La ville à l’heure du changement.
L'habitat inclusif, un nouvel idéal pour les seniors ?

Face aux multiples enjeux (démographique, économique, territorial, sanitaire et social) que pose la question du logement pour les personnes âgées, l’habitat inclusif offre une alternative au maintien à domicile et à l’Ehpad. Un modèle qui intéresse de plus en plus les acteurs du logement.

Dans un contexte de post-crise sanitaire qui a révélé le besoin de prendre soin des populations les plus fragilisées et à la faveur de l’aspiration des Français à vieillir chez eux, on constate ces dernières années l’essor de l’habitat dit inclusif ou partagé. Les récents scandales concernant les Ehpad, notamment après la sortie du livre Les fossoyeurs (Fayard, 2022) du journaliste Victor Castanet révélant des situations de maltraitance de personnes âgées, ont par ailleurs conforté le désir de pouvoir vieillir chez soi, quand les conditions sont réunies. 

De plus en plus de personnes âgées isolées

Ce désir est d’autant plus grand que le sentiment de solitude et d'isolement chez les personnes âgées est un enjeu social fort. Le «Baromètre 2025 solitude et isolement, quand on a plus de 60 ans en France»  de l’association Les Petits Frères des pauvres publié le 30 septembre dernier le confirme : 2 millions de personnes âgées sont isolées, 750 000 vivent en situation dite de « mort sociale » (désigne une situation d’isolement extrême : des personnes âgées qui ne rencontrent quasiment jamais, ou très rarement, d’autres personnes), soit 4% des plus de 60 ans et 4,2 millions de personnes âgées éprouvent un sentiment de solitude.

Selon l’association Les Petits Frères des pauvres, 2 millions de personnes âgées en France sont isolées, 750 000 vivent en situation dite de « mort sociale ».

Ces chiffres alarmants sont à mettre en regard d'une autre donnée : la courbe démographique française. Avec 15 millions de personnes âgées de 60 ans et plus aujourd’hui, un Français sur quatre aura 65 ans ou plus à l’horizon 2040 (chiffres INSEE). 44 % des + de 75 ans vivent aujourd’hui à domicile. Quelles sont les alternatives quand arrivent les questions d’accès aux soins et de dépendance ou d’isolement sans passer par la case Ephad ?

Les différentes formes d’habitat pour ‘‘vivre chez soi sans être seul’’

Entre la question de la perte d’autonomie, de l’accès aux soins, du sentiment d’isolement très fort chez ces populations et le coût des logements, les enjeux autour de l’habitat des seniors sont multiples. À cet égard, le développement de nouvelles formes d’habitat porte une promesse forte : offrir au 3e et 4e âge un véritable chez soi et une vie sociale faite de moments partagés.

L’aspiration des seniors au « vivre-ensemble » a connu différentes déclinaisons. Parmi elles, le projet de résidence pour femmes âgées située à Montreuil en Seine-Saint-Denis, la maison des Babayagas, inaugurée en 2013 et réservée aux femmes de plus de 60 ans décidées à vieillir ensemble de façon autonome et solidaire ou encore les colocations intergénérationnelles entre jeunes à la recherche d’un logement et seniors désireux de compagnie et/ou d’un complément de revenu.

Le principe du logement inclusif ? Être chez soi dans son propre logement tout en partageant des espaces communs et un projet de vie sociale.

Pour répondre à la demande grandissante de vivre dans un environnement qui favorise le lien social et l’accompagnement, différentes formes d’habitat inclusif dans le parc privé ou social ont aussi émergé depuis quelques années. Elles sont portées par une multitude d’acteurs : des associations du secteur social ou médico-social, des mutuelles, des collectivités locales, des foncières solidaires, des bailleurs sociaux ou les habitants eux-mêmes. Le principe ? Être chez soi dans son propre logement tout en partageant des espaces communs et un projet de vie sociale. Pas de critères requis pour y habiter et la possibilité de bénéficier d’un accompagnement social ou d’une offre de services sanitaire, sociale ou médico-sociale individualisée pour l’aide et la surveillance en fonction de leurs choix et besoins.

Signe de son succès : en 2018, l’habitat inclusif s’est doté d’un encadrement législatif et juridique avec la promulgation d’une loi qui lui a donné une définition et la mise en place d’une nouvelle aide individuelle, l’aide à la vie partagée (AVP).

Construire un projet de vie sociale et partagée avec les personnes âgées

Créer de nouvelles solutions pour accompagner les seniors tout au long de leur parcours de vie, c’est aussi l’ambition des lieux de vie partagés portés par l'association Groupe SOS Seniors. « L’objectif est de co-construire, avec les seniors accompagnés, une vie collective avec une programmation de 3 à 5 activités par semaine. Cela va de la pratique de sport adapté à des cours d’anglais en passant par des sorties culturelles en lien avec des partenaires », explique Julie Chicaud, directrice des lieux de vie partagés au sein de l’association. Sur ce modèle, l’association Groupe SOS Seniors a déjà ouvert 5 lieux de vie dans des logements sociaux à Paris, Louveciennes, Valence et Epinal, souvent en pied d'immeuble, dans des locaux mis à disposition par des bailleurs sociaux. Son ambition : doubler ce chiffre d’ici quelques années pour répondre aux besoins. 

Lieu de vie partagé Le Part’âge » (Porte de Vitry, Paris 13). Crédit photo : Association Groupe SOS Seniors 2025

Ce service entièrement gratuit, financé principalement avec l’AVP octroyée pour une durée de 7 ans, offre également aux bénéficiaires un accompagnement individuel, principalement pour un appui aux démarches administratives et une aide à l'usage du numérique. En moyenne, entre quinze et trente personnes fréquentent régulièrement ces espaces. “Au 5/5 dans le 13e arrondissement de Paris, nous sommes une petite dizaine à venir régulièrement. C’est un lieu vivant et chaleureux où les activités sont stimulantes. On ne se retrouve pas pour jouer aux cartes ! La semaine prochaine on démarre la réalisation d’un film avec un vrai metteur en scène”, s’amuse Reine, 76 ans qui fréquente chaque jour le lieu “surtout pour le lien social. Avant de venir ici, je passais des journées entières sans entendre le son de ma voix, j’étais un peu déprimée. Cela permet vraiment de sortir de l'isolement.”

