, et dans ses systèmes techniques. Il y a pour partie une question d’échelle : les questions sont portées par les communautés d’agglomération, mais c’est très difficile pour elles d’intervenir sur les filières. Quant à la PAC, elle ne traite pas d’agriculture urbaine.
En France, on est à la fin d’une dynamique de grignotage périurbain, du moins je l’espère. L’étalement a été très fort dans les années 1990 et 2000, en partie parce qu’on sacralise les forêts et les bois et que pour que les villes s’étendent, surtout avec le modèle du pavillon de banlieue, ils fallait piocher dans les terres agricoles. Pendant cette décennie, en Ile-de-France, moins d’1% des terres forestières ont été grignotées, contre 12% des terres agricoles. A l’échelle locale (de la grande commune, voire de la Région) on est souvent dans des politiques qui visent à préserver ce qui peut l’être, avec des moyens parfois très importants. L’agence des espaces verts en Ile-de-France est aujourd’hui un plus gros propriétaire terrien que la SAFER, car elle y a mis les moyens. Son exemple souligne que freiner le mitage des terres agricoles ne passe pas aujourd’hui par des politiques nationales. En France, l’Etat n’a pas légiféré sur le sujet. Pour plusieurs raisons, notamment politiques : les syndicats majoritaires ne promeuvent pas franchement la diversité agricole et comme on l’a dit, ne s’intéressent pas prioritairement à l’agriculture proche des villes. Il y a aussi le fait qu’on est confronté en France à un grand déficit de logements, d’où la tentation de régler le problème en libérant des terres agricoles. C’est la raison pour laquelle les politiques agricoles en périurbain sont aujourd’hui portées au premier chef par les communautés d’agglomération. D’autant plus que les PLU et les SCOT les incitent à réfléchir à l’échelle de l’ensemble du territoire, ce qui n’était pas le cas il y a 15 ans.
La rentabilité des exploitations agricoles urbaines est soumise à au moins trois conditions. Elle doit d’abord bénéficier d’aides pour l’accès au foncier, celles-ci pouvant venir d’associations de citoyens, comme Terre de liens, ou de baux environnementaux passés par les communes avec les agriculteurs à certaines conditions, (par exemple le fait de produire des produits bios dans des circuits de type AMAP). Ensuite, les projets d’agriculture urbaine ont intérêt à produire des denrées à forte valeur ajoutée. Elles vont plus facilement valoriser de la production maraîchère ou laitière. Enfin, le choix des circuits de commercialisation est très important. Les exploitations urbaines privilégient souvent la vente directe…
En France, l’agriculture urbaine se développe dans de nombreuses directions. On voit notamment émerger des formes d’agriculture hors-sol ultra productives. Certains projets sont en train d’aboutir, dont celui d’une tour maraîchère de 3 ou 4 étages à Romainville. Il s’agit d’un projet porté par la mairie, et qui va s’installer dans un quartier en pleine rénovation urbaine. L’objectif est de produire des légumes locaux, peut-être des poissons grâce à l’aquaponie, et à des prix défiant toute concurrence. L’enjeu est de mettre en œuvre un système très productif. D’autres systèmes high tech existent ou sont en projet, et en même temps, les citadins sont réticents vis-à-vis de l’hydroponie, alors que c’est un modèle peu gourmand en eau, en terre et en produits phytosanitaires. L’image qu’on se fait de l’agriculture en France semble peu compatible avec ce type de systèmes. Par exemple, aujourd’hui il y a incompatibilité entre le hors-sol et l’agriculture biologique, et il n’existe pas de certification possible dès lors qu’il n’y a pas de lien au sol. Par ailleurs, des systèmes moins « high tech » mais plus fondés sur des interactions agro-écologiques se développent actuellement en intra-urbain, par exemple des toits productifs en plein air où l’on fait du maraîchage dans des bacs sur des composts locaux, somme nous l’expérimentons actuellement sur le toit d’AgroParisTech…
"Faire de « l’écologie d’échelle » est possible si l’on mutualise l’offre des producteurs, contrairement à ce qui se fait aujourd’hui. De la même manière, il faudrait optimiser les déplacements des consommateurs pour limiter les coûts." Christine Aubry
La question a émergé notamment suite aux épandages de boues urbaines sur les terres agricoles périurbaines. Aucune réglementation n’encadrait ces pratiques au début du 20ème siècle et jusque fort tard, d’où de fortes pollutions en métaux lourds. En zone intra-urbaine, les sols peuvent être pollués par des activités antérieures, notamment liées à l’industrie chimique ou métallurgique. A Lille par exemple, les sols libérés par la désindustrialisation sont, le plus souvent, suffisamment pollués pour que se pose la question de leur dangerosité. Face à cela, trois types de solutions : d’abord, la plupart des collectivités territoriales interdisent dans ces cas l’implantation de jardins associatifs sur place. Lorsque les gens insistent, on excave le sol et on remplace la terre, ce qui pose la question de la traçabilité des terres. Parallèlement, les chercheurs développent aussi des recherches pour qualifier ces pollutions des sols et leur dangerosité en fonction du type de végétaux. Par exemple, on peut parfaitement cultiver du maïs sur des terres polluées car il absorbe très peu les métaux lourds. Troisième solution pour pallier la pollution des sols : la mise en œuvre de dispositifs hors-sol, des bacs par exemple, y compris pour les formes commerciales.
