Résultats de recherche

Thank you! Your submission has been received!
Oops! Something went wrong while submitting the form.
Du potager à l'assiette, les chefs misent sur les circuits courts

Le mouvement locavore séduit de plus en plus le monde de la gastronomie. De nombreux chefs en France et à l'étranger cultivent eux-mêmes leurs propres fruits et légumes servis directement dans leur restaurant. A l'image du célèbre Alain Passard, ce chef précurseur qui dès 2002 dispose de jardins potagers dans la Sarthe et dans l'Eure pour alimenter sa table triplement étoilée L'Arpège, les chefs veulent pouvoir offrir une cuisine saine composée de produits frais, quitte à investir (parfois) les toits parisiens. Reportage.

A seulement quelques mètres de la Tour Eiffel, en plein cœur de Paris, le chef Andrew Wigger du restaurant franco-californien Frame me conduit sur le toit de l'hôtel Pullman sur lequel est niché un jardin potager de près de 600 mètres carrés où poussent courgettes, aubergines, tomates, melon, figues, pommes, poires et romarin. Près d'une centaine de variétés de fruits, légumes et herbes aromatiques sont cultivés en fonction des saisons. Quatre ruches ont été installées, d'où partent les abeilles butineuses qui ont produit près de 180 kilos de miel en 2015. Les quelques poules qui caquettent dans un coin, fournissent les œufs du brunch servi le week-end. Un véritable îlot de verdure qui contraste avec le bâti ultra dense environnant. « Ce matin, j'ai cueilli des courgettes et des aubergines dont j'avais besoin pour mon plat du jour », m'explique le chef Andrew. A 32 ans, cet américain originaire du Missouri a fait ses armes auprès d'un chef français en Californie. Dans son restaurant, Andrew sert une cuisine fusion aux influences asiatiques et mexicaines typique de la gastronomie californienne, associée à la cuisine française. « J'ai grandi dans une ferme alors ici je me sens comme à la maison quand je cuisine les légumes du jardin. Chaque matin, j'observe ce qui est mûr ou non et je cueille ce qui va me servir pour les plats. Avoir son propre potager permet de mieux ressentir la saisonnalité, de se reconnecter à la nature et bien sûr les légumes ont beaucoup plus de goût ! »

EIFFEL

Des potagers loin d'offrir l'autosuffisance en fruits et légumes

La carte de l'établissement évolue chaque mois en fonction des récoltes. En ce mois d’août, le chef propose au menu la salade du jardin, uniquement composée des légumes du potager. Ce dernier ne permet pourtant pas de satisfaire tous les besoins en fruits et légumes... En fonction du temps, de l'ensoleillement ou de la pluie, le jardin permet d'atteindre une autosuffisance sur quelques produits et pour une semaine environ. « Nous produisons beaucoup de salades, et une semaine sur deux, nous n'avons pas besoin d'en acheter, ce qui correspond à une économie d'environ 400€ /mois », explique Andrew Wigger. Pour les autres produits, le restaurant essaie de privilégier au maximum une approche locale, sans toutefois s'interdire d'acheter des produits espagnols pour la nécessité d'une recette.

« Nous produisons beaucoup de salades, et une semaine sur deux, nous n'avons pas besoin d'en acheter, ce qui correspond à une économie d'environ 400€ /mois. » Andrew Wigger, chef du restaurant Frame (Paris)

L’installation et l'entretien du potager ont été confiés à Topager, une entreprise spécialisée dans les jardins potagers sur les toits et les murs végétalisés. Trois fois par semaine, un membre de l'équipe veille à l'état du jardin et replante une variété de fruits ou légumes en fonction des envies du chef. Impossible toutefois de connaître le montant d'un tel projet, la direction se refusant à le communiquer. A Paris toujours, l'école de gastronomie Ferrandi cultive ses propres herbes aromatiques sur son toit pour produire des fleurs comestibles et des aromatiques rares. « Ces produits sont fragiles et coûteux, la production locale permet ainsi des économies significatives et apporte une valeur gustative supérieure », peut-on lire sur le site internet de Topager. Aussi, le chef Yannick Alléno a été l'un des premiers à installer un petit jardin au-dessus de son restaurant « Le Terroir parisien », à la Maison de la Mutualité à Paris.

SALADES

Un flou juridique au niveau des réglementations

Et la pollution dans tout ça ? Contrairement à certaines idées reçues, la pollution de l'air n'a quasiment pas de conséquences sur la qualité des produits cultivés. Comme nous l'explique Nicolas Bel, fondateur de Topager, « la pollution de l'air affecte surtout nos poumons mais ne rentre pas dans les légumes ! Seuls les métaux lourds peuvent être un danger lorsque les végétaux sont placés en bordure de route. Nous effectuons des tests régulièrement qui révèlent des chiffres en dessous des normes européennes. » Des relevés par ailleurs obligatoires dans les réglementations sanitaires et les fruits et légumes du potager suivent la même procédure que ceux achetés sur le marché ou en magasin.

