
Parce qu’elle concentre commerces, bureaux, administrations, espaces publics et habitat, la ville est par excellence le lieu de la rencontre, de la « force des liens faibles ». Pourtant, cette « ville relationnelle » est très largement sous-estimée par les décideurs politiques. C’est en tout cas ce que notent Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin dans un ouvrage du même nom aux éditions Apogée (2024). « Aujourd’hui encore, les villes consacrent l’essentiel de leurs ressources financières et humaines à se maintenir en fonctionnement aussi régulier que possible », posent dès l’introduction ces trois spécialistes de l’urbain. Quant à cette ville des liens, elle « reste encore trop souvent dans l’angle mort des politiques publiques. »
Cette négligence se marque spatialement : « la ville relationnelle représente à peine 10 à 20% des mètres carrés qui composent les villes européennes, tandis que la ville fonctionnelle en accapare encore les 80 à 90% restants. » Il faut dire que la ville des liens semble fonctionner d’elle-même, contrairement à la gestion des flux ou l’entretien des réseaux, bref à tout ce métabolisme urbain complexe qu’il faut administrer. Son "aménagement" requiert aussi des approches différentes, qui empruntent à l’urbanisme tactique, au design thinking ou à l’art dans l’espace public. Enfin, elle suppose une bonne dose d’expérimentation - une approche peu compatible avec la planification urbaine.
« La ville relationnelle représente à peine 10 à 20% des mètres carrés qui composent les villes européennes, tandis que la ville fonctionnelle en accapare encore les 80 à 90% restants. »
La ville relationnelle a été écrit tout exprès pour inciter le monde de la fabrique urbaine à mieux saisir l’enjeu et le décliner dans les politiques publiques. Même si l’ouvrage est riche en chiffres et en exemples, il se veut moins un état des lieux qu’un programme à mettre en œuvre. Il s’adresse d’ailleurs explicitement à un public opérationnel - élus surtout, mais aussi aménageurs ou promoteurs. Pour mieux les convaincre, Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin ont opté pour l’écart avec les attendus de tout manuel d’urbanisme. Leur texte est ponctué de récits d’expériences concrètes et quotidiennes de relations, où la part du vrai et de la fiction est bien difficile à démêler. Il est également rythmé par les illustrations de Lisa Subileau, qui offrent autant d’instantanés de la ville relationnelle.
Cette approche originale permet de « donner corps » au programme décliné dans l’ouvrage en 7 figures. Les voici présentées succinctement :
Bien sûr, ces diverses modalités de la ville relationnelle sont non-exclusives et poreuses. « Il ne s’agit pas de dire que les 7 figures doivent être mises en oeuvre simultanément au cours d’une seule et même mandature, peut-on lire dans l’ouvrage. Les collectivités peuvent plus raisonnablement se donner pour objectif de réussir à matérialiser de façon incrémentale deux à trois de ces figures de ville par mandature. »
D’après Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin, il est en tous cas urgent d’accélérer la « transition comportementale. » Selon eux, celle-ci se conjugue en effet à d’autres transitions et peut en déterminer le succès. « La décarbonation ne pourra se faire que dans une ville devenue relationnelle, expliquent-ils, une ville où primeront les dynamiques de proximité, les sociabilités - fortes ou faibles - et une relation au vivant qui sera tout autre que celle que nous connaissons aujourd’hui. »
D’ailleurs, l’enjeu est tel pour les auteurs du livre qu’ils ont conçu La ville relationnelle comme une entrée en matière, un genre de préambule. L’ouvrage est le premier opus d’une collection de quatre livres qui exploreront divers versants des interactions urbaines et décriront les leviers et dispositifs susceptibles de les favoriser. À suivre, donc.
La Ville relationnelle, les sept figures, de Sonia Lavadinho, Pascal Lebrun-Cordier et Yves Winkin, Paris, éditions Apogée, 2024. 200 pages, 15 euros.
En Occident, la mobilité est un art de vivre, une valeur, et sans doute une vertu. A son évocation, se dressent les images, également séduisantes, de l’individu métropolitain hyperconnecté et du voyageur (touriste ou traveller) en quête d’hédonisme et d’ailleurs. L’individu mobile se donne pour curieux, émancipé et ouvert sur le monde, à l’exact inverse de la posture du « repli ». A cette mobilité choisie sinon revendiquée, le réfugié vient pourtant superposer une toute autre image : celle d’un mode d’existence et d’habitat précaires et contraints par la nécessité de fuir la catastrophe – climatique, économique, politique.