Une étude d’un collègue allemand a comparé les consommations d’énergie fossile entre les filières courtes et longues. Il a analysé 4 ou 5 produits, dont l’agneau et le jus de pomme. L’étude montre que les filières longues organisées depuis longtemps ont optimisé leur logistique. C’est le cas de l’agneau de Nouvelle Zélande acheminé en container par bateau, alors qu’un éleveur ovin local multipliera les déplacements pour conduire les bêtes à l’abattoir, puis les acheminer en petite quantité jusqu’aux consommateurs. Ce que ce chercheur a voulu mettre en évidence, c’est la nécessité d’organiser les filières courtes sur le plan logistique. Faire venir cinquante voitures pour chercher un petit panier bio n’est pas forcément très pertinent sur le plan énergétique, et il serait judicieux de s’inspirer des filières longues pour optimiser cela. Faire de « l’écologie d’échelle » (« scale ecology » selon l’expression de ce collègue, Elmar Schlich) est possible si l’on mutualise l’offre des producteurs, contrairement à ce qui se fait aujourd’hui. De la même manière, il faudrait optimiser les déplacements des consommateurs pour limiter les coûts.
Dépendance à la voiture, étalement urbain, éloignement des zones d’emploi, de commerce et de transport : le mode de vie pavillonnaire est très gourmand en émissions de gaz à effet de serre. C'est la raison pour laquelle les réflexions sur la ville durable prônent de plus en plus un urbanisme qui privilégie la densification de l’habitat. Cette solution permet de répondre à deux problèmes : l’obligation de réduction de CO2 et le besoin de nouveaux logements dans les premières couronnes des agglomérations. Contrairement aux opérations actuelles qui s’installent dans les anciennes friches industrielles, la démarche Bimby s’intéresse aux espaces périurbains où se concentrent les problèmes.« Le manque de terrain à bâtir est une réalité de beaucoup de villes en France. Vendre une partie de son terrain pour faire construire est une solution à la fois économique et écologique », expliquent Benoit Le Foll et David Miet, les deux architectes urbanistes à l’origine de la démarche Bimby en déplacement au CMAV de Toulouse pour présenter leur projet. Les mots de « lutte contre l’étalement urbain », « crise du foncier » sont rapidement évoqués. L’idée principale est simple : dans un contexte où la pression foncière est particulièrement forte dans les quartiers pavillonnaires, la démarche Bimby s’affiche comme un nouveau levier pour renouveler la ville. En effet, elle offre la possibilité à un habitant de céder une partie de son terrain pour créer de nouveaux logements.
