La ville à l’heure du changement.
L'habitat inclusif, un nouvel idéal pour les seniors ?

Face aux multiples enjeux (démographique, économique, territorial, sanitaire et social) que pose la question du logement pour les personnes âgées, l’habitat inclusif offre une alternative au maintien à domicile et à l’Ehpad. Un modèle qui intéresse de plus en plus les acteurs du logement.

Dans un contexte de post-crise sanitaire qui a révélé le besoin de prendre soin des populations les plus fragilisées et à la faveur de l’aspiration des Français à vieillir chez eux, on constate ces dernières années l’essor de l’habitat dit inclusif ou partagé. Les récents scandales concernant les Ehpad, notamment après la sortie du livre Les fossoyeurs (Fayard, 2022) du journaliste Victor Castanet révélant des situations de maltraitance de personnes âgées, ont par ailleurs conforté le désir de pouvoir vieillir chez soi, quand les conditions sont réunies. 

De plus en plus de personnes âgées isolées

Ce désir est d’autant plus grand que le sentiment de solitude et d'isolement chez les personnes âgées est un enjeu social fort. Le «Baromètre 2025 solitude et isolement, quand on a plus de 60 ans en France»  de l’association Les Petits Frères des pauvres publié le 30 septembre dernier le confirme : 2 millions de personnes âgées sont isolées, 750 000 vivent en situation dite de « mort sociale » (désigne une situation d’isolement extrême : des personnes âgées qui ne rencontrent quasiment jamais, ou très rarement, d’autres personnes), soit 4% des plus de 60 ans et 4,2 millions de personnes âgées éprouvent un sentiment de solitude.

Selon l’association Les Petits Frères des pauvres, 2 millions de personnes âgées en France sont isolées, 750 000 vivent en situation dite de « mort sociale ».

Ces chiffres alarmants sont à mettre en regard d'une autre donnée : la courbe démographique française. Avec 15 millions de personnes âgées de 60 ans et plus aujourd’hui, un Français sur quatre aura 65 ans ou plus à l’horizon 2040 (chiffres INSEE). 44 % des + de 75 ans vivent aujourd’hui à domicile. Quelles sont les alternatives quand arrivent les questions d’accès aux soins et de dépendance ou d’isolement sans passer par la case Ephad ?

Les différentes formes d’habitat pour ‘‘vivre chez soi sans être seul’’

Entre la question de la perte d’autonomie, de l’accès aux soins, du sentiment d’isolement très fort chez ces populations et le coût des logements, les enjeux autour de l’habitat des seniors sont multiples. À cet égard, le développement de nouvelles formes d’habitat porte une promesse forte : offrir au 3e et 4e âge un véritable chez soi et une vie sociale faite de moments partagés.

L’aspiration des seniors au « vivre-ensemble » a connu différentes déclinaisons. Parmi elles, le projet de résidence pour femmes âgées située à Montreuil en Seine-Saint-Denis, la maison des Babayagas, inaugurée en 2013 et réservée aux femmes de plus de 60 ans décidées à vieillir ensemble de façon autonome et solidaire ou encore les colocations intergénérationnelles entre jeunes à la recherche d’un logement et seniors désireux de compagnie et/ou d’un complément de revenu.

Le principe du logement inclusif ? Être chez soi dans son propre logement tout en partageant des espaces communs et un projet de vie sociale.

Pour répondre à la demande grandissante de vivre dans un environnement qui favorise le lien social et l’accompagnement, différentes formes d’habitat inclusif dans le parc privé ou social ont aussi émergé depuis quelques années. Elles sont portées par une multitude d’acteurs : des associations du secteur social ou médico-social, des mutuelles, des collectivités locales, des foncières solidaires, des bailleurs sociaux ou les habitants eux-mêmes. Le principe ? Être chez soi dans son propre logement tout en partageant des espaces communs et un projet de vie sociale. Pas de critères requis pour y habiter et la possibilité de bénéficier d’un accompagnement social ou d’une offre de services sanitaire, sociale ou médico-sociale individualisée pour l’aide et la surveillance en fonction de leurs choix et besoins.

Signe de son succès : en 2018, l’habitat inclusif s’est doté d’un encadrement législatif et juridique avec la promulgation d’une loi qui lui a donné une définition et la mise en place d’une nouvelle aide individuelle, l’aide à la vie partagée (AVP).

Construire un projet de vie sociale et partagée avec les personnes âgées

Créer de nouvelles solutions pour accompagner les seniors tout au long de leur parcours de vie, c’est aussi l’ambition des lieux de vie partagés portés par l'association Groupe SOS Seniors. « L’objectif est de co-construire, avec les seniors accompagnés, une vie collective avec une programmation de 3 à 5 activités par semaine. Cela va de la pratique de sport adapté à des cours d’anglais en passant par des sorties culturelles en lien avec des partenaires », explique Julie Chicaud, directrice des lieux de vie partagés au sein de l’association. Sur ce modèle, l’association Groupe SOS Seniors a déjà ouvert 5 lieux de vie dans des logements sociaux à Paris, Louveciennes, Valence et Epinal, souvent en pied d'immeuble, dans des locaux mis à disposition par des bailleurs sociaux. Son ambition : doubler ce chiffre d’ici quelques années pour répondre aux besoins. 

Lieu de vie partagé Le Part’âge » (Porte de Vitry, Paris 13). Crédit photo : Association Groupe SOS Seniors 2025

Ce service entièrement gratuit, financé principalement avec l’AVP octroyée pour une durée de 7 ans, offre également aux bénéficiaires un accompagnement individuel, principalement pour un appui aux démarches administratives et une aide à l'usage du numérique. En moyenne, entre quinze et trente personnes fréquentent régulièrement ces espaces. “Au 5/5 dans le 13e arrondissement de Paris, nous sommes une petite dizaine à venir régulièrement. C’est un lieu vivant et chaleureux où les activités sont stimulantes. On ne se retrouve pas pour jouer aux cartes ! La semaine prochaine on démarre la réalisation d’un film avec un vrai metteur en scène”, s’amuse Reine, 76 ans qui fréquente chaque jour le lieu “surtout pour le lien social. Avant de venir ici, je passais des journées entières sans entendre le son de ma voix, j’étais un peu déprimée. Cela permet vraiment de sortir de l'isolement.”