Soucieux d’interroger les formes artistiques et architecturales auxquelles donne naissance le nomadisme du 20e et 21e siècle, le FRAC Centre - Val de Loire oscille naturellement entre ces deux figures. En lien avec le thème « Partir » des rendez-vous de l’Histoire 2016, l’institution puise dans ses collections et déroule au Château de Blois une histoire de l’architecture mobile qui en explore tout à la fois la part d'utopie et la vocation critique.Ce tour d’horizon présente d’abord quelques projets conçus dans les années 1950, à l’heure où l’avènement de la société des loisirs et le développement des systèmes de communication et de transport font de la mobilité une question sociétale de premier ordre : de la Maison tout en plastiques (1956) de Ionel Schein au projet de « Ville spatiale » (1959), entièrement modulable, extensible et démontable de Yona Friedman, les imaginaires se portent alors vers un mode de vie libre et presque sans attaches. Dans la décennie suivante, l’invention de la Cité aérienne (1964-65) de Pierre Székely qui évolue à plus de mille mètres d’altitude, la maison de vacances volante (1963-64) de Guy Rottier ou Instant City d’Archigram, poussent un degré plus loin ce fantasme d’un homme hors-sol, que la conquête spatiale contribue à éloigner de son ancrage terrestre. Dès l’époque, pourtant, l'image idéalisée du traveller hédoniste commence à se craqueler : dans My Wings (1970), Mario Terzic rejoue le mythe d’Icare pour mieux évoquer la guerre du Vietnam et l’enracinement, tandis que les architectes italien du groupe Cavart ou Ettore Sottsass font de l’architecture éphémère et du « bricolage » une charge contre la culture industrielle. Au fil des décennies, la figure dystopique du campeur post-apocalyptique héritée de la Guerre froide, bientôt relayée par celle du réfugié contemporain, prend ainsi le pas sur celle du voyageur émancipé, et annonce l'avènement d’une nouvelle mobilité planétaire largement contrainte par l'état du monde. Significativement, l’exposition se clôt ainsi par une carte blanche au PEROU, pôle d’exploration de ressources urbaines ayant notamment arpenté la jungle de Calais et qui entend expérimenter de nouvelles tactiques urbaines pour « fabriquer de l’hospitalité tout contre la ville hostile ».
"Partir - Architectures et mobilités"
Du 6 octobre au 12 décembre 2016
Château de Blois, 6 place du Château - 41000 Blois.
Tous les jours de 9h à 18h
Tarif plein : 10 euros
Nous réalisions déjà des balades urbaines depuis 2012. Ce qui nous a séduit avec le projet Migrantour, c'est le changement de paradigme dans le tourisme équitable qu'il propose. Habituellement, ce type de tourisme s'opère à travers des destinations exotiques, à des milliers de kilomètres. Ce projet permet de le recentrer ici et maintenant. Le voyage peut commencer ici, près de chez soi.
Au départ, il a fallu identifier et trouver les « passeurs de culture » et il a fallu du temps pour que nos différents partenaires nous accordent leur confiance. Depuis, nous avons lié des partenariats avec le Musée de l'histoire de l'immigration et l'Université Paris Descartes, la Ville de Paris et des acteurs de la Politique de la Ville et de l'économie sociale et solidaire.
Venant de tous horizons socio-culturels, ce sont souvent des personnes qui se sentent concernées ou qui ont un intérêt pour la diversité culturelle, qui travaillent dans des associations de quartier ou culturelles. La formation se déroule avec des étudiants en anthropologie de l'Université Paris Descartes avec lesquels les "passeurs" ont réalisé des enquêtes et travaillent pour élaborer des projets touristiques alternatifs. La prochaine session de formation débute fin septembre avec une promotion de 25 personnes.