Si l’on considère qu'il y a 19 millions de maisons individuelles en France, il suffit qu’un propriétaire sur 100 accepte de vendre une partie de son terrain pour libérer 190.000 terrains à bâtir. Aujourd’hui, c’est une vingtaine de communes, un peu partout en France (Bretagne, Vendée, Aquitaine, Auvergne…) qui ont engagé une démarche pilote d’expérimentation.« On avait le pressentiment que l’on avait la place suffisante pour construire dans l’enveloppe urbaine et j’étais très agacé par la manière dont les agences immobilières découpaient les terrains selon des intérêts individuels, bien que dans le cadre légal du POS (Plan d’occupation des sols). Aussi, le diagnostic du PLU a confirmé le manque de petits logements, petites maisons et petits immeubles collectifs. Bimby s’est alors présentée comme une méthode appropriée pour nos problématiques », explique Jacques Cabot, le maire de Bouray-sur-Jouine. Cette commune (2000 habitants) située dans l’Essonne, à une quarantaine de kilomètres de Paris, connait une très forte pression immobilière et doit faire face à une importante demande de logements.Principale motivation mise en avant par les habitants : l’intérêt financier. « A 150.000 euros la valeur du terrain, de nombreuses personnes voient soudain l’intérêt d’en céder une partie. De plus cela permet de dégager de la trésorerie pour assurer de nouveaux besoins : une maison de plain-pied pour une personne âgée, un logement pour un enfant, le coût de l’entretien du jardin ou tout simplement pour financer des projets personnels », soulignent les porte-parole de Bimby. « Il est important que la commune propose des formes d’habitat qui permettent à nos jeunes et à nos anciens de rester vivre dans notre commune », estime le maire de Bouray-sur-Jouine.
"A 150.000 euros la valeur du terrain, de nombreuses personnes voient soudain l’intérêt d’en céder une partie. De plus cela permet de dégager de la trésorerie pour assurer de nouveaux besoins : une maison de plain-pied pour une personne âgée, un logement pour un enfant, le coût de l’entretien du jardin ou tout simplement pour financer des projets personnels." Benoit Le Foll et David Miet, architectes et urbanistes à l'origine de la démarche Bimby
Autres avantages pointés du doigt : la maîtrise de l’étalement urbain. Le fait de limiter la construction de logements implantés de plus en plus loin des zones d’emplois et de transport influe sur les émissions de gaz à effet de serre et le « grignotage » des terres agricoles. Alors que l’étalement urbain semble inévitable pour construire de nouvelles maisons individuelles, forme d’habitat la plus prisée par les français, Bimby se positionne comme une alternative concrète. « Créer de nouveaux logements dans les tissus existants permet d’offrir la maison individuelle que les habitants sont venus chercher en arrivant dans les zones pavillonnaires. Et pour une municipalité, Bimby permet également de ne pas avoir à construire de nouvelles voiries et de réseaux. Il y a un intérêt convergent entre l’individuel et le collectif dans un contexte de pression foncière » souligne David Miet, qui a depuis crée une société de conseil en urbanisme auprès des collectivités.

Principale difficulté pour cette démarche : les règles d’urbanisme. « Concrètement un habitant qui souhaite vendre une parcelle de son terrain a 4 chance sur 5 d’en être empêché par la réglementation », précise David Miet. Certaines règles du PLU (Plan Local d’Urbanisme) bloquent en effet la mise en place de ce type de projets immobiliers. Par exemple, Bouray-sur-Jouine va modifier son PLU (Plan Local d’Urbanisme) en juillet prochain afin de permettre la construction de nouveaux logements « façon Bimby » avec des premières applications prévues pour début 2014.
"Concrètement un habitant qui souhaite vendre une parcelle de son terrain a 4 chance sur 5 d’en être empêché par la réglementation". David Miet
Tremblay-sur-Mauldre, commune de 1000 habitants située dans les Yvelines, expérimente également la démarche. Le PLU devrait évoluer pour autoriser la construction de 70 logements en 10 ans. Elle a adopté un PADD (Projet d'aménagement et de développement durable) fin 2012 dont l’axe numéro 1 est de promouvoir la démarche de renouvellement initié par Bimby. Pas de clivage politique semble se dessiner parmi les premières municipalités qui ont décidé de tenter l’expérience. « On relève davantage une distinction entre pouvoir centralisé et pouvoir localisé. Cela se joue sur l’initiative laissée par le maire aux habitants », estime l’urbaniste, ajoutant : « Nous avons deux outils pour faire évoluer la situation. Le premier est le PLU qui peut être modifié de façon à autoriser la construction selon certaines règles dans les tissus existants. Le second est un outil de participation des habitants qui permet au propriétaire d’être reçu une heure gratuitement par un architecte pour conseiller et orienter les habitants ».