« La pollution de l'air affecte surtout nos poumons mais ne rentre pas dans les légumes ! Seuls les métaux lourds peuvent être un danger lorsque les végétaux sont placés en bordure de route. Nous effectuons des tests régulièrement qui révèlent des chiffres en dessous des normes européennes. » Nicolas Bel, fondateur de Topager

«  Il n'y a pas de réglementations spécifiques pour les potagers sur les toits. Il y a actuellement un flou juridique car cette pratique reste encore anecdotique », précise Nicolas Bel.Ailleurs, d'autres chefs veulent aller encore loin. A Copenhague, le Danois René Redzepi, à la tête du Noma, a annoncé la fermeture de son restaurant fin 2016 pour le transformer en « ferme urbaine ». Le nouveau lieu devrait ouvrir dans le quartier de Christiania, quartier « libertaire » créé par des communautés hippie dans les années 1970. Réputé pour mettre un point d'honneur à cuisiner des produits de saison et locaux, le chef danois souhaite pousser davantage ses ambitions locavores à travers son restaurant-ferme doté d'une serre pour proposer, au maximum, une carte « zéro kilomètre ».

2016-08-29
Ville intelligente : vers une ville plus participative ?

Smart city, ville intelligente, ville connectée, digitale ou numérique : tous ces termes ont en commun de s'attacher à designer un modèle urbain s’appuyant sur les nouvelles technologies vers lequel tendre pour la ville de demain. De nombreux acteurs (élus, industriels, architectes et urbanistes, entrepreneurs, collectifs) œuvrant à la fabrique de la ville multiplient les initiatives en ce sens. Entre Open Data, objets connectés, applications et plate formes numériques, où est-on dans le déploiement de la Smart City ? Sera-t-elle une véritable opportunité pour la ville de demain ?

Pour commencer, attardons-nous sur la définition de la ville intelligente. Le magazine Raisonnance, la Revue internationale des maires francophones datant Juillet 2015 qui consacre son numéro à ce sujet propose de définir la «  ville intelligente » comme « une ville où la démocratie locale, les rapports avec et entre les citoyens, les services publics, le développement culturel et socio-économique s’enrichissent au contact des technologies numériques ».Alors que le nombre de citadins ne cesse de croire [Près de 75 % de la population mondiale vivra en ville en 2050] dans un contexte d'urgences environnementales, les nouvelles technologies se positionnent comme des solutions efficaces pour mieux vivre en ville et optimiser l'accès aux ressources et aux services. En France, la ville d'Issy-les-Moulineaux s'affiche comme l'un des fers de lance de ce concept. Entre l'ouverture des données, le déploiement de services pour optimiser les stationnements et les déplacements mais aussi le développement d'un réseau intelligent pour maîtriser les consommations d’électricité à l'échelle d'un quartier, Issy-les-Moulineaux se positionne comme une « ville soucieuse de son environnement, capable d’éviter la congestion de ses infrastructures de transport, maîtresse de ses consommations (eau, énergie) et dotée de moyens de communication facilitant l’accès des citoyens à l’ensemble des services. »

« Il y a plusieurs générations de Smart City ou villes intelligentes, la première a été portée par les industriels et la seconde, vers laquelle nous sommes en train d'aller, est celle des villes de l'intelligence collective où les nouvelles technologies conservent un pouvoir important mais associent davantage les citoyens ». Alain Renk, architecte et urbaniste

Ailleurs, Rennes, Lyon ou Montpellier mettent en place des expérimentations pour construire la ville intelligente. Avec parfois quelques ratés et rétropédalages. A Nice par exemple, la municipalité a abandonné son système de stationnement intelligent mis en service en 2012 pour un montant de 10 millions d'euros après avoir constaté son inefficacité. « Cette smart City là, portée par des industriels, conduit davantage à la ville jetable qu'à la ville intelligente », estime l'architecte et urbaniste Alain Renk, également fondateur de UFO, une start-up technologique dont l'objet est de développer et d'expérimenter des outils d'intelligence collective dédiés à l'urbanisme. Selon lui, « il y a plusieurs générations de Smart City ou villes intelligentes, la première a été portée par les industriels et la seconde, vers laquelle nous sommes en train d'aller, est celle des villes de l'intelligence collective où les nouvelles technologies conservent un pouvoir important mais associent davantage les citoyens ».