« L’enjeu est de pouvoir répondre aux différentes trajectoires de l’habitat des seniors à l’échelle d’un territoire face au virage démographique actuel et à venir tout en conservant la proximité humaine indispensable à la réussite des projets. On le voit sur le terrain, l’isolement des personnes âgées est criant, et pas seulement dans le grand âge. » Julie Chicaud, directrice des lieux de vie partagés au sein de l’association Groupe SOS seniors

Il s’agit également pour l’association d’articuler les différentes solutions d’habitat en proximité pour construire de véritables parcours résidentiels, en faisant notamment des lieux de vie partagés des solutions complémentaires aux résidences autonomie, notamment en Ile-de-France où l’association gère 67 établissements. « L’enjeu est de pouvoir répondre aux différentes trajectoires de l’habitat des seniors à l’échelle d’un territoire face au virage démographique actuel et à venir tout en conservant la proximité humaine indispensable à la réussite des projets, analyse Julie Chicaud. On le voit sur le terrain, l’isolement des personnes âgées est criant, et pas seulement dans le grand âge. »

Penser l’ancrage territorial de l’habitat inclusif

L’habitat inclusif vient s’inscrire dans le champ dit de l’habitat intermédiaire qui rassemble une grande diversité de solutions. « Situé entre le domicile traditionnel et les établissements pour personnes âgées ou en situation de handicap, l’habitat intermédiaire recouvre des solutions diverses telles que les résidences autonomie, les résidences services seniors, les habitats inclusifs, les habitats intergénérationnels ou l’accueil familial. Ces formes d’habitat combinent espaces privés, vie sociale et services, parfois tout ou partie mutualisés (services à domicile, prévention, animation), adaptés aux besoins de maintien de l’autonomie et à la lutte contre l’isolement », selon la définition de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Avec une gamme de tarifs variable en fonction du type de structure et du positionnement commercial : à partir de 500 euros environ pour un T1 en Résidences autonomie et entre 1000 et 1700 € pour les Résilience seniors. Pour l’habitat inclusif, les montants moyens des loyers sont de 470€ par habitant et par mois en 2024, toujours selon la CNSA. À cela s’ajoute le montant de l’aide dont ils sont bénéficiaires pour la mise en œuvre de leur projet de vie sociale et partagée, qui représente près de 6 200€ par an et par habitant. 

Lieu de vie partagé  « Local Madeleine Girard » (Louveciennes, 78) Association Groupe SOS Seniors

D'après le Conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie qui émet des orientations stratégiques, 280 000 personnes bénéficient aujourd’hui de ce type d’habitat. Mais, au regard du vieillissement de la population et des aspirations des personnes en situation de handicap, le besoin est estimé à 500 000 logements en habitat intermédiaire d’ici 2050. « Le succès de ce déploiement réside notamment dans l’articulation avec les services médico-sociaux et d’aide à la personne présents et à venir sur le territoire et dans le bon maillage entre les différentes solutions d’habitat en réponse à un diagnostic territorial », souligne Karine Rollot, cheffe de projet Habitat intermédiaire à la CNSA.

280 000 personnes vivent aujourd’hui dans un logement intermédiaire pour personnes âgées.

Cette question territoriale se pose notamment dans les territoires ruraux et les petites villes. Dès 2021, la démarche « Bien vieillir dans les Petites villes de demain » a été lancée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) avec l’objectif de soutenir les stratégies de revitalisation des centres-villes et des centre-bourgs de façon adaptée aux besoins et aux aspirations actuels et futurs des personnes en situation de handicap et/ou âgées.  Depuis le lancement de l’Appel à manifestation d’intérêt doté de 1,5 m€ en octobre 2022, 116 projets localisés dans 65 départements ont été sélectionnés pour bénéficier d’un accompagnement.

Selon l’économiste Frédéric Bizard, président de l’Institut Santé dans un rapport publié le 18 septembre 2025, la « réalisation du virage domiciliaire - qui suppose de passer d’un ratio volume domicile/établissement 60/40 en 2024 à un ratio 75/25 en 2050 - générerait 12 milliards € d’économies d’ici à 2050. » A ce titre, améliorer la visibilité des différentes structures semble aujourd’hui un enjeu de taille pour accompagner au mieux les personnes âgées.

Pour en savoir plus

L’avis rendu par le Conseil d’Etat sur l’habitat partagé : Avis relatif aux questions juridiques soulevées par les différentes catégories d’habitats « partagés » - Conseil d'État

2025-11-4
Favoriser les énergies renouvelables, un véritable levier de croissance ?

Selon une étude BVA/ Evasol de Juillet 2012, 94% des Français pensent que l'énergie va devenir de plus en plus chère d'ici 2 ans et 56% envisagent de réaliser des travaux dans cette optique.

Alors que de nombreuses niches fiscales pour favoriser le financement de travaux permettant des économies d’énergies ont été rabotées et que la filière du photovoltaïque traverse une crise importante, le secteur des énergies renouvelables est-il une piste à investir pour plus de croissance ?

Petit rappel du contexte : avec la Réglementation Thermique 2012 (RT2012), l’objectif est de limiter les consommations énergétiques des bâtiments neufs. Conséquence du Grenelle de l’Environnement, la RT 2012 atteint désormais les niveaux du label BBC-Effinergie, les constructions neuves se voient fixer un seuil maximal de consommations d’énergie primaire (avant transformation et transport) inférieure à 50 kWh/m²/an.Par ailleurs, la France est toujours tenue par l’objectif de porter à au moins 23 % la consommation d’énergie produite à partir d’énergies renouvelables d’ici 2020. Alors que le secteur du bâtiment est l’un des plus énergivores avec près de 46% de l’énergie finale nationale consommée, des dispositifs ont été développés dans le cadre du Grenelle de l’environnement…et revus à la baisse au cours des années.

Etat des lieux des aides

Dans son plan de rigueur de novembre 2011, François Fillon annonçait la réduction de niches fiscales, avec dans le viseur un objectif de près de 2,6 milliards d'économies. Parmi les dispositifs concernés : la loi Scellier, visant à soutenir l'investissement locatif privé, en accordant des réductions d'impôts aux propriétaires qui s'engagent à louer un bien neuf pendant au moins 9 ans, sera supprimée à partir du 1er Janvier 2013. Au programme également : le crédit d'impôt développement durable diminué de 20 %.Ce dernier, modifié en 2012, fait partie des aides qui permettent de financer quelques équipements (solaire thermique, photovoltaïque, appareils de chauffage au bois ou biomasse, etc.) dans les constructions neuves. Toutefois, dès le 1er janvier 2013, ce dispositif ne sera pas reconduit pour les logements neufs. Pour les dépenses payées à compter du 1er janvier 2013, le crédit d’impôt sera réservé aux travaux réalisés dans des logements achevés depuis plus de 2 ans.

Des aides, plus d’accessions ?

