La ville à l’heure du changement.
A Venise, la biennale d'architecture mise sur l'adaptation

En sondant la manière dont diverses formes d’“intelligences” peuvent venir au chevet du climat, Carlo Ratti, commissaire général de la 19e Biennale d’architecture de Venise, signe une édition spectaculaire, mais pleine d’ambivalences…

Une Biennale d’architecture placée sous le signe de l’intelligence ? Vu la trajectoire de son commissaire Carlo Ratti, il n’y a là rien qui doive surprendre. L’ingénieur et architecte italien est en effet à la tête du MIT Senseable City Lab, dont le crédo est de développer et mettre en œuvre divers outils et applications numériques permettant aux citadins de mieux interagir avec leur environnement. 

Le thème de la 19e édition de la Biennale de Venise ne se réduit pas pour autant à mesurer l’apport de l’intelligence artificielle dans le pilotage et la gestion des villes. En accordant le terme au pluriel, il s’agit plus largement de voir comment trois approches différentes - la première fondée sur la nature, la deuxième sur les technologies, la troisième sur l’humain et le collectif - peuvent se conjuguer pour répondre à un défi majeur : le dérèglement climatique. 

Des solutions de toutes natures

Dans la Corderie de l'Arsenal qui accueille pour cette édition l’exposition principale, l’enjeu est posé dès l’entrée. Plongés dans le noir, une série de climatiseurs y saturent l’air d’une chaleur étouffante. Il faut passer dans la salle suivante pour renouer avec la fraîcheur du bâtiment et découvrir un ensemble de “solutions” fondées sur la “nature” : végétaux, minéraux, mais aussi culture de micro-organismes…

Dans le pavillon du Canada, le projet Picoplanktonics mise sur la culture de plancton pour créer une architecture durable et résiliente


La salle suivante tranche avec la douceur de cette première section, où les matériaux les plus vernaculaires (briques, pierre, chaume, corde…) composent une série d’abris spectaculaires (arches, tentes, etc.) : on y aborde l’apport des nouvelles technologies au pilotage des villes via un ensemble de projets comme celui de Sidewalk Labs, chantre de la smart city imaginé pour la ville de Toronto, et abandonné.

Am I a strange loop ? de Takashi Ikegami et Luc Steels dans la section "Artificial" de l'exposition à l'Arsenal

Il y est aussi possible d’y converser avec un robot humanoïde conçu par Takashi Ikegami et Luc Steels  (Am I a strange loop ?), qui semble à l’opposé de l’idée développée dans la salle suivante, selon laquelle c’est la discussion, le débat, l’agir politique qui sauveront le monde. Dans cette section, domine l’impressionnante agora en bois (le speaker’s corner) conçue par Christopher Hawthorne, Johnson Marklee et Florencia Rodriguez. S’y dégage l’idée générale que l’architecture et l’aménagement sont une forme de ménagement, une culture du soin et de l’attention. 

A la corderie de l'Arsenal, une installation faite de climatiseurs plonge l'entrée de l'exposition dans une chaleur étouffante

S’adapter ou trouver une planète B ? 

Fruit d’une consultation mondiale, “space for ideas”, qui a permis d’ouvrir la Biennale à environ 750 participants et de souligner la diversité des approches de l’architecture, cette 19e édition pose question pour plusieurs raisons. A parcourir les divers pavillons situés dans les Giardini, on comprend que le discours global en matière de dérèglement climatique a définitivement tourné une page : celle de l’atténuation. Malgré la gravité des constats opérés ici et là, dont le pavillon du Chili, qui souligne de manière spectaculaire l’impact des data centers, il s’agit désormais de s’adapter. C’est notamment le discours à l'œuvre dans l'espace d’exposition aménagé par l’agence Jacob & McFarlane devant le pavillon français, fermé pour rénovation : intitulée “vivre avec”, leur proposition tourne au catalogue de projets séduisants, mais dont on devine d’emblée l’insuffisance. 

Le pavillon français conçu par l'agence Jacob & McFarlane invite à "Vivre avec"


Carlo Ratti semble lui-même douter de la capacité de l’architecture à faire face à l'immense défi de l’adaptation. C’est en tous cas ce que suggère la dernière salle de l’exposition dont il signe le commissariat à l’Arsenal. Il n’y est plus question d’intelligence naturelle, artificielle ou collective, mais bien de survie en milieu hostile. Dans l’obscurité, diverses tentes, combinaisons, dispositifs émergent, et dévoilent autant d’outils et de moyens de s’implanter dans l’espace. Façon de suggérer que si, il y a bien une planète B ? Ou plutôt de pointer l’urgence d’agir pour éviter la fuite dans l’espace ?  Quoi qu’il en soit, l’ensemble fait froid dans le dos, et tempère sérieusement l’optimisme et la séduction des projets présentés par ailleurs.

Dans la dernière salle de l’Arsenal, un abri pour survivre dans l’espace
SPACESUITS US: A CASE FOR ULTRA THIN ADJUSTMENTS d’Emily Ezquerro, Jerónimo Ezquerro, Charles Kim, Stephanie Rae Lloyd, Emma Sheffer et Sam Sheffer

Infos pratiques

19e biennale d'architecture de Venise - du 10 mai au 23 novembre 2025

L’exposition se déroule dans deux lieux différents (à 10 minutes à pied l’un de l’autre). Les horaires d’ouverture sont valables pour les deux lieux de visite.

Giardini : Viale Trento 1260 und Sant’Elena (Viale IV Novembre)

Arsenal : Campo della Tana 2169/F et Ponte dei Pensieri (Salizada Streta)

Horaires : 11h-19h

2025-06-05
Sébastien Thiéry : « La Jungle de Calais est une ville-monde, une forme urbaine à venir »

Sébastien Thiéry est politologue et coordinateur des actions du PEROU, Pôle d'Exploration des Ressources Urbaines. Cette association fondée en septembre 2012 avec Gilles Clément développe des recherches dans de multiples hors-champ de la ville : bidonvilles, camps, refuges en tout genre, etc. La structure accompagne actuellement la création d'une ville nouvelle par les migrants et Calaisiens et participe à l'exposition « Habiter le campement » à la Cité de l'architecture.

Pouvez-vous nous présenter le PEROU ?

Le point de départ a été pour moi les troubles nés de l'action avec l'association les Enfants de Don Quichotte et le constat d'une inculture crasse des acteurs du champ social à l'endroit de la ville et de l'architecture et d'une pratique nulle des architectes et urbanistes sur les modules de sans-abri qui ne sont que des spéculations formelles. Le PEROU est un laboratoire né de cette articulation forte entre une dimension de recherche sur la question urbaine et architecturale et entre des actions politico-militantes. Nous travaillons sur ce qui est porteur d'avenir à l'interface entre la ville et le bidonville, sur des constructions matérielles mais aussi sur des situations d’expérimentations pour raconter que d'autres choses sont possibles.