Des applications pour booster la participation citoyenne

En ligne jusqu'au 30 septembre 2016, la Ville de Paris a lancé un site Internet sous la forme d'un jeu à la « Sim City » qui propose aux Parisiens de dessiner eux-mêmes le prochain grand parc de la capitale, « la Chapelle Charbon » , qui sera situé dans le 18e arrondissement à l’horizon 2020-2023. Aux habitants de conceptualiser le paysage du parc et de prévoir les différents équipements. D'autres applications et plates-formes numériques comme City2Gether, Fluicity, ou Neocity adoptent le même principe : associer les citoyens à la fabrique de la ville, consulter et soumettre les projets au vote des habitants pour tenter d'adapter au maximum les usages au programme. Aussi connus sous le nom de « Civic Tech », ces outils portent en eux la promesse d'une ville plus participative. « Notre vision est liée à l'idée de ville contributive car nous pensons que la transition numérique, écologique, démocratique et économique demande un changement des comportements, et que cela ne sera possible que s'il y a une co-construction et donc une appropriation de la part des citoyens dans la façon de faire la ville, pour réduite le fossé qui sépare les élus et la société civile », estime Alain Renk. Pour répondre aux enjeux de construire des territoires contributifs, l'agence d'architecture a développé un outil de programmation augmentée.

"La transition numérique, écologique, démocratique et économique (...)ne sera possible que s'il y a une co-construction et donc une appropriation de la part des citoyens dans la façon de faire la ville, pour réduite le fossé qui sépare les élus et la société civile. » Alain Renk, architecte et urbaniste

La méthode propose aux habitants, via une tablette, de modifier la ville en prenant en compte différents choix d’aménagements (place du végétal, importance des pistes cyclables ou choix du mobilier urbain, etc.) grâce à une base de données d'images. Il s'agit aussi pour les participants de justifier et de commenter leur avis. « Ce qui est fascinant avec cet outil très ludique, c'est de se rendre compte que les élus et les habitants aspirent à des modèles de villes similaires : dense, végétalisée et bien pourvue en transports en commun. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, les habitants consultés privilégient l’intérêt commun et non l’intérêt particulier. Leurs choix vont en faveur des besoins de leurs enfants ou leurs amis ! Ils réfléchissent à du vivre-ensemble de façon naturelle », analyse Alain Renk.

Big data et ville intelligente

Dans ce type de démarches, le numérique souhaite davantage rapprocher le citoyen de son cadre de vie. Car l'écueil serait aussi d'isoler les habitants. C'est par ailleurs la mise en garde soulevée par le spécialiste des villes intelligentes Carlos Moreno dans une interview publiée dans le magazine Raisonnance : « Il faut également évacuer l'idée selon laquelle une ville connectée est une ville intelligente. L'intelligence des villes, c'est ce souci constant de l'amélioration de la qualité de vie, c'est placer l'humain, tous les humains, au cœur du projet urbain. Si la ville connectée ne crée pas de lien social, elle peut devenir paradoxalement régressive, favorisant l'isolement, développant ce que nous appelons alors les « zombies-geeks », là où nous avons besoin de citoyens rompus au numérique certes, mais avant tout proactifs.»

"Si la ville connectée ne crée pas de lien social, elle peut devenir paradoxalement régressive, favorisant l'isolement, développant ce que nous appelons alors les « zombies-geeks », là où nous avons besoin de citoyens rompus au numérique certes, mais avant tout proactifs." Carlos Moreno, spécialiste des villes intelligentes

L'ouverture des données, la multiplication des capteurs et des objets connectés reliés en réseau sur internet inquiètent de nombreux citoyens et défenseurs des libertés individuelles quant à la sécurisation des données. Certes, la promesse n'est autre que d’améliorer la vie urbaine mais il est aujourd'hui impossible d'empêcher un éventuel piratage des données. De même, comment ne pas craindre la dérive vers une surveillance de masse accrue grâce à ces capteurs qui sont autant de mini mouchards, présents partout dans notre vie quotidienne ? Pour ce qui est des données d'utilité générale, il semble intéressant de parier davantage sur l'open source pour développer la ville intelligente en considérant les données comme des biens communs, comme le préconise la chercheuse Valérie Peugeot : « Si on trouve des controverses sur l’usage de la donnée, son contrôle, l’intérêt de la donnée n’est pas discuté. Les deux visions de la Smart City ne proposent ni l’une ni l’autre une utilisation plus frugale de la donnée. » Et la chercheuse d'imaginer une cogestion entre l’utilisateur du service et l’entreprise pour les données valorisées par des acteurs privés.

2016-09-09
Mutations urbaines à la Cité des sciences : de la ville réelle à la ville rêvée

Jusqu'au 5 mars 2017, l'exposition Mutations urbaines, qui s'est ouverte le 14 juin dernier à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris, explore de manière documentée et interactive les transformations en cours et à venir dans les villes contemporaines. Petite visite guidée.