Il y a en effet une influence. Il y a encore 2/3 ans, lorsque l'on faisait des balades, on percevait les migrants comme « des oiseaux migrateurs » ! Aujourd'hui, le mot "migrant" est systématiquement associé aux primo-arrivants. On le ressent avec certaines balades comme celle que nous proposons sur le thème des frontières à Saint-Denis. Beaucoup de gens hésitaient après les événements de novembre dernier. Nos balades se déroulent principalement dans l'est parisien, dans le 18e, 19e et le 20e arrondissement de Paris ainsi que dans sa proche banlieue. Ces mêmes lieux que le journaliste Nolan Peterson de l’émission de Fox News a identifié sur une carte de Paris comme des « No-Go-Zones ». Notre rôle est aussi de lutter contre les préjugés et les a-priori mais l'actualité n'arrange pas les choses.
"Nos balades se déroulent principalement dans l'est parisien, dans le 18e, 19e et le 20e arrondissement de Paris ainsi que dans sa proche banlieue. Ces mêmes lieux que le journaliste Nolan Peterson de l’émission de Fox News a identifié sur une carte de Paris comme des « No-Go-Zones »." Stefan Buljat
Paris se revendique comme la ville-Lumière, de la Liberté depuis le XIXe siècle. Une Ville-Monde qui n'est pas uniquement une image mais bien une réalité avec la présence de nombreux exilés politiques ; il y a eu aussi les migrations pour des raisons économiques, des gens ont vécu ici, portant en eux leur culture, façonnant le territoire par leur présence, leurs activités.Toutes ces migrations ont créé une capitale aux multiples visages avec une multitude de cultures. La future balade « Les petites Italies », par exemple, s’intéresse aux migrations transalpines des années 1930 qui ont transformé ou créé des quartiers entiers à La Courneuve en Seine-Saint-Denis. La balade Fashion Mix dans le quartier de la Goutte d'Or permet de mettre en lumière ce qu'ont apporté les migrants au développement du prêt-à-porter et à la mode parisienne. Paris est la ville la plus touristique au monde, notre ambition est de montrer qu'il n' y a pas que la Tour Eiffel et les Champs-Élysées mais que Paris, c’est aussi des quartiers populaires d'une incroyable richesse culturelle ! Ce patrimoine vivant et immatériel mérite d’être mis en valeur. Par ailleurs, Migrantour participera à un cycle de conférences à la Cité de l'architecture et du patrimoine à l'automne prochain pour évoquer ce Grand Paris cosmopolite.
A plus de 70 % ce sont des Franciliens, de Paris et de région parisienne qui cherchent à connaître les « codes » de ces quartiers pour acheter par exemple des produits dans une épicerie ou dans une boutique de Wax. Nous avons aussi quelques touristes étrangers. Récemment, une trentaine de jeunes venus de Tunisie, du Maroc ou encore de Serbie et Macédoine, hébergés par l'Auberge de jeunesse de la Halle Pajol dans le 18e arrondissement ont participé à des visites.
"Paris est la ville la plus touristique au monde, notre ambition est de montrer qu'il n' y a pas que la Tour Eiffel et les Champs-Élysées mais que Paris, c’est aussi des quartiers populaires d'une incroyable richesse culturelle !" Stefan Buljat
L'exotisme est un écueil mais il me semble qu'il est intrinsèque au tourisme ! On ne peut pas lutter contre l'exotisme mais on peut essayer de mettre en perspective, de montrer que l'altérité fait partie de paysage parisien, français et faire appel à l'imaginaire ! On souhaite éviter les lieux communs. En donnant la parole aux habitants eux-mêmes, à ces passeurs de culture, on fait en sorte que le migrant devienne un véritable interlocuteur. Leur discours et leurs propos leur appartiennent complètement ! Et les balades sont désormais payantes [ndlr : 15 euros la balade, la moitié est reversée au passeur]. Ce n'est pas tout à fait la même démarche que pour d'autres formes de tourisme alternatif.
Si en effet ! Si elle est faite de façon massive et incontrôlée. En ce qui nous concerne, nous réalisons quelques interventions ponctuelles et je pense que Barbès ne sera jamais les Champs-Élysées ! L'idée est de faire découvrir un territoire, d'apporter une valeur ajoutée au niveau économique en faisant découvrir des commerces sans jamais forcer à l'achat. Il est important de respecter une éthique et de ne pas transformer les habitants en animaux de foire ! Et cela ne peut pas se faire sans la collaboration des habitants eux-mêmes.