La création du PEROU préexiste à la jungle de Calais. En quoi le Pérou y a-t-il trouvé là matière à réflexion ? Et à action ?

Il y a 3 ans, alors que les jungles étaient diffuses dans la ville, on a commencé à travailler avec des chercheurs en graphisme sur un projet de journal co-construit avec des migrants et diffusé dans la ville. Ce fut une manière pour moi de prendre le pouls de cette situation, de mieux saisir l’épaisseur des récits, des hommes et des langues. L'été dernier, j'ai écrit une intention «  New jungle Délire », un projet de recherche qui rassemble 8 groupes de recherche (architectes, anthropologues, géographes, paysagistes, ect.) augmenté d'un projet photographique. Ce projet fait référence à Rem Koolhaas dans l’introduction de New-York Delire, ouvrage publié en 1978 qui est un manifeste rétroactif pour Manhattan, l'envisageant comme une émergence urbaine du XXe. L'hypothèse pour la New Jungle est de se demander si elle n'est pas une forme urbaine du XXIe siècle qui n'aurait pas encore son manifeste, qui n' aurait pas encore sa condition d'urbanité et de travailler à la documenter et la cartographier.

"Nous travaillons sur ce qui est porteur d'avenir à l'interface entre la ville et le bidonville, sur des constructions matérielles mais aussi sur des situations d’expérimentations pour raconter que d'autres choses sont possibles." Sébastien Thiéry, fondateur du PEROU

Pouvez-vous repréciser l'enjeu de ce projet devenu un appel à idées intitulé «  Réinventer Calais » ?

On ne va rien construire sur Calais car il se construit déjà tellement de choses ! Il s'agit d'un véritable défi de rendre compte de ce qui s'invente dans la Jungle. Alors que la destruction commence à se mettre en œuvre, notre propos est une fiction dans laquelle les acteurs politiques lancent un appel à idées pour faire un Réinventer Calais. Le postulat est de se dire qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire à Calais. Samedi 9 avril, nous avons distribué un journal « L’Autre journal d’informations de la ville de Calais », dans les rues de Calais. On y retrouve La lettre que la maire de Calais n’a pas adressée aux Calaisiennes et Calaisiens qui devient l'édito et un entretien où les acteurs publics expliquent qu'ils font volte-face sur cette question. Calais devient alors la capitale européenne de l'hospitalité. C'est un vrai appel à idées avec 9 grands projets qui sont des spéculations à partir de l'existant et des projets pour le bidonville et la ville. L’idée est d'accompagner une cité éphémère du XXIe siècle sur 5 ans, travailler sur des formes d'urbanité éphémères comme s'il s'agissait d'un village olympique à l'occasion des Jeux avec l’accueil de 5000 personnes venus du monde entier entraînant le développement d'infrastructures et d' équipements publics et de montrer comment cela génère de l'économie et de la ville. L'enjeu est de recueillir un certain nombre de réponses d'étudiants et professionnels de la fabrique de la ville, et les déposer à l'automne prochain sur le bureau des acteurs publics et sur celui des candidats à l’élection présidentielle.

Dans La lettre que la maire de Calais n’a pas adressée aux Calaisiennes et Calaisiens, la jungle est présentée comme une «  extraordinaire ville mondialisée, généreuse et active ». Cela va à contre-courant du portrait dressé habituellement par les médias...Calais c'est aussi des écoles, des théâtres, des restaurants ? Qu avez-vous observé en allant sur le terrain ?

On n'est jamais arrivé à raconter sur ce qui se passe réellement à Calais. Il y a une telle croûte médiatique sur ce sujet qui fait que rien ne perce. C'est stupéfiant. La moitié a été rasée mais la Jungle, ce sont des shelters [des habitats préfabriqués en bois construits par les associations Help Refugees et l’Auberge des migrants], 48 restaurants, une trentaine d'épiceries, 3 écoles, 2 théâtres, une Église, une boite de nuits, une « Wharehouse » [une sorte de recyclerie qui organise les dons dans un entrepôt de 1700 mètres carrés].Les migrants (ils étaient environ 5000 début mars 2016) sont des bâtisseurs de « lieux de vie » comme l'a relevé, dans son ordonnance du 25 février 2016, le Tribunal administratif de Lille. C'est monstrueux ce qui a été construit par des migrants, avec l'appui de bénévoles venus du monde entier. C’est une folie et une beauté incroyable, à mille lieux du désastre et de la xénophobie que l'on décrit systématiquement. Mais les acteurs publics et du monde social ne peuvent entendre ce discours.

Baraque sur lesquelles est inscrit « Lieu de vie », début mars 2016. crédit : Sébastien Thiéry
Baraque sur lesquelles est inscrit « Lieu de vie », début mars 2016. crédit photo : Sébastien Thiéry

Il n'y a donc pas de violence dans la Jungle ?

Quand la jungle devient impasse, évidement les passeurs arrivent mais il y deux manières de défaire ce marché : ouvrir les frontières et construire l'hospitalité ici-même, travailler sur les procédures d'asile. Mener une politique accueillante et ambitieuse casserait ce marché. Il est impossible politiquement de dire que l'on va accueillir….

"La Jungle de Calais, ce sont des shelters, 48 restaurants, une trentaine d'épiceries, 3 écoles, 2 théâtres, une Église, une boite de nuits, une « Wharehouse »." Sébastien Thiéry

La violence, elle est générée par ce qui se détruit. C’est la conséquence directe de l'incurie des politiques publiques. La Jungle est une chance pour Calais. Il y a un manque de vision.

La solution est la réhabilitation plutôt que la destruction de la jungle ?

On ne défend pas le bidonville. La question c'est comment on se positionne face à cette situation, comment en l'accompagnant on le transforme. Ce qui fait que le bidonville demeure bidonville, c'est justement les politiques publiques qui ne cessent de pérenniser le bidonville dans sa forme invivable. Une ville est à 90 % des cas est un bidonville qui a réussi. C’est un processus simplement de développement si on prend soin de ce qui s'invente. En une demi journée, la boue on l’éradique...Si on fait un peu d'histoire, les formes urbaines sont par définition le résultat d'un processus de transformations, d'installations. Il faut transformer l'existant pour lui donner des formes plus désirables.

Peut-on désigner la jungle comme un bidonville ? À quelles formes urbaines existantes la rattacher ?

C’est un lieu unique au monde où règne une solidarité internationale extraordinaire et cela ça n'existe nulle part ailleurs. Je ne connais aucun autre bidonville qui a été co-construit dans une telle épopée ! Les matériaux viennent du monde entier, les habitants viennent du monde, c’est une forme très singulière et contemporaine du bidonville. C’est une ville-monde, une forme urbaine à venir. Une « Jungle », gardons ce terme puisque c’est comme cela que les migrants l'appellent. C'est quelque chose qui est méconnu, qui 'a pas d'existence repérable dans l'histoire.

