La ville à l’heure du changement.
Justinien Tribillon : "Le périphérique n’est pas une artère comme les autres, mais un seuil, une frontière sociale et symbolique."

Dans son essai La Zone, une histoire alternative de Paris (Éditions B42, 2025), le chercheur s’intéresse aux contours géographiques et symboliques de Paris et sa banlieue. Entretien.

Pourquoi vous êtes vous intéressé aux représentations de Paris et ses frontières ? Qu’est ce qui a motivé vos recherches sur ce sujet ?

J’ai grandi à Paris, dans le quartier de République, avant de vivre dix ans à Londres. Cette expérience m’a révélé deux modèles urbains opposés : à Londres, le centre, surtout composé de bureaux et d’écoles, est peu habité, la vie se concentre en banlieue, dans des pavillons avec jardins. À Paris, au contraire, la centralité est dense, désirée, et les espaces verts rares. En découvrant le goût britannique pour la vie suburbaine, j’ai commencé à questionner mon rapport à Paris et à sa géographie, notamment la frontière symbolique du boulevard périphérique entre la capitale et sa banlieue. En enquêtant pour un article pour le Guardian, j’ai pris conscience que cette séparation relevait moins d’une barrière physique que d’un imaginaire collectif, nourri de mythes et de préjugés. Le fait de m’être expatrié m’a offert la distance nécessaire pour déconstruire ces représentations, et constater qu’aucune étude approfondie n’avait encore analysé le périphérique comme objet urbain et social.

Qu’est ce que la Zone ? Pouvez-vous nous décrire géographiquement et symboliquement cet espace ?

La Zone est une bande de terre de 250 mètres de large et d'environ 33-34 kilomètres de long entourant les fortifications construites autour de Paris en 1840 sur ordre d’Adolphe Thiers, au moment même où les autres grandes villes européennes démantelaient leurs murs. Prévue comme une zone non ædificandi (interdite à la construction pour des raisons militaires), cette zone théoriquement non-constructible n'a jamais été respectée et un certain nombre d’habitations plus ou moins solides et pérennes se sont mises en place. Des baraques, ateliers, guinguettes et théâtres y sont également apparues, formant une ceinture populaire et animée entre Paris et sa banlieue. Cet espace hybride, « illégal » mais vivant, abritait ouvriers, immigrés, artisans et marginaux, des « zoniers", comme on dit d'abord, puis des « zonards », attirés par des loyers faibles et une certaine liberté. À la fois lieu de travail, de divertissement et de précarité, la Zone symbolisait l’envers du Paris haussmannien, ordonné et bourgeois. Elle a inspiré autant la peur que le fantasme : repaire de pauvreté et de crimes et de plaisirs pour les uns, refuge de liberté et de créativité populaire pour les autres, la Zone devint un mythe urbain.

Cinq chapitres segmentent votre ouvrage et illustrent les différentes séparations entre “Paris Intramuros” et ses banlieues. Le premier chapitre évoque la ceinture noire, celle de la construction des marges. Que nous dit l’histoire de la planification urbaine de Paris et sa banlieue pour comprendre l’identité de la Zone ?

La zone des fortifications, fruit d’une planification à la fois urbaine et militaire, a fait l’objet de débat pour comprendre s’il s’agissait moins d’un outil de défense que de contrôle social. Durant les travaux d’Haussmann, la rénovation de Paris expulse les classes populaires du centre : elles sont repoussées vers les banlieues et cette zone sans statut clair.

La zone des fortifications, fruit d’une planification à la fois urbaine et militaire, a fait l’objet de débat pour comprendre s’il s’agissait moins d’un outil de défense que de contrôle social.

Espace interlope, ni tout à fait rural ni urbain, celle-ci accueille ouvriers, immigrés et populations nomades cherchant un logement bon marché et un petit lopin de terre. Dépourvue d’infrastructures (routes, égouts, électricité), la zone reste précaire mais accessible. À la fin du XIXe siècle, l’essor de l’hygiénisme et du modernisme  nourrit chez les élites parisiennes une aversion envers cet espace qui entoure la capitale. Soit pour des raisons de progrès social, soit pour des raisons réactionnaires et anti-populaires, il y a un véritable désir de l'élite de l'époque de réformer la Zone en profondeur.

Vous parlez ensuite de la ceinture verte. Comment les espaces verts ont servi de dispositifs de ségrégation urbaine, séparant Paris de ses périphéries et excluant ses populations subalternes ?

Au début du XXe siècle, la zone des fortifications, soit environ 15 % de la surface de Paris, devient un terrain d’expérimentation urbaine et politique. L’architecte Eugène Hénard imagine un projet progressiste reliant Paris et sa banlieue par une alternance de logements, d’équipements publics et d’une douzaine de parcs, formant une continuité urbaine et sociale avec les villes de banlieue. Mais c’est le projet conservateur de Louis Dausset qui s’impose en 1919 : il conçoit une « ceinture verte » séparant Paris de sa banlieue, soutenue par la chambre des propriétaires, désireuse de maintenir la valeur foncière et l’isolement d’un Paris bourgeois face à une banlieue populaire. La Zone, très habitée, n’est évacuée que très lentement jusqu’en 1943, quand le régime de Vichy l’évacue brutalement et manu militari. Sur la Zone, que Pétain qualifiait de « ceinture lépreuse », le régime de Vichy projette son projet politique de « régénération nationale », et va construire alors des stades et écoles, dans la lignée du projet Dausset. Mais le projet de parc continu est finalement balayé par la construction du boulevard périphérique. Considérée alors comme voie « paysagère », cette autoroute urbaine viendra symboliser durablement la rupture entre Paris et sa périphérie.

La porte de la Villette. Photo : Nicolas Gzeley

C'est ensuite une histoire des logements sociaux et des municipalités communistes que vous racontez, présentées comme des “cordons prolétariens” encerclant un Paris bourgeois. En quoi la construction de logements sociaux dans la Zone a conforté l’opposition entre Paris et sa banlieue et contribué au visage actuel de la métropole  ?

La construction des habitations à bon marché, les HBM au début du XXᵉ siècle, l'ancêtre des HLM , a façonné autour de Paris une « ceinture de briques ». Ces logements, souvent sociaux, bordant les boulevards des Maréchaux, sont construits en brique, matériau alors jugé peu noble, ce qui leur confère une mauvaise réputation. Conçus sans « grands architectes » mais par la mairie de Paris dans un contexte de pénurie, ils manquent d’audace face aux idéaux modernistes de l’époque. Leur architecture répétitive crée un paysage uniforme, souvent jugé triste, elle est très décriée par l'élite architecturale et intellectuelle de l'époque. Pourtant, ces immeubles ont offert des logements familiaux confortables et abordables, toujours habités et appréciés aujourd’hui. Symboliquement, cette ceinture matérialise un anneau prolétaire entourant la capitale, une « ceinture rose », prolongement de la « ceinture rouge » des banlieues ouvrières et communistes, perçues comme une menace politique face au Paris bourgeois, centre du pouvoir et des révolutions françaises.