L’objectif affiché par Bimby est de faire converger intérêt privé et intérêt collectif pour construire un projet urbain. Un positionnement qui inverse le mode de représentation traditionnel de la fabrique de la ville. « Les élus partent habituellement du global au local, avec Bimby, c’est l’inverse, s’amuse Benoit Le Foll. Cela permet de changer la relation démocratique lors de la concertation. Faire une ville plus démocratique, c’est faire une ville plus durable ». Un des changements opérés par cette démarche repose en effet sur le transfert de compétences qui attribue la maitrise d’ouvrage à l’habitant. « La simplification de la démarche constructive permise par Bimby est également plus économique, cela retire de fait la commercialisation, les normes supplémentaires, le coût du bureau d’études et la marge du promoteur. C’est la logique de filière courte dans le logement », continue David Miet.
"La simplification de la démarche constructive permise par Bimby est également plus économique, cela retire de fait la commercialisation, les normes supplémentaires, le coût du bureau d’études et la marge du promoteur. C’est la logique de filière courte dans le logement." David Miet
Une position qui ne suscite pas que des approbations. Certains professionnels du secteur, architectes et urbanistes en tête, s’inquiètent de la dérive possible de cette appropriation de la ville par les habitants eux-mêmes. Leur crainte : la possibilité laissée à de petits propriétaires de fabriquer le territoire. « Il est clair qu’il faut s’assurer de certaines exigences, de se positionner sur les façades et les ouvertures pour que l’espace public soit respecté. Il faut faire du sur mesure, la modification du PLU doit dépendre de la morphologie des villes et du marché immobilier local pour ne pas donner les clés de la ville à de petits spéculateurs immobiliers », souligne David Miet. Il ajoute « Bimby donne un peu plus de pouvoir à l’habitant en en retirant à l’urbaniste. Cela explique sans doute que la principale résistance provient des professionnels du secteur qui voient d’un mauvais œil la perte d’une partie de leurs prérogatives. » Les deux initiateurs de la réflexion Bimby estiment qu’il faudra bien une dizaine d’années pour que la démarche se soit implantée de façon significative sur le territoire.
La cité des Francs-Moisins à Saint-Denis n’est pas tout à fait le genre d’endroit où l’on imagine spontanément que puissent paître des moutons : zone "sensible" et dense, elle est caractéristique de l’urbanisation des trente glorieuses et concentre quelques-uns des maux dont souffrent aujourd’hui les « quartiers ». C’est pourtant là, dans les jardins d’une chaufferie à proximité des grands ensembles, que l’association Clinamen loge entre deux transhumances un sympathique troupeau de ruminants à laine blanche. Ils sont dix-neuf Thônes-et-Marthod, vieille race rustique savoyarde écartée des circuits industriels, et s’appellent Patrick, Speculoos ou encore la Guerrière. Depuis un an, ils sillonnent l’île de France sous la conduite affectueuse d’Olivier, Simone ou Julie, allant tantôt paître sur le campus de Villetaneuse, tantôt ruminer à l’Académie Fratellini ou au parc de la Courneuve.Les animaux sont « HD » – « haute domestication ». Pas farouches, ils viennent solliciter les caresses d’un coup de corne et vous laissent plonger la main dans l’épaisseur grasse de leur toison. Leurs bergers les ont aussi habitués à s’arrêter au passage piéton et à se garder de traverser la route sans s’être assurés de leur sécurité. Car les moutons vont à pattes d’un pâturage à l’autre, levant sur leur passage une volée de questions, dont la première est bête comme chou : mais que font-ils donc là ?