« L’enjeu est de pouvoir répondre aux différentes trajectoires de l’habitat des seniors à l’échelle d’un territoire face au virage démographique actuel et à venir tout en conservant la proximité humaine indispensable à la réussite des projets. On le voit sur le terrain, l’isolement des personnes âgées est criant, et pas seulement dans le grand âge. » Julie Chicaud, directrice des lieux de vie partagés au sein de l’association Groupe SOS seniors

Il s’agit également pour l’association d’articuler les différentes solutions d’habitat en proximité pour construire de véritables parcours résidentiels, en faisant notamment des lieux de vie partagés des solutions complémentaires aux résidences autonomie, notamment en Ile-de-France où l’association gère 67 établissements. « L’enjeu est de pouvoir répondre aux différentes trajectoires de l’habitat des seniors à l’échelle d’un territoire face au virage démographique actuel et à venir tout en conservant la proximité humaine indispensable à la réussite des projets, analyse Julie Chicaud. On le voit sur le terrain, l’isolement des personnes âgées est criant, et pas seulement dans le grand âge. »

Penser l’ancrage territorial de l’habitat inclusif

L’habitat inclusif vient s’inscrire dans le champ dit de l’habitat intermédiaire qui rassemble une grande diversité de solutions. « Situé entre le domicile traditionnel et les établissements pour personnes âgées ou en situation de handicap, l’habitat intermédiaire recouvre des solutions diverses telles que les résidences autonomie, les résidences services seniors, les habitats inclusifs, les habitats intergénérationnels ou l’accueil familial. Ces formes d’habitat combinent espaces privés, vie sociale et services, parfois tout ou partie mutualisés (services à domicile, prévention, animation), adaptés aux besoins de maintien de l’autonomie et à la lutte contre l’isolement », selon la définition de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Avec une gamme de tarifs variable en fonction du type de structure et du positionnement commercial : à partir de 500 euros environ pour un T1 en Résidences autonomie et entre 1000 et 1700 € pour les Résilience seniors. Pour l’habitat inclusif, les montants moyens des loyers sont de 470€ par habitant et par mois en 2024, toujours selon la CNSA. À cela s’ajoute le montant de l’aide dont ils sont bénéficiaires pour la mise en œuvre de leur projet de vie sociale et partagée, qui représente près de 6 200€ par an et par habitant. 

Lieu de vie partagé  « Local Madeleine Girard » (Louveciennes, 78) Association Groupe SOS Seniors

D'après le Conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie qui émet des orientations stratégiques, 280 000 personnes bénéficient aujourd’hui de ce type d’habitat. Mais, au regard du vieillissement de la population et des aspirations des personnes en situation de handicap, le besoin est estimé à 500 000 logements en habitat intermédiaire d’ici 2050. « Le succès de ce déploiement réside notamment dans l’articulation avec les services médico-sociaux et d’aide à la personne présents et à venir sur le territoire et dans le bon maillage entre les différentes solutions d’habitat en réponse à un diagnostic territorial », souligne Karine Rollot, cheffe de projet Habitat intermédiaire à la CNSA.

280 000 personnes vivent aujourd’hui dans un logement intermédiaire pour personnes âgées.

Cette question territoriale se pose notamment dans les territoires ruraux et les petites villes. Dès 2021, la démarche « Bien vieillir dans les Petites villes de demain » a été lancée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) avec l’objectif de soutenir les stratégies de revitalisation des centres-villes et des centre-bourgs de façon adaptée aux besoins et aux aspirations actuels et futurs des personnes en situation de handicap et/ou âgées.  Depuis le lancement de l’Appel à manifestation d’intérêt doté de 1,5 m€ en octobre 2022, 116 projets localisés dans 65 départements ont été sélectionnés pour bénéficier d’un accompagnement.

Selon l’économiste Frédéric Bizard, président de l’Institut Santé dans un rapport publié le 18 septembre 2025, la « réalisation du virage domiciliaire - qui suppose de passer d’un ratio volume domicile/établissement 60/40 en 2024 à un ratio 75/25 en 2050 - générerait 12 milliards € d’économies d’ici à 2050. » A ce titre, améliorer la visibilité des différentes structures semble aujourd’hui un enjeu de taille pour accompagner au mieux les personnes âgées.

Pour en savoir plus

L’avis rendu par le Conseil d’Etat sur l’habitat partagé : Avis relatif aux questions juridiques soulevées par les différentes catégories d’habitats « partagés » - Conseil d'État

2025-11-4
Vidal Benchimol : "Le confinement génère ce qu’on pourrait appeler le syndrome du prisonnier"

Le confinement nous force à porter toute notre attention sur nos logements, au risque de révéler d’importantes disparités dans ce domaine. Quel regard la promotion immobilière porte-t-elle sur cette crise, et quelles leçons en tire-t-elle ? Quelques éléments de réponses avec Vidal Benchimol, maître d’ouvrage et inventeur des Ecofaubourgs.

Midionze - Que révèle la crise sanitaire quant à la situation du logement en France ?

Vidal Benchimol - Elle met en lumilère une rupture, que nous connaissions, déjà au niveau du parc de logements. Un grand nombre de logements, notamment du parc social, est insalubre, et les bailleurs qui en sont les propriétaires et les gestionnaires ont beau redoubler d’efforts, rien ne change. Cette insalubrité est liée à la taille des logements, à l’inconfort acoustique et à la promiscuité. Ces logements construits dans les années 1960 et 1970 génèrent des situations dramatiques. Les populations qui y vivent sont doublement défavorisées. Mais l’inconfort vaut aussi dans les immeubles anciens. Du fait du confinement, nous sommes plus nombreux à occuper nos logements sur de longues périodes. En restant chez soi 24h/24, on se rend alors compte que les voisins font du bruit. Les populations les plus privilégiées, qui ont de grands logements, ne vivent pas ces désagréments de la même manière, mais elles sont confrontées à d’autres limites. Principalement des limites d’usage, notamment pour le télétravail et l’accès aux espaces extérieurs.

Les difficultés que vous pointez sont en partie liées à la concentration des populations dans les métropoles, au détriment d’un aménagement du territoire plus équilibré. Le confinement met-il en question la métropolisation ?

La métropolisation a favorisé la densification, mue par la volonté d’optimiser les flux, de réduire les temps de transports, de rapprocher les habitants des activités et des commerces. Mais quand toutes les activités et les commerces sont inaccessibles, on ne peut juger son bien-être que sur le fondement du logement qu’on occupe. Or, dans les grandes métropoles, ce logement est forcément plus exigu, et donne rarement accès à un jardin. Pendant le confinement, le besoin fondamental qui s’exprime est d’accéder à l’air libre. Les personnes qui ont fait le choix d’avoir une maison et un jardin dans le périurbain se trouvent alors favorisées puisqu’elles ont plus d’espace à l’intérieur et à l’extérieur de leur logement.

