La ville à l’heure du changement.
Les enfants, impensés de la fabrique urbaine, trouvent place dans la ville !

À l’école ou dans la ville, des initiatives se développent pour redonner une place de choix aux enfants. Longtemps impensés de la fabrique urbaine, ils représentent pourtant un levier essentiel pour créer les conditions d’une ville plus inclusive. 

Penser l’école idéale comme lieu d'émancipation et d’invention, questionner les différents espaces qui la composent, de la cour de récréation à la salle de classe : tel est le pari de l'exposition “l'École idéale” qui se tient aux Magasins généraux jusqu’au 12 octobre sous le commissariat de l’Atelier Senzu, bureau d'architecture basé à Paris.

Ces propositions d’architectes, de designers et d'artistes illustrent des approches alternatives de conception d’espaces à destination des enfants, rompant avec le visage des écoles à l’architecture monolithique, héritées de la fin du XIXème siècle. Plus ludiques, écologiques et ouvertes, elles ambitionnent par là-même d’offrir un cadre plus propice à de nouvelles manières d’apprendre et de socialiser. Depuis plusieurs années, des initiatives se développent en France pour reconfigurer également les espaces publics aux abords des écoles, de façon à les rendre plus sécurisés, plus végétalisés, plus accueillants. À Paris, près de 300 écoles ont intégré le dispositif “Rues aux écoles” pour sécuriser les déplacements des familles tout en leur proposant de nouveaux espaces de jeux. 

Agence Smarin, école Saint-Charles, Nouveau Musée National de Monaco, Ecoletopie, Monaco, 2024

Se réapproprier temporairement l’espace public

Le mouvement « Rue aux enfants, rue pour tous » s’inscrit dans cette volonté de redonner temporairement une place aux enfants dans les rues des villes en les fermant à la circulation motorisée. À l’origine de la démarche, un collectif de quatre associations : l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej), Cafézoïde, Rue de l’avenir et Vivacités Ile-de France. Leur objectif : répondre au constat de l’exclusion des enfants des espaces publics et souligner “ l’importance de la rue et de la ville comme lieux de rencontre et d’apprentissage physique de leur autonomie”. Apparu en France en 2015, le mouvement s’est depuis structuré avec l’élaboration d’une charte, puis d’un manifeste en 2017. À ce jour, plus de 320 communes ont rejoint la dynamique.

Ce moment récréatif peut être utilisé comme un outil de réflexion sur l’évolution des espaces publics vers plus d’apaisement, notamment pour des quartiers en cours de restructuration ou de renouvellement urbain, mais aussi plus de vitalité dans les petites villes[...] et favorise le temps de l’opération, un brassage des âges, des quartiers, des cultures, des savoirs, des enthousiasmes” précise le communiqué de presse.

Les oubliés de l'architecture et de l’urbanisme

Du constat même de Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, professeur honoraire de l’Institut d’urbanisme de Paris, et auteur de Pays de l’enfance (éd. Terre urbaine, 2022),  “Les enfants sont les oubliés de l’urbanisme productiviste”. D’après l’Institut National de Veille Sanitaire, 4 enfants sur 10, âgés de 3 à 10 ans, ne jouent jamais dehors pendant la semaine. Plus largement, c’est la question des espaces publics consacrés à des usages récréatifs ou de socialisation qui est aussi soulevée. Seulement 10 à 20 % des mètres carrés qui composent les villes françaises sont consacrés à la « ville relationnelle ». Les 80 à 90 mètres carrés restants sont quant à eux dédiés à la « ville fonctionnelle ». Comme le souligne dans son mémoire de fin d’études “La ville à hauteur d’enfants”, Floras Horras en 2018, les facteurs qui expliquent l'absence de la présence des enfants dans l’espace public urbain sont “d’ordre social, culturel ou technologique, tous sont liés à l’émergence de la société de consommation de masse dans les années 1960 en Europe, puis à ses évolutions.” 

Ecole des Plans à Cergy-Pontoise par Jean Renaudie, 1972. Crédit : archives du Val d'Oise

La présence accrue de voitures a réduit les espaces de jeux potentiels tout en augmentant les dangers associés, auxquels s’ajoutent les préoccupations sécuritaires et le développement des technologies et espaces numériques. C’est par ailleurs l’un des constats des recherches de Clément Rivière. Le sociologue, maître de conférences en sociologie à l'université de Lille et auteur de Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et à Milan (Presses Universitaires de Lyon, 2021) rend compte de “deux désirs contradictoires qui pèsent sur les parents : d’une part favoriser le développement de l’autonomie de leur enfant et d’autre part s’assurer de leur sécurité”.