A seulement quelques mètres de la Tour Eiffel, en plein cœur de Paris, le chef Andrew Wigger du restaurant franco-californien Frame me conduit sur le toit de l'hôtel Pullman sur lequel est niché un jardin potager de près de 600 mètres carrés où poussent courgettes, aubergines, tomates, melon, figues, pommes, poires et romarin. Près d'une centaine de variétés de fruits, légumes et herbes aromatiques sont cultivés en fonction des saisons. Quatre ruches ont été installées, d'où partent les abeilles butineuses qui ont produit près de 180 kilos de miel en 2015. Les quelques poules qui caquettent dans un coin, fournissent les œufs du brunch servi le week-end. Un véritable îlot de verdure qui contraste avec le bâti ultra dense environnant. « Ce matin, j'ai cueilli des courgettes et des aubergines dont j'avais besoin pour mon plat du jour », m'explique le chef Andrew. A 32 ans, cet américain originaire du Missouri a fait ses armes auprès d'un chef français en Californie. Dans son restaurant, Andrew sert une cuisine fusion aux influences asiatiques et mexicaines typique de la gastronomie californienne, associée à la cuisine française. « J'ai grandi dans une ferme alors ici je me sens comme à la maison quand je cuisine les légumes du jardin. Chaque matin, j'observe ce qui est mûr ou non et je cueille ce qui va me servir pour les plats. Avoir son propre potager permet de mieux ressentir la saisonnalité, de se reconnecter à la nature et bien sûr les légumes ont beaucoup plus de goût ! »
La carte de l'établissement évolue chaque mois en fonction des récoltes. En ce mois d’août, le chef propose au menu la salade du jardin, uniquement composée des légumes du potager. Ce dernier ne permet pourtant pas de satisfaire tous les besoins en fruits et légumes... En fonction du temps, de l'ensoleillement ou de la pluie, le jardin permet d'atteindre une autosuffisance sur quelques produits et pour une semaine environ. « Nous produisons beaucoup de salades, et une semaine sur deux, nous n'avons pas besoin d'en acheter, ce qui correspond à une économie d'environ 400€ /mois », explique Andrew Wigger. Pour les autres produits, le restaurant essaie de privilégier au maximum une approche locale, sans toutefois s'interdire d'acheter des produits espagnols pour la nécessité d'une recette.
« Nous produisons beaucoup de salades, et une semaine sur deux, nous n'avons pas besoin d'en acheter, ce qui correspond à une économie d'environ 400€ /mois. » Andrew Wigger, chef du restaurant Frame (Paris)
L’installation et l'entretien du potager ont été confiés à Topager, une entreprise spécialisée dans les jardins potagers sur les toits et les murs végétalisés. Trois fois par semaine, un membre de l'équipe veille à l'état du jardin et replante une variété de fruits ou légumes en fonction des envies du chef. Impossible toutefois de connaître le montant d'un tel projet, la direction se refusant à le communiquer. A Paris toujours, l'école de gastronomie Ferrandi cultive ses propres herbes aromatiques sur son toit pour produire des fleurs comestibles et des aromatiques rares. « Ces produits sont fragiles et coûteux, la production locale permet ainsi des économies significatives et apporte une valeur gustative supérieure », peut-on lire sur le site internet de Topager. Aussi, le chef Yannick Alléno a été l'un des premiers à installer un petit jardin au-dessus de son restaurant « Le Terroir parisien », à la Maison de la Mutualité à Paris.
Et la pollution dans tout ça ? Contrairement à certaines idées reçues, la pollution de l'air n'a quasiment pas de conséquences sur la qualité des produits cultivés. Comme nous l'explique Nicolas Bel, fondateur de Topager, « la pollution de l'air affecte surtout nos poumons mais ne rentre pas dans les légumes ! Seuls les métaux lourds peuvent être un danger lorsque les végétaux sont placés en bordure de route. Nous effectuons des tests régulièrement qui révèlent des chiffres en dessous des normes européennes. » Des relevés par ailleurs obligatoires dans les réglementations sanitaires et les fruits et légumes du potager suivent la même procédure que ceux achetés sur le marché ou en magasin.