"Tout le monde est d’accord pour dire que le télétravail est une solution, mais dans quelles conditions ? Les logements ont-ils été prévus pour un tel usage ? On constate que dans bien des cas, les conditions d’un télétravail efficace ne sont pas réunies."

Quels critères essentiels de confort le confinement révèle-t-il ?

Le confinement génère ce qu’on pourrait appeler le syndrome du prisonnier. Quelqu’un à qui on dit qu’il doit rester chez lui va très vite se rendre compte que son moment de joie est celui où il va remplir son attestation pour aller se promener pendant une heure en bas de chez lui. Ce syndrome se traduit par des cauchemars, par des appels aux urgences psychologiques ou psychiatriques, qui sont en pleine explosion, y compris de la part de gens qui n’y avaient jamais eu recours. Le confinement nous place dans une situation de dépendance vis-à-vis d’un pouvoir qui, agissant dans notre intérêt sanitaire, se voit obligé de nous enfermer de notre plein gré dans l’espace domestique. Les besoins essentiels qui s’expriment alors sont liés au bien-être chez soi. Celui-ci dépend d’abord, comme je l’ai dit tout à l’heure, des espaces extérieurs, de la taille du logement et de la manière de l’utiliser. Tout le monde est d’accord pour dire que le télétravail est une solution, mais dans quelles conditions ? Les logements ont-ils été prévus pour un tel usage ? On constate que dans bien des cas, les conditions d’un télétravail efficace ne sont pas réunies. Nous autres professionnels de la construction, avons une réflexion à mener sur ce point : de quelles manières ces espaces de télétravail doivent-ils être équipés et aménagés ? Comment les isoler phoniquement et les équiper numériquement ? Quelle doit être leur taille ? Faut-il les doter de fenêtres ? Il faut aussi porter notre attention sur les espaces extérieurs, qui sont considérés en cette période comme indispensables. Enfin, la qualité acoustique du logement s’affirme plus que jamais comme un critère fondamental de confort… La RT2012 a fait d’énormes bonds en la matière, mais tout ce qui a été construit avant 2006 n’est pas performant sur ce point. On peut supposer que les normes acoustiques vont devenir encore plus cruciales qu’auparavant. Et l’on se doit de considérer désormais le bruit comme une pollution majeure.

Ces critères ont-il été suffisamment pris en compte dans l’offre de logements au cours des dernières décennies ?

Au cours des dernières décennies, les réglementations ont surtout abordé la question des économies d’énergie. Les normes acoustiques sont arrivées après, mais elles sont aujourd’hui suffisantes pour offrir un vrai confort aux nouveaux occupants. Reste la question des espaces extérieurs. Je suis dubitatif quand je vois qu’on construit toujours en ville dense des programmes de logements sans aucun espace extérieur, balcon ou terrasse. Or, quelqu’un qui dispose d’un balcon ou d’une terrasse allant de 16 à 20m2 peut considérer qu’il a une pièce à vivre en plus dans son logement. Avec le changement climatique, cette pièce peut être investie six mois dans l’année.  

L’aménagement d’espaces extérieurs est-elle compatible avec la rareté du foncier et la concentration de la demande de logements dans les métropoles ?

La densité n’est pas incompatible avec les espaces extérieurs ! Ce sont souvent les promoteurs immobiliers qui en excluent l’aménagement pour des questions de coûts. C’est vrai que la conception de balcons ou de terrasses requiert plus de travail et occasionne des coûts supplémentaires, mais elle est tout à fait possible, y compris en zone dense. Là où la demande est très forte, quand un immeuble neuf se construit, on y trouve des terrasses, mais elles se paient alors très cher.

Le marché de l’immobilier est largement dicté par le critère de l’emplacement, parfois plus décisif, en tous cas dans les métropoles, que les caractéristiques du logement lui-même. Le Covid-19 est-il de nature à remettre en question l’importance d’un tel critère ?

Je pense que oui, au moins en partie. Beaucoup de gens se rendent compte que vivre dans un appartement situé plus loin du centre, mais offrant plus d’espace, est plus confortable que de vivre dans des quartiers à la mode, mais où il n’y a ni balcon ni terrasse, et dont l’intérêt est très réduit quand tout est fermé autour.

"Il faudrait revoir la définition de ce qu’est un logement, pour y intégrer les locaux d’activités dédiés au télétravail."

Vous l’avez dit : le confinement s’accompagne d’un net essor du télétravail. Comment intégrer à l’avenir cette pratique nouvelle dans la conception de logements, et ce dans un contexte de pression foncière où il semble difficile d'accroître la taille des logements ?

Il y a d’abord un aspect réglementaire. Quand on dépose un permis de construire, on doit préciser si la construction envisagée est un logement, un commerce ou un local d’activité. Les règlements doivent évoluer pour proposer des logements avec espace de travail, comme il en existait avant la dernière guerre, où nombre de logements, à Paris notamment, intégraient un atelier. Il faudrait en somme revoir la définition de ce qu’est un logement, pour y intégrer les locaux d’activités dédiés au télétravail. Cela aurait des incidences fiscales, puisque les taxes ne sont pas les mêmes pour les logements et les locaux d’activités. Une telle évolution permettrait aussi à un employé de récupérer une petite prime. Imaginons que vous habitiez dans un logement où il y a un espace dédié au télétravail. Vous seriez alors fondé à demander à votre employeur de prendre à sa charge une partie de cet espace. L’entreprise y trouverait son compte, car elle pourrait réduire la taille de ses locaux. Le salarié s’y retrouverait aussi, car une partie de son loyer ou de sa charge d’emprunt serait pris en charge. Ces dispositifs ne concerneraient pas seulement les personnes dont le travail s’exerce sur un ordinateur, et pourraient s’étendre aux travailleurs manuels. Pour le maître d’ouvrage, il s’agirait de produire 10 à 20 mètres carrés supplémentaires pour que les acquéreurs puissent travailler chez eux. Cette surface pourrait d’ailleurs être affectée à d’autres usages, et être considérée comme un studio où accueillir un ami, une personne âgée, un enfant qui a grandi et veut prendre son envol. Cela participerait de la modularité des logements…

Vous êtes un partisan de la modularité. Quel intérêt présente celle-ci dans l’expérience que nous vivons ?