Autre dispositif : Le prêt à taux zéro, qui a également été « recentré pour limiter son coût ». Jusqu’alors réservé à l'achat d'un logement neuf, le PTZ+ est de nouveau accessible depuis le mois de juin pour l'achat d'un logement ancien. Pour faciliter l’information auprès des particuliers, l’Ademe a publié un document et explique qu’ « en 2012, pour la rénovation, l’accent a été mis sur la rénovation de bouquets de travaux et sur des exigences accrues sur les matériaux et équipements. Par ailleurs, le taux de TVA réduit pour les travaux dans les logements est (en règle générale) passé de 5,5 à 7% ».Pour autant, une note datant de 2012 sur l’attitude des candidats à l’accession à l’égard des constructions BBC, l’ANIL (Agence Nationale pour l’Information sur le Logement) met en lumière le fait d’une « désaffection pour le label BBC dans l’accession à la propriété en maisons individuelles neuves». Parmi les raisons évoquées : Le surcoût du BBC et ou encore la difficulté de faire évoluer les comportements jugés trop contraignants pour l'utilisation des logements…[media width=600 height=450]480[/media]Pour Stéphane Maureau, président d’Evasol, une entreprise spécialisée dans la réalisation clé en main de bouquets de travaux estime qu’ « actuellement les aides de l’Etat sont suffisantes mais elles doivent être maintenues. La priorité, c’est la survie de ce qui existe et de rendre éligible aux revenus les plus modestes le prêt à taux zéro et de le simplifier pour une meilleure répartition des risques ». Egalement membre des Etats Généraux du Solaire Photovoltaïque (collectif informel regroupant des acteurs de la filière française de ce secteur dans le but de sensibiliser les pouvoirs publics et le public aux enjeux liés au développement du photovoltaïque en France), l’homme fait montre à ce sujet d’un certain pessimisme : « la filière du photovoltaïque est gravement malade, c’est l’état d’urgence, il faut revoir le mécanisme de baisse trimestrielle des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque ».

Le prix de rachat de l’électricité en question

Tous les trois mois, EDF modifie le tarif du rachat de l’électricité. Le nouveau tarif est calculé selon le nombre de demandes de raccordement reçues par ERDF et l’ensemble des entreprises locales de distribution du trimestre précédent comme prévu par l’arrêté du 4 mars 2011. Pour la période du 1er avril au 30 juin 2012, le tarif d’achat de l’électricité provenant de l'énergie photovoltaïque est passé de 38,80 c€/kWh à 37,06 c€/kWh. Pour Stéphane Maureau : « Il faudrait que le trafic d’achat ne change plus d’ici la fin de l’année. Il faut relancer une filière en crise fortement touchée après le moratoire (ndlr : Décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil), car le secteur de photovoltaïque, notamment pour le résidentiel est porteur, avec des emplois non délocalisables ».[media width=600 height=450]482[/media]La France s’est donnée un objectif de 5,4 GWc cumulés en 2020. Fin 2011, la capacité totale du parc photovoltaïque français était égale à 2,3 GW. Un objectif timide au regard des investissements allemands : l’Allemagne a installé 3 GW dans le seul mois de décembre 2011 pour une capacité totale du parc allemand équivalente à 24,8 GW. (Source : http://www.observatoire-energiesolaire.fr).

Le développement durable, une filière créatrice d’emplois ?

En France, malgré la crise, les activités de l’économie verte progressent et les emplois « verts » ont connu une progression de 1,6 % alors que les autres secteurs ont régressé ou stagner (source Insee – Dossier Economie Verte). Philippe Mouillard est un entrepreneur. En 2011, il a créé « Green Planet Job » qui rassemble près de 300 entreprises référencées et entre 600 et 1000 CV dont le point commun est de faire partie des secteurs du bio, du développement durable et de l’environnement. « Fin 2011, explique-t-il, on constate une hausse globale des emplois « verts ». Le seul secteur des énergies renouvelables a gagné plus de 3200 postes en 2011. Les investissements doivent aujourd’hui aller vers les secteurs porteurs, les perspectives sont bonnes, il faut des mesures qui encouragent davantage la création d’emplois. »Une dynamique bien entachée par la crise du photovoltaïque et de l’éolien. En France, la filière photovoltaïque a créé 25 000 emplois entre 2007 et 2010. En 2010, l’emploi dans le photovoltaïque a perdu 50 % et l’éolien 85%... Selon une étude de l‘observatoire Trendéo, «En mars dernier, les filières vertes [ont] supprimé plus d’emplois qu’elles n’en avaient créés, pour la première fois depuis 2009. Le détail par filières fait apparaître une forte baisse de l’activité dans le secteur solaire. En 2011, le total des trois premiers trimestres n’atteint pas la centaine d’emplois créés. »Alors que François Hollande a réaffirmé dans son discours au Sommet de Rio+20 lors de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable que « pour sortir de la crise, nous avons besoin de plus de priorités données à l'environnement et au développement. […] »et que « le développement durable n'est pas une contrainte, c'est un levier », quelles seront les mesures opérées lors de la prochaine loi de Finances ? Stéphane Maureau, inquiet pour la santé du secteur du photovoltaïque, a rédigé plusieurs courriers destinés au nouveau Premier Ministre, au Ministre du redressement productif et à la nouvelle Ministre de l’Ecologie. Pour le moment restés sans réponse.

2012-07-17
Re-faire la ville contemporaine

Au pavillon de l’Arsenal,  « Re-architecture » questionne la fabrique de l’espace urbain européen via les travaux de 15 agences ou collectifs et le regard critique de six « témoins ».

Passons outre les limites d’une scénographie où l’écrit a trop de place pour éveiller durablement l’intérêt. C’est le propos de l’exposition et la nature des projets présentés qui sont passionnants. Voici pourquoi.

« La ville est un processus lent ».

Ce constat de Guillaume Hébert, Co-fondateur d’Une fabrique de la ville, pourrait être le point de départ de l’exposition « Re-Architecture ». Si transformer l'espace urbain requiert du temps, beaucoup de temps, les 15 équipes réunies au Pavillon de l’Arsenal  suggèrent comment occuper l'espace dans ce long intervalle où se fabriquent les ZAC et autres projets d'aménagement.

Ré-agir

A la ville « conçue » et planifiée des politiques d’urbanisme, le collectif ETC, le Bruit du frigo, les Berlinois de Raumlabor ou ZUS (zones urbaines sensibles) opposent en effet une ville vécue. L’espace dans lequel s’inscrivent leurs projets est déjà là : ce sont les friches, les délaissés, le « tiers-paysage » (Gilles Clément) et ce que le collectif Stalker nommait d’après Michel Foucault les « territoires actuels ». Soit « le négatif de la ville bâtie, les aires interstitielles et marginales, les espaces abandonnés ou en voie de transformation. » Lorsqu’Assemble transforme une ancienne station service en cinéma, que l’Agence d’Architecture Autogérée (AAA) investit un terrain vague dans le 20e arrondissement de Paris ou que l’agence 1024 érige un restaurant temporaire sur ce vieux serpent de mer qu’est l’île Seguin, ils soulignent le potentiel de ces espaces en transition.  C’est pourquoi Thierry Paquot, autre « témoin » convoqué sous forme de vidéo à l’exposition, parle à leur endroit d’architecture réactive : s’ils partagent l’ambition transformatrice des projets d’aménagement urbain, les 15 équipes de « Re-architecture » s’en distinguent en effet par leur capacité à agir vite.  