On penche à première vue pour un projet culturel. Au cours des dix dernières années, c’est surtout aux artistes qu’on doit le timide retour de l’animal en ville – les ruches d’Olivier Darné à quelques pas de la bergerie en sont un exemple parmi d’autres. D’ailleurs, la plupart des membres de Clinamen se sont rencontrés à la Ferme du bonheur, laboratoire nanterrien de création pluridisciplinaire où l’on élève moutons, poules et cochons. Olivier, grande bringue d’une vingtaine d’années, y était embauché en tant que jardinier. Il y a sympathisé avec Simone, Julie et les autres, jusqu’à former une petite bande pour moitié issue du monde associatif, pour l’autre de l’Ecole du paysage de Versailles. Après avoir acquis trois moutons et créé une première asso, « Téma la vache », en 2010, ils se sont fixés en février 2012 sur le territoire dionysien. Les moutons s’étaient reproduits, ils étaient huit et n’avaient aucun endroit où brouter. « On a écrit au maire adjoint de Saint-Denis comme on lance une bouteille à la mer, raconte Simone, jeune ostéopathe impliquée dès l’origine dans l’association. Ça lui a beaucoup plu et il nous a mis en relation avec la société de chaleur de la ville, qui avait un terrain où nous accueillir. » Composée de jardiniers, de paysagistes ou encore d’une chef de chantier, Clinamen se défend de toute ambition culturelle : « On ne fait pas de la culture, mais de l’agriculture, insiste Simone. En France, il y a 3% d’agriculteurs. Notre désir, c’est que nous devenions tous à 3% agriculteurs. »
"On ne fait pas de la culture, mais de l’agriculture, insiste Simone. En France, il y a 3% d’agriculteurs. Notre désir, c’est que nous devenions tous à 3% agriculteurs." Simone, membre de l'association Clinamen
Pour ce faire, l’association veut d’abord créer un réseau de bergeries. Au bâtiment construit à Saint-Denis par le collectif architectural Jolly Rodgers sous la houlette de Julie, chef de chantier, s'est ajouté une deuxième bergerie (éphémère) au 6b, puis une troisième sur le campus de Villetaneuse, érigée par Albert Hassan ( association PEPA) et Sébastien Dumas ( association Malicia). Un nouvel édifice est en cours de construction sur un terrain prêté par la ville de Saint-Denis et situé à proximité immédiate du canal et des Francs-Moisins. Cette parcelle de 400 m2 accueillera en outre une serre avec des comestibles et un poulailler. L’association projette enfin de développer une plateforme de récupération des déchets ménagers et planche sur un atlas paysan où seront cartographiés tous les espaces propices à l’agriculture urbaine de Plaine commune. Autant de projets dont la vocation est de « dynamiser les territoires urbains par la promotion de pratiques paysannes ».

Note champêtre incongrue au milieu des immeubles, les ruminants sont aussi de fabuleux liants entre les citadins. Les histoires de moutons sont universelles : tel habitant a un cheptel en Algérie, tel autre fut berger en Albanie ou ailleurs. Alors chacun pousse son anecdote, y va de son petit conseil aux membres de l’association : « En ville, les gens partagent leur savoir plus volontiers qu’à la campagne, constate Simone. On a pu agréger les connaissances de plein de cultures différentes. »
"On a tous des raisons très différentes d’être là, mais ce qui nous rassemble, c’est la volonté de faire ensemble, d’avoir un projet commun." Simone de l'association Clinamen
Quand Clinamen a installé sa bergerie aux Francs-Moisins, les habitants ont été d’emblée aimantés par le charme des animaux : « très vite, on s’est retrouvés avec cinquante gamins sur les bras dès qu’on faisait une sortie, s’amuse Simone. On a commencé à leur faire planter des aromatiques et toutes sortes de plantes. D’une manière générale, on attire les publics non encadrés. » Certains enfants viennent ainsi régulièrement prêter main forte aux membres de l’association, apprennent à s’occuper des bêtes et à veiller sur elles. Cette remarquable faculté des moutons à apaiser les tensions et à délier les langues n’est toutefois pas sans revers, et Clinamen doit rappeler à chaque instant qu’elle n’est ni une ferme pédagogique, ni un groupe de travailleurs sociaux bénévoles. Chapeautée par un comité directeur où les décisions se prennent en commun, l’association se rêve plutôt en laboratoire du collectif : « On a tous des raisons très différentes d’être là, explique Simone, mais ce qui nous rassemble, c’est la volonté de faire ensemble, d’avoir un projet commun. »
C’est sans doute cette ambition partagée qui permet à Clinamen de fonctionner avec des moyens plus que limités – quelques milliers d’euros accordés par la mairie de Saint-Denis ou glanés à l’occasion d’événements divers : lancement de l’agenda 21 à Epinay-sur-Seine, fête des fleurs à Saint-Denis, etc. Elle explique aussi dans une certaine mesure la liberté de ses membres et l’audace nécessaire à leur activité. Elever du bétail en ville est en effet une gageure : « nous avons développé une activité rurale à la ville, explique Julie, dans un total flou juridique. Dans notre cas la pratique précède la législation, d’où l’embarras des services vétérinaires et de certains élus. »
"Nous avons développé une activité rurale à la ville, dans un total flou juridique. Dans notre cas la pratique précède la législation, d’où l’embarras des services vétérinaires et de certains élus." Julie, de l'association Clinamen