La modularité est une question compliquée car elle est liée au mode de vie et à la taille du ménage. On peut très bien généraliser les choses pour les espaces de télétravail, mais le reste dépend de la composition de la famille. Il n’y a pas de règles générales. Le confinement donne à réfléchir à une autre question, qui est celle de la mobilité. Pour les personnes qui sont en mesure de télétravailler, la question de la mobilité est plus souple que pour quelqu’un qui ne le peut pas. L’économie réalisée sur le temps de transport peut inciter à s’installer plus loin de son entreprise. D’autant que l’épidémie de Covid-19 remet en question la fréquentation des transports publics. Le déconfinement va nécessairement s’accompagner d’un boom des trajets en voiture. Certes, nous sommes au printemps, et certains pourront se déplacer à vélo, mais que se passera-t-il si l’épidémie se prolonge jusqu’à l’hiver prochain ? Les gens refusaient déjà d’être entassés dans les transports publics, mais ils le refuseront de manière encore plus vigoureuse. Ce rejet va inciter un certain nombre d’entre eux à aller vivre plus loin des villes, et je suis persuadé que beaucoup de familles avec de jeunes enfants vont franchir le pas. Sur les sites de recherche immobilière, le nombre de consultations en direction des maisons à la campagne, particulièrement en Bretagne, est en nette hausse. Cela décrit déjà une certaine tendance.

En tant que promoteur, songez vous à investir de tels espaces, alors que votre activité se concentre jusqu’alors dans les zones denses ?

Non, pas du tout. Je ne pourrais pas me lancer sur un tel marché, car il n’a pas de règles, il est très disparate et diffus. A ce titre, c’est un marché qui est très difficile à travailler, et doit s’appréhender comme une somme de demandes individuelles.

Votre approche de l’habitat se marque par une volonté d’établir un équilibre entre espaces privés et espaces partagés (laveries, salles communes, jardins partagés, etc.). Le Covid-19 vous amène-t-il à réévaluer cet équilibre ?

La crise sanitaire interdit tout usage de lieux communs. De ce fait, elle vient appauvrir ce type de projet. On peut toutefois espérer que ce genre de situation restera rare, voire unique, dans notre existence. Les espaces communs sont faits pour réunir des usagers, et ils participent d’une nouvelle réflexion sur la conception de logements en milieu dense. Par ailleurs, je pense que la situation actuelle montre qu’il faut poursuivre la construction d’écoquartiers. Par hasard, ces derniers se trouvent favoriser la distanciation sociale, car ils ménagent des zones de promenades et des trames vertes larges et aérées. Ils se révèlent de bons vecteurs de développement de logements collectifs dans des zones relativement denses, mais où la distanciation sociale est possible.

D’une manière générale, comment la conception de programmes de logements peut-elle mieux prend en compte la question des risques, par nature imprévisibles (qui avait prédit il y a seulement 6 mois que notre pays serait confiné ?) ?

Le marché de l’immobilier est un marché à cycle lent. La conception de logements ne se fait pas sur un coup de tête ou un caprice. La notion de risque sera prise en compte, mais de manière marginale dans les prochaines réalisations. Sur le plan technique, on devra peut-êre réfléchir à des technologies de filtration de l’air. On peut estimer que les logements sont déjà confinés, surtout avec les nouvelles règles d’isolation thermique. On va peut-être être amenés à réfléchir différemment à la question de la ventilation.

"La crise sanitaire n’annule pas le besoin de logement, bien au contraire. Ce besoin ne pourra pas être satisfait de la même manière qu’en temps normal. Un grand nombre de projets risque d’être reporté. Beaucoup de gens vont se retrouver avec des difficultés d’emploi, et vont donc être contraints d’ajourner leurs projets."

Comment voyez évoluer les secteurs de la construction et de l’immobilier dans les mois qui viennent ?

La crise sanitaire n’annule pas le besoin de logement, bien au contraire. Ce besoin ne pourra pas être satisfait de la même manière qu’en temps normal. Un grand nombre de projets risque d’être reporté. Beaucoup de gens vont se retrouver avec des difficultés d’emploi, et vont donc être contraints d’ajourner leurs projets. Ma plus grande crainte est qu’on se retrouve pris dans un effet ciseau où le besoin de logements n’est plus satisfait par la production et où les demandeurs reviennent à des pratiques comme celles qui avaient suivi la loi de 1948. Les gens payaient alors un pas de porte pour avoir accès aux logements à loyer plafonné. Les mairies vont pour certaines bloquer les loyers, et le parc ne va pas se renouveler, au risque de favoriser ce type d’abus. S’il n’y a pas une intervention extrêmement forte de l’Etat ou du monde du logement social dans la production de logements neufs, on risque de fabriquer une nouvelle crise du logement. Cela dit, cette crise sanitaire, qui va déboucher sur une crise économique et sociale, va aussi donner un coup de frein aux spéculations. Prenez une ville comme Bordeaux, où le prix du mètre carré a explosé, et où une partie de la population ne peut pas faire face à cette hausse. Il est probable qu’on y assiste à de fortes corrections sur les produits qui ne présentent pas de caractéristiques 5 étoiles et se vendent à des prix beaucoup trop élevés. En revanche, l’Ile-de-France où le marché est très tendu pourrait s’affronter à une grave crise du logement.

En même temps, selon une étude du forum Vies mobiles, 38% des Parisiens envisagent de déménager après le confinement…

Ce serait une bonne chose ! Un tel exode permettrait de rééquilibrer la situation à Paris et en première couronne, et donnerait une autre impulsion au marché... Mais il y a en matière de logement notamment, un écart entre des velléités exprimées sous le coup de l’émotion provoquée par une telle crise, et le passage à l’acte. Si cette prise de conscience est suivie d’effet, alors oui, on pourra alors parler d’un véritable changement en profondeur.

2020-04-30
Écrit par
Vidal Benchimol
Livre : Un Tour de France des maisons écologiques pour révolutionner l’habitat

Dans le Tour de France des maisons écologiques (éditions Alternatives), deux architectes et un anthropologue présentent divers modes constructifs et matériaux qui pourraient bien révolutionner l’habitat. En route !

Une « kerterre » en chaux et chanvre aux allures de maison de Hobbit. Une maison bioclimatique en paille porteuse. Une série de trois conteneurs assemblés en demeure confortable. Un local agricole en super-Adobe dédié à la production de safran… Les trente constructions repérées dans le Tour de France des maisons écologiques, paru le mois dernier aux éditions Alternatives, sont aussi diverses qu’insolites. A l’origine de l’ouvrage, trois jeunes auteurs aux profils complémentaires : Mathis Rager est conducteur de travaux, Emmanuel Stern anthropologue et constructeur, Raphaël Walther architecte. Soucieux de faire évoluer leurs pratiques professionnelles à l’aune de la crise écologique, ils ont peaufiné leur itinéraire pendant un an, puis conduit deux mois de recherche sur le terrain. Au cours de leur périple de la Bretagne au Jura, ils ont glané les témoignages des habitants, souvent maîtres d’ouvrage, des diverses réalisations visitées, puis les ont confrontés au regard d’une poignée d’experts de la construction et de l’habitat - architectes, ingénieurs, philosophes, etc.