Le fait est bien connu : depuis 2008, la population mondiale est devenue majoritairement urbaine. Sur 1 000 m2, "Mutations urbaines" à la Cité des sciences (La Villette, Paris) explore non seulement les effets de cette irrésistible urbanisation, mais les alternatives possibles à un modèle de développement métropolitain préjudiciable à l'environnement et la qualité de vie. Pour ce faire, l'exposition se déploie en trois temps. Intitulé "Villes sous tensions", le premier d'entre eux évoque la complexité des systèmes urbains contemporains à travers une série de panneaux et de dispositifs interactifs, souvent ludiques. Il aborde tour à tour la consommation énergétique des mégapoles contemporaines, les modes de déplacements des citadins (des enfants, notamment), la densité et sa relation avec le type d'habitat, le développement de l'habitat informel, la question migratoire ou encore la multiplication des dispositifs de surveillance.Au sein d'un deuxième espace, "Terre urbaine" complète cet état des lieux et immerge le visiteur dans un vaste dispositif de data-visualisation et de data-sonorisation projeté sur un écran hémisphérique de 8 mètres de long et 3,5 m de haut.Enfin, l'espace "Devenirs urbains" présente quelques-unes des initiatives menées aujourd'hui pour favoriser l'avènement d'une ville plus "durable" et plus résiliante. Des "incroyables comestibles" à la culture hors-sol de fruits et légumes (fermes verticales, serres sur toits d'immeubles, etc.), en passant par le développement du vélo à Copenhague, l'exposition invite le visiteur à un questionnement sur ce que serait, en dernière analyse, une ville souhaitable, où il ferait bon vivre…Si "Mutations urbaines" expose des données et des initiatives bien connues de tous ceux qui réfléchissent à la ville, elle offre un aperçu des questions urbaines d'autant plus profitable au néophyte qu'elle mobilise des dispositifs ingénieux et ludiques. A voir en famille, donc.

Infos pratiques :

Mutations urbaines, jusqu'au 17 mars 2017 à la Cité des sciences et de l'industrie, Paris

A partir de 11 ans

Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h, le dimanche de 10h à 19h.

Plein tarif : 12 euros

2016-07-15
Écrit par
midi:onze
Thierry Paquot : "L’urbanisation est un processus de changements culturels"

Philosophe et "rhapsode de la revue L'Esprit des villes » comme il aime à se présenter, Thierry Paquot vient de publier Terre urbaine, Cinq défis pour le devenir urbain de la planète aux éditions La Découverte. Son ouvrage dresse l'état des lieux des multiples formes territoriales actuelles et analyse les défis urbains à relever pour le XXIe siècle. Interview d'un libre penseur de l'espace urbain.

Votre ouvrage Terre urbaine vient d'être réédité après une première publication en 2006. Quel constat, quelles réflexions ont motivé cette réédition ?

L’ouvrage n’était plus disponible, il annonce et complète, Désastres urbains. Les villes meurent aussi, publié en 2015 et tombe à pic avec Habitat III en octobre à Quito et avec « Mutations urbaines » à la Cité des Sciences, dont je suis le conseiller. Cette urbanisation liée au productivisme débute avec la « révolution industrielle » et se déploie entièrement avec la globalisation. Deux phénomènes s’imposent à la fin du XXe siècle, la préoccupation environnementale et le numérique.

"Le pire peut arriver", écrivez-vous à la fin de l'intro de Terre urbaine. De la 1ere à la 2e édition, quelle évolution du pire et du meilleur ? quel est votre pronostic ?

Le pire que je redoutais, malheureusement advient. Il s’agit de la transformation volontaire des individus en dividus, pour reprendre la formulation de Günther Anders dans L’Obsolescence de l’homme (1956, traduction française en 2002).

Urbanité, diversité, altérité sont les ingrédients indispensables pour assurer le devenir urbain du monde ? Les clés pour une ville idéale ?

Il n’existe pas d’idéal de ville, il y a diverses modalités d’urbanisation, dont ce que j’appelle « ville », caractérisée par l’entremêlement de ces trois qualités. L’urbanisation à l’œuvre s’effectue sans ville et contre les villes, comme les gated communities.

Vous faites état d'une urbanisation planétaire qualifiée de véritable révolution. Quels sont les principaux dangers qui menacent la ville aujourd’hui ? Et demain ?

Avec les mégalopoles, l’esprit de la ville ne peut se maintenir, se renouveler et s’enrichir, il est chahuté par une concentration trop importante d’habitants (des millions !) qui entrave tout processus participatif et délibératif propre à une certaine démocratie. Des enclaves résidentielles privées sont gérées par un staff et non pas administrées par un conseil élu pour un mandat.