La ceinture d'asphalte, c’est donc le périphérique qui est, selon vous, le fruit de trois régimes et d’une idéologie : la technocratie française. Comment la planification urbaine de cette infrastructure a-t-elle été impactée par les préjugés sociaux de ces acteurs institutionnels ? Pour quelles conséquences ?

Mon approche consistait à déconstruire l’idée, très répandue, selon laquelle une infrastructure comme le périphérique serait un objet purement technique, donc apolitique. En m’appuyant sur les travaux des sciences et techniques en société, j’ai cherché à montrer que toute décision technique porte en réalité les biais, les valeurs et les rapports de pouvoir de ceux qui la conçoivent. Derrière la façade rationnelle de l’ingénierie urbaine se cachent des choix profondément humains et parfois inégalitaires. Le périphérique en est un exemple frappant : son tracé et ses aménagements traduisent des arbitrages sociaux et économiques. Des quartiers riches, comme ceux du 16ᵉ arrondissement, ont réussi à éloigner l’infrastructure de leurs habitations, tandis que d’autres zones, plus populaires, ont subi de plein fouet les nuisances.

Ma recherche montre que le périphérique n’est pas seulement un ouvrage d’ingénierie : c’est le produit d’un système technocratique, socialement situé, façonné par des élites convaincues de leur neutralité, mais porteuses de biais de classe et de culture.

De même, le refus initial d’installer des murs anti-bruit fut justifié par des arguments techniques, alors qu’il relevait en réalité de jugements esthétiques ou subjectifs des ingénieurs. Ce n’est qu’en 1977, avec l’élection du premier maire de Paris, que la décision fut imposée, révélant combien la hiérarchie politique pouvait infléchir la logique technique. Ainsi, ma recherche montre que le périphérique n’est pas seulement un ouvrage d’ingénierie : c’est le produit d’un système technocratique, socialement situé, façonné par des élites convaincues de leur neutralité, mais porteuses de biais de classe et de culture.

Pour votre dernier chapitre “Ceinture de béton-Ville blanche”, vous vous intéressez au lien intime entre l’histoire de l’espace parisien et celle du colonialisme français. Quels sont vos principaux enseignements sur ce point ?

Ce qui m’a intéressé, c’est de comprendre à quel point la fabrique urbaine de Paris et de sa périphérie est marquée par l’héritage colonial. Au XIXᵉ et au XXᵉ siècle, alors qu’on construit puis qu’on repense les fortifications, la France vit l’apogée de son impérialisme : architectes, urbanistes et ingénieurs formés dans les colonies y testent modèles et méthodes qu’ils ramèneront ensuite en métropole. Dans ces territoires marqués par la domination et la ségrégation, ils expérimentent l’idée d’un ordre spatial hiérarchisé, qu’ils appliquent ensuite à Paris. La « ceinture verte » imaginée au Maroc dans les années 1930, pour séparer les « villes européennes » des « villes indigènes », inspire directement la réflexion sur la périphérie parisienne.

Après 1945, avec l’arrivée des travailleurs immigrés, notamment algériens, cet imaginaire se rejoue. Le mot « bidonville », né dans le contexte colonial, désigne désormais ces quartiers informels en métropole. Peu à peu, les populations issues de l’immigration se retrouvent assignées aux cités de transit, puis aux grands ensembles, identifiées à une architecture jugée dégradée. La « question urbaine » est alors associée à la « question immigrée », comme si la destruction des tours pouvait résoudre les inégalités sociales. Derrière cette illusion d’un urbanisme neutre se cache en réalité la persistance d’un imaginaire colonial : une manière d’organiser la ville selon un régime de ségrégation ethno-raciale et de contrôle des populations.

Le périphérique reste un marqueur fort du paysage parisien. Photo : Nicolas Gzeley.

“L’histoire de la Zone continue” dites-vous pour conclure votre ouvrage. Comment pourrait évoluer cet espace dans les années à venir ?

Le boulevard périphérique, héritier direct de la « Zone », reste aujourd’hui un marqueur fort du paysage parisien. Même s’il tend lentement à s’apaiser, il incarne encore cette marge urbaine. Autour de lui subsistent des espaces de relégation : à la Porte de la Villette, par exemple, des personnes sans abri ou souffrant d’addictions au crack trouvent refuge sur ces franges repoussées hors du centre pour « déranger » le moins possible. Le long des Maréchaux ou des échangeurs, les tentes se succèdent, rappelant la persistance d’un Paris des marges.

La « Zone » a cessé d’être un lieu pour devenir une idée : celle d’un espace entre deux mondes, où la ville repousse ce qu’elle ne veut pas voir, mais qu’elle ne peut effacer.

Cette identité périphérique perdure donc : le périphérique n’est pas une artère comme les autres, mais un seuil, une frontière sociale et symbolique. Peut-être, dans un siècle, aura-t-il été absorbé par la ville. En attendant, comme le souligne le chercheur Jérôme Beauchez, la « Zone » a cessé d’être un lieu pour devenir une idée : celle d’un espace entre deux mondes, où la ville repousse ce qu’elle ne veut pas voir, mais qu’elle ne peut effacer.

Pour en savoir plus

Justinien Tribillon, La Zone, une histoire alternative de Paris, Paris, éditions B42, 2025

2025-10-17
La ville de demain sera t-elle ultra sécuritaire ?

A en juger le développement des résidences surveillées et la prolifération de la vidéosurveillances dans l'espace public, le territoire urbain se transforme à l'aune des caméras, digicodes, murs et grillages qui redessinent la ville. Des évolutions qui modifient les délimitations entre espaces publics et privés.  

Développement des résidences sécurisées

Depuis les années 1990, les villes françaises, Paris et les grandes agglomérations en tête ont accueilli un nombre toujours plus important de résidences sécurisées, à l'image du modèle américain des gated communities, bien connu. Les premiers exemples sont apparus sous la forme de domaines d'exception de luxe pour personnes aisées, sorte de « ghetto doré » qui souhaitait réserver un certain nombre de services (cours de tennis, piscine, ect.) aux seuls habitants. Progressivement, les services de sécurité comme les digicodes et grillages se sont ouverts aux classes moyennes jusqu'à concernés aussi des logements sociaux.

Un état des lieux qui illustre le caractère polymorphe de ces résidences à la française, bien que s'articulant autour du même concept : démarquer la propriété privée de l'espace public. En parallèle, cette problématique s'est progressivement affichée comme un domaine d'intervention de plus en plus sensible pour les pouvoirs publics, notamment pour des aspects sécuritaires.