Des alternatives au béton-roi

Le résultat : un Tour de France des maisons écologiques inspirant et documenté. Entre entretiens, décryptages, photographies, plans de coupe, glossaire et éléments chiffrés, l’ouvrage offre un panorama aussi divers que complet des modes constructifs et des formes d’habitat alternatifs contemporains. En abordant les aspects concrets et techniques de chaque chantier (coût, main d’œuvre, temps de construction, technicité…), il peut même s’avérer un outil d’aide à la construction, à la limite du mode d’emploi. L’enjeu, annoncé dès l’introduction du livre, est de taille : le secteur du bâtiment est un poids lourd en termes de consommations d’énergie (43%) et d’émissions de GES (25%). Quand le béton-roi est responsable à lui seul de 5% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, les alternatives repérées dans le Tour de France des maisons écologiques pourraient offrir quelques pistes judicieuses. Elles permettent en effet d’alléger l’empreinte écologique du bâtiment en relocalisant la production. A rebours d’un secteur qui recourt massivement aux bois exotiques ou au sable acheminés par cargo de l’autre bout du monde, elles misent sur les matériaux trouvés à proximité du chantier (paille, chanvre, terre…) et sur les savoir-faire traditionnels (bauge, etc.). Souvent réalisées en auto-construction, ces formes d’habitat permettent aussi de « faire soi-même » en levant les freins à une telle entreprise, notamment grâce à l’organisation de chantiers participatifs où se transmettent les savoirs.

La maison individuelle, lieu d’une révolution constructive

A cet égard, les auteurs abordent dans le livre un parti-pris à contre-courant des discours dominants sur l’habitat écologique : quand celui-ci est généralement décrit en termes de densité et de compacité, ils affirment tout au contraire que « la révolution verte passera par la maison individuelle ! ». Dans l’introduction, ils affirment ainsi : « Alors que l’habitat collectif reste le plus souvent tributaire des schémas constructifs conventionnels, elle favorise un foisonnement d’initiatives personnelles et se présente à l’heure actuelle comme un laboratoire d’idées et d’inventivité pour penser des maisons de demain réconciliées avec leur environnement territorial, économique et humain. » Conçues sur mesure, à l’image de celles et ceux qui les édifient et les habitent, les maisons présentées dans le livre sont très largement délestées des contraintes qui pèsent sur la production standard. Ce faisant, elles ont tout le loisir d’aller techniques traditionnelles et technologies contemporaines, pour esquisser des modes de construction et d’habitat adaptés à leur environnement immédiat…

En savoir plus :

Le tour de France des maisons écologiques, de Mathis Rager, Emmanuel Stern et Raphaël Walther, éditions Alternatives, mai 2020, 240 pages, 170x240 mm, 24,90 euros

2020-06-23
Écrit par
midi:onze
Les nouveaux bâtisseurs de Vidal Benchimol : une invitation à construire autrement

Le 28 mai dernier, Vidal Benchimol publiait aux éditions Alternatives (collection Manifestô) Les Nouveaux bâtisseurs, construire autrement à l’heure du défi climatique. Le maître d’ouvrage, co-auteur de Vers un nouveau mode de ville (éditions Alternatives, 2013) et directeur de la publication de midionze, y propose un pas de côté hors des routines professionnelles de son secteur d’activité, et invite tous les acteurs de l’habitat à mettre les relations humaines et les liens sociaux au coeur de l’acte de bâtir. Extraits.

Face à l’urgence écologique, la nécessité de programmes immobiliers sur-mesure

« En France comme ailleurs, la nécessité de répondre à l’urgence écologique et climatique place le secteur de la promotion, de la construction, de l’aménagement, et plus globalement l’habitat, face à d’immenses défis. Gros consommateurs d’espace et de ressources (45% des consommations d’énergie en France), émetteurs avérés de gaz à effet de serre (25%), ces derniers sont sommés d’évoluer pour réduire l’impact écologique du bâtiment. En ce domaine, la contrainte réglementaire (exprimée par la succession de règlementations thermiques de plus en plus ambitieuses) est un levier possible, mais ne peut prétendre résoudre seule le problème. Et d’autant moins qu’elle entre souvent en confrontation, sinon en contradiction, avec les habitudes et contraintes (budgétaires notamment) des acteurs de la fabrique urbaine et des divers usagers des lieux. De fait, l’habitat ne peut être envisagé comme un isolat et une « machine célibataire » : ses « performances énergétiques », selon l’expression consacrée, dépendent non seulement de ses caractéristiques intrinsèques (isolation, compacité, orientation du bâtiment, mode de chauffage, etc.) mais aussi d’autres éléments décisifs, parmi lesquels sa localisation et les modes de transport qu’il induit. Elles sont surtout déterminées par les usages quotidiens des habitants, et plus largement des usagers. Or, ces éléments sont encore rarement pris en compte par les promoteurs immobiliers, encore moins par l’Etat, qui fixe les mêmes règles et mêmes contraintes de performance énergétique quel que soit l’emplacement du bâtiment.En somme, pour répondre à l’ampleur des défis écologiques contemporains, concevoir des bâtiments énergétiquement « performants » ou des écoquartiers ne suffit pas. Une telle ambition plaide au contraire pour une tout autre approche de l’habitat, non plus sectorisée, mais holistique, globale, et capable de s’adapter à la variabilité des contextes et des modes de vie : le standard doit y faire place au sur-mesure, le « prêt à habiter » à la « haute culture ». Elle implique aussi d’informer, d’accompagner, de sensibiliser les habitants, tout en tenant compte de leurs usages et leurs aspirations. Elle appelle à faire place à la diversité des modes de vie, et donc à une dose d’imprévu et d’imprévisible. C’est alors sur le plan des cultures, des représentations, des comportements et des imaginaires qu’il faut agir. Il faut en somme « faire avec » – le contexte, l’Histoire, les usagers, les habitudes, mais aussi avec l’inventivité et l’imagination sans limite de tous les habitants. » (Introduction, p. 10-11)