Une vue de la jungle de Calais. Crédit photo : Sébastien Thiéry

Quel avenir voyez-vous pour la Jungle ?

Aujourd'hui, il est dessiné par les pelleteuses donc elle n'ira pas bien loin. Lesbos, Vintimille, Lampedusa, c'est cela l'avenir. Ce n'est pas un vœu juste un constat. D'après l'ONU, en 2030, 1/3 de la population vivra en bidonville. Est-ce qu'on veut que les gens y « croupissent » ou l'on invente d'autres manières de les accueillir. Calais est en cela une formidable vue sur l'avenir.

Heroic Land est un projet de parc d’attractions prévu à l'horizon 2019 à Calais pensé comme une mesure compensatoire face à la crise des migrants d'un montant de 275 millions d’euros. Quel regard portez-vous sur ce projet et sur ce choix d’aménagement du territoire opéré par les autorités locales ?

Il est cohérent avec le reste ! Qu'est qu'un parc d'attractions sinon une prise de congés du réel ? Un parc d'attractions, c’est détourner l'attention du réel. « Heroic land » ! Alors que tant de héros qui ont traversé les mers sont juste à côté. C’est un mépris du réel. On est en train de dépenser 275 millions d'euros pour distraire le peuple. On a chiffré l'appel à idées « Réinventer Calais », cela représente 28 % de Heroic land. Sauver Calais passe par l’arrêt rapide et urgent de ce programme.

La jungle est-elle une forme d'utopie ?

La Jungle est pleine d'utopies mais elle n’est pas que de l'utopie. Elle est aussi de la boue et de la violence. Ce qui nous intéresse est ce qui fait promesse.

Pour en savoir plus :

« Réinventer Calais » sera présenté à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine de Paris (lire notre article), à la Biennale d'Architecture de Venise le 28 mai, et à l'exposition « constellation.s » à Bordeaux le 3 juin.

2016-04-13
Portrait : Le Sens de la Ville, pour une ville cousue main

Trouver un sens, une direction à la ville de demain. Voilà l'ambition du nouveau collectif pluridisciplinaire parisien Le Sens de la Ville qui travaille sur la fabrique urbaine. Urbanistes, sociologues, architectes, ingénieurs, paysagistes et écologues, ces six professionnels proposent de concevoir une  ville « cousue main »,  car c'est comme cela qu'ils entendent procéder : artisanalement et collectivement. Rencontre.

Un collectif pour faire un pas de côté

C'est au quatrième étage d'un immeuble de la Cité Bisson dans le XXe arrondissement de Paris que le Sens de la Ville, un tout jeune collectif constitué il y a un peu plus d'an an, se réunit. Partageant une vision commune de la ville de demain, ces six acteurs de la ville, tous âgés d'une trentaine d'années décident de répondre à l'appel à projets innovants « Réinventer Paris » lancée par la Mairie de Paris en novembre 2014. « On se connaissait tous, différemment et autour de projets à géométrie variable, raconte Flore Trautmann, urbaniste et sociologue. Avec Gaétan Engasser (architecte-urbaniste/ Agence aEa) et Vincent Josso (urbaniste-architecte-ingénieur) on avait déjà travaillé il y a 7 ans sur un projet d'habitat participatif, puis Nicolas Bel (jardinier), Frédéric Madre (écologue) et Fanny Rahmouni (urbaniste) se sont greffés naturellement. La consultation de Paris a été le propulseur pour se structurer [en SCOP : société coopérative et participative], de se tester sur un projet ».

Tous ressentent à ce moment là l'envie de pouvoir « sortir la tête de l'eau » dans leurs pratiques professionnelles et d'échanger autour de leur vison commune de la ville. « Le Sens de la Ville nous permet de faire un pas de côté, explique Vincent Josso. Le collectif est né d'une envie de faire tomber les barrières parfois trop étanches que l'on rencontre dans l'exercice de notre profession, de décloisonner, de porter un regard collectif sur la ville, incarné dans des projets ». En somme un Think & Do Tank Urbain, comme ils se présentent eux-mêmes.

« Le Sens de la Ville nous permet de faire un pas de côté. Le collectif est né d'une envie de faire tomber les barrières parfois trop étanches que l'on rencontre dans l'exercice de notre profession, de décloisonner, de porter un regard collectif sur la ville, incarné dans des projets. » Vincent Josso, membre du collectif Le sens de la Ville

Leur méthode : le « cousu main »

Véritable manifeste de leur approche, le projet « Réinventer Paris » sur le lot Ourcq-Jaurès rebaptisé « Echo-logis » est une proposition de lieu de tourisme alternatif au sein du Grand Paris. Articulé autour de l'alimentation durable en ville, il regroupe un hôtel, des logements, une école d'agro-écologie, un atelier et un restaurant de cuisine bio-végétarienne. Non retenu, le projet a été conservé pour être exploité sur un autre site, encore non déterminé.Leur méthode de travail repose sur une approche circulaire. Leur ambition est de mettre au cœur du projet et autour de la table dès l'origine, les utilisateurs finaux et ainsi faire dialoguer le programme, la forme et le bilan. Comme le précise Flore Trautmann : « On adaptera ce projet au territoire d'implantation, en fonction du diagnostic et des acteurs locaux avec lesquels on pourrait travailler. C'est le « cousu main » : échapper au standard et faire du sur-mesure ».

Perspective du projet « Echo-logis », une proposition de lieu de tourisme alternatif au sein du Grand Paris

Pour ces jeunes acteurs de la fabrique urbaine, cette approche permet de replacer l'occupant à l'origine de la commande et ainsi de sortir du produit immobilier standardisé grâce à un processus davantage fondé sur la coopération entre les différentes parties prenantes.Autre projet phare, laboratoire de cette méthode : L'Escalette à Mouvaux dans le Nord-pas de Calais. Un projet de transformation d'une cité-jardin en quartier autonome en énergie. Ce quartier dit «  en Troisième Révolution Industrielle » est l’un des 20 projets régionaux retenus lors du World Forum de Lille 2013 dans le prolongement du master plan Troisième Révolution Industrielle pour la Région Nord-Pas-de-Calais, piloté par Jeremy Rifkin. « Dix associés sont regroupés dans cette équipe dont l'agence « aEa » et Le Sens de la Ville, précise Gaétan Engasser. C'est un peu une première en France. Ce projet est une réflexion sur comment on rend un quartier autonome en énergie, comment on valorise le patrimoine existant tout en répondant à la nécessité d'augmenter la densité, donc construire un certain nombre de logements ». Le projet très ambitieux pourrait sortir de terre d'ici 3 à 10 ans. De premières phases d’expérimentation vont être mises en place à l'échelle 1 et des premiers prototypes opérationnels verront prochainement le jour. « C'est un projet très excitant, ajoute Gaétan Engasser. Il est pluriel car il empile toutes les couches de complexité de la ville et permettant un travail sur les espaces urbains, les réseaux, avec une copropriété mixant logements sociaux et privés, de la concertation, des réflexions sur l' économie circulaire, sur l'usage. « On interroge les acteurs locaux, on recueille les marques d'intérêt, on intègre leurs demandes, les choses sont ainsi bousculées dans l'ordre de la commande », indique Flore.