« La pollution de l'air affecte surtout nos poumons mais ne rentre pas dans les légumes ! Seuls les métaux lourds peuvent être un danger lorsque les végétaux sont placés en bordure de route. Nous effectuons des tests régulièrement qui révèlent des chiffres en dessous des normes européennes. » Nicolas Bel, fondateur de Topager
« Il n'y a pas de réglementations spécifiques pour les potagers sur les toits. Il y a actuellement un flou juridique car cette pratique reste encore anecdotique », précise Nicolas Bel.Ailleurs, d'autres chefs veulent aller encore loin. A Copenhague, le Danois René Redzepi, à la tête du Noma, a annoncé la fermeture de son restaurant fin 2016 pour le transformer en « ferme urbaine ». Le nouveau lieu devrait ouvrir dans le quartier de Christiania, quartier « libertaire » créé par des communautés hippie dans les années 1970. Réputé pour mettre un point d'honneur à cuisiner des produits de saison et locaux, le chef danois souhaite pousser davantage ses ambitions locavores à travers son restaurant-ferme doté d'une serre pour proposer, au maximum, une carte « zéro kilomètre ».
Pour commencer, attardons-nous sur la définition de la ville intelligente. Le magazine Raisonnance, la Revue internationale des maires francophones datant Juillet 2015 qui consacre son numéro à ce sujet propose de définir la « ville intelligente » comme « une ville où la démocratie locale, les rapports avec et entre les citoyens, les services publics, le développement culturel et socio-économique s’enrichissent au contact des technologies numériques ».Alors que le nombre de citadins ne cesse de croire [Près de 75 % de la population mondiale vivra en ville en 2050] dans un contexte d'urgences environnementales, les nouvelles technologies se positionnent comme des solutions efficaces pour mieux vivre en ville et optimiser l'accès aux ressources et aux services. En France, la ville d'Issy-les-Moulineaux s'affiche comme l'un des fers de lance de ce concept. Entre l'ouverture des données, le déploiement de services pour optimiser les stationnements et les déplacements mais aussi le développement d'un réseau intelligent pour maîtriser les consommations d’électricité à l'échelle d'un quartier, Issy-les-Moulineaux se positionne comme une « ville soucieuse de son environnement, capable d’éviter la congestion de ses infrastructures de transport, maîtresse de ses consommations (eau, énergie) et dotée de moyens de communication facilitant l’accès des citoyens à l’ensemble des services. »
« Il y a plusieurs générations de Smart City ou villes intelligentes, la première a été portée par les industriels et la seconde, vers laquelle nous sommes en train d'aller, est celle des villes de l'intelligence collective où les nouvelles technologies conservent un pouvoir important mais associent davantage les citoyens ». Alain Renk, architecte et urbaniste
Ailleurs, Rennes, Lyon ou Montpellier mettent en place des expérimentations pour construire la ville intelligente. Avec parfois quelques ratés et rétropédalages. A Nice par exemple, la municipalité a abandonné son système de stationnement intelligent mis en service en 2012 pour un montant de 10 millions d'euros après avoir constaté son inefficacité. « Cette smart City là, portée par des industriels, conduit davantage à la ville jetable qu'à la ville intelligente », estime l'architecte et urbaniste Alain Renk, également fondateur de UFO, une start-up technologique dont l'objet est de développer et d'expérimenter des outils d'intelligence collective dédiés à l'urbanisme. Selon lui, « il y a plusieurs générations de Smart City ou villes intelligentes, la première a été portée par les industriels et la seconde, vers laquelle nous sommes en train d'aller, est celle des villes de l'intelligence collective où les nouvelles technologies conservent un pouvoir important mais associent davantage les citoyens ».
En ligne jusqu'au 30 septembre 2016, la Ville de Paris a lancé un site Internet sous la forme d'un jeu à la « Sim City » qui propose aux Parisiens de dessiner eux-mêmes le prochain grand parc de la capitale, « la Chapelle Charbon » , qui sera situé dans le 18e arrondissement à l’horizon 2020-2023. Aux habitants de conceptualiser le paysage du parc et de prévoir les différents équipements. D'autres applications et plates-formes numériques comme City2Gether, Fluicity, ou Neocity adoptent le même principe : associer les citoyens à la fabrique de la ville, consulter et soumettre les projets au vote des habitants pour tenter d'adapter au maximum les usages au programme. Aussi connus sous le nom de « Civic Tech », ces outils portent en eux la promesse d'une ville plus participative. « Notre vision est liée à l'idée de ville contributive car nous pensons que la transition numérique, écologique, démocratique et économique demande un changement des comportements, et que cela ne sera possible que s'il y a une co-construction et donc une appropriation de la part des citoyens dans la façon de faire la ville, pour réduite le fossé qui sépare les élus et la société civile », estime Alain Renk. Pour répondre aux enjeux de construire des territoires contributifs, l'agence d'architecture a développé un outil de programmation augmentée.