En travaillant à démontrer que l’agriculture urbaine n’est pas toujours un oxymore, l’association contribue en effet à remodeler en profondeur les représentations. A commencer par celles que tout citadin se fait de son alimentation carnée. Dans un contexte où l'élevage industriel tient secrètes les conditions d'élevage et d'abattage du bétail, Clinamen revendique un lien affectif très fort avec les animaux - d'où la responsabilité qui incombe à ses membres quand d'aventure ils viennent à abattre une de leurs bêtes. De la même manière, les moutons amènent à reconsidérer du tout au tout le territoire francilien. Mus par un besoin d'espace et de verdure que les citadins ont souvent renoncé à satisfaire, ces herbivores invitent à voir la ville au-delà de sa minéralité, tantôt comme un gisement de ressources et d’opportunités, tantôt comme un parcours d’obstacles à négocier. C’est ce que Simone, Olivier et Julie appellent « le regard mouton ». Avec lui, les pelouses stériles des grands ensembles deviennent des zones de pâturages, et le moindre végétal s’appréhende en fonction d’un unique critère : sa comestibilité. « On nous demande souvent où est notre ferme, résume Simone, mais notre ferme, c’est Saint-Denis ! ».
La politique des écoquartiers a ses crédos. La concertation en est un. « Les écoquartiers innovent dans les méthodes de productions urbaines contemporaines et offrent la possibilité de porter des stratégies exemplaires en matière de concertation. » estime Décider Ensemble. En novembre 2011, cette association dédiée au développement en France de la concertation et de la décision partagée a passé à la moulinette quelques initiatives en France et en Europe dans son rapport « De l'écoquartier à la ville durable, analyse des pratiques de la concertation ». La concertation pour la réalisation de projets y est définie comme « un processus s’appuyant sur un dispositif de dialogue entre le porteur de projet et les parties prenantes et/ou le public, dialogue maintenu dans la continuité et rythmé par des temps forts et aboutissant à une décision motivée en tenant compte des échanges ».
Contrairement à des pays nord-européens comme l’Allemagne ou les Pays-Bas où la dimension militante fut très présente dans la prise de position dans les projets d’aménagement, la France s’est tardivement intéressée à ces pratiques.
Beau programme pour cette notion peu ancrée dans les mentalités des français. En effet, contrairement à des pays nord-européens comme l’Allemagne ou les Pays-Bas où la dimension militante fut très présente dans la prise de position dans les projets d’aménagement, la France s’est tardivement intéressée à ces pratiques. De surcroît, l’impulsion est davantage venue des institutions. En France, les écoquartiers sont avant tout des projets portés par les collectivités locales auxquels vient s’associer par la suite la société civile.
La notion de concertation dans l’urbanisme remonte au début des années 1990 avec notamment la naissance des agendas 21 locaux (et son paragraphe 23.2) lors de la conférence de Rio en 1992 : « l’un des pré-requis fondamentaux pour la réussite du développement durable, affirme le texte, est une large participation publique dans le processus de décision ». Ensuite, la Charte adoptée lors de la conférence européenne d’Aalborg (Danemark) le 27 mai 1994, a formalisé les premiers principes de l’urbanisme durable, dans une optique de transparence et d’association des différents acteurs. La charte de la concertation du MATE (Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement) en 1996, proposée par Corinne Lepage, promeut la participation et le débat public et insiste sur la concertation dès l'amont des projets. En 2002, la loi relative à la démocratie de proximité donne un cadre à la participation des habitants à la vie locale. Le nouveau label « Ecoquartier » lancé fin 2012 met également en avant cette notion dans les « 20 engagements ». Il invite à « formaliser et mettre en œuvre un processus de pilotage et une gouvernance élargie. » La concertation a ainsi progressivement pris de l’ampleur et révélé ses atouts : sensibiliser les habitants et surtout légitimer l’action publique, pour in fine contribuer à l’amélioration de la démocratie locale. La concertation est désormais présentée comme un préambule à la réussite d’un écoquartier. Toutefois, comme l’estime Christophe Catsaros, rédacteur en chef de la revue d’architecture Tracés : « Les écoquartiers donnent la tonalité. Ils préparent le terrain, mais beaucoup reste à faire encore d’un point de vue juridique, comme faire évoluer le statut de locataire du parc social vers quelque chose d’intermédiaire, de plus actif, ou encore favoriser des coopératives d’habitants. C’est des choses qui sont en route mais restent encore à faire. »
De nouveaux outils numériques sont actuellement expérimentés pour doper la participation des habitants. « Les outils et méthodes de concertation utilisés pour la réalisation des écoquartiers sont encore très conventionnels : réunions publiques, ateliers de travail, visites de sites..., précise l’étude de Décider Ensemble. Si des sites Internet sont créés, ils restent souvent informatifs et les premières tentatives de mise en place d’un dialogue construit et réactif grâce à ces outils restent timides en France ». A cet égard, Rennes Métropole fait figure d’exemple avec son projet de quartier « La Courrouze ». Des ballades numériques ont été organisées pour les futurs habitants. Equipés de tablettes et de systèmes de réalité augmentée, ceux-ci ont pu visualiser en 3D le futur éco-quartier, dont la date de livraison est prévue à l'horizon 2020.