"La ville doit être un écosystème urbain où les déchets organiques sont recyclés localement, évitant au maximum les flux et les nuisances. Une ville végétale favorise le bien être." Nicolas Bel, membre du collectif Le sens de la Ville

Une ville nutritive, collective et joyeuse

Ces projets sont autant d'occasions de tester leur approche et de l’expérimenter. Nicolas Bel et Frédéric Madre contribuent à semer l'idée d'une ville nutritive et riche en biodiversité. « Ma vision de la ville de demain repose sur une symbiose avec la nature qui passerait notamment par le retour des animaux sauvages en ville avec par exemple des corridors pour les renards ou des « immeubles-collines » qui offriraient une continuité entre le sol, les murs et les toits pour favoriser au maximum ces corridors. La ville doit être un écosystème urbain où les déchets organiques sont recyclés localement, évitant au maximum les flux et les nuisances. Une ville végétale favorise le bien être », estime Nicolas Bel. Le Sens de la Ville se veut un collectif militant. « Dans la règle du jeu urbaine, on reproduit souvent les mêmes projets, les mêmes programmes et souvent avec les mêmes personnes », considère pour sa part l'architecte Vincent Josso. Et en ce moment des choses bougent comme la démarche « Réinventer Paris ». Aujourd'hui, la ville n'est pas très joyeuse, pas très juste et c’est cela que l'on veut changer : dépasser ce jeu global de la fabrique urbaine qui nous dépasse et faire une ville plus inclusive car pensée de façon collective, plus durale, plus joyeuse».

Mouvaux Projet Hep (Habitants à énergie positive)

L'équipe a par ailleurs lancé un questionnaire à destination de toutes les équipes candidates de « Réinventer Paris » pour partager leurs expériences sur cet appel à projets inédit. « Cette démarche a été une vraie « bombe » positive dans la fabrique urbaine. Il nous semblait intéressant de s’interroger ensemble sur les nouveaux modes de faire la ville notamment en vue des « prochaines saisons » de la série Réinventer…  », ajoute Vincent Josso. Le 9 mars, une soirée à l’Hôtel de Ville de Paris est prévue où Le Sens de la Ville et Urbanova animeront un partage d’expériences. Un temps d'échanges indépendant de la Ville de Paris, suivie par une intervention de Jean-Louis Missika, Adjoint à la Maire de Paris, en charge de l'urbanisme.Une belle vitrine pour Le Sens de La Ville qui met en action ses convictions : jouer collectif pour dessiner les contours des méthodes de la fabrique urbaine de demain.

2016-03-06
L'habitat participatif s'expose au Pavillon de l'Arsenal

Une exposition au Pavillon de l'Arsenal dresse un panorama de l'habitat participatif en dévoilant les lauréats et finalistes du du premier appel à projets lancé en 2014 par la Ville de Paris pour la construction de 3 immeubles participatifs.

A l’initiative d'habitants qui se regroupent pour mettre en commun leurs ressources pour concevoir, réaliser et financer ensemble leur logement, les projets d'habitat participatif suscitent un engouement depuis quelques années en France. Le Pavillon de l'Arsenal de Paris dévoile depuis le 19 mars dernier, l'exposition « Habitat participatif- 3 sites 12 projets » rassemblant les lauréats et finalistes du premier appel à projets lancé en 2014 par la Ville de Paris pour la construction de 3 immeubles participatifs.

A travers leurs usages innovants (espaces mutualisés, toit-potager, espace de coworking, café associatif, coursives habitées et terrasses suspendues, atelier de fabrication et bricolage) et leurs ambitions fortes en matière de sobriété énergétique et de biodiversité (gestion des eaux de pluie, installations photovoltaïques, ventilation naturelle), les trois projets d’habitat participatif retenus confirment que l'innovation et la durabilité sont au centre de la construction actuelle. Autre point fort de cette forme d'habitat : l'ouverture sur le quartier. Les lauréats ont tous consacré une partie de leurs mètres carrés à des espaces ouverts non seulement à tous les résidents de l'immeuble mais aussi aux voisins et habitants du quartier. Ainsi, le projet du 16/18 rue Armand Carrel dans le 19e arrondissement de Paris comprend un atelier, un social club, une cuisine commune, une toiture végétalisée et une serre. Au 20 rue Gasnier-Guy dans le 20e arrondissement, le jardin de 170 mètres carrés sera ouvert à tous. A quelques mètres de là, au 9 rue Gasnier-Guy, les habitants élaborent un projet solidaire tourné vers le quartier en partenariat avec d’autres associations qui offrira des espaces diversifiés et ouverts comme une salle de musique et une salle de coworking.L'exposition, qui fait suite au jury, vient clore la phase 2 de l’appel à projets Habitat participatif. Prochaine étape : les trois groupes « lauréats » vont déposer un permis de construire et signer une promesse de vente pour l’acquisition des trois parcelles, d’ici septembre 2016.

2016-03-25
Vers une ville adaptée aux besoins des enfants ?

Ce soir jeudi 3 mars, le CAUE de Paris consacre la 6e édition de ses « Petites leçons de ville » aux enfants. L’occasion pour midi : onze de questionner la place dans l’espace public contemporain de ces grands oubliés de l’urbanisme…

La ville, nous rappelait récemment le géographe Yves Raibaud, est d’abord une affaire d’hommes blancs, en bonne santé et sans obligations familiales. La situation des enfants n’est pas vraiment de nature à lui donner tort : cantonnés à quelques aires de jeux et quelques squares chétifs, mais globalement privés de rue s’ils ne sont pas accompagnés et même sommés de rester entre quatre murs au moindre pic de pollution, ces derniers font figure d'exclus de la ville et semblent compter parmi les oubliés de l'aménagement urbain.

Pourtant, ici et là, quelques signes laissent entendre qu’une prise de conscience pourrait s’amorcer en leur faveur. Après l’exposition que Thierry Paquot dédiait en 2015 à la « ville récréative » à la Halle aux sucres à Dunkerque, le CAUE de Paris embrasse à son tour la thématique. Dans le sillage d’une série de conférences organisées en 2013, il consacre à l’enfant la sixième édition des Petites leçons de ville, qui se tiendra à partir du 3 mars et jusqu’au 7 juillet au Pavillon de l’Arsenal sous le titre manifeste de « Place aux enfants ! ». L’enjeu des cinq rencontres planifiées cette année : examiner successivement la façon dont les plus jeunes se déplacent, jouent et se retrouvent dans l’espace urbain, mais aussi dont ils participent à la fabrique de la ville. Ce soir, jeudi 3 mars, la conférence inaugurale réunira ainsi Pascale Legué, urbaniste et anthropologue, et Didier Heintz, architecte et cofondateur de l'association Navir autour de l’articulation complexe entre espaces domestiques souvent exigus et espaces publics inadaptés aux besoins des plus jeunes.