Re-cycler

Cette réactivité tient d’abord à leur manière d’envisager l’architecture. Pour beaucoup d’entre eux, les collectifs et agences réunies au Pavillon de l’Arsenal se placent, consciemment ou non, dans la lignée de Hakim Bey et ses zones d’autonomie temporaire. Proches à des degrés divers de la pensée autonome, ils penchent pour les constructions éphémères, la micro-architecture et toutes les interventions qui offrent de conjuguer vitesse d'exécution et économie  de moyens.

S’il y a quelque chose de la guérilla dans leurs tactiques d’infiltration et dans leurs modes constructifs, on aurait pourtant tort de voir dans cette jeune garde une fronde contre la planification urbaine à la papa. Souvent conduites sous la houlette des municipalités ou des institutions, leurs interventions se forgent en complémentarité avec l’aménagement classique. Elles sont une manière de « meubler » l’intervalle qui sépare la conception d'une zone d'aménagement de sa réalisation et d’amorcer une dynamique de projet dont les planificateurs sauront au besoin tirer profit.  

Re-lier et Re(n)-contrer

A rebours d’un urbanisme « copier-coller » (la formule est de Cantal-Dupart) qui propose de répliquer, au sein de territoires et d’aires culturelles distinctes, les mêmes centres commerciaux, les mêmes tours de bureaux et les mêmes immeubles, les projets de "Re-architecture" s’appuient sur leur contexte – à commencer par leur contexte humain.  

Pour eux, faire la ville revient d’abord à poser la question de l’espace public et de la manière dont il peut être « humanisé », sinon réenchanté. Des jardins de Coloco aux aménagements urbains de Exyzt, les démarches présentées au Pavillon de l’Arsenal sont pour l’essentiel collectives et participatives. Non seulement elles privilégient  la concertation et la collaboration avec les habitants, mais elles se déploient dans un champ hybride entre architecture, art, graphisme ou paysagisme et revendiquent leur transdisciplinarité. A rebours d’un urbanisme perçu dans la lignée des Situationnistes comme une technique de la séparation, elles affirment que l’architecture est d’abord une activité sociale dont le but est de relier les citadins. Aussi l’immense majorité des projets présentés dans « Re-architecture » sont-ils des équipements culturels, destinés aux loisirs et aux rencontres.

Cette capacité à mobiliser le public et à transformer rapidement l'espace urbain n'est pas étrangère à l’enthousiasme que suscitent les 15 équipes chez les témoins sollicités pour commenter leur travail : « C’est faire de l’urbanisme autrement, dixit Michel Cantal-Dupart dans un entretien diffusé au Pavillon de l’Arsenal. C’est immédiat, ça gagne du temps, ça vient récupérer des terrains en friche, des terrains en déshérence, et je trouve dommage qu’on limite leurs capacités inventives à ce genre de choses. Ils sont vraiment faits pour réaménager des grandes places emblématiques, qui aujourd’hui nous ennuient dans leur minéralité faite de pétrole et de bagnoles. »

2012-06-28
Écrit par
Vidal Benchimol
Hugues Sibille, l'innovateur social
« Mon parcours professionnel se définit par la volonté d’être un professionnel engagé, un acteur de changement ».

Avec pas moins de 30 années en tant qu’acteur de l’économie sociale et solidaire, Hugues Sibille s’est affirmé comme un fervent promoteur de ce secteur, une figure incontournable qui croit volontiers à « l’humanisme économique ». Après s’être vu attribuer une place de choix à la Caisse des dépôts, il devient vice-président du Crédit Coopératif. Fin 2011, il a coécrit un livre d’entretiens édité par Rue de l’échiquier. L’occasion de présenter cet acteur de la finance alternative.

La création d’emplois, fil conducteur de sa carrière

Pépinières d’entreprises, emplois-jeunes, dispositifs locaux d’accompagnement, microcrédit personnel… : le parcours professionnel d’Hugues Sibille est jalonné par un investissement fort dans l’Economie Sociale et Solidaire (ESS). Sa définition de ce secteur mal connu, qui représente aujourd’hui moins de 10% du PIB ? « L’innovation sociale transforme les modes d’organisation, de production, de distribution en faisant de la coproduction, de l’ancrage territorial ». Sorti de Sciences Po en 1975, il n’a cessé de s’engager pour l’emploi pendant sa carrière. Après être passé par le cabinet « Syndex », structure d’expertise économique et comptable de la CFDT par « choix », il se rapproche Claude Neuschwander au sein du cabinet de management Ten, et développe une activité de consultance et d’ingénierie de développement local. Grâce à cette expérience, il pose les jalons de son approche de la création d’emplois via le développement local. Ses premiers pas en politique font évoluer sa carrière. Il collabore avec Martine Aubry en 1997 avec comme principale mission de créer 350.000 emplois pour les jeunes dans les associations et 350.000 emplois dans le privé.

C’est ensuite un poste de délégué interministériel à l’innovation sociale et à l’économie sociale de juin 1988 à octobre 2001 qui conforte son assisse dans ce secteur. L’une des autres actions significatives «dont [il] est le plus fier » : la charte d’engagements réciproques, entre l’Etat et les associations signée en 2001. C’est à cette période qu’il a rejoint la Caisse des Dépôts et Consignations puisqu’il est nommé « directeur des petites entreprises et de l’économie sociale » avec comme objectif principal la création d’emplois. Il part ensuite dans le secteur bancaire en devenant Directeur général délégué du Crédit Coopératif en 2005, et en devient Vice-Président en 2010. Il préside également l’Avise, Agence de valorisation des initiatives socio-économiques, qu’il a créée. Son rôle : accroitre le nombre et la performance des entreprises d’ESS, créatrices d’emplois et d’activités nouvelles.

Les combats d’Hugues Sibille pour l’ESS

Le Dispositif Local d’Accompagnement (DLA) ou l’Avise sont autant d’outils créés par Hugues Sibille pour favoriser l’émergence d’un entrepreneuriat social et ainsi encourager la « biodiversité économique ». « L’économie sociale n’a pas gagné la bataille des idées. Les économistes ne la prennent pas au sérieux. Ses think thank sont faibles ou inexistants », déplore Hugues Sibille dans son livre d’entretiens. « Il faut […] montrer qu’il doit exister une biodiversité entrepreneuriale et financière incluant une forte dose d’économie sociale ». Et d’ajouter : « L’économie de marché ne me pose pas de problème mais je considère qu’il faut en limiter la sphère ».