"Les outils et méthodes de concertation utilisés pour la réalisation des écoquartiers sont encore très conventionnels : réunions publiques, ateliers de travail, visites de sites..., précise l’étude de Décider Ensemble. Si des sites Internet sont créés, ils restent souvent informatifs et les premières tentatives de mise en place d’un dialogue construit et réactif grâce à ces outils restent timides en France." Extrait du rapport « De l'écoquartier à la ville durable, analyse des pratiques de la concertation »
Pour Marion Lasfargues, chargée de mission chez Décider Ensemble, « aujourd’hui, la stratégie d’open data n’est pas vraiment maitrisée, certains collectifs de citoyens s’inscrivant en opposition contre les acteurs institutionnels mais l’enjeu est réel et à terme, d’ici 5 à 10 ans, l’open data pourra modifier la concertation en la rendant plus attractive et en améliorant la qualité des projets finaux avec une meilleur prise en compte des usages des habitants eux-mêmes ». Un avis partagé par Christophe Catsaros : « L’open data est certainement un raisonnement qui va dans le bon sens. Il rend plus difficiles certains abus, certains détournement qui ont fait la mauvaise réputation du milieu de la construction. Ce qui est essentiel c’est de développer une culture du déchiffrage des données publiques : les données ont beau être accessibles, si personne ne peut les lire, ça ne fait pas avancer les choses. »
Chez Décider ensemble, on rappelle enfin les particularités de l’implication des citoyens dans tous les types de projets (on parle de concernement). « Les personnes qui participent aux réunions sont toujours ceux qui sont contre. Ce sont en général des hommes, d’un certain âge, diplômés et qui ont du temps », souligne Marion Lasfargues, ajoutant « que les dispositifs en ligne pourraient faire évoluer ce constat ». Pour que la participation habitante soit réellement pertinente, il est en effet indispensable que l’habitant se sente concerné par la démarche. Et c’est là tout le paradoxe des projets d’écoquartiers, et plus globalement des projets d’urbanisme, qui sont élaborés alors même que les habitants ne sont pas encore là…
La concertation la plus vive se manifeste principalement an aval des projets, quand les habitants ont pris place dans les logements, à ce moment même où leur marge de manoeuvre est la plus faible pour infléchir la mise en place de tel service ou tel aménagement.
Ce phénomène pourrait être d’autant plus important que le risque de livrer des écoquartiers clé en main pèse sur le nouveau label français. La concertation la plus vive se manifeste principalement an aval des projets, quand les habitants ont pris place dans les logements, à ce moment même où leur marge de manoeuvre est la plus faible pour infléchir la mise en place de tel service ou tel aménagement… Reste la question de la défiance actuelle des habitants. Souvent, ces derniers n’ont plus confiance envers les institutions et les différents acteurs qui ont longtemps fait rimer concertation avec information. Les modèles d’autopromotion et d’habitat coopératif où les habitants se regroupent pour concevoir et financer leur logement pourraient alors devenir des modèles de concertation intéressants pour construire la ville de demain.Déborah Antoinat