Doit-on y voir une relation de causes à effets? Peut-on mettre en lien la croissance de cette nouvelle forme d'habitat avec la montée du sentiment d'insécurité qu'il soit réel ou fantasmé ? Selon les auteurs de « Quartiers sécurisés , un nouveau défi pour la ville » (Les Carnets de l'info, 2010) : « Si les ensembles résidentiels fermés en France prolifèrent sur fond de montée en puissance d'un ordre sécuritaire, une nette discordance peut être notée toutefois entre les promoteurs et les résidents quand à la place réservée précisément à l'objectif sécuritaire dans l'argumentaire justifiant le développement de la fermeture ». Ainsi, il semble que les habitants ne semblent pas revendiquer le critère de sécurité dans le choix de ce type d'habitation. Un aspect à relativiser car il s'agit de déclarations qui peuvent être difficile à assumer et donc non énoncées. Pour les auteurs, ces questions représentent davantage un argument commercial pour les promoteurs, les habitants recherchant un certain confort et l'impression de disposer d'une qualité de vie plutôt privilégiée .

Séparation espaces publics/espaces privés

De plus, les auteurs de l'ouvrage estiment également que ces formes d'habitat « participent d'une mise en surveillance de pans croissants de l'espace ». En effet, une des questions fondamentales qui sous-tend ce débat est l'importance des dangers que représente la multiplication des résidences sécurisées et leur influence sur la morcellisation de l'espace urbain. Pour la sociologie et urbaniste Amélie Flamand qui a réalisé une thèse sur la séparation des espaces publics et privés : «  Les enjeux qui déterminent les espaces intermédiaires (escaliers, coursives, jardin, ect) restent les mêmes dans le cas de résidences sécurisées. On retrouve notamment l'importance de ces lieux comme zone de transition entre le public et le privé et le besoin d'appropriation d'un territoire. Cependant, elles représentent un danger de repli sur soi voire d'une sécession urbaine, sociale et politique à l'image de certaines résidences aux États-Unis qui ont demandé de disposer de leur propre fiscalité, cela suppose la création d'un État dans un État ».

Aussi, la multiplication de ce type de résidences est concomitante avec la multiplication du nombre de vidéos surveillance sur le territoire urbain. L'ouvrage cité précédemment met en avant la tendance qui vise à « la montée en puissance d'un territoire sous surveillance et le recours de plus en plus massif à la technologie, en particulier la vidéo surveillance. Le gouvernement française mise ainsi massivement sur cette technique, au nom de la lutte contre la délinquance, l'objectif étant de passer de 2000 caméras aujourd'hui (ndlr : début 2010) à 60.000 d'ici fin 2011 ».

Une situation qui soulève aussi la question de l'appropriation de l'espace urbain, de la place de l'individu dans cet espace et de son intimité. Le travail du photographe Micheal Wolff présenté actuellement dans l'exposition « Peurs sur la ville » à la Monnaie de Paris* offre une approche photographique des inquiétudes face à la prolifération d'images prises par ces vidéos surveillance et d'autres logiciels. Avec « I see you », c'est Google street view qui est pointé du doigt. Les visuels mettent en scène des passants anonymes, des couples qui s'embrassent, mettent ainsi en évidence le « viol » de l'intime par ces yeux cachés.

Comme le souligne Guillaume Foucher, directeur de la Galerie Particulière : « Google Street View est supposé flouter et protéger les renseignements de type privé, la réalité est toute autre et montre une claire intrusion dans nos vies et une violation de notre droit à l'image, pouvant même porter atteinte à la sécurité nationale (reconnaissance des personnes, lisibilité des plaques d'immatriculation, visibilité des accès secondaires des banques et des ministères, photographies des rondes de nuit devant les prisons, etc.) »

Si l'on en croit les caractéristiques du projet pharaonique chinois « Songdo New City » prévu à l'horizon 2014 et présenté comme « la » ville du futur, l'argument sécuritaire s'impose comme un incontournable paradigme à prendre en considération à côté des aspects high tech et écolo. Les trois piliers de la ville de demain?

Pour en savoir plus

*« Quartiers sécurisés , un nouveau défi pour la ville » (Les Carnets de l'info, 2010) de G. Billard, J. Chevalier, F. Madoré et F. Vuaillat

* "Peurs sur la ville". Jusqu'au 17 avril 2011

MONNAIE DE PARIS, 11, quai de Conti 75006 PARIS www.monnaiedeparis.fr

2011-03-10
La nouvelle éthique des étiquettes

Que ce soit pour nous inciter à mieux maîtriser nos consommations d’énergie ou pour nous alerter sur les impacts environnementaux et sanitaires de ce que nous achetons, la réglementation mise de plus en plus sur l’information du public via l’étiquetage obligatoire. De l’étiquette énergie au diagnostic de performance énergétique, zoom sur un dispositif encore tâtonnant.

Comment mieux informer les consommateurs sur les impacts sanitaires et environnementaux de ce qu'ils achètent, tout en incitant les fabricants à mettre sur le marché des produits moins polluants ? Pour les pouvoirs publics, la solution à ce double défi réside dans l'étiquetage obligatoire. Inauguré avec l'étiquette énergie en 1995, le dispositif devrait s'étendre bientôt à presque tous les secteurs de l'économie... 

Coup de neuf sur l’étiquette énergie

Créée dans le but d’informer les consommateurs sur les performances énergétiques des appareils électroménagers et certaines de leurs caractéristiques (consommation d’eau, niveau sonore…), l’étiquette énergie va bientôt faire peau neuve.

A partir du 20 décembre 2011, elle sera remplacée par une version européenne – censée plus lisible dans la mesure où elle fait la part belle aux pictogrammes - et fera son apparition sur les téléviseurs, épargnés jusqu'alors.

Cette évolution est aussi destinée à rendre compte des performances énergétiques toujours plus grandes des appareils électroménagers : les classes les plus consommatrices (E, F et G) n’étant plus commercialisables, elles ont en effet cédé la place à une myriade de classes économes, de sorte que la nouvelle étiquette comportera pas moins de 4 A (de A+++ à A !). À se demander si le nouveau dispositif a été conçu pour informer le public ou pour l’inciter à la consommation…

Les aléas du diagnostic de performance énergétique (DPE)

Depuis le 1er janvier 2011, les agences immobilières en sont couvertes : le DPE est désormais obligatoire pour toute mise en vente ou location de logements. Cette estimation des consommations d’énergie d’un bien est d’autant plus déterminante dans les transactions immobilières que le montant du PTZ+ est évalué en fonction de cet indicateur.