Une petite personne à mobilité réduite

De fait, la ville est quasi systématiquement décrite comme un milieu hostile pour les enfants, à l’inverse de la campagne où les plus petits peuvent faire, loin du trafic automobile, l’expérience d’une liberté bien plus grande. Si la marginalisation des enfants en milieu urbain a crû avec la société de consommation et l’avènement de l’automobile comme produit de masse, elle pourrait être beaucoup plus ancienne. Sous l’Ancien Régime déjà, le taux de natalité était plus faible à Paris qu’ailleurs, et les jeunes parents qui en avaient l’opportunité exilaient volontiers leur progéniture chez des nourrices à la campagne. Bien que la place acquise par l’enfant au sein de la famille contemporaine rende impensable de telles mesures de séparation,  l’exode qui touche les ménages avec jeunes enfants semble démontrer que la ville n’a pas vraiment cessé d’apparaître comme un repoussoir à familles – et notamment pour des raisons d’accès au foncier. Pour se loger décemment, les parents ont ainsi tendance à déserter les villes-centres à la naissance du premier et surtout du deuxième enfant, et à troquer leur appartement exigu pour le confort du pavillon en périphérie avec jardin, balançoire et animal domestique.

"Depuis les années 1990, plusieurs études ont ainsi démontré le recul croissant de la marche chez les enfants depuis cent ans."

Moins présent en ville, l’enfant y est aussi moins mobile. Depuis les années 1990, plusieurs études ont ainsi démontré le recul croissant de la marche chez les enfants depuis cent ans. Exit l’image à la Doisneau du jeune garçon courant les rues une baguette sous le bras ou occupant l’espace public de ses jeux : la place et la vitesse des véhicules à moteur conduisent les parents à limiter et contrôler strictement les déplacements de leurs enfants et à privilégier les trajets motorisés, sécurité oblige. Alors que nos grands-parents parcouraient couramment plusieurs kilomètres à pied par jour au début du vingtième siècle, nos enfants ont vu le rayon au sein duquel ils sont autorisés à se déplacer seuls réduit à moins de 500 mètres. Une telle limitation est certes de nature à réduire les accidents de la circulation impliquant des enfants. Le hic, c’est qu’elle a aussi des effets délétères sur leur santé, puisqu’elle contribue à faire progresser l’obésité et à diminuer les capacités respiratoires des plus jeunes.

Une aire de jeux à Toulouse

L’enfant, un enjeu de la ville durable…

Si l’enfant semble avoir été sacrifié après la guerre aux flux routiers, il n’est pas absent pour autant des réflexions des architectes et urbanistes de l'époque. D’Emile Aillaud concevant la Grande Borne à Grigny comme une « cité des enfants » aux plans d’aménagement pour la ville de Philadelphie dessinés par Louis Kahn certains (rares) professionnels de l’urbain tâchent de lui faire une place. Une telle ambition revient à limiter la place dévolue à la voiture, mais aussi à favoriser le partage de l’espace et la cohabitation de tous les usagers, à rebours du fonctionnalisme séparateur d’un Le Corbusier.

A partir des années 1990, la prétention du développement durable à tendre vers une ville plus inclusive conduit elle aussi à reconsidérer la place de l’enfant dans l’espace urbain, et éventuellement à faire de sa présence dans les rues le signe et presque le manifeste d’une reconquête de la ville par ses usagers non motorisés.

"A partir des années 1990, la prétention du développement durable à tendre vers une ville plus inclusive conduit elle aussi à reconsidérer la place de l’enfant dans l’espace urbain, et éventuellement à faire de sa présence dans les rues le signe et presque le manifeste d’une reconquête de la ville par ses usagers non motorisés."

Les Spielstrassen (littéralement « rues de jeu ») allemandes en sont un bon exemple : signalées par un simple panneau, elles reversent le régime habituel de la rue où la voiture domine et dicte tous les autres usages. Ici au contraire, le mètre étalon de l’aménagement viaire, c’est l’enfant susceptible de jouer dans la rue, de l’occuper et d’y circuler. L’automobiliste n’est pas exclu d’un tel espace, mais sommé de s’y adapter en réduisant sa vitesse et en adoptant une conduite particulièrement vigilante.

… et de la ville (ré)créative

A leur façon, les credos de la ville créative et de la ville parc d’attraction viennent eux aussi nourrir l’élan vers un espace public plus ouvert aux enfants. Dans la lignée des Situationnistes, d’Archigram, mais aussi sur le modèle d’Epcot, de Las Vegas ou Dubaï, la métropole contemporaine tend à miser de plus en plus sur l’attractivité de ses espaces publics, et sur leur caractère résolument ludique. Cet élan se traduit d’abord par la création d’espaces séparés destinés non plus aux seuls enfants, mais à toutes les classes d’âges : aires de jeux pour les plus petits, skateboard parks pour les adolescents, espaces sportifs pour les adultes. Mais les aménagements dévolus au jeu tendent désormais à déborder le cadre de quelques espaces dédiés pour investir les places ou le mobilier urbain : de plus en plus, c’est la ville toute entière qui devient un terrain de jeu, comme en témoigne la valorisation (somme toute récente) de pratiques résolument ludiques comme le Street art, le Parkour et la plupart des cultures urbaines. A croire que dans la ville contemporaine, il n’y a pas de grandes personnes…

Pour en savoir plus :

La ville récréative : enfants joueurs et écoles buissonnières, sous la direction de Thierry Paquot, éditions Infolio, Paris, 2015.

Dossier de Métropolitiques sur l’enfant dans la ville : http://www.metropolitiques.eu/Les-enfants-dans-la-ville.html

2016-03-03
Le bâtiment frugal : une alternative aux normes de construction durables

En décembre dernier, à l'occasion de la COP 21, un groupe de travail de l’ICEB (Institut pour la conception écoresponsable du bâti) proposait une réponse à la nécessaire adaptation des standards du bâtiment aux enjeux climatiques, énergétiques et sociétaux de demain : le guide « Le bâtiment frugal ». Construction passive, approche bioclimatique, choix des matériaux, confort et usage, prise en compte de l’environnement du bâtiment, l'ouvrage questionne ces notions et offre une visibilité à des projets pionniers en marge des standards actuels.