Vers une appproche holistique de l’habitat

En se focalisant sur la performance énergétique, les acteurs de la construction ont ainsi eu tendance à refouler d’autres questions décisives touchant à l’habitat, dont l’exigence de confort. Ensuite, tout gain énergétique est susceptible de susciter des effets rebonds : parce qu’on a acquis un logement labellisé “basse consommation”, on fait moins attention, on chauffe toutes les pièces, et plus chaudement que ne le recommandent les bâtisseurs. (...) Enfin, les réglementations thermiques ont le défaut de borner leurs calculs à l’échelle du logement, et n’envisagent jamais l’impact énergétique global d’une construction neuve - impact lié entre autres à sa localisation et aux usages induits, en termes de mobilité notamment. Or, selon qu’un logement sera situé dans une zone bien ou mal desservie en transports en commun, en pistes cyclables, en aménités diverses, les besoins énergétiques de ses habitants changeront du tout au tout. Il convient donc de sortir d’une approche sectorielle, uniquement centrée sur le bâtiment, pour ancrer chaque projet dans un territoire, et le concevoir en fonction. C’est dans cet esprit que l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich a imaginé en 1998 les contours de “la société à 2000 watts”. 2000 watts, c’est en effet la consommation énergétique annuelle moyenne par habitant à l’échelle planétaire. Cette moyenne inclut tous les postes quotidiens : le logement, le transport, l’achat et l’usage de tous biens matériels, l’alimentation. Elle recouvre évidemment de très fortes disparités : un Européen “consomme” 6000 watts par an, un Américain 12 000, un Indien 1000 et un Bangladeshi 300. Pour limiter le changement climatique dans un esprit d’équité, le projet suisse vise à ramener à 2000 watts/personnes les consommations annuelles d’énergie. Or, un tel objectif suppose une approche holistique. Il implique d’aborder ensemble, et non plus séparément, le logement, le transport, l’approvisionnement alimentaire, la gestion des déchets, etc. Il préconise en somme d’entrer dans le détail des usages quotidiens, pour agir à tous les niveaux, et dans tous les domaines de l’activité humaine. (Chapitre 1, p.30-31)

Les élus, interlocuteurs incontournables de tout projet

Cette étroite coopération est nécessaire à plus d’un titre. Elle permet d’abord d’affiner considérablement la connaissance du territoire où l’on envisage d’acquérir un terrain, raison pour laquelle il est souhaitable de rencontrer les élus avant même tout acte d’acquisition. Certes, les promoteurs immobiliers disposent de nombreux outils pour connaître l’environnement où ils construisent, à commencer par les classiques études de marché. Mais les élus apportent à ces éléments commerciaux des indications autrement plus fines : données démographiques, nature du tissu associatif et professionnel, programmes d’aménagement et planification urbaine, besoins en équipements et services… Ils permettent à ce titre d’ajuster la conception du programme immobilier au contexte, de faire du sur-mesure plutôt que du standard. Ils peuvent aussi mobiliser un réseau local et mettre en lien les opérateurs du projet immobilier avec divers acteurs professionnels et associatifs, dans une logique de circuits-courts, nous y reviendrons. Ils peuvent enfin, nous l’avons dit, adapter tant que faire se peut la réglementation au projet, voire l’accompagner financièrement dans certains cas. Autant d’éléments de nature à favoriser l'appropriation de nouveaux programmes immobiliers sur le plan local. (Chapitre 2, p.58)

Une innovation prometteuse : l’assistance à maîtrise d’usage

Si la valeur sociale d’un projet immobilier se joue en amont et pendant sa réalisation, ce qui advient en aval, après la livraison, est donc absolument déterminant. Après tout, la phase de conception et de mise en œuvre n’est que la portion congrue du cycle de vie d’un bâtiment ou d’un quartier ! C’est après, une fois les habitants installés, que le lieu prend réellement vie. (...) Au cours de nos recherches, nous avons visité nombre de lieux où l’ambition de départ s’était heurtée à la réalité des usages. C’était notamment le cas d’un immeuble à structure bois situé en Suisse, et que ses concepteurs avaient tenu à doter d’une salle commune à destination des habitants. Lorsque nous les avons interrogés sur son taux de fréquentation, ils nous ont confié à regret qu’il était bien en-deçà de leurs attentes : l’espace restait vide la plupart du temps. Il offrait pourtant toutes les qualités d’usage requises. Il était vaste, pourvu de toutes les commodités, et situé au rez-de-chaussée. De la même manière, tous les professionnels de la construction notent un écart entre les projections en matière de consommation énergétique des bâtiments et leurs consommations réelle en situation d’occupation. Cet écart s’explique précisément par la difficulté d’aborder les usages, et de prévoir la façon dont les gens vont s’approprier un lieu. Pour pallier ces écueils, nombre de professionnels envisagent la mise en œuvre de divers outils d’information et de médiation, sur le modèle des livrets d’accueil et autres sites Internet qui accompagnent généralement la livraison de programmes énergétiquement performants. Toutefois, aucun de ces outils ne peut prétendre remplacer efficacement une présence humaine, et les premiers retours d’expérience dans ce domaine montrent que de tels dispositifs ont de sérieuses limites. Sur le strict plan des consommations énergétiques par exemple, ils ne permettent pas de combler l’écart entre performances théoriques et performances réelles. Pour une raison simple : les gens ne lisent pas, ou pas toujours, les documents d’information et de communication mis à leur disposition. A fortiori dans un logement qui devrait théoriquement se passer de mode d’emploi. (Chapitre 3, p.101-102)

Pour en savoir plus :

Vidal Benchimol, Les nouveaux bâtisseurs, éditions Alternatives, 2020, 160 pages, 17 €

2020-05-29
Écrit par
midi:onze
Le documentaire Grande-Synthe sort en DVD

Le documentaire Grande-Synthe, réalisé par Béatrice Camurat Jaud, vient de sortir en DVD. Ce film est une ode à l’humanité et à l’intelligence des acteurs de la ville, qui s'est engagée dans une transition sociale et écologique ambitieuse sous l’impulsion de son édile Damien Carême.

Plantons le décor : Grande-Synthe a tout pour tout déplaire. Pourtant située sur la très jolie Côte d’Opale, cette ville accueille sur son territoire et alentour des activités industrielles polluantes et dangereuses : métallurgie, port méthanier, centrale nucléaire de Gravelines. Elle concentre par ailleurs une grande misère : camp de migrants et fort taux de chômage (24 % dont 40 % de jeunes).

Face à ces difficultés écologiques et sociales, citoyens, associations et pouvoirs publics de Grande-Synthe se sont retroussé les manches pour trouver des solutions avec enthousiasme et humanisme, comme le souligne notre reportage sur le sujet. Plutôt que d’avoir peur des migrants, elle les accueille, les aide et les intègre (installation d’un camp, distribution de repas). Emmaüs y est une institution fort utile pour insérer ses compagnons mais également par ses distributions de paniers repas aux plus précaires de la commune. Pour contrer la mal information et lutter contre le désengagement citoyen elle crée une Université Populaire pour faire réfléchir les citoyens. Des jardins en pied d’immeuble et des jardins ouvriers sont développés pour redonner de l’autonomie alimentaire à petit prix à leurs utilisateurs. On construit des logements basse consommation qui réduiront la facture énergétique de leurs habitants. Toutes les cantines de la ville ne servent plus que du bio.