Mais si l’enjeu du dispositif est bien de faire de la performance énergétique un argument de vente et un outil de valorisation patrimoniale, le mode d’évaluation des diagnostics soulève quelques doutes… Ainsi, une enquête de l’UFC Que choisir dénonçait en février dernier le caractère aléatoire des classifications effectuées par les diagnostiqueurs : « Sur 4 maisons visitées par 16 diagnostiqueurs : deux maisons ont été classées dans pas moins de 3 classes énergétiques différentes, une a été classée dans 2 étiquettes différentes, une seule s’étant vue attribuer la même étiquette énergétique par tous ces "professionnels". »

A défaut d’un mode de calcul plus rigoureux, le DPE risque fort de s’assimiler à une sorte de loterie… C’est pourquoi l’UFC demande l’adoption de mesures techniques pour fiabiliser les DPE et la possibilité de le rendre opposable entre l’acheteur et le vendeur. Suite à cet appel, la réaction de Nathalie Kosciusko-Morizet et Benoist Apparu ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué, la ministre de l’Ecologie et le secrétaire d’état au logement se sont engagés à organiser durant tout le mois de mars des réunions de consultation avec les fédérations de diagnostiqueurs ainsi que des acteurs concernés, afin de produire un premier bilan des travaux réalisés dès avril prochain…  

Une étiquette sur la qualité de l’air intérieur

Longtemps resté le parent pauvre de la réglementation française, la qualité de l’air intérieur s’impose peu à peu comme un enjeu sanitaire. Pour réduire à la source les émissions polluantes de COV et autres, l’article 40 de la loi Grenelle prévoyait ainsi de « soumettre les produits de construction et d’ameublement ainsi que les revêtements muraux et de sol, les peintures et vernis et l’ensemble des produits ayant pour objet ou pour effet d’émettre des substances dans l’air ambiant à un étiquetage obligatoire à partir du 1er janvier 2012. »

Encadré par un décret et un arrêté ministériel en cours de signature, ce projet d’étiquetage devrait être applicable en janvier 2012 pour tout nouveau produit, avant d’être généralisé un an plus tard à l’ensemble des produits de construction et de revêtement, mais aussi des peintures et vernis disponibles sur le marché.

S’il s’agit là aussi d’inciter les industriels à de meilleures pratiques, on peut s’interroger sur la classification retenue – de A+ (pour les produits peu émissifs) à C (fortes émissions). Le consommateur, habitué à considérer C comme une valeur moyenne, saura-t-il interpréter les informations données sur l’étiquette ? A suivre...  

Demain, vers une étiquette alimentaire ?

En réponse à une exigence de traçabilité toujours plus grande, l’article 228 de la loi Grenelle II envisageait de conduire sur un an une expérimentation « afin d'informer progressivement le consommateur par tout procédé approprié du contenu en équivalent carbone des produits et de leur emballage, ainsi que de la consommation de ressources naturelles ou de l'impact sur les milieux naturels qui sont imputables à ces produits au cours de leur cycle de vie. »

Dans le sillage du texte, plus de 230 entreprises se sont portées candidates pour expérimenter la nouvelle étiquette. 168 d’entre elles ont été retenues, dont 1/3 dans l’agro-alimentaire. A partir de juillet prochain, elles pourront ainsi tester la façon dont les consommateurs perçoivent le dispositif d’information, et mesurer la pertinence des différents supports de communication, leur format et leur lisibilité. Résultats espérés, selon NKM : « Nous attendons de cette expérimentation un engagement plus fort du consommateur. Car un consommateur bien informé peut s’engager, choisir ses produits autrement. D’autre part, cette expérimentation va renforcer le pôle de compétitivité du site France: l’entreprise qui se soucie de produire à proximité et qui travaille sur le cycle de vie du produit, travaille sur la compétitivité.»

2011-03-09
Écrit par
midi:onze
Xynthia : comment faire face ensemble aux risques climatiques ?

Il y a tout juste un an, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia ravageait le littoral atlantique, faisant 47 morts.

Très rapidement après la catastrophe, la presse et l’opinion publique ont désigné les coupables : les élus, dont les règles d’urbanisme avaient permis de lotir des terrains inondables, situés en dessous du niveau de la mer. Plusieurs plaintes ont ainsi été déposées par les sinistrés et leurs familles, soit pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » et « homicide involontaire », soit pour « prise illégale d’intérêt ».

Des catastrophes en cascade

Il ne nous appartient évidemment pas d’établir quelles sont les responsabilités des uns et des autres dans ce drame. Nous constatons simplement que Xynthia inaugure une année record en matière de catastrophes naturelles, une année qui a vu notamment la Russie flamber et l’Australie ou le Pakistan prendre l’eau… S’il est difficile d’affirmer avec certitude que ces événements sont liés au changement climatique, leur fréquence et leur intensité donnent en tous cas un avant-goût de ce que pourrait être notre monde d’ici quelques années : un monde voué aux caprices du climat, et sommé d’y faire face.

Une gestion dépassée

En ce domaine, les décisions prises dans le sillage de Xynthia laissent à penser. Dans la gestion des sinistrés, c’est l’urgence et le cas par cas qui ont prévalu – témoin l’établissement d’une « zone noire » à démolir, et dont les contours semblent pour le moins arbitraires. Côté assurances, l’indemnisation des sinistrés, si elle a été globalement traitée (à 80%, dit-on), elle a d’abord concerné les propriétaires, au détriment des locataires pourtant plus précaires. Sans parler des hausses tarifaires pratiquées par les assureurs pour faire face à l’augmentation du nombre de catastrophes : une hausse de l’ordre de 3,5 à 8% en 2011 pour l’habitation… En somme, ce sont d’ores et déjà les populations les plus fragiles qui payent le plus lourd tribut aux caprices de la météo.

Se préparer au futur

D’où ces simples questions : si le changement climatique devait favoriser la multiplication des épisodes extrêmes, ne faudrait-il pas définir un nouveau pacte social ? Doit-on laisser aux seules assurances le soin d’indemniser les victimes ? La situation n’impose-t-elle pas plutôt d’imaginer de nouveaux mécanismes de solidarité pour faire face à des catastrophes vouées à devenir plus fréquentes et plus dangereuses ? Ne faut-il pas créer un nouveau statut de sinistré climatique ?

C’est en répondant à ces questions que nous relèverons les nouveaux défis climatiques sans mettre en péril notre modèle sociétal…

2011-03-02
Écrit par
midi:onze
Une réserve des arts pour promouvoir le recyclage dans le secteur culturel

Récupérer et valoriser des matériaux pour le secteur culturel en Ile de France, c'est le projet que se sont lancées Sylvie Bétard et Jeanne Granger en 2008 avec La Réserve des Arts. L'enjeu de l'association ? Faire que les déchets inexploitables des entreprises deviennent la matière première des professionnels de la création. Rencontre avec les deux fondatrices.