« Notre point de départ est parti d'un constat, explique Alain Bornarel, ingénieur cogérant de Tribu, bureau d'études spécialisé dans le développement durable, aux manettes du groupe de travail de l'ICEB chargé du guide Le bâtiment frugal. Il existe aujourd'hui en France une production de bâtiments performants qui sortent des sentiers battus et dont on ne parle pas. Aujourd'hui, la production est très normalisée. Or, nous pensons qu'à l'heure du changement climatique, les solutions actuelles ne sont plus valables et qu'il y a une nécessité à faire évoluer les standards. Une révolution dans ce domaine est nécessaire si l'on veut répondre aux enjeux climatiques d'aujourd'hui et de demain ». Fruit d'un travail débuté il y a deux ans, Le bâtiment frugal marque la volonté de proposer une alternative au « passif » proche du standard Passiv'Haus, davantage adapté à des climats du Nord et de l'Est de la France, et de privilégier au maximum l'approche bioclimatique. C'est aussi à partir des recherches sur l'innovation frugale du « mieux avec moins », inspirée du concept indien Jugaad, qu'ont travaillé les membres du groupe de travail. « Cette approche correspond très bien à l'esprit low-tech et à une démarche qui minimise aussi bien l’énergie que les ressources », précise Alain Bornarel. Actuellement, on construit de la même façon à Strasbourg et à Marseille. C’est ce qu'on ne veut pas faire. Un bâtiment frugal est avant tout un bâtiment lié à son territoire, inscrit dans un contexte climatique, de ressources, d’énergies et de modes de vie ».

"Actuellement, on construit de la même façon à Strasbourg et à Marseille. C’est ce qu'on ne veut pas faire. Un bâtiment frugal est avant tout un bâtiment lié à son territoire, inscrit dans un contexte climatique, de ressources, d’énergies et de modes de vie." Alain Bornarel, ingénieur cogérant de Tribu

De fait, l'approche frugale privilégie les matériaux et les savoir-faire locaux. C'est notamment le cas de l'école Monoblet dans le Gard. Livré à la rentrée 2014, ce groupe scolaire bâti dans un village de 600 habitants offre un bilan thermique très performant (38.7 kWh/m²/an de consommation énergétique (en énergie primaire). Pour ce projet, les architectes ont misé sur une utilisation massive de bois régional (une façon de limiter les déplacements), mais aussi sur des matériaux de récupération et renouvelables, comme le béton de chanvre qui offre un bilan carbone bas voire négatif. « Nous avons cherché à éliminer tous les toxiques, souligne Yves Perret, l'un des architectes en charge du projet*. Ici, la dimension frugale s'observe à long terme et aborde des aspects tels que la santé et la réduction des maladies ».

La question de l'usage

L'autre particularité de cette école est la participation des enfants à la conception et à la réalisation. « Pour qu'un bâtiment soit habité, il ne faut pas qu'il tombe du ciel ! Il faut associer les futurs habitants, explique Yves Perret. Dans le cas de ce projet, nous avons demandé aux enfants d'apposer une pierre avec le maçon, d'aider à la fabrication de carreaux de terre cuite avec une potière ou encore de contribuer à la fabrication de la mosaïque sur les supports des lavabos. Quelques mois plus tard, les instituteurs nous ont dit que la capacité de concentration s’était améliorée, mais c'est juste parce que les enfants étudiaient dans de meilleures conditions : luminosité, espace, organisation. Et aussi parce que c'était « leur » école qu'ils avaient contribué à construire. Lors de la livraison, ils connaissaient et avaient compris les principes de son fonctionnement ».Autre exemple de bâtiment frugal dans le sud de la France : le concept taki développé par Solari Architectes. Installé à Aix-en-Provence, Jérome Solari a conçu ce système de construction en bois orienté bâtiment durable et architecture bioclimatique. Le point de départ ? Une forte demande de maisons en bois et durables mais avec de petits budgets. L'architecte réfléchit alors à la possibilité de pré-fabriquer 70 à 80 % du bâtiment pour réduire les coûts et les délais : « l’exercice est très intéressant car le principe de 20 % sur-mesure laisse une place pour innover et inventer de nouvelles formes et solutions, précise-t-il. Et l'on gagne 500 €/m² TTC par rapport à un projet classique en bois avec un coût final de 1900 €/m² ». Optimiser au maximum les postes de travaux, les matériaux, les temps d’études et de réalisations permet une approche frugale. Il s'agit de réduire les fondations et terrassements grâce à des pilotis, d'optimiser les postes techniques et de privilégier le passif, notamment via la ventilation naturelle et systèmes passifs. Car c'est bien là un des aspects fondamentaux du bâtiment frugal : faire appel à l’intelligence de ses utilisateurs plutôt qu’à des technologies complexes. « L'usage est très important en confort d'été, la ventilation est centrale. Cela fonctionne si la maison est fermée le jour et ouverte la nuit », indique Jérôme Solari. Quatre maisons « taki » sont déjà sorties de terre et 25 projets sont en cours. « Villa, extensions, surélévations, bâtiment tertiaire, on peut faire beaucoup de choses avec ce concept il y a une diversité de projets et de programmes : le concept Taki permet d'apporter le durable pour des budgets plus restreints. »[caption id="attachment_2701" align="aligncenter" width="502"]

Fev 2015 012
L'école Monoblet, dans le Gard

Et demain, la frugalité à l’échelle de la ville ?

La frugalité est une notion qui peut également se penser à l’échelle du quartier ou de la ville. « On a un certain nombre d'indications qui font le bâtiment frugal peuvent s'envisager à l’échelle de la ville notamment pour ce qui concerne les modes de vie », précise Alain Bornarel. Le rapport à l'usage et à la propriété qui modifie le bâtiment avec le développement de locaux collectifs ou de jardins partagés peut en effet s'appliquer au-delà du seul programme immobilier. Les questions des circuits-courts pour alimentation, le rapport à la nature et à la biodiversité prennent de plus en plus d'importance et font écho à cette notion de frugalité. « Ce concept peut être très intéressant pour ce qui touche à la bioclimatique urbaine, précise Alain Bornarel. On a l'habitude de travailler sur du bioclimatique du soleil. Les recherches sur le bâtiment frugal nous ont montré qu'une approche avec du bioclimatique de vent peut être beaucoup plus pertinente pour certains territoires et je pense qu'à l'échelle de la ville cela est encore plus vrai pour répondre aux problématiques d’îlot de chaleur urbain notamment. »

"Aujourd'hui, un chantier, c'est une simple production de mètres carrés et non pas un moment de vie. Un bâtiment devrait être le moyen d'un échange." Yves Perret, architecte

Reste à faire sortir de terre ce type de projets. En décembre dernier, l'ICEB organisait un cycle de conférences intitulé « Hors la loi » évoquant notamment le bâtiment frugal. L'enjeu aujourd'hui semble pour les professionnels du secteur de contourner l'arsenal réglementaire qui les contraint dans leurs productions, incite à l'utilisation des standards actuels, et participe souvent aux surcoûts des réalisations dites frugales. « Aujourd'hui, un chantier, c'est une simple production de mètres carrés et non pas un moment de vie. Un bâtiment devrait être le moyen d'un échange », rappelle l'architecte Yves Perret.