A l'heure de la métropolisation, de la ville globale, les modèles démocratiques en place ne seraient plus adaptés. Vous dites « À chaque territoire sa forme démocratique » qu'entendez-vous par là ? Cela signifie que l'on devait pourvoir voter là où l'on vit et là où l'on travaille par exemple… ? Quelles seraient les limites de cette nouvelle citoyenneté ?

La métropolisation est bien ancienne, on ressort le mot pour la communication, il ne s’agit pas de cela, mais du contrôle des territoires par l’économie. C’est cette dépossession du politique que je dénonce et c’est pour le conforter que je suggère de nouvelles territorialités mieux adaptées aux modes de vie, comme la possibilité d’élire le maire de sa commune de résidence, celui de là où vous travaillez, celui du village où vous passez vos vacances… Il convient de favoriser le débat partout et d’associer en permanence les habitants à toutes les décisions qui les concernent.

Selon vous, cinq formes urbaines sont à l’œuvre (bidonville, mégalopole, enclave résidentielle sécurisée, la ville moyenne, la ville globale), qu'ont en commun ces multiples formes territoriales ? Pensez-vous qu'un modèle va t-il s'imposer dans les années à venir ?

Ces agencements son variés, aussi n’y a-t-il en commun que le regroupement des populations pour des motifs souvent différents. Le tourisme massifié exige des équipements qui sont semblables ici ou là. De même les campus, les centres commerciaux, les lotissements pavillonnaires, etc. se ressemblent de plus en plus, ils sont dessinés et construits par une poignée de groupes transnationaux et on y vit de la même manière. En ce sens, il y a un « modèle »… que je trouve effrayant et qu’il faut combattre !

Dans votre livre vous parlez « d'urbanisation des mœurs » ? De quoi s'agit-il ?

J’étudie « l’urbanisation des mœurs » dans Homo urbanus (1990) et veux montrer par cette formulation que l’urbanisation ne se résume pas à un pourcentage de répartition de la population selon qu’elle réside en ville ou à la campagne. Pour moi, l’urbanisation est un processus de changements culturels qui vise à homogénéiser les pratiques alimentaires, vestimentaires, sexuelles, affectives, éducationnelles, etc., selon les standards urbains. Elle participe grandement aussi à un imaginaire commun, comme en témoignent les séries télévisées.

Vous notez que le monde est en train d'achever sa transition démographique urbaine, mais pointez en même temps qu'en Europe, on assiste à ce qui pourrait être les prémices d'un exode urbain. Cet exode, qui pourrait n'être pas seulement géographique, mais aussi culturel (on parle même de "néo-paysans"), pourrait-il signer la fin de l'urbain généralisé qui est notre condition présente, ou marque-t-il au contraire sa pleine réalisation ? Avec la progression de l'écologie, des décroissants, des chantres de la simplicité volontaire, peut-on imaginer que l'urbanisation des moeurs se retourne en "ruralisation des moeurs" ?

L’exode urbain appartient à la phase actuelle de l’urbanisation et ne produit pas une « ruralisation des mœurs ». Nous sommes tous des urbains, sans pour autant être obligatoirement des citadins, c’est-à-dire des individus agissant politiquement sur leur cadre de vie. Ce qui peut advenir serait plutôt une écologisation de nos modes de vie, mais je crois au Père Noël…

Les NTIC bouleversent les mobilités. Selon vous, l'enjeu n’est plus de bouger mais de communiquer ?

Les TIC, plus si nouvelles que cela, changent principalement notre compréhension de l’espace et du temps, notre façon de les vivre et de les représenter. C’est une modification anthropologique dont on mesure mal la portée : nouvelle hiérarchisation des sens, seconde oralité, approches inédites de la distance et de la proximité, valorisation de no man’s time (l’attente, l’ennui, la sieste…), etc. C’est tout une autre univers mental qui s’ouvre à nous.

Vous préférez le terme d’« écologie existentielle » qui semble plus pertinente que le terme de développement durable ou politique environnementale pour penser, « ménager » les territoires. Que recouvre cette notion ? En quoi vous semble t-elle plus adaptée ?

La question environnementale est fondamentale, elle nous oblige à envisager autrement nos relations avec le monde vivant et entre humains, aussi faut-il développer une écologie temporelle (qui prenne en compte la chronobiologie de chacun et les harmonisations des temps sociaux et personnels), une écologie des langues (nous habitons avant tout notre langue), une écologie des territoires (l’être humain se révèle topophile), etc. Cet ensemble, je le désigne par « écologie existentielle », afin de souligner son importance philosophique et pas seulement sa dimension « défense et protection de la nature »…

Quelles différences avec l' urbanisme décent dont vous faîtes également mention ? A quelles conditions l'évitement de la catastrophe écologique en cours est-il compatible avec l'urbain généralisé ?