Ainsi, une gouvernance plus participative est l’un des défis majeurs de l’ESS. Selon la définition de l’Avise : « Les entreprises sociales partagent une même ambition : mettre leur projet entrepreneurial au service de l’Homme. Elles combinent ainsi leur projet économique avec une finalité sociale et/ou une gouvernance participative.» Promoteur du « une personne, une voix », l’homme opte pour une vision participative et citoyenne de l’économie : «L’économie sociale doit se donner pour objet d’inventer les gouvernances les plus participatives, les plus ouvertes et démocratiques, les plus transparentes. Je souhaite mettre la démocratie coopérative sous tension via « un activisme des sociétaires ».

Autre enjeu : l’internationalisation. Selon lui, l’ESS doit « contribuer à un déploiement de nouveaux modèles de développement à une échelle européenne ». Et le militant de déclarer : « Face à la crise, il appartient à l’économie sociale et solidaire de témoigner que d’autres voies sont possibles, que certaines utopies deviennent réalistes ».

2012-06-18
L'économie de l'usage, un nouveau paradigme pour le développement durable ?

L’économie de fonctionnalité signera-t-elle la fin de l'obsolescence programmée des objets ? Son développement remettra-t-il en question les valeurs de propriété si fortement ancrées dans nos sociétés ? Autant de questions cruciales à l’heure où le concept s’invite dans les débats autour du développement durable et se propage via Internet et les sites collaboratifs.Le point sur cette nouvelle économie de l'usage.

 

Des pionniers devenus cas d'école

Économie de fonctionnalité, économie de l'usage, derrière ces appellations encore peu connues se dessine une nouvelle logique économique qui émerge en marge des réflexions liées au développement durable. C’est Michelin qui ne vend plus des pneus mais le kilomètre parcouru, c’est Xerox qui facture ses photocopies à l’unité et non plus la vente de l’appareil, c'est Renaud-Nissan qui loue la batterie de son modèle de voiture électrique Leaf. C’est, enfin, le succès des vélos en libre-service et le développement de l'autopartage.

Le pouvoir de l'usage

Pour Eric Froment, conseiller auprès des entreprises au sein du cabinet Periculum Minimum, l’économie de fonctionnalité a pour elle de nombreux atouts : « La force du modèle ? C'est le pouvoir de l'usage. Par définition, la vente de l'usage du bien est moins chère que l'achat du bien lui-même : ça ouvre des potentialités pour des chefs d'entreprises pris en tenaille entre baisse du pouvoir d'achat de leurs clients et coûts de production élevés. Michelin illustre parfaitement cette logique : grâce à l’économie de fonctionnalité, le fabricant de pneus a très sensiblement augmenté sa marge. Pourtant, le client a vu ses coûts baisser de 36%, ses frais de gestion interne disparaître puisque pris en charge par Michelin, et ses coûts de carburant baisser de 11%. » L'exemple de la voiture est également probant. Quand le coût annuel moyen d’un véhicule personnel est estimé à 5000 euros par an en moyenne, il devient intéressant de se rapprocher de modes de transport alternatifs, au premier rang desquels l'autopartage et le covoiturage. Dans un contexte de crise économique, l'argument prix s'affiche en effet comme un véritable levier d'incitation : « C’est le prix qui guide au départ la démarche, confie Eric Fromant. Les entreprises sont séduites par l'idée de stimuler les potentialités et d'envisager un nouveau modèle de croissance. On a constaté un intérêt grandissant pour ce modèle depuis septembre 2011. La crise de l'été dernier n'y est sans doute pas étrangère. »

Le bénéfice écolo

De même, ne pas disposer de véhicules permet d’encourager les modes transports doux (vélo, bus, ect.) et ainsi limiter les émissions de gaz à effet de serre. Dans l'ouvrage La troisième révolution industrielle, le penseur Jeremy Rifkin rapporte ces chiffres : « Une étude réalisée en Europe a constaté que l'autopartage permettrait des baisses d'émissions de CO2 allant jusqu’à 50% ». Pour Eric Fromant, la mise en place de ce type de logique dans une entreprise peut entraîner une réduction de 30 à 50 % de la consommation énergétique et de matières premières tout en réduisant le volume des déchets. Et pour cause : dans ce système, le propriétaire du bien a tout intérêt à offrir une durée de vie maximale à son produit pour retarder son remplacement. Et c’est là, une des principales révolutions permises par l'économie de fonctionnalité : la recherche par l’entreprise d’une plus grande durabilité, et ce pour des raisons de coût.

Repenser un système complet

En pratique, l'économie de fonctionnalité est aujourd'hui plutôt confidentielle au regard des quelques pratiques mises en place et concerne, pour les entreprises qui l'ont expérimentée, un seul produit ou un seul service. On est encore loin d'une véritable généralisation. « La principale difficulté pour la mise en place de ce système réside dans le fait qu'il ne s'agit en aucun cas d'un modèle « clé en main » que l'on pourrait reproduire dans toutes les situations », explique Gérald Gaglio, co-auteur de L'économie de la fonctionnalité, une voie vers le développement durable ? et membre fondateur depuis 2007 du Club de l'économie de fonctionnalité. «C'est une nouvelle logique qui va à l'encontre des procédés classiques et qui implique de sortir de plusieurs décennies de croissance fondée sur l'obsolescence. Avec cette approche, la création de valeur n'est plus adossée à la nouveauté mais à la durabilité. »  

La cession des droits de propriété

Pour favoriser l'économie de fonctionnalité, Internet a un double rôle à jouer. Tout d'abord, en tant qu'outil. Il est en effet une prise intéressante pour l'encourager. De nombreux sites de partage (comme ziloc.com ou monjoujou.com) se développent et mettent en exergue cette économie collaborative permise par Internet. Surtout, les valeurs portées par Internet sont en plein accord avec les fondamentaux de l’économie de fonctionnalité. Pour Jeremy Rifkin, Internet est l'un des piliers qui permettrait de connaître une troisième révolution industrielle – soit une économie post-carbone, distribuée et collaborative. Dans son ouvrage, il met en évidence le fait que le développement d'Internet modifie le rapport à la propriété. Les réseaux sociaux et les sites collaboratifs favorisent des valeurs basées sur la convivialité, l'échange de contenus, d’informations et de services. La génération Internet est en quête d’esprit de « communauté » et qui valorise l'Open source. Pour le sociologue Gérald Gaglio, le développement des sites collaboratifs « démontre que l'attrait pour la possession passe au second plan par rapport à l'usage et l'accessibilité à un bien. Cela bouleverse aussi le rôle que les biens ont traditionnellement joué dans l'image de soi. » Et si, à terme, posséder une belle voiture était moins un signe extérieur de réussite que d’avoir son abonnement Autolib ?

 

Sources

« L'économie de la fonctionnalité : une nouvelle voie vers un développement durable ? » Gérarld Gaglio, Jacques Lauriol et Christian du Tertre. Octarès Éditions, 2011.