*Maîtres d’œuvre de l’École MonobletAtelier d’architecture PERRET – DESAGES//Yves PERRET Architecte//Atelier d’architecture ARCHISTEM-Fabrice PERRIN Architecte

2016-01-28
Réinventer Paris : 22 projets pour faire la ville de demain autrement ?

Le Pavillon de l'Arsenal expose les 22 lauréats de « Réinventer Paris » ainsi que les 74 finalistes et les 358 équipes pluridisciplinaires qui ont participé à cet appel à projets urbains innovants, lancé il y a un an par la Mairie de Paris. Les premières réalisations devraient être livrées à partir de 2020.

A travers les maquettes, perspectives, dessins, animations 3D, témoignages vidéos des experts et jurys internationaux, les 900 mètres carrés dédiés à l'Appel à projets et scénographiés par Peaks architectes donnent bien la mesure du travail considérable réalisé par les différentes équipes qui se sont investies dans cette aventure. D'après les chiffres officiels, la Mairie a reçu 372 candidatures venues du monde entier, émanant d'univers très divers. En effet, l’hétérogénéité des disciplines qui ont constitué les équipes a été l'une des particularités de cette consultation. Y ont participé aussi bien des architectes, paysagistes, urbanistes et promoteurs que des associations, entrepreneurs, artistes, chefs cuisiniers ou agriculteurs.

Résultat : de nombreux projets jouent la carte de la végétalisation (Plus de 26.000m² de nouvelles surfaces plantées sont prévues, dont une forêt de «1.000 arbres», des jardins, de l’agriculture urbaine, des toits et des murs végétalisés) et font appel à l'économie circulaire. Co-living et coworking, incubateurs, tiers-lieux, habitat participatif… : les projets sélectionnés font la part belle aux tendances actuelles de l'habitat. Ils se déploient sur des terrains de natures différentes : hôtel particulier, friches industrielles, terrains vagues. Au total, 1.341 logements dont 675 sociaux seront construits.

Un nouvelle manière de fabriquer la ville...qui fait polémique

« Réinventer Paris va radicalement changer notre façon de penser la ville » a déclaré Anne Hidalgo, maire de Paris. L'autre caractéristique de cet Appel à projets repose sur le principe des consultations de promoteurs, c'est à dire que la Mairie et ses opérateurs ont vendu leurs terrains aux promoteurs dont les équipes ont été lauréates. Et contrairement à un concours public habituel, la Mairie ne rémunère pas les équipes non finalistes. Un choix critiqué par de nombreux architectes qui reprochent le fait que « la matière grise » n'ait pas été payée.

Pour Jean-Louis Missika, adjoint au Maire en charge de l'urbanisme, qui a répondu à ces accusations au Moniteur, un tel procès est infondé : « Nous avons pris la peine de vérifier et si nous n’avons pas encore l’intégralité des résultats, nous avons maintenant la conviction que la majorité des 75 équipes d’architectes, mais aussi les bureaux d’études, qui étaient finalistes, ont été payés par les promoteurs », explique-t-il.

Représentant un investissement privé de plus de 1,3 milliard, les 22 sites retenus vont permettre pour la Mairie 565 millions d'euros de recettes. La Ville de Paris souhaite renouveler l’opération en 2017 avec une nouvelle édition : « Réinventer Paris II » et lance en mars « Réinventer la Seine », sur des territoires allant de Paris jusqu'au Havre.

Infos pratiques :

Réinventer Paris, du 4 février au 8 mai 2016

Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland (4e)

Entrée libre

2016-02-15
Écrit par
midi:onze
Yves Raibaud : « La ville durable est faite pour les hommes blancs, hétérosexuels, en bonne santé et sans obligations familiales »

La ville - et la ville durable en particulier - serait-elle avant tout une affaire d’hommes ? C’est ce qui ressort de la lecture d’Yves Raibaud, géographe spécialisé depuis une dizaine d’années dans les études de genre appliquées à l’espace urbain. Suite à un article paru en septembre 2015 dans la revue du CNRS, et où il désignait la ville durable comme inégalitaire, nous avons tenu à l'interroger…

Vos recherches sont dédiées aux inégalités de genre dans l’espace urbain. Qu’est-ce qui vous amène à dresser pareil constat ?

Mes dix années de recherche m’ont amené à constater que la ville était faite par et pour les hommes. Dans les villes françaises, 75% des budgets publics en moyenne sont consacrés aux garçons. A bordeaux par exemple, 90% des fonds sont dévolus aux sports masculins – stades de football, terrains de boules, skateparks, etc. Ces inégalités se traduisent spatialement : les hommes se voient affecter plus d’espaces et plus d’équipements. A contrario, lorsqu’on cherche quels sont les équipements équivalents pour les femmes, on ne trouve pas.

"Dans les villes françaises, 75% des budgets publics en moyenne sont consacrés aux garçons." Yves Raibaud, géographe

Il s’agit alors de déterminer si cette répartition est naturelle et ce qu’elle cache… Pour mieux comprendre le phénomène, j’ai beaucoup étudié ce que j’appelle « la fabrique des garçons », notamment au cours d’observations de micro-géographie. Par exemple, en regardant la manière dont les enfants jouent dans une cour de récréation, on constate que les garçons, par le football notamment, s’approprient rapidement le centre de la cour…

Comment pense-t-on les inégalités quand on est géographe ?

La géographie est un merveilleux moyen pour voir les inégalités, car elle permet de les illustrer spatialement. Or, comme le rappelle Michel Lussault, l’homme contemporain est un homme spatial. En mobilisant des notions symboliques comme la scène (le terrain de sport, le concert de rock, etc. ), la géographie apporte non seulement une vision renouvelée des discriminations, mais aussi des solutions concrètes.

En septembre 2015, vous avez publié un article dans la revue du CNRS dont le titre était : « la ville durable creuse les inégalités ». Sur quoi se fonde une telle affirmation ?

Le rôle de l’approche scientifique est de se demander comment l’idéal consensuel de la ville durable est mis en œuvre dans les faits. Or, si on regarde celle-ci à travers les études de genre, on constate qu’elle est très inégalitaire et favorise dans les faits les hommes blancs, hétérosexuels, en bonne santé et sans obligations familiales. Dès qu’on sort de ce modèle, auquel quelques femmes parviennent à se conformer, on constate que la ville durable pourrait très bien renforcer les inégalités.

"Si on regarde la ville durable à travers les études de genre, on constate qu’elle est très inégalitaire et favorise dans les faits les hommes blancs, hétérosexuels, en bonne santé et sans obligations familiales." Yves Raibaud

Un exemple : la mobilité. Les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes usages de la voiture, les secondes l’utilisant principalement pour l’accompagnement (des enfants, des personnes âgées…), mais aussi pour des raisons de sécurité – surtout une fois la nuit tombée, pour éviter le harcèlement de rue. Or, lors du Grenelle des mobilités à Bordeaux, la mesure phare qui a été votée était que les enfants aillent à l’école à pied. De toute évidence, les femmes ayant trois enfants dans trois écoles différentes ont été exclues d’une telle décision, et pour cause : ce sont principalement des hommes qui ont voté…

La participation, que l’on présente d’ordinaire comme une façon d’ « horizontaliser » les processus de décision, concourt-elle à ces inégalités ?