"La transition numérique, écologique, démocratique et économique (...)ne sera possible que s'il y a une co-construction et donc une appropriation de la part des citoyens dans la façon de faire la ville, pour réduite le fossé qui sépare les élus et la société civile. » Alain Renk, architecte et urbaniste
La méthode propose aux habitants, via une tablette, de modifier la ville en prenant en compte différents choix d’aménagements (place du végétal, importance des pistes cyclables ou choix du mobilier urbain, etc.) grâce à une base de données d'images. Il s'agit aussi pour les participants de justifier et de commenter leur avis. « Ce qui est fascinant avec cet outil très ludique, c'est de se rendre compte que les élus et les habitants aspirent à des modèles de villes similaires : dense, végétalisée et bien pourvue en transports en commun. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, les habitants consultés privilégient l’intérêt commun et non l’intérêt particulier. Leurs choix vont en faveur des besoins de leurs enfants ou leurs amis ! Ils réfléchissent à du vivre-ensemble de façon naturelle », analyse Alain Renk.
Dans ce type de démarches, le numérique souhaite davantage rapprocher le citoyen de son cadre de vie. Car l'écueil serait aussi d'isoler les habitants. C'est par ailleurs la mise en garde soulevée par le spécialiste des villes intelligentes Carlos Moreno dans une interview publiée dans le magazine Raisonnance : « Il faut également évacuer l'idée selon laquelle une ville connectée est une ville intelligente. L'intelligence des villes, c'est ce souci constant de l'amélioration de la qualité de vie, c'est placer l'humain, tous les humains, au cœur du projet urbain. Si la ville connectée ne crée pas de lien social, elle peut devenir paradoxalement régressive, favorisant l'isolement, développant ce que nous appelons alors les « zombies-geeks », là où nous avons besoin de citoyens rompus au numérique certes, mais avant tout proactifs.»
"Si la ville connectée ne crée pas de lien social, elle peut devenir paradoxalement régressive, favorisant l'isolement, développant ce que nous appelons alors les « zombies-geeks », là où nous avons besoin de citoyens rompus au numérique certes, mais avant tout proactifs." Carlos Moreno, spécialiste des villes intelligentes
L'ouverture des données, la multiplication des capteurs et des objets connectés reliés en réseau sur internet inquiètent de nombreux citoyens et défenseurs des libertés individuelles quant à la sécurisation des données. Certes, la promesse n'est autre que d’améliorer la vie urbaine mais il est aujourd'hui impossible d'empêcher un éventuel piratage des données. De même, comment ne pas craindre la dérive vers une surveillance de masse accrue grâce à ces capteurs qui sont autant de mini mouchards, présents partout dans notre vie quotidienne ? Pour ce qui est des données d'utilité générale, il semble intéressant de parier davantage sur l'open source pour développer la ville intelligente en considérant les données comme des biens communs, comme le préconise la chercheuse Valérie Peugeot : « Si on trouve des controverses sur l’usage de la donnée, son contrôle, l’intérêt de la donnée n’est pas discuté. Les deux visions de la Smart City ne proposent ni l’une ni l’autre une utilisation plus frugale de la donnée. » Et la chercheuse d'imaginer une cogestion entre l’utilisateur du service et l’entreprise pour les données valorisées par des acteurs privés.