« La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l'énergie, l'économie et le monde », Jeremy Rifkin, Les Liens qui Libèrent, 2011.

2012-03-22
Le kit, une réponse d'archi légère et écologique

A l'heure où la pression foncière engendre une envolée des prix du logement et une nécessité de composer avec la densité du bâti urbain, quelques architectes et urbanistes travaillent sur des projets d'habitat « léger » dont l'ambition n'est autre que de mixer innovation et petit prix.

Légère par les matériaux utilisés et par son empreinte environnementale, la maison en kit s'affiche comme un laboratoire de recherche et comme une alternative à la maison dite de « maçon ».

Simple à assembler, modulable et moins chère qu’une maison de maçon, la maison en kit a le vent en poupe. Définie par Claude Vergnot-Kriegel,Carine Merlino et Étienne Delprat, auteurs d’un ouvrage sur le sujet (Éditions alternatives, 2011), comme « une habitation érigée rapidement, avec un nombre limité d’éléments préfabriqués », elle bénéficie en effet d’un contexte où se conjuguent crise du logement et flambée des coûts de construction.

Avant même le relatif succès commercial de la maison en kit dessinée par Starck en 1994 pour le catalogue des 3 Suisses, le kit avait trouvé des formulations diverses dans l’architecture du 20e siècle. Comme l’expliquent les auteurs de « Maisons en kit » , « les architectes des premières maisons en kit sont ceux du mouvement moderne. Si Frank Lloyd Wright, Le Corbusier, Prouvé, les Smithson, les Eames, ont œuvré pour développer des habitats préfabriqués, c’est parce qu’ils y voyaient l’opportunité de répondre à la crise du logement. Ils cherchaient absolument à innover et croyaient en un futur différent, ainsi qu’à d’autres modes de vie. » Avec l'arrivée des congés en 1936, les premières maisons en kit se développent en France, apparaissant comme idéales pour une maison de loisirs tout en permettant une plus grande créativité formelle. Qu’il s’agisse de prototypes ou de projets commercialisés, le dénominateur commun à la multitude de déclinaisons du kit est de proposer des réalisations à de petites échelles, offrant une simplicité des assemblages à un coût intéressant. De plus, le kit s'affiche comme une réponse « aux préoccupations actuelles en matière de société et d'environnement. »

Le kit, bon pour l'environnement ?

Premier argument en faveur de la maison en kit : son empreinte écologique, supposée plus légère que celle de l’habitat classique. Ainsi, de nombreux projets contemporains de maisons en kit ont une approche environnementale forte, que ce soit grâce au choix des matériaux ou à l'emploi d'énergies renouvelables. Pour les auteurs de « Maisons en kit », elle est « par nature une maison écologique. Elle permet (...) le stockage de CO2 si elle est en bois, la réduction du transport des matériaux pour sa réalisation, des agrandissements aisés avec un impact minimum sur l’environnement… ».

Le projet « Infiniski manifesto house » au Chili des architectes James&Nau en est un bel exemple. Constituée de 2 containers, la maison est construite à 85 % à partir de matériaux recyclés (cellulose, liège, aluminium…) et dispose d'une autonomie énergétique de 70 %, le tout en réalisant 20% d'économies par rapport à une maison « traditionnelle ». Dans la même veine, le concepteur de l'éco-quartier britannique BedZed , Bill Dunster a élaboré la maison ruralZED, une maison en kit évolutive comprenant de nombreuses options de production énergétique allant jusqu’au zéro carbone.

Au-delà de ses performances environnementales, l’une des principales forces de ce projet, est d'offrir des options personnalisables, de sorte que la maison peut s'adapter à l'architecture vernaculaire et aux différentes réglementations et plans locaux d'urbanisme. Une façon d’écarter l’un des dangers potentiels de la construction en kit : l’uniformisation. En effet, parce qu’elle consiste à assembler des éléments préfabriqués, celle-ci est presque exclusivement orchestrée par de grands groupes industriels qui mettent à mal la créativité purement formelle des projets. A se demander si le kit peut se développer sans pour autant être synonyme de standardisation ?

Dans la mouvance du DIY

Conscient du danger, Ikea a conçu il y a quelques années une maison en kit entièrement personnalisable : Boklok. Développée en concertation avec Skanska, l’un des principaux acteurs du BTP scandinave, celle-ci se positionne comme « la norme à faible coût de la construction résidentielle » et se commercialise en Finlande, Suède, Norvège, Danemark, Allemagne et en Grande-Bretagne. Cette formule de maison clé en main peine à traverser les frontières françaises et le concept DEARS de Philippe Starck, dont le lancement est prévu pour l’automne, semble voué à faire cavalier seul.

Comme le soulignent très justement les auteurs de « Les Maisons en kit », «  puisque la maison en kit comme objet commercialisé est aujourd’hui à la portée exclusive de groupes industriels, il faudra attendre que ces firmes s’intéressent davantage au secteur de la construction de logement préfabriqué. Il faudra probablement assouplir les réglementations commerciales et techniques françaises et européennes, pour permettre à de petites sociétés de commercialiser des kits habitables, enrichissant ainsi l’offre et la possibilité d’autoconstruction totale ou partielle. En attendant, les seules propositions de maisons contemporaines sont celles des industriels ou des équipes de conception-construction, pour des lotissements urbains à grande échelle.» Pour Etienne Delprat, l'auto-construction et la dimension « Do It Yourself » du kit est fondamentale : « c'est une démarche qui permet l'appropriation, explique-t-il. L'autoconstruction est-elle réaliste à l'échelle d'une maison? Oui, dans une certaine mesure. Il y a des projets où avec une vingtaine de personnes tu peux réussir à construire ta maison ».

Mobilité et architecture d'urgence

Mais s’il est encore peu développé dans l’habitat, le kit a su trouver des concrétisations intéressantes en matière d'architecture d'urgence. Exemple : la Paper Log House de Shigeru Ban. A partir de papier recyclé, l'architecte a construit une trentaine d'exemplaires de sa maison de fortune qui a servi d'abri aux sinistrés du séisme de Kobe en 1995. Logique : modulable, transportable, adaptable et pas cher, le kit offre une réponse idéale aux situations d’urgence. C’est pourquoi il pose en filigrane la question de la mobilité, voire de l'immobilité. Si son développement récent semble un effet de notre société « nomade » et vouée à la vitesse, il existe encore peu des maisons en kit mobiles. Pourquoi une telle absence de prise en compte de la mobilité dans les projets actuels ? « Peut-être cela traduit-il un besoin de se ré-ancrer sur un territoire ? », s'interroge Étienne Delprat.