L’urbanisme est le moment occident de l’urbanisation productiviste, il se révèle agressif, imposé, dominateur et parfois anxiogène. Il ne peut aucunement devenir « décent » comme je l’espérais, il repose sur la spéculation foncière et la rationalisation territoriales des fonctions, il faut rompre avec lui et expérimenter de nouvelles manières de fabriquer la demeure des humains plus soucieuses de ménager (c’est-à-dire « prendre soin ») des gens, des lieux et des choses.

L'intervalle qui sépare la parution de Terre urbaine de sa réédition a vu s'imposer le paradigme, assez flou, de « ville durable ». Quel regard portez vous sur ses différentes déclinaisons, de la ville nature à la smart city ? Que peut-on en attendre ?

Il y a des « villes » qui ont trop duré, comme Dubai ! Je plaisante, mais cette notion de « ville durable » n’a aucun sens, du moins, je ne la comprends pas. La smart city appartient à la mode, d’ici peu on aura oublié cette formule remplacée par une autre comme data city ou écopolis, qui disparaitront également…

Pour en savoir plus :

Thierry Paquot, Terre urbaine, cinq défis pour le devenir urbain de la planète, éditions La découverte, 228 pages, 21 €

2016-06-27
Îles de la Seine, portrait d'un archipel métropolitain méconnu

Jusqu'au 2 octobre 2016, Le Pavillon de l'Arsenal de Paris expose « Îles de la Seine », une manifestation explorant le fleuve à travers le portrait d'une trentaine d'îles. Alors même que la Seine est au centre d’importantes stratégies urbaines contemporaines, notamment avec l’appel à projets « Réinventer la Seine » lancé en mars 2016, cette exposition invite à l'exploration de ces territoires méconnus.

Île résidentielle, lieu de villégiatures et de loisirs, site d'activités agricoles ou industrielles, île inhabitable, abandonnée, disparue ou parfois privée, une grande mixité d'usages caractérise les quelques 117 îles de la Seine, de Conflans-sur-Seine à Rouen. A travers des plans, affiches et photos d'époque, l'exposition donne à voir la singularité des quelques trente-deux îles mises en avant. Les machines de l'île Marly, le parc de l’île du Moulin-Joly, l'île Saint-Louis et son ancien port d'amarrage, l'île des Impressionnistes et ses guinguettes ou encore l’île Seguin, reconnaissable entre toutes, façonnée pendant des siècles par la présence de l'usine Renault et qui, demain, sera transformée en Cité Musicale par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines. Pour chacune de ses îles, un morceau d'histoires, un récit anecdotique ou non, plonge le visiteur dans le passé de ces espaces insulaires et le fait voyager dans le mythe de ces lieux particuliers.Cette exposition se déroule dans le contexte d'une récente revalorisation des axes fluviaux et de la Seine à l'échelle de la métropole. Comme l'écrit Milena Charbit, architecte et commissaire scientifique invitée : «  Alors que la Seine est au centre d’importantes stratégies urbaines contemporaines, telles que la consultation du Grand Paris avec Seine Métropole d’Antoine Grumbach, le prolongement de la ligne Eole (RER E) le long du fleuve d’ici 2022, ou encore l’appel à projets « Réinventer la Seine » (Paris – Rouen– Le Havre) lancé en mars 2016, cet ouvrage entend contribuer à la découverte de ce territoire en archipel, lieux de lenteur, amas d’alluvions arrachés aux nombreux méandres du fleuve. »

Infos pratiques :

Iles de la Seine, Exposition créée par le Pavillon de l’Arsenal, du 4 juin au 2 octobre 2016

Pavillon de l’Arsenal - Centre d’urbanisme et d’architecture de Paris et de la métropole parisienne

21, boulevard Morland 75004

Entrée libredu mardi au samedi de 10h30 à 18h30,  le dimanche de 11h à 19h

www.pavillon-arsenal.com

2016-06-27
Écrit par
midi:onze
Ariane Vitalis : « Les créatifs culturels veulent tous transformer la société d’une manière ou d’une autre »

Il y a quinze ans, l’expression « créatifs culturels » faisait son apparition en France et désignait cette frange croissante de la population n’appartenant ni aux traditionnalistes, ni aux modernistes, mais frayant entre eux une troisième voie sensible à l’écologie, aux valeurs dites féminines, à la spiritualité et à l’implication sociale et citoyenne. Ils représenteraient aujourd’hui 25% de la population française etAriane Vitalis, sociologue, vient de leur consacrer un ouvrage aux Editions Yves Michel. Entretien.