Depuis maintenant le début de l'année, Sylvie Bétard et Jeanne Granger ont investi un local du 20ème arrondissement de Paris pour entreposer les « déchets »  inexploitables qu'elles récupèrent auprès d'entreprises dans le but de les mettre à disposition des professionnels du secteur culturel. Par déchets, entendez : ce dont on veut se séparer. En effet, les matériaux récupérés par ces deux jeunes femmes sont très variés et peuvent être de grande qualité. « Papier japonais ou chutes de cuir, on collecte parfois des productions de très bonne facture d'artisans qui, pour diverses raisons cessent leurs activités. Certains stocks morts ont une très haute valeur ajoutée », expliquent les deux fondatrices du projet. Difficile dans ce cadre de donner une valeur à ces produits voués à être jetés mais à fort potentiel. « Notre premier engagement est de proposer des tarifs qui restent accessibles soit environ 50% moins cher que les prix du marché. Puis, on détermine la valeur en fonction de la rareté mais aussi du volume du stock. On vend au poids, au mètre ou à l'unité ».

Actuellement, ce sont près de 120 références qui sont présentes dans la boutique. On trouve de tout ou presque. Quelques exemples : cadres en bois, fils et bobines, rouleaux de tissus, luminaires de spectacles sont entreposés pour être ensuite revalorisés par des « créatifs ». Près de 150 membres font partie de l'association qui représente environ une trentaine de corps de métiers différents : graphisme, stylisme, photographie, design, architecture, etc...Pour adhérer à l'association et ainsi prendre connaissance de l'offre de matériaux, sans cesse renouvelée, une seule condition : être un professionnel du secteur. Étudiants, intermittents, associations ou entreprises culturelles peuvent venir s'approvisionner dans cette caverne d'Ali Baba pour artistes. Pour les responsables du projet, le secteur culturel est intéressant à plusieurs titres : « Il s'agit d'un milieu très contrasté avec peu de moyens financiers mais qui a pour dénominateur commun, un besoin de matériaux très large. L'idée, c'est de rendre l'écologie pragmatique, concrète et de soutenir un secteur qui a toujours su détourner et réemployer dans son processus créatif », soutient Jeanne.

La philosophie du « Cradle to cradle »

En arrière-plan de ce concept, il y a bel et bien l'ambition d'optimiser le traitement des déchets et de valoriser des matériaux considérés comme bons à jeter aux ordures alors qu'ils peuvent devenir la matière première pour créatifs inspirés. Complétement dans l'esprit Upcycling très en vogue actuellement. « On est des adeptes du mouvement Cradle to Cradle » (ndlr : Anglicisme signifiant « du berceau au berceau ». Méthode de production dans laquelle les flux de matériaux circulent de manière continue), précisent les deux associées. Leur modèle, elles l'ont trouvé à New York. Le MFTA (Material for the arts) est une structure non-profit installé depuis 30 ans et distribuant du matériel au secteur artistique. «  Il a fallu adapter ce modèle aux réalités du secteur parisien particulièrement contrasté », souligne Jeanne Granger.

Une ambition de sensibilisation

Une autre partie de leur travail consiste, non sans difficultés, à sensibiliser les différents acteurs au rôle et à l'importance du recyclage. Une tâche pas toujours évidente à réussir lorsqu'il s'agit de parler d'écologie dans des structures sans vision environnementale globale...Trois secteurs font aujourd'hui régulièrement appel à la Réserve des Arts pour se désencombrer de matériaux inutilisables : le luxe avec notamment un prestigieux maroquinier, la communication comme Euro RSCG et une enseigne de la grande distribution de bricolage. De façon plus ponctuelle, elles collaborent avec des artisans de la signalétique, des encadreurs ou des peintres. Du côté des artistes et créatifs, la boutique est un moyen de faire partie d'une « communauté » et de trouver une offre de matières premières diversifiées et bon marché. Pour les fondatrices : «  La question écolo ne se pose pas tant que ça car pour ce public, ces comportements ne sont pas nouveaux et relèvent plus du bon sens ». Leur objectif à court terme ? Passer de 100 à 1000m2 d'ici un an pour « avoir de tout » mais aussi de proposer un atelier entre artisans pour mutualiser les compétences en terme de valorisation de déchets. Affaire à suivre...

2011-02-21
Le Cap veut préserver ses manchots

En 43 ans d’existence, le centre SANCCOB du Cap pour la réintroduction des manchots et des oiseaux de mer a permis à 86 000 d’entre eux de se remettre sur pied et d’être ensuite réintroduits dans les colonies environnantes de la ville. Un travail immense qui a contribué à augmenter le nombre de pingouins à partir du début des années 90 dans la Péninsule du Cap et assurer ainsi l’existence de cette espèce sur la planète, découverte par Vasco De Gama en 1497.

 

"Tu peux les toucher, mais c’est à tes risques et périls, car ils peuvent pincer très fort…" Jean-Pierre met en garde le visiteur qui a pour la première fois l’opportunité d’approcher un manchot. Volontaire au centre SANCCOB (Southern African Foundation for the Conservation of Coastal Birds) du Cap, ce français à la retraite travaille depuis six semaines sous les toits en tôle qui abritent une cinquantaine de manchots en ce début février.

Le travail est harassant, les journées sont longues, et la chaleur vient vous rappeler chaque jour que l’hémisphère sud est bien en plein été. "J’ai perdu trois kilos depuis que je suis ici. Le travail est très physique. Personnellement, je suis chargé de nettoyer les bassins et de laver les serviettes et outils qui servent à nourrir les manchots. Mais on oublie toutes ces journées épuisantes en quelques instants lors du « release »". Le lâchage des manchots est en effet un moment clé de la vie du centre. Deux semaines auparavant, les sept volontaires et les cinq salariés de SANCCOB étaient mobilisés en plus de quelques bénévoles venus pour l’occasion afin de relâcher une cinquantaine de manchots. Le retour à la nature s’effectue toujours en groupe, le manchot vivant uniquement dans des colonies de plusieurs centaines d’individus. En l’occurrence, c’est la colonie de Stony Point, à une centaine de kilomètres du Cap qui est choisie la plupart du temps par le centre.

Menacés d’extinction à la fin des années 80

Composée d’une centaine de couples, cette colonie est la seule avec celle de Boulders Beach (la plus importante d’Afrique avec 3000 spécimens) à accueillir des manchots sur le continent. Les autres vivent sur 24 îles (comme la colonie présente sur Robben Island), au large des côtes entre le nord de la Namibie et Port Elisabeth, au sud-est de l’Afrique du Sud. "Stony Point et Boulders Beach sont deux colonies très importantes dans la survie de l’espèce, car elles étaient menacées d’extinction à la fin des années 80", explique Vanessa Strauss, la Directrice du centre.