Le fait est bien connu : depuis 2008, la population mondiale est devenue majoritairement urbaine. Sur 1 000 m2, "Mutations urbaines" à la Cité des sciences (La Villette, Paris) explore non seulement les effets de cette irrésistible urbanisation, mais les alternatives possibles à un modèle de développement métropolitain préjudiciable à l'environnement et la qualité de vie. Pour ce faire, l'exposition se déploie en trois temps. Intitulé "Villes sous tensions", le premier d'entre eux évoque la complexité des systèmes urbains contemporains à travers une série de panneaux et de dispositifs interactifs, souvent ludiques. Il aborde tour à tour la consommation énergétique des mégapoles contemporaines, les modes de déplacements des citadins (des enfants, notamment), la densité et sa relation avec le type d'habitat, le développement de l'habitat informel, la question migratoire ou encore la multiplication des dispositifs de surveillance.Au sein d'un deuxième espace, "Terre urbaine" complète cet état des lieux et immerge le visiteur dans un vaste dispositif de data-visualisation et de data-sonorisation projeté sur un écran hémisphérique de 8 mètres de long et 3,5 m de haut.Enfin, l'espace "Devenirs urbains" présente quelques-unes des initiatives menées aujourd'hui pour favoriser l'avènement d'une ville plus "durable" et plus résiliante. Des "incroyables comestibles" à la culture hors-sol de fruits et légumes (fermes verticales, serres sur toits d'immeubles, etc.), en passant par le développement du vélo à Copenhague, l'exposition invite le visiteur à un questionnement sur ce que serait, en dernière analyse, une ville souhaitable, où il ferait bon vivre…Si "Mutations urbaines" expose des données et des initiatives bien connues de tous ceux qui réfléchissent à la ville, elle offre un aperçu des questions urbaines d'autant plus profitable au néophyte qu'elle mobilise des dispositifs ingénieux et ludiques. A voir en famille, donc.
Mutations urbaines, jusqu'au 17 mars 2017 à la Cité des sciences et de l'industrie, Paris
A partir de 11 ans
Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h, le dimanche de 10h à 19h.
Plein tarif : 12 euros
L’ouvrage n’était plus disponible, il annonce et complète, Désastres urbains. Les villes meurent aussi, publié en 2015 et tombe à pic avec Habitat III en octobre à Quito et avec « Mutations urbaines » à la Cité des Sciences, dont je suis le conseiller. Cette urbanisation liée au productivisme débute avec la « révolution industrielle » et se déploie entièrement avec la globalisation. Deux phénomènes s’imposent à la fin du XXe siècle, la préoccupation environnementale et le numérique.
Le pire que je redoutais, malheureusement advient. Il s’agit de la transformation volontaire des individus en dividus, pour reprendre la formulation de Günther Anders dans L’Obsolescence de l’homme (1956, traduction française en 2002).
Il n’existe pas d’idéal de ville, il y a diverses modalités d’urbanisation, dont ce que j’appelle « ville », caractérisée par l’entremêlement de ces trois qualités. L’urbanisation à l’œuvre s’effectue sans ville et contre les villes, comme les gated communities.
Avec les mégalopoles, l’esprit de la ville ne peut se maintenir, se renouveler et s’enrichir, il est chahuté par une concentration trop importante d’habitants (des millions !) qui entrave tout processus participatif et délibératif propre à une certaine démocratie. Des enclaves résidentielles privées sont gérées par un staff et non pas administrées par un conseil élu pour un mandat.
La métropolisation est bien ancienne, on ressort le mot pour la communication, il ne s’agit pas de cela, mais du contrôle des territoires par l’économie. C’est cette dépossession du politique que je dénonce et c’est pour le conforter que je suggère de nouvelles territorialités mieux adaptées aux modes de vie, comme la possibilité d’élire le maire de sa commune de résidence, celui de là où vous travaillez, celui du village où vous passez vos vacances… Il convient de favoriser le débat partout et d’associer en permanence les habitants à toutes les décisions qui les concernent.
Ces agencements son variés, aussi n’y a-t-il en commun que le regroupement des populations pour des motifs souvent différents. Le tourisme massifié exige des équipements qui sont semblables ici ou là. De même les campus, les centres commerciaux, les lotissements pavillonnaires, etc. se ressemblent de plus en plus, ils sont dessinés et construits par une poignée de groupes transnationaux et on y vit de la même manière. En ce sens, il y a un « modèle »… que je trouve effrayant et qu’il faut combattre !
J’étudie « l’urbanisation des mœurs » dans Homo urbanus (1990) et veux montrer par cette formulation que l’urbanisation ne se résume pas à un pourcentage de répartition de la population selon qu’elle réside en ville ou à la campagne. Pour moi, l’urbanisation est un processus de changements culturels qui vise à homogénéiser les pratiques alimentaires, vestimentaires, sexuelles, affectives, éducationnelles, etc., selon les standards urbains. Elle participe grandement aussi à un imaginaire commun, comme en témoignent les séries télévisées.