 

En savoir plus

"Maisons en kit". Editions alternatives

2011-07-01
Efficacité énergétique : le rôle de l'Internet des Objets

Notion encore peu connue qui correspond à l'extension d'Internet à des choses et à des lieux dans le monde réel, le concept reste flou et ses applications obscures. Alors, concrètement, qu'est-ce que l'Internet des objets et quelles perspectives ouvre-t-il en termes d'efficacité énergétique ? Permettra-t-il de réduire nos consommations énergétiques de façon significative? A quel horizon? Le point sur ces nouvelles technos.

 

Quelles perspectives ?

« Le concept reste encore confus mais ses promesses sont grandes, [l'Internet des objets] vise à donner une identité au moyen d'une adresse IP à des objets, des équipements ou encore des machines afin de les mettre en réseau et de les faire communiquer entre eux». Voici la définition proposée par Geoffrey Zbinden dans son ouvrage « L'Internet des Objets, une réponse au réchauffement climatique (Éditions du Cygne, 2010). Objets intelligents voire objets « vivants », les objets connectés ou communicants, qu’on annonce aussi comme le web 3.0, trouvent leurs premières applications dans de nombreux champs. Le Lieu du design accueille jusqu'au 23 juillet une exposition intitulée « Objet(s) » du numérique design d’un nouveau mone industriel » présentant quelques prototypes et projets dans le but affiché de mettre en avant  le rôle du design numérique dans des problématiques humaines, sociales, technologiques et économiques.

Parmi ses objets, « Efficient Home » de Mathieu Lehanneur et Attoma design pour Schneider Electric. Soit une gamme d’éléments destinés à optimiser la consommation énergétique du foyer dans l'optique d’en réduire significativement l’empreinte carbone. Selon Geoffrey Zbinden, les compteurs intelligents pourraient permettre de réduite la facture de près de 30% pour les particuliers. Le tout grâce aux informations communiquées en temps réel par ces émetteurs-récepteurs, positionnés sur des appareils électriques tels que la chaudière, le réfrigérateur, la télévision... Les capteurs assurent ainsi une veille permanente de la consommation. Les données sont ensuite consultables via internet. Identifier les appareils les plus gourmands, éviter de les utiliser aux heures pleines sont autant de comportements qui pourraient permettre de réduire la facture électrique d’un logement.

Plus globalement, des interfaces de visualisation et de contrôle (Smart Meters) remplaceront à terme les compteurs électriques traditionnels. Ils seront connectés à une plus vaste échelle par un réseau dit intelligent – c'est ce qu'on appelle le SmartGrid, un réseau de transport de l’électricité optimisé par des systèmes d’informations numériques. Selon le site www.smartgrids.eu, ce système permettrait une réduction de CO2 de 9% dans l’Union Européenne. En France, le compteur intelligent, développé par ERDF (Électricité Réseau Distribution France), s’appelle Linky et près de 300.000 compteurs sont actuellement installés dans deux agglomérations-tests : Lyon et Tours. Pour les utilisateurs, les économies d’énergie promises par ce système devraient être comprises entre 10 et 20%. La validation et la généralisation de ce type d'objets devraient être effectives aux alentours de 2017, à l'issue de l'actuelle phase d'expérimentation.

Les autres champs possibles d'application dans le développement durable

Eau, bâtiments, transports, biodiversité... : dans son ouvrage, Geoffrey Zbinden met en avant les nombreuses applications dans lesquelles l'Internet des Objets apporterait des solutions concrètes à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et par extension contre le réchauffement climatique. En matière d'agriculture intensive par exemple. Selon l'auteur, un réseau communiquant permettrait de détecter les fuites et d'ajuster l'irrigation en fonction des besoins et de réduire de près de 30% la consommation moyenne en eau des terres cultivées. Le secteur des transports n'est pas en reste. Des économies sont déjà réalisées grâce à la technologie Stop&Start (systèmes d'arrêt et de redémarrage automatique) et le programme d'éco-conduite à l'étude au sein de L'Europe ouvre des perspectives intéressantes. Le but annoncé est de réduire d'au moins 50 millions de tonnes les émissions de CO2. Le principe ? Des capteurs sont installés un peu partout sur le véhicule, enregistrant ainsi les gestes du conducteur, sa manière de conduire, son respect de la limite des vitesses. A l'issue d'une période donnée, l'automobiliste reçoit son bilan et se voit attribuer une note en fonction de sa bonne conduite. Le système permettrait de réduire la consommation d'essence de 15 à 20% en limitant les accélérations brusques.

D'autres expérimentations offrent aussi quelques espoirs. Le projet pilote de Moulins sur Allier mené depuis 2007 en est une démonstration : 80 logements HLM ont été équipés de capteurs communicants et permettent aux habitants de mesurer la consommation d'eau en temps réel via un site web. Ce feed-back modifie significativement les comportements puisqu’elle a permis de diminuer de 20% la consommation d'eau des occupants. Dans la même veine, en 2012, la communauté d'agglomération de Besançon mettra en place une redevance pour inciter les habitants au tri sélectif et à la réduction de leurs déchets. La facturation sera fonction du poids des déchets, mesuré par des puces RFID (“radio frequency identification”) installées sur les bacs. L'objectif à l'horizon 2014 est de réduire les déchets de 17% pour l'habitat pavillonnaire. Le coût d'une telle initiative ? Un investissement de 5 millions d'euros, dont près de la moitié subventionnée par divers organismes (dont l'Ademe), et qui devrait être amorti sur 10 ans. L'autre moitié, financée par emprunt et autofinancement, engendra un surcoût de 4€ par habitant sur l'année 2010/2011 et de 1,5 € par habitant sur les dix prochaines années. On s’en doute : ces investissements conséquents freinent en partie le développement de ce type de technologies.

« Aujourd'hui, sur la question des villes intelligentes, à chaque besoin (éclairage urbain, traitement des déchets, réduction thermique de bâtiments publics) on trouve une application. L'enjeu derrière tout ça, c'est l'interopérabilité de toutes ces applications. De plus, il faut passer du projet pilote à une échelle nationale. Cela ne me semble pas réalisable avant 2020 », précise Geoffrey Zbinden. Malgré des initiatives disparates, des investissements importants et des perspectives encore lointaines, l'Internet des Objets pourrait jouer un rôle dans la réduction des émissions de CO2 et la préservation des ressources rares. Mais les espoirs qu'il suscite ne masquent par tout à fait les inquiétudes qu’il engendre… Dès lors que le web 3.0 généralise la collecte d’informations à toutes les échelles et dans tous les domaines, comment assurer un niveau suffisant de protection des données à caractère personnel et de la vie privée ? La question est cruciale si l’on veut éviter que la préservation de l’environnement ne tourne à la surveillance généralisée, dans un cauchemar à la Big Brother où nos objets quotidiens deviendraient outils de contrôle…

En savoir plus

Geoffrey Zbiden,  "L'Internet des Objets, une réponse au réchauffement climatique" (Éditions du Cygne, 2010)

2011-06-21
Gratte-ciel : toujours plus haut, toujours plus vert ?