Plusieurs autres colonies installées sur le continent n’ont d’ailleurs pas résisté à l’envahissement urbain, en particulier sur les côtes sud-africaines qui abritent parmi les plus belles plages du monde. Des centres comme celui de SANCCOB sont aujourd’hui dotés d’un financement plus important car ils s’occupent de la seule espèce de manchots du continent africain (sur 18 espèces recensées dans le monde). Si l’apparence physique de ce manchot du Cap rappelle celle des pingouins, les deux compères n'appartiennent pas à la même famille. Le pingouin est un oiseau de la famille des alcidés et mesure 40 centimètres de haut alors que le manchot du Cap est de la famille des sphéniscidés et mesure 70 centimètres. Ces derniers ont également été rebaptisés Pingouins jackass par les habitants de la cité mère d’Afrique du Sud. Le cri de ces manchots rappelle en effet celui de l’âne.

Difficile pourtant de se croire dans une étable remplie de bourriquets ce jour-là. La cinquantaine de manchots encore présents dans le centre barbotent gentiment dans les bassins ou se promènent sur les rochers artificiels. "On a clairement ralenti la cadence de travail depuis le dernier relâchement, explique Jean-Pierre. Cette année, on a dû attendre fin janvier pour les remettre dans la nature car un virus avait été détecté dans le centre. On a même dû amener une poule autour des bassins pour être certain que le virus ne pouvait pas muter sur d’autres espèces animales. Il fallait éviter tous risques de transmission avant le relâchement."

Un million d’euros pour sauver 50 000 manchots de la marée noire

La plupart du temps, les manchots ont besoin d’une semaine pour être à nouveau acceptés par leur colonie. Pourtant, il arrive parfois que le centre ait recours à d’autres stratégies de relâchement en cas d’urgence. Ainsi, le 23 juin 2000, le pétrolier Treasure coulait au large de la ville du Cap, déversant 400 tonnes de pétrole sur les îles de Robben et Dassen. Les autorités sud-africaines décidèrent de lancer le plus important sauvetage d’animaux sauvages au monde afin d’évacuer les milliers de locataires de ces îles. Une opération essentielle car la péninsule du Cap abrite 50 000 manchots jackass tandis que la population totale de cette espèce est estimée à 180 000. Le centre a ainsi lancé un appel public pour mobiliser des volontaires et transporter ces 50 000 manchots à 800 km de leur île souillée par le pétrole. Plus de 1000 volontaires ont répondu à l’appel et ont permis d’acheminer les manchots. Ces derniers ont ensuite regagné leur milieu initial en une quinzaine de jours, permettant à l’armée et à la police, réquisitionnées pour l’occasion, de nettoyer les bords de mer. "C’était une opération exceptionnelle qui a coûté 10 millions de rands au gouvernement (1 millions d’euros), détaille Vanessa Strauss. Mais elle aura permis de préserver intactes ces colonies sur le continent."

Au-delà des marées noires, le manchot du Cap a longtemps été menacé par l’homme qui récupérait ses œufs et utilisait le guano (essentiel pour les manchots dans la localisation de leurs sites habituels de nidification) comme fertilisant. Ces pratiques sont désormais interdites. Aujourd’hui, la menace principale vient de la surpêche et de la raréfaction de la nourriture qui en découle pour les manchots. Se nourrissant principalement de petits poissons (sardines, anchois…) et calmars, les manchots doivent désormais parcourir de plus grandes distances pour parvenir à leurs fins. Sous-alimentés, certains se retrouvent au centre pour quelques semaines. "Chaque manchot reçoit entre six et huit poissons par jour, raconte Jean-Pierre. Nous utilisons principalement du poisson congelé. Nous les nourrissons un par un. En général, ils s’habituent très rapidement au nourrissage par l’homme. Nous devons juste apprendre aux jeunes manchots à avaler les poissons en entier."

"Le centre a contribué à quintupler la population de manchots de Robben Island"

Si les manchots sont tous numérotés, les employés et volontaires du centre s’attachent forcément plus facilement à ceux qui se trouvent dans les homes pain. Dans ces cases sont logés les manchots qui ne seront jamais relâchés car trop malades. La vingtaine d’animaux présents ce jour-là ne semblent en effet pas dans la meilleure forme. "Contrairement aux autres, nous les connaissons par leur prénom", précise Jean-Pierre. Il faut plus de moyens pour s’occuper de ces manchots, c’est pourquoi le centre propose au public de les parrainer. Ainsi, pour 500 rands (50 euros), il est possible "d’adopter" un manchot. Le centre se charge ensuite d’informer le parrain de l’évolution de ce dernier. Depuis 1968 et l’ouverture du centre, 86 000 manchots ont ainsi été soignés et remis en liberté.

Un travail d’autant plus important que l’espèce a drastiquement diminué au cours du XXème siècle. La population totale de manchots d’Afrique est ainsi passée de 1,5 million en 1910 à 180 000 aujourd’hui. Le manchot d’Afrique est aujourd’hui inscrit dans la catégorie B2 de l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA). Cette catégorie regroupe les populations vulnérables de plus de 100 000 individus dont l’aire de répartition est restreinte et dont la population décline.

Mais si les manchots restent encore menacés, le travail effectué par le centre a contribué à la sauvegarde de l’espèce dans la péninsule du Cap. "Pendant les quarante dernières années, le centre SANCCOB a permis de multiplier par trois la population de manchots à Stony Point et de quintupler celle de Robben Island", explique Vanessa Strauss. Depuis quelques années, les manchots ont également dû faire de la place pour de nouveaux pensionnaires. A quelques mètres des bassins, un pélican observe paisiblement les volontaires s’activer. Un problème de plume l’a amené jusqu’ici. Un peu plus loin, deux cormorans ont également été pris en charge par le centre. "Nous sommes un centre pour les oiseaux de mer, précise Vanessa Strauss. Nous accueillons régulièrement d’autres espèces, mais il est évident que 90% de notre travail est concentré sur les manchots." Dans quelques jours, le centre accueillera une dizaine de nouveaux pensionnaires blancs et noirs. Et Jean-Pierre et les volontaires remettront comme chaque jour leurs cirés pour participer à la survie des manchots du Cap.

2011-02-18
Écrit par
Nicolas Buchoud
Une campagne d'affichage de France-Nature environnement suscite la polémique

Pas facile de pointer du doigt les effets sur la santé et l'environnement de notre mode de production agricole. Le climat de colère et d'indignation qui entoure la campagne d'affichage lancée le 15 février par l'association France Nature Environnement en offre un exemple. Retour sur une polémique...