L’exode urbain appartient à la phase actuelle de l’urbanisation et ne produit pas une « ruralisation des mœurs ». Nous sommes tous des urbains, sans pour autant être obligatoirement des citadins, c’est-à-dire des individus agissant politiquement sur leur cadre de vie. Ce qui peut advenir serait plutôt une écologisation de nos modes de vie, mais je crois au Père Noël…
Les TIC, plus si nouvelles que cela, changent principalement notre compréhension de l’espace et du temps, notre façon de les vivre et de les représenter. C’est une modification anthropologique dont on mesure mal la portée : nouvelle hiérarchisation des sens, seconde oralité, approches inédites de la distance et de la proximité, valorisation de no man’s time (l’attente, l’ennui, la sieste…), etc. C’est tout une autre univers mental qui s’ouvre à nous.
La question environnementale est fondamentale, elle nous oblige à envisager autrement nos relations avec le monde vivant et entre humains, aussi faut-il développer une écologie temporelle (qui prenne en compte la chronobiologie de chacun et les harmonisations des temps sociaux et personnels), une écologie des langues (nous habitons avant tout notre langue), une écologie des territoires (l’être humain se révèle topophile), etc. Cet ensemble, je le désigne par « écologie existentielle », afin de souligner son importance philosophique et pas seulement sa dimension « défense et protection de la nature »…
L’urbanisme est le moment occident de l’urbanisation productiviste, il se révèle agressif, imposé, dominateur et parfois anxiogène. Il ne peut aucunement devenir « décent » comme je l’espérais, il repose sur la spéculation foncière et la rationalisation territoriales des fonctions, il faut rompre avec lui et expérimenter de nouvelles manières de fabriquer la demeure des humains plus soucieuses de ménager (c’est-à-dire « prendre soin ») des gens, des lieux et des choses.
Il y a des « villes » qui ont trop duré, comme Dubai ! Je plaisante, mais cette notion de « ville durable » n’a aucun sens, du moins, je ne la comprends pas. La smart city appartient à la mode, d’ici peu on aura oublié cette formule remplacée par une autre comme data city ou écopolis, qui disparaitront également…
Pour en savoir plus :
Thierry Paquot, Terre urbaine, cinq défis pour le devenir urbain de la planète, éditions La découverte, 228 pages, 21 €
Île résidentielle, lieu de villégiatures et de loisirs, site d'activités agricoles ou industrielles, île inhabitable, abandonnée, disparue ou parfois privée, une grande mixité d'usages caractérise les quelques 117 îles de la Seine, de Conflans-sur-Seine à Rouen. A travers des plans, affiches et photos d'époque, l'exposition donne à voir la singularité des quelques trente-deux îles mises en avant. Les machines de l'île Marly, le parc de l’île du Moulin-Joly, l'île Saint-Louis et son ancien port d'amarrage, l'île des Impressionnistes et ses guinguettes ou encore l’île Seguin, reconnaissable entre toutes, façonnée pendant des siècles par la présence de l'usine Renault et qui, demain, sera transformée en Cité Musicale par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines. Pour chacune de ses îles, un morceau d'histoires, un récit anecdotique ou non, plonge le visiteur dans le passé de ces espaces insulaires et le fait voyager dans le mythe de ces lieux particuliers.Cette exposition se déroule dans le contexte d'une récente revalorisation des axes fluviaux et de la Seine à l'échelle de la métropole. Comme l'écrit Milena Charbit, architecte et commissaire scientifique invitée : « Alors que la Seine est au centre d’importantes stratégies urbaines contemporaines, telles que la consultation du Grand Paris avec Seine Métropole d’Antoine Grumbach, le prolongement de la ligne Eole (RER E) le long du fleuve d’ici 2022, ou encore l’appel à projets « Réinventer la Seine » (Paris – Rouen– Le Havre) lancé en mars 2016, cet ouvrage entend contribuer à la découverte de ce territoire en archipel, lieux de lenteur, amas d’alluvions arrachés aux nombreux méandres du fleuve. »
Iles de la Seine, Exposition créée par le Pavillon de l’Arsenal, du 4 juin au 2 octobre 2016
Pavillon de l’Arsenal - Centre d’urbanisme et d’architecture de Paris et de la métropole parisienne
21, boulevard Morland 75004
Entrée libredu mardi au samedi de 10h30 à 18h30, le dimanche de 11h à 19h