Si la crise immobilière mondiale a ralenti de nombreux projets de construction de gratte-ciel, le vent semble de nouveau tourner dans le sens des cabinets d’architectes depuis quelques mois. Mais si ces derniers intègrent aujourd’hui la problématique environnementale dans la construction de leur tour, il est encore difficile de distinguer les projets faussement écolos des véritables buildings verts.

"Ils sont absurdes par ce qu’ils cherchent, ils sont grands par ce qu’ils trouvent" disait Paul Valéry. Aujourd’hui, les cabinets d’architectes mettent en œuvre les idées "absurdes" qu’ils trouvaient il y a quelques années. Ces projets présentés au début des années 2000 alors que l’écologie devenait progressivement une préoccupation internationale sont aujourd’hui passés de l’écran d’ordinateur au chantier de construction. Et chacun intègre désormais une dimension écologique de plus ou moins grande valeur. Peut-on pour autant parler d’architecture durable pour ces tours de plusieurs centaines de mètres de haut ? Difficile de donner une réponse définitive tant le concept même d’architecture durable est compliqué à définir.

Pas d’éco-building sans éoliennes sur le toit

"L’architecture durable, c’est avant tout une qualité d’usage. Il faut respecter le site dans lequel s’inscrit le projet et choisir des matériaux durables" nous expliquait récemment l’architecte Edouard François. Si ces principes peuvent aisément s’appliquer à des structures de taille standard, ils sont plus difficiles à respecter quand l’équilibre visuel d’une ville est cassé par l’apparition d’une tour surdimensionnée. Dans une mégalopole comme New York, de nombreux buildings sont en passe d’être centenaires. Ces superstructures énergétivores sont un fardeau quand il s’agit de les mettre aux normes environnementales actuelles. Le demi-milliard de dollars investi dans l’Empire State Building pour en faire un gratte-ciel un peu plus vert en est la preuve évidente. Dès lors, il faut compter sur les tours actuellement en construction pour éviter de faire de ces buildings de simples phallus se dressant dans le ciel.

En la matière, les projets ne manquent pas et l’actualité architecturale est plutôt chargée ces derniers mois. Hier, l'Etablissement public d'aménagement de la Défense Seine-Arche (Epadesa) a annoncé qu'il approuvait la promesse de vente pour la construction de la tour Phare (300 m, 69 niveaux de bureaux) qui deviendra en 2016 la plus haute de France. Imaginée par l'architecte américain Thom Mayne, celle-ci comportera des éoliennes à son sommet, qui participeront à la fourniture en électricité des bureaux. La façade de la tour sera conçue de manière à assurer une ventilation naturelle, avec à la clé d'importantes économies d'énergie. Problème, aucun chiffre n’est avancé pour le moment quant à l’économie réalisée. La production d’électricité générée par les éoliennes reste également un mystère. La présentation officielle du projet se contente d’évoquer "un jardin métaphorique dans le ciel"…

Les projets les plus aboutis à Dubaï et… en Chine

De nombreux architectes choisissent aujourd’hui de placer des éoliennes sur les tours pour présenter ensuite le projet comme écologiquement responsable. C’est notamment le cas du cabinet JDS Architects, qui a imaginé une tour de 1111 mètres de haut pour la ville chinoise de Shenzhen. Des éoliennes (leur nombre n’est pas précisé) et un système de récupération de l’eau de pluie (idée développée à son paroxysme par des étudiants polonais ici) devant suffire à rendre la structure autonome sur le plan énergétique. Difficile à croire si l’on compare ce projet à la tour Strata à Londres. Là aussi, les architectes ont placé des éoliennes au sommet du bâtiment haut de 148 mètres. Résultat ? Les trois turbines de cinq pâles chacune produisent environ 50 MWh par an. Soit une production qui fournit 8 % seulement de l’énergie consommée par la tour. L’autonomie énergétique est donc loin d’être assurée.

Pourtant, certains gratte-ciel en cours de construction ou déjà érigés méritent amplement le label d’éco-building. Il en existe actuellement une dizaine dans le monde. C’est le cas d’une tour à Dubaï imaginée par l’architecte italien David Fischer et dont nous vous parlions l’année dernière. Contrairement aux projets évoqués précédemment, celle-ci intègre des turbines éoliennes en fibre de carbone dans sa structure. Elles sont en effet installées horizontalement entre les étages et suffisent à produire toute l’énergie dont la tour a besoin. Toujours à Dubaï, La Burj al-Taqa (Tour de l'Énergie) profite d’un nouveau vitrage (60% de chaleur en moins absorbée par le bâtiment), d’ouvertures latérales sur la façade pour une meilleure circulation de l’air et de 15 000 m2 de panneaux solaires disposés sur le toit pour assurer sa production énergétique. La Burj al-Taqa n’aura pas besoin de se raccorder à un réseau électrique extérieur et l’excédent d’énergie produit sera même utilisé afin d'obtenir par électrolyse, de l’hydrogène de l’eau de mer. L’hydrogène, stocké pendant le jour, sera ensuite utilisé pour alimenter le circuit électrique aux heures de nuit.

Enfin en Chine, la Pearl River Tower dominera dès cette année la ville de Guangzhou (Chine). Imaginée par le cabinet d’architecture américain SOM (Skidmore, Owings & Merrill), cette tour haute de 310 mètres est équipée de turbines éoliennes disposées dans les renfoncements de sa structure. Sa façade aérodynamique est orientée en direction des vents dominants et a été conçue pour les accélérer de 50% afin d’améliorer le rendement des éoliennes. La façade du building est recouverte de panneaux photovoltaïques tandis qu’un système innovant de refroidissement assure l’aération et la ventilation des 71 étages de bureaux.  

Le bâtiment vert, pas si cher que ça…

Aujourd’hui, les gratte-ciel entièrement autonomes sur le plan énergétique sont rares mais un élan s’est crée ces dernières années. La plupart des cabinets d’architectes intègrent désormais cette problématique dans leur cahier des charges. Reste à convaincre les professionnels du secteur de la construction. Ces derniers surestiment souvent les coûts liés à la construction de bâtiments respectueux de l’environnement. Ainsi, selon une étude publiée par le Conseil Mondial des Entreprises pour le Développement Durable (WBCSD), les professionnels du bâtiment évaluent à 17 % les coûts supplémentaires d'un bâtiment vert par rapport à une construction classique, soit plus de trois fois le surcoût réel estimé par WBCSD à 5 %. Un travail sur les mentalités reste donc à effectuer pour que les projets rêvés d’éco-buildings deviennent réalité dans quelques années et confirment à nouveau la maxime de Paul Valéry.

2011-06-16
Écrit par
Nicolas Buchoud