Voilà plus de 40 ans qu’on plante des arbres pour remettre de la Nature dans ce plat pays. Toutes ces actions ont notamment pour but de redonner de la dignité à tous ces laissés pour compte. Ce documentaire est illustré d’images très esthétiques, et rythmé par des interventions et questionnements de comédiens d’une troupe de théâtre local très investie sur les problématiques sociales de la Ville.

http://grandesynthelefilm.com

Durée du film 90 minutes – Prix : 20 euros

2019-09-18
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midi:onze
Etudier l'espace public pour aménager des villes désirables : les recettes de Jan Gehl

Pionnier de l’aménagement urbain “à échelle humaine”, Jan Gehl signe en collaboration avec Birgitte Svarre La vie dans l’espace public, comment l’étudier. Un ouvrage robuste et instructif pour guider les élus et les urbanistes dans l’étude des espaces publics.

En 2012, les éditions Ecosociété publiaient la traduction française de Pour des villes à échelle humaine de Jan Gehl, paru deux ans plus tôt. Le lectorat francophone a alors pu découvrir l’apport décisif de l’architecte danois, qui défend depuis les années 1960, en réaction au modernisme, un aménagement urbain adapté aux besoins et désirs des citadins : attentif à la vie sociale et à la qualité des espaces publics, mais aussi soucieux de limiter la place de la voiture grâce à l’aménagement de voies piétonnes et cyclables - il a notamment contribué à la piétonnisation, dès1968, du Stroget à Copenhague. Dans le sillage de cet opus indispensable, paraît ce mois-ci, toujours aux éditions Ecosociété, La vie dans l’espace public, comment l’étudier. Ecrit avec Birgitte Svarre, directrice et chef d’équipe de la ville chez Gehl, l’ouvrage est en quelque sorte le versant opérationnel de Pour des villes à échelle humaine, puisqu’il se présente comme un guide à destination des élus et des urbanistes. Il est d’ailleurs préfacé par Anne Hidalgo et Valérie Plante, respectivement mairesses de Paris et Montréal, qui toutes deux soulignent leurs efforts pour mettre en oeuvre les grands principes édictés par Jan Gehl, notamment à dessein de limiter la place de l’automobile en ville dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Des méthodes fondées sur l'observation directe

En sept chapitres abondamment illustrés de photographies, de graphiques ou de cartes et de références bibliographiques, La vie dans l’espace public énumère les questions essentielles à se poser lorsqu’on veut animer une ville. Il décrit aussi les diverses méthodes mises en oeuvre au cours des cinquante dernières années pour étudier les interactions entre vie urbaine et espaces publics, que ce soit en prévision d’un aménagement ou pour en évaluer l’impact. Du pistage à la promenade d’essai, en passant par le journal de bord, la recherche de traces ou la cartographie, ces méthodes sont fondées pour l’essentiel sur l'observation directe, avec carnet de notes, stylo et chronomètre, mais peuvent aussi recourir ponctuellement aux nouvelles technologies (GPS notamment). “Grâce à l’observation directe, on est à même de mieux comprendre pourquoi certains lieux grouillent de vie tandis que d’autres sont pratiquement déserts”, écrivent ainsi Jan Gehl et Birgitte Svarre. Etudes de cas à l’appui, La vie dans l’espace public souligne également l’impact de ce temps d’étude et d’observation : en juxtaposant des photographies d’un même lieu avant et après transformation, il montre combien l’attention portée à l’échelle humaine et aux comportements des citadins a pu changer radicalement l’animation de certaines rues, places et quartiers à Copenhague, Londres, Melbourne ou New York.

Quand l'étude de la vie dans l'espace public fait modèle

Autre grand mérite de l’ouvrage : l’histoire très détaillée qu’il dresse de l’étude de la vie dans l’espace public depuis les années 1960, dans un contexte de poussée moderniste, d'explosion urbaine et d'avènement de la voiture. Le chapitre 4 souligne ainsi l’apport de Jan Gehl dans ce domaine, tout comme celui d’autres pionniers parmi lesquels Jane Jacobs, William H.Whyte, Clare Cooper Marcus ou Donald Appleyard. Chacun à leur manière, ils ont contribué à la mise en question du zoning et des grands ensembles, contre lesquels ils ont défendu une ville à hauteur d’homme - mais aussi de femme, d’enfant, de personne à mobilité réduite... La vie dans l’espace public suggère qu’ils le firent d’abord dans un relatif isolement, en tous cas à rebours des préceptes en vogue à l'époque, avant que l’avènement du développement durable et le changement climatique ne leur offrent un écho croissant chez les élus et professionnels de l’urbain. L’influence qu’ils exercent désormais en matière d'aménagements d'espaces confirme que c’est bien en partant de l’expérience directe, de la ville vécue, qu’on est à même d’aménager une ville désirable.

En savoir plus :

Jan Gehl et Birgitte Svarre, La vie dans l'espace public, comment l'étudier, éditions Ecosociété, Montréal, 2019, 192 pages, 29 €

Lire notre interview de Jan Gehl dans midionze.com

2019-10-30
En Escale de Bruce Bégout : ce que l'aéroport dit de l'hypermobilité

Dans En escale, chroniques aéroportuaires, paru le mois dernier aux éditions Philosophie magazine, le philosophe Bruce Bégout dissèque au gré de chroniques savoureuses ce lieu emblématique de l’âge contemporain qu’est l’aéroport.

Il y a quelque chose de provocateur à consacrer un ouvrage entier aux aéroports, comme le fait Bruce Bégout dans En escale, chroniques aéroportuaires. L’époque est au “planeshaming”, et invite au contraire à troquer autant que possible l’avion pour le train. Voire pour le voilier, comme l’a fait Greta Thunberg lors de son récent périple en Amérique. Or, non seulement le philosophe, auteur en 2013 du très stimulant Suburbia (éditions Inculte), entend à certains égards les réhabibiliter (à tout le moins les delester en partie de leur étiquette de “non-lieux”), mais il le fait au terme d’un protocologe étonnant, et sans doute éprouvant : pour mieux saisir ces lieux de transit, auxquels on prête d’autant moins d’attention qu’on est concentré sur sa destination, il a choisi d’en faire l’unique but de ses voyages à Bangkok, Istanbul, Amman ou Amsterdam, et de ne pas en franchir les portes une fois l’avion posé sur la piste. “J’ai tourné ma conscience, et chaque cellule de mon corps vers l’espace aéroportuaire lui-même, explique-t-il en introduction, le parcourant en tous sens, répondant sans rechigner à toutes ses offres, et m’interrogeant à chaque instant au sujet de ce qui le constituait en propre à l’âge de l’hypermobilité.”