En 2000, une étude du sociologue Paul H. Ray et de la psychologue Sherry Ruth Anderson consacrait l’émergence aux Etats-Unis d’une alternative de poids à l’American way of life : les créatifs culturels ou créateurs de culture. Ces « acteurs du changement », dont les deux chercheurs estimaient la part à 24% de la population américaine (17% en France), étaient identifiés par quatre pôles de valeurs : l’écologie, l’ouverture aux valeurs féminines, la spiritualité et l’implication sociale. Agrégés dans une nébuleuse aux contours flous (il faut dire que l’expression vague de « créatifs culturels » n’aide pas à les identifier), ce sont les clients des AMAP, des marchés bios et des stages de médecine ayurvédique ; les néo-paysans ayant troqué une carrière d’ingénieur contre une activité d’éleveur bio davantage en accord avec leur idéal de sobriété ; mais aussi, à l’autre extrémité du spectre, les gérants de start-up où l’on promeut l’économie collaborative et la troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin.Quinze ans tout juste après la traduction en France de l’étude de Ray et Anderson, la sociologue Ariane Vitalis vient de consacrer un ouvrage au phénomène. Rencontre avec l’auteure de Les Créatifs Culturels : l’émergence d’une nouvelle conscience (éditions Yves Michel).

Une quinzaine d’années après la parution de l’étude de Ray et Anderson sur les créatifs culturels, comment ces derniers ont-ils évolué ?

Les créatifs culturels ont beaucoup plus conscience qu’ils font partie d’une dynamique collective. Le sentiment de solitude qu’ils pouvaient ressentir est moins présent. La révolution numérique et les réseaux sociaux ont évidemment joué dans cette évolution : les créatifs culturels peuvent davantage se connecter les uns aux autres et se rencontrer.

Pour autant, l’expression « créatifs culturels » n’a jamais pris en France. Comment l’expliquez-vous ? Quels termes pourrait-on lui substituer ?

L’expression n’a pas pris car elle n’est pas suffisamment explicite, et n’évoque pas forcément le lien avec la transition. C’est différent aux Etats-Unis, où le terme est davantage pris en considération. En France, on parle plutôt d’acteurs du changement, de défricheurs ou de transitionneurs.  Mais peu importe au fond que l’expression ne fasse pas tout de suite sens : les créatifs culturels ne sont pas obligés de se définir.

En France, le terme de bobo est-il une manière de les désigner ?

Le bobo est un créatif culturel, mais il ne définit pas le phénomène dans sa totalité. Chez les créatifs culturels, l’idée de spiritualité, de connaissance de soi est centrale. Or, elle demeure souvent superficielle chez les bobos. David Brooks, à qui l’on doit ce mot, définit le bobo comme un individu qui critique la culture capitaliste tout en en vivant...

"Chez les créatifs culturels, l’idée de spiritualité, de connaissance de soi est centrale." Ariane Vitalis

Vous désignez comme créatifs culturels aussi bien le jeune homme issu d’école de commerce et montant une start-up dans l’économie collaborative que la quadragénaire quittant la ville pour faire de la permaculture. Qu’ont-ils en commun ?

Chez le premier domine l’idée que l’intégration au système peut permettre de le transformer de l’intérieur, tandis que d’autres créatifs culturels sont plus radicaux et opèrent un changement de vie. Mais tous veulent transformer la société d’une façon ou d’une autre. Ils partagent également des valeurs communes, telles que le sentiment d’urgence écologique, une volonté d’engagement, un élan vers la connaissance de soi, pour la consommation éthique, le développement durable, le bio, etc.

Vous désignez aussi les créatifs culturels comme ayant une vision « grand angle », holistique…

En effet. Ils ont une vision globale des crises, qu’ils perçoivent comme interconnectées. Ce sont des chantres du « Penser globalement, agir localement ». Ils ont pris conscience que les problèmes mondiaux affectent aussi des communautés locales.

Quelle part de la population française représentent-ils ?

En 2006, on estimait la part des créatifs culturels à 17%. Aujourd’hui, je dirais qu’ils sont environ 25%. Les valeurs des créatifs culturels ont progressé. L’expansion des restaurants végétariens en témoigne : il y a quelques années, être végétarien était difficile. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. Idem pour le bio, qui s’est considérablement développé…

Les Créatifs culturels se trouveraient essentiellement chez les classes moyennes supérieures…

Dans l’étude de Ray et Anderson en effet, les créatifs culturels appartiennent majoritairement aux classes moyennes supérieures, qui ont fait des études, et qui peuvent se permettre d’acheter bio, par exemple.