 

A quelques jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture, une polémique secoue le monde agricole. Le « scandale », selon les termes du ministre Bruno Le Maire, est arrivé hier via une campagne d’affichage de France Nature Environnement (FNE). Pour rappeler au gouvernement les objectifs fixés lors du Grenelle par le plan Ecophyto 2018 (soit la limitation des intrants dans l’agriculture), le réseau d’associations écologistes a programmé la diffusion de six visuels dans 3 stations de métro parisiennes. Des effets dévastateurs des pesticides sur les abeilles à ceux des nitrates sur les plages bretonnes, en passant par les dangers potentiels des OGM, ces affiches pointent les conséquences de l’agriculture intensive sur l’environnement et la santé. "Le salon de l’agriculture est l’occasion, pour de nombreux citoyens, d’aller à la rencontre du monde agricole, explique Bruno Genty, président de l’association. La dimension festive de l’évènement ne doit pas interdire tout débat à propos d’un modèle de production dont les impacts environnementaux ne sont plus à démontrer. »

Algues vertes et porc au vinaigre

Avant même son lancement officiel le mardi 15 février, la campagne de FNE suscitait une levée de boucliers. Premiers à monter au créneau : l’Inaporc et Interbev. Jugeant les affiches préjudiciables à l’image des éleveurs, les deux représentants des filières porcines et bovines ont saisi la justice pour tenter de faire interdire la diffusion des affiches. Sans succès.

Le deuxième coup porté à la campagne d’affichage est venu de la RATP : sous prétexte qu’ils étaient trop polémiques, la compagnie de transport parisien décidait hier de ne pas diffuser trois des six visuels. Parmi eux, cette photographie d’une plage bretonne couverte d’algues vertes :

Depuis, les réactions se multiplient. Dans le journal Libération, Bruno Le Maire disait ce matin sa « colère » et son « indignation » et dénonçait l’amalgame « agriculteurs=pollueurs » auquel conduisait selon lui la campagne. Le comité régional du tourisme de Bretagne fustigeait quant à lui une annonce qui « nuit clairement à l’ensemble des professionnels du tourisme breton ». Même son de cloque chez le député UMP Marc Le Fur : «Cette affiche, dit-il, n'est pas une affiche de protection de l'environnement mais une affiche anti-bretonne». Ailleurs, on dénonce une campagne pour bobos parisiens ignorants des réalités rurales et suffisamment fortunés pour avoir les moyens de se nourrir autrement. Ambiance.  

« On tire sur le messager »

Disons-le franchement : les réactions indignées à la campagne de FNE nous laissent perplexe. A commencer par celle de Bruno Le Maire, qui accuse les affiches de nier « la détresse qui a conduit certains agriculteurs au suicide. » Outre qu’il exonère le modèle productiviste de toute responsabilité dans l’étranglement financier des exploitants agricoles, un tel propos laisse entendre que FNE stigmatise la profession dans son ensemble. Or, la campagne ne s’élève pas contre l’agriculture, mais son versant industriel : « FNE ne se bat pas contre les agriculteurs mais bien contre un modèle dont ces mêmes agriculteurs sont souvent les premières victimes », rappelle Bruno Genty dans un communiqué. Et Benoît Hartman, porte parole de FNE, ajoute : « Il y a un autre modèle agricole, et nous le défendons. Par exemple, l’agriculture biologique est beaucoup plus rémunératrice pour les exploitants, auxquels elle offre plus de marges bénéficiaires. »

La réaction bretonne est plus curieuse encore : elle étonne dans un contexte où la prolifération des algues vertes sur les plages est déjà dans les médias un sujet récurrent, sinon un marronnier. D'autant plus qu'il n’y a pas grand monde pour contester les causes du phénomène, et le ministère de l’écologie et du développement durable lui-même pointe du doigt les éleveurs de porcs.

Bataille d’images entre communicants

Dès lors qu’elles ne font que redire ce qui a déjà été énoncé partout, pourquoi les affiches de FNE suscitent-elles ce tollé ? « Il est clair qu’on tire sur le messager, explique Benoît Hartman. On nous accuse de donner une mauvaise image de la Bretagne, mais les photographies utilisées sur les affiches ne sont pas des photo-montages. Qu’est-ce qui donne une mauvaise image de la Bretagne ? C’est une certaine manière de faire de l’agriculture, dont les conséquences se font sentir non seulement en Bretagne, mais aussi en Normandie et en Vendée. »

En fait, la polémique en cours montre une fois de plus combien la communication des entreprises et institutions étouffe tout débat de qualité quant aux enjeux sanitaires et environnementaux de notre alimentation. Quand le salon de l’agriculture voudrait véhiculer auprès du grand public l’image lénifiante d’un terroir où se fabriquent dans le pur respect de la tradition de la bonne viande et de bons frometons, les affiches de FNE jettent un éclairage nettement plus cru sur le système agricole français, et c’est bien ce qu’on leur reproche in fine.

L'omerta qui entoure le système productiviste explique aussi qu'à sa mise en cause se heurtent toujours les mêmes arguments, dont voici le résumé : « Le bio, c'est pour les bobos. L’agriculture intensive, ça fait des dégâts, mais c’est la seule façon de nourrir la planète. » Interrogé sur ce point, Benoît Hartman évoque un mythe à déconstruire : « On jette 50% de ce qu’on produit, explique-t-il. Pour nourrir tout le monde, il y a donc de la marge. Et puis, un repas bio préparé soi-même reviendra toujours moins cher que d’acheter des produits préparés ou transformés. Surtout que plus on achète bio, plus la filière se développe, et plus les prix baissent. »

2011-02-16
Écrit par
midi:onze
Et si chacun créait sa propre monnaie ?

Comment conjurer d'un même mouvement crise économique, crise du système bancaire et crise écologique ? Pour certains, la solution est simple : il faut créer de nouvelles monnaies. "Libres", "sociales" ou "complémentaires", celles-ci ne sont pas seulement un remède possible à la rareté monétaire, mais pourraient bien nous amener à reconsidérer les notions de richesse et de valeur. Une révolution est en cours ?

La dernière crise financière a brutalement mis en lumière les faiblesses structurelles de notre système bancaire et souligné quelques-uns de ses travers : concentration de la masse monétaire dans les mains d’une minorité (c’est l’effet Pareto), spéculation, etc.