“L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.” Bruce Bégout

Un bâtiment accordé à des besoins nouveaux

Ce “voyage paradoxal” donne lieu à une série de réflexions sur l’architecture des aéroports, les valises à roulettes que les voyageurs y trainent derrière eux, la musique qu’on y diffuse, les dispositifs de sécurité, les espaces duty free, les salons VIP, les hôtels tout proches destinés à accueillir les voyageurs en transit ou encore les accès de rage dont sont parfois pris certains. Ainsi, au fil de courts chapitres à l’écriture ciselée, En escale dessine un lieu spécifique, standardisé jusqu’à un certain point, mais qui n’exclut pas tout à fait la couleur locale. A rebours du topos selon lequel l’aéroport serait un lieu banalisé, Bruce Bégout le campe en espace parfaitement ajusté à la modernité, et à ce titre sans équivalent dans l’architecture contemporaine : “L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux, écrit notamment Bruce Bégout. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.”

L'isoloir à ciel ouvert dans lequel l'époque se confesse

Au-delà de ses caractéristiques architecturales et fonctionnelles, l’aéroport offre aussi un concentré des valeurs et habitus contemporains : il se donne pour “l’isoloir à ciel ouvert dans lequel l’époque se confesse.” Il inspire à ce titre à Bruce Bégout une série de descriptions piquantes ou poétiques, où sont décrits non sans dérision les comportements des voyageurs et les dispositifs où ils sont pris. Pour ce faire, Bruce Bégout sollicite au besoin une poignée de figures littéraires ou artistiques ayant partagé son intérêt pour les aéroports, parmi lesquelles Don De Lillo, Jacques Tati, James G. Ballard, Gwenola David et Stephane Degoutin ou Brian Eno… Ces références viennent nourrir ses propres observations et suggèrent à quel point l’aéroport fascine et façonne nos contemporains.

Pour en savoir plus :

Bruce Bégout, En escale, chroniques aéroportuaires, philosophie magazine éditeur, Paris, 2019, 14 euros

2019-10-09
Quand le street art se mobilise pour l'environnement

A mesure que s’affirme la crise climatique, l’art urbain délaisse ses territoires de prédilection pour investir des lieux emblématiques de la dégradation de l’environnement…

La photographie, vue du ciel, dessine un pictogramme vert clair sur un fond de végétation plus sombre. Intitulé « Rewild », le dernier projet de l’artiste urbain espagnol Escif propose de réensauvager Sumatra, comme l’indique son nom en forme de jeu de mots (« rewild » consonne avec rewind, « rembobiner », dont le symbole est dessiné sur le sol). Il faut dire qu’au cours des 20 dernières années, l’ile indonésienne a perdu 40% de sa surface forestière pour faire place à la monoculture de palme et de caoutchouc. Or, la gourmandise de l’industrie agro-alimentaire menace la survie de la faune sauvage locale, à commencer par les orangs-outans, en plein déclin. Rewind se propose d’agir concrètement en détruisant les palmiers. A leur place, un espace de 360 hectares planté d’arbres indigènes.

La forêt, symbole d’un monde sauvage en voie d’extinction

Le projet d’Escif s’inscrit dans un programme artistique élaboré par Splash and burn, une association fondée par l’artiste lithuanien Ernest Zacharevic pour dénoncer les ravages de la culture de palme, et qui associe entre autres Isaac Cordal, Vhils, Mark Jenkins ou Axel Void. Il évoque une autre réalisation de l’Espagnol à Sapri, en Italie : le Breath project. Initié par l’association Incipit, ce dernier consiste en la reforestation du mont Olivella, d’où avait disparu toute végétation au cours des siècles passés. 2500 chênes verts et autant d’érables sont en cours de plantation, et dessineront à mesure de leur croissance l’icône d’une batterie en cours de chargement, passant du vert l’été au rouge à l’automne.Dans les deux cas, l’intervention artistique confronte destruction de la vie sauvage et emprise croissante des nouvelles technologies sur nos vies. De fait, la création par Escif de véritables « puits de carbone » mobilise des symboles visuels emblématiques de la révolution informatique. Dès lors que l’œuvre suppose un point de vue surplombant, depuis le ciel, c’est aussi via un ensemble de médiations technologiques – photographies, circulation sur les réseaux sociaux, etc. qu’elle est rendue publique. L’art se donne ici pour un outil de mobilisation, mais entend aussi, dans le même temps, transformer positivement le lieu où il s’inscrit.

L’art à même le paysage

A l’instar d’Escif, divers artistes urbains tentent d’alerter le grand public quant à la réalité du changement climatique en intervenant à même le paysage. Parmi eux, Philippe Echaroux. L’artiste français projette ses œuvres – des portraits principalement - sur des lieux emblématiques ayant acquis le statut de symboles menacés : forêt amazonienne où il « expose » sur les arbres les visages de certains membres de la tribu Surui, ou encore glaciers français en régression rapide. Une manière selon lui de forcer le spectateur à « sortir de sa zone de confort », même si c’est bien un spectacle qu’il offre.

Dans la même veine, Julien Nonnon, chantre du vidéo-mapping et d’un « nouvel art pariétal », recourt aux technologies numériques pour donner à voir l’ampleur de la crise en cours. Dans la série « Crying animals » (2018), il projette à même la montagne des animaux sauvages vivant dans les Alpes pour faire prendre conscience au grand public de leur possible extinction. La lumière, qui sert de médium à l’artiste, s’offre ici en contrepoint au devenir d’espèces décrites comme possiblement « éteintes ». Comme chez Philippe Echaroux, elle est aussi mobilisée en raison de son empreinte écologique supposée plus faible que celle de l’acrylique, même si l'intervention n'est pas neutre, puisque la pollution lumineuse aurait selon certaines études un effet sur la biodiversité. Pour limiter au maximum l’empreinte de ses interventions, le français Saype recourt quant à lui à une peinture 100% biodégradable. Une manière de s’accorder au mieux aux espaces naturels qu’il couvre de très grands portraits monumentaux, pour amener le public à reconsidérer ses relations à autrui et à la nature.Dans un milieu artistique très charpenté par l’idée de prouesse, investir des espaces monumentaux à l’écart des villes est évidemment une manière de se distinguer. Mais pour ces artistes, il s’agit surtout de donner un sens à leurs interventions, et d’assumer une portée politique et sociale, loin d’un art « gratuit » et simplement dédié au jeu des formes.

2019-09-09
Écrit par
midi:onze