"Les créatifs culturels appartiennent majoritairement aux classes moyennes supérieures, qui ont fait des études, et qui peuvent se permettre d’acheter bio, par exemple." Ariane Vitalis

On n’est pas dans le cadre d’un militantisme classique porté par le prolétariat. On reste dans un certain milieu, mais il y a malgré tout une certaine hétérogénéité des classes sociales.

Quelle relation les créatifs culturels entretiennent-ils avec les nouvelles technologies et la nouvelle économie ?

La plupart des créatifs culturels ont un lien fort avec les technologies, qui leur permettent de travailler en réseau, de s’informer. Leur existence même est très liée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication : elles leur ouvrent des possibilités en matière d’écologie, d’économie collaborative, d’innovations… Pourtant, certains radicaux se montrent plus critiques à leur égard et pointent  notre aliénation aux outils technologiques. Cela peut aller jusqu’au refus pur et simple et à la déconnexion…

Dans votre ouvrage, vous faites la genèse  des créatifs culturels. Quels grands courants culturels les ont inspirés ?

Ils se trouvent dans le droit fil des mouvements hippies et de la contre-culture des années 1950 à 1970, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Les Diggers, la Beat Generation, les mouvements pacifistes constituent leur héritage le plus proche. Mais on peut remonter jusqu’au romantisme et au transcendentalisme, qui sont nés de part et d’autre de l’Atlantique au XIXe siècle en réaction à la modernité capitaliste. Les Romantiques aspiraient à une vie plus communautaire, plus fraternelle, en lien avec la nature et le sacré. Idem pour Thoreau et Emerson en Amérique : le mode de vie qu’ils appelaient de leurs vœux était aux antipodes de la société industrielle naissante.

Pour autant, certains créatifs culturels sont de plain pied dans l’économie de marché, notamment ceux qui promeuvent l’économie collaborative…

Comme je l’expliquais, les créatifs culturels adoptent une grande diversité de postures, qui vont de la décroissance à la volonté de créer un capitalisme plus « éthique » et plus vert.

"Les créatifs culturels adoptent une grande diversité de postures, qui vont de la décroissance à la volonté de créer un capitalisme plus « éthique » et plus vert." Ariane Vitalis

Dans leur version « capitaliste », les créatifs culturels penchent vers l’entreprenariat social, et manifestent une vraie volonté d’horizontaliser les rapports hiérarchiques.

Diriez-vous que Nuit debout est un mouvement de créatifs culturels ?

Je dirais oui… dans une certaine mesure. On y trouve quelques-uns de leurs modes d’action caractéristiques : potagers urbains, assemblées démocratiques, absence de leadership, etc. Mais les personnes qui participent à ce mouvement sont très variées. On y trouve aussi des profils plus enclins à une certaine violence. Chez les créatifs culturels, la non-violence, la connexion avec le spirituel, l’empathie et la douceur sont constitutifs de leur façon d’être.

Depuis l’apparition de l’expression « créatifs culturels », les émissions de gaz à effet de serre n’ont cessé de croître. L’extrême droite aussi. Les créatifs culturels  seraient-ils voués à l’impuissance ?

Le problème des créatifs culturels est qu’ils manquent d’organisation et demeurent une minorité en France et en Occident. Le reste de la masse est lourd à mobiliser. Mais si leur impact reste minime, il n’est pas à négliger. Le succès du film Demain montre bien qu’il y a un engouement croissant pour les alternatives portées par les créatifs culturels.  Reste alors la question du passage à l’acte.

Justement. Dans votre ouvrage, vous citez ces termes d’Olivier Penot-Lacassagne à propos de la contre-culture : « Ce que nous appelons contre-culture, écrit-il, est souvent dépourvu de culture et n’a de contre que le pittoresque que nous lui attribuons ». Pourrait-on en dire autant des créatifs culturels, dont beaucoup peinent à traduire leurs valeurs en actes ?

Pour certains créatifs culturels, en effet, l’élan vers l’écologie, l’empathie, la spiritualité, etc. est un simple effet de mode. Certains s’engagent dans ces chemins-là sans être convaincus au fond d’eux mêmes et on peut alors craindre qu’ils soient rattrapés par l’économie de marché. Mais il existe chez la grande majorité d’entre eux une vraie volonté de mettre en accord leurs pensées et leurs actes. Les Créatifs culturels sont très empathiques, ils se sentent en lien profond avec le monde.

Pour en savoir plus :

créatifs culturels - yves michel

Ariane Vitalis, Les Créatifs culturels : l'émergence d'une nouvelle conscience, regards sur les acteurs d'un changement de société - Editions Yves Michel, 2016, 200 pages, 15 €

2016-06-06
Écrit par
Pierre Monsegur
Aucun article ne correspond à votre recherche ...
Chargement des articles ...