Comme dans un jeu de Monopoly, où le nombre de billets disponible est limité et crée un cadre de jeu fondé sur la compétition, le système bancaire, qui a le monopole de l’émission de la monnaie, crée la rareté. Ainsi que l’écrit Bernard Lietaer, ancien artisan de l’euro et spécialiste des monnaies complémentaires, « ces monnaies sont conçues pour stimuler la compétition, plutôt que la collaboration entre les utilisateurs. La monnaie est aussi le moteur sous-jacent de la croissance sans fin qui caractérise les sociétés industrielles. »

Dans un contexte de crise comme celle que nous traversons, la rareté de l’argent est d’autant plus préjudiciable à l’échange de biens et de services que les banques, qui contrôlent le crédit, adoptent alors une position de repli. Or, quand on limite l’accès au prêt, c’est toute la machine qui se grippe : l’argent ne circule plus, l’activité économique en souffre et le chômage augmente.

Si la crise est, comme beaucoup le suggèrent, consubstantielle à notre système bancaire, si elle résulte d’un problème structurel, il semble alors que nous soyons condamnés à aller de krach en récession… L’histoire économique des dernières décennies l’illustre largement : « bien que la crise actuelle soit la plus importante, ce n’est pas la première, écrit Bernard Lietaer. La Banque mondiale a identifié pas moins de 96 crises bancaires et 176 crises monétaires pendant les 25 années qui ont suivi la décision du président Nixon d’introduire le mécanisme de l’échange flottant au début des années 1970. »  Pourtant, selon Lietaer, le mal n’est pas incurable. Pour assurer la viabilité du système, il suffirait, explique-t-il, de diversifier nos monnaies et nos institutions monétaires, et d’en introduire de nouvelles «  destinées spécifiquement à accroître la disponibilité de l’argent dans sa fonction première de moyen d’échange, plutôt qu’en tant qu’objet d’épargne ou de spéculation. »

Des monnaies régaliennes aux monnaies complémentaires

De fait, à la faveur de la crise, certains pans de l’économie ont vu se multiplier au cours des dernières années ce qu’on appelle diversement « monnaies complémentaires » ou « monnaies sociales ». Soit des moyens d’échange qui, loin de substituer aux monnaies conventionnelles, viennent les compléter au besoin pour « doper » certains secteurs économiques… L’exemple le plus célèbre est celui du Sol. Cette unité de compte est utilisée par des structures (fondations d’entreprises, associations, coopératives, mutuelles, collectivités territoriales…) engagées dans l’économie sociale et solidaire. Son fonctionnement ressemble à celui des cartes de fidélité : tout achat dans une structure du réseau SOL (chez Artisans du monde, à la Biocoop, etc.) permet d’obtenir des unités qui sont créditées sur une carte à puces. Celle-ci permet alors de payer ou d’échanger tout ou partie des produits ou services proposés par les membres du réseau, ou de soutenir une cause ou un projet social. Et parce qu’il est destiné à stimuler entre utilisateurs l’échange de biens et services « responsables », le Sol est une « monnaie fondante » : il perd de sa valeur s’il ne circule pas. Une façon de décourager l’épargne et la spéculation, et de s’assurer que la monnaie créée ne perdra pas sa fonction première : l’échange…

Aussi les monnaies complémentaires sont-elles particulièrement intéressantes en cas de crise. C’est d’ailleurs dans des contextes sinistrés (l'Argentine de la fin du XIXe siècle, les années 1930) que les premières d’entre elles  sont nées. Destinées à stimuler l’activité économique et les échanges de biens et marchandises en période de pénurie monétaire, elles permettent aujourd’hui de doper la « consommation responsable » et solidaire. C’est le cas, au Japon, des Fureai Kippu, une monnaie créée en 1995 avec succès pour stimuler l’offre de services aux personnes âgées… 

 Et des monnaies complémentaires aux monnaies libres

Pour Jean-François Noubel, pionnier du développement d’Internet en France et chercheur en intelligence collective, l’essor des monnaies complémentaires n’est pourtant qu’une phase de transition. Il parie que le système monétaire est sur le point de vivre une (r)évolution comparable à celle des médias : d’abord régaliens, contrôlés par l’Etat, ces derniers sont devenus citoyens, puis collaboratifs (avec le web 2.0, chacun est désormais son propre média). À rebours du système actuel, fondé sur le monopole bancaire, il prédit l’avènement à l’ère des réseaux de ce qu’il nomme des « constellations monétaires » : « nous verrons les monnaies se multiplier et leurs usages se diversifier, explique-t-il. Pour l’essentiel, ces monnaies seront digitales, car celles-ci offrent plus de souplesse que les monnaies scripturales, et sont plus faciles à gérer et contrôler par le collectif. »

Alors que les monnaies complémentaires viennent pallier les déficiences des monnaies régaliennes, les  monnaies « libres » (comme on parle de logiciel libre) invitent quant à elles à changer de paradigme monétaire. Aux principes de réciprocité et de symétrie qui régissent actuellement l’échange d’argent, elles nous proposent d’inventer d’autres manières de partager et construire la richesse. Leur fonction n’est pas seulement de créer de la valeur, mais de déterminer ensemble ce qui a de la valeur.

Bien sûr, certaines de ces monnaies auraient alors pour fonction de favoriser l’échange de biens et de services. Mais, rappelle Noubel, « il ne faut pas restreindre les monnaies à leur fonction d’échange. Elles peuvent également servir à mesurer un capital social ». Prises dans une constellation monétaire, elles permettraient ainsi d’instaurer une relation de confiance (ou fiduciaire) nécessaire à tout échange monétaire. Du reste, ces unités de mesure sont déjà une réalité. Ce sont vos étoiles sur eBay, vos notes sur tel site de location entre particuliers, etc. Ces évaluations déterminent les échanges et les conditionnent : un vendeur mal noté sur eBay voit ses chances de conclure une transaction diminuer…

Autre monnaie, autre vision du monde

Pourtant, si des plates-formes web (telles que http://flowplace.org) permettent déjà de coordonner des projets affranchis du système monétaire conventionnel, si des protocoles informatiques sont en cours d’élaboration pour favoriser la création et l’échange de monnaies libres, personne ne peut prédire aujourd’hui ce que seront ces dernières. Et pour cause : non-centralisées, elles n’auront d’autre règle que la souveraineté des usagers et leur capacité à inventer eux-mêmes leurs propres règles.

Tout comme le développement du Web est porteur de profondes mutations économiques et culturelles, les monnaies libres, si elles se développent, modifieront très certainement notre conception de la richesse. « Donner aux citoyens le contrôle de la monnaie, passer des monnaies rares aux monnaies libres, c'est faire évoluer tout le contrat social », explique Jean-François Noubel. L’avènement des monnaies libres équivaudrait ainsi à une véritable révolution des consciences : à l’intelligence collective pyramidale qui constitue aujourd’hui notre modèle social, se substituerait alors une intelligence collective globale et rhizomique. 

2011-02-16
Écrit par
Vidal Benchimol