Lors du Grenelle des mobilités, nous avons été particulièrement attentifs à cette question. Nous avons compté les prises de paroles, analysé les thématiques saillantes, etc. L’observation quantitative montre que les hommes participent trois fois plus que les femmes, que ces dernières ne figurent pas parmi les experts, et que les sujets « féminins » évoqués lors des discussions sont généralement dévalués (par du brouhaha, de la contradiction, etc.). La pensée sur la ville élimine le monde des femmes et notamment celui du « care », du soin porté des autres. Les discours sur la ville durable préfèrent se concentrer sur des questions liées aux technologies – les smart cities notamment.

Outre la mobilité, quelles préoccupations typiquement féminines vous semblent négligées ou minimisées dans ces discussions publiques ?

Les questions de sécurité. Des entretiens et des discussions de groupes avec les femmes, il ressort une commune mesure de l’insécurité dans la ville. Les déplacements y sont énoncés comme fonctionnels (il s’agit d’aller chercher les enfants, de faire les courses…), bien loin de toute idée de flânerie. On note aussi une série d’empêchements dans ces trajets spécifiques à la condition féminine. Ce sont tout particulièrement la difficulté de circuler dans des espaces peu adaptés aux poussettes et aux fauteuils roulants (la majorité des seniors sont des femmes, et ce sont aussi elles qui s’occupent des personnes âgées), mais aussi la peur de l’agression sexuelle. Le fait d’être systématiquement interpellées et accostées dans la rue (100% des femmes interrogées en ont fait l’expérience !) conduit les femmes à adopter des stratégies pour aborder la ville, surtout la nuit. Certaines de ces stratégies sont liées aux choix mobilitaires (prendre un taxi ou sa voiture plutôt que les transports en commun), d’autres à des choix vestimentaires, qui visent notamment à se rendre invisible.

Comment combattre ce sentiment d’insécurité ?

Dans les débats publics sur le sujet, l’idée circule souvent que la lutte contre l’insécurité est liberticide. La question est de savoir qui l’on veut protéger, mais aussi d’envisager les choses sous un autre angle. Tout d’abord, la sécurisation des espaces publics peut passer par des dispositifs simples : un meilleur éclairage, des arrêts de bus transparents, etc. Ensuite, il faudrait peut-être traiter les marqueurs d’hégémonie masculine dont la ville est envahie : publicités sexistes, graffitis, etc. Si le symbole et la fierté d’une ville, c’est le club de foot ou la scène de musiques actuelles où il n’y a que des hommes, les choses ne risquent pas d’évoluer. Or, on ne réforme pas le majoritaire discriminant…

Dans une récente tribune dans Libération consacrée aux événements de Cologne, vous expliquez que le harcèlement sexuel et le racisme procèdent d’une même matrice, à savoir l’hégémonie de l’homme blanc hétérosexuel des classes dominantes. Or, n’est-ce pas précisément parce que les supposés harceleurs n’avaient justement pas ce profil que l’événement a suscité d’un côté l’embarras et le silence, de l’autre les récupérations racistes ?

Dans cette tribune, cosignée avec Sylvie Ayral, nous condamnons à la fois le harcèlement sexuel et sa récupération raciste. Pour nous en effet, il n’y a pas de contradiction possible entre antisexisme et antiracisme, car les deux procèdent de la même matrice. L’événement s’est accompagné d’une récupération du féminisme par le pouvoir, et d’une ethnicisation de la question sexuelle. Or, on constate que la domination masculine sur la ville dont le harcèlement témoigne n’est pas l’apanage d’une minorité ethnique : il s’agit d’un phénomène mondial, connu depuis longtemps. Dans certaines villes d’Amérique latine, il a même conduit à réserver certaines rames de métro aux femmes seules…

Comment faire de la ville durable soit réellement « inclusive » ou « incluante » ?

Dans la ville durable, les « bonnes pratiques » sont représentées par des modèles très précis. Par exemple, on est sensé y abandonner sa voiture pour circuler à vélo. Or, la pratique du vélo divise les femmes : il y a d’un côté celles qui peuvent se conformer à ce modèle de mobilité masculin, de l’autre celles qui ne le peuvent pas – les mères de famille par exemple. Ces constats invitent à questionner les nouvelles normes produites par la ville durable et à voir comment certaines d’entre elles masquent les contraintes des femmes dans la ville et minorisent les tâches essentielles qui leur incombent, comme s’occuper des enfants.

"Faute d’une participation démocratique permettant à tous d’accéder à la ville durable, ce nouveau paradigme risque de conduire à culpabiliser les mauvais citoyens. Sans égalité, il n’y pas de ville durable…" Yves Raibaud

Faute d’une participation démocratique permettant à tous d’accéder à la ville durable, ce nouveau paradigme risque de conduire à culpabiliser les mauvais citoyens. Sans égalité, il n’y pas de ville durable…

C’est la raison pour laquelle vous invitez à penser la ville durable selon les termes de l’écoféminisme ?

En effet, la variable de genre est centrale pour penser la ville durable, car la ville masculine n’est pas inclusive. A contrario, lors des réunions de concertation ou les marches avec les femmes, on constate que leurs réflexions excèdent leur cas, et qu’elles pensent aussi aux enfants, aux personnes âgées, à leur compagnon, etc. Quand les hommes, qui font la ville en grande majorité, vont proposer l’aménagement d’un skatepark ou d’un terrain de foot, les femmes vont davantage pencher vers un espace libre, neutre, non spécialisé. Dans ces conditions, mettre le care au cœur des réflexions permet d’élargir la réflexion à tous, bien au-delà des femmes elles-mêmes.

Les élus vous paraissent-ils sensibles aux inégalités de genre ?

Contre toute attente, oui ! Le harcèlement de rue est dans les agendas. La mairie de Bordeaux, avec laquelle je travaille, a signé la charte égalité femmes-hommes en 2013 et a commandé une étude sur les femmes et le sport pour promouvoir le sport féminin. La thématique rencontre aussi un écho à Paris, où Helène Bidard réfléchit sur ces questions. En France, l’intérêt récent pour les inégalités de genre dans la ville est très lié à l’avènement d’un féminisme institutionnel, qui s’est marqué notamment par la loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Cela dit, la guerre et l’état d’urgence ont eu tendance à mettre ces questions au second plan. Dans le contexte actuel, l’espace public est surtout pensé en fonctions d’impératifs sécuritaires : la police veut avant tout pouvoir intervenir en cas d’attaque terroriste…

2016-02-04