Renforcer la place des enfants dans les politiques urbaines

Face à l’absence historique de prise de compte des publics enfants et adolescents dans la fabrique de la ville, des métropoles comme Paris, Lille, Lyon ou Montpellier ont mis en place les premières réflexions et actions, touchant aussi bien à la question de l’aménagement des espaces, qu’à la mobilité ou aux enjeux de gouvernance. Inspirée par le projet « La Ville des Enfants » de l’italien Francesco Tonucci né aux débuts des années 1990 pour répondre à “la situation de crise que connaît la ville moderne et qui a répondu aux besoins d’un seul type de citoyen : homme, adulte, travailleur et motorisé”, l’expérimentation menée à Lille est à ce titre emblématique. Portée par le Laboratoire “Lille à hauteur d'enfants" depuis 2022, elle a abouti à la mise en place d’une charte (juin 2024) avec 18 principes puis à des propositions d'actions (mai 2025). Au total, 50 propositions, dont 20 prioritaires, ont été listées, toutes en accès libre : ouvrir les cours d’école en dehors des temps scolaires, favoriser la mobilité à vélo, donner plus de visibilité aux femmes et aux filles dans la ville, faire découvrir aux enfants les quartiers où ils n’habitent pas (classes découverte, dispositif « vacances en ville ») ou encore créer une instance citoyenne pour les adolescents.

“Une des forces de ce laboratoire a été de pouvoir réunir et de faire travailler ensemble les équipes municipales, des experts et des représentants du tissu associatif local en lien avec les sujets de l’enfance, l'éducation et de la culture pour aborder ce sujet dans une approche transversale, souligne Clément Rivière, qui préside le laboratoire lillois. Les travaux ont ensuite été présentés à des groupes d’enfants lors d’ateliers pour évaluer l'intérêt et s’assurer de la clarté des propositions. Ce fut une très belle expérience d'intelligence collective pour fédérer sur la gestion de la place de l’enfant dans la ville”. 

Favoriser l’émancipation des enfants et la démocratie

Autre leçon de ce projet : l’inclusivité des enfants dans la fabrique de la ville est un levier d’action pour aborder les questions de mixité et de présence différenciée des genres dans l’espace public, ou encore la place des personnes âgées ou en situation de handicap, notamment quand il s’agit d’évoquer les questions de mobilité et de sécurité. Pour Clément Rivière, l’enjeu est aussi politique : “La Ville à hauteur d’enfants porte en elle une aspiration démocratique et républicaine forte, celle de donner à la notion d'urbanité toute sa dimension en offrant aux enfants la possibilité de partir à la découverte de l’autre, mais aussi en refusant l'anxiété généralisée et le risque de laisser l’attrait des écrans renforcer l’isolement”.

2025-08-29
écrit par
Deborah Antoinat
Porosités urbaines, une piste pour le renouvellement urbain

Murs pignons, toits d’immeubles, ponts, porte-à-faux, etc. : face à la saturation du bâti, investir les porosités urbaines s'affiche désormais comme un levier pour certains architectes soucieux de renouvellement urbain.

C’est le prototype de logement « Parasite Prefab » de Lara Calder qui suggère de prendre possession des piles d’un pont, la Rucksack House de Stefan Eberstadt (Maison sac à dos), l'installation « Quartiers d'été » du collectif Cabanon Vertical, qui propose des extensions sur les façades, ou encore le projet « Ermitage » du collectif polonais "Centrala",qui vise à aménager une résidence d’artiste dans une dent creuse large de… 122 cms.

Selon l’architecte Stéphane Malka, ces espaces portent en eux une véritable identité : « Les porosités ne sont pas des non lieux mais de vrais espaces dépourvus de fonctionnalités. Il faut transcender l'âme du lieu en leur trouvant un nouvel usage ». Ses études sur les porosités urbaines vont de la galerie Bunker (2009) qu'il greffe sous la station du métro Barbès à des échafaudages en guise de jardins (Bio-Box, 2006) ou au projet manifeste « Auto-Défense (2009) », qui propose d'installer des modules d'habitations dans l'Arche dans un esprit de « guérilla architecturale ».

"Les porosités ne sont pas des non lieux mais de vrais espaces dépourvus de fonctionnalités. Il faut transcender l'âme du lieu en leur trouvant un nouvel usage." Stéphane Malka, architecte

Des racines utopistes et artistiques

Investir ces lieux « alternatifs » n'est pas une excentricité de l'architecture contemporaine. Déjà en 1965, quelques architectes soulignaient le danger de l'explosion démographique et imaginaient un volet de solutions, dont la plupart sont restées au stade de l'utopie. Parmi eux, Yona Friedman, membre du GIPA (Groupe international d'architecture prospective) : construite en suspension à partir de modules attachés à une ossature surélevée de plusieurs mètres, sa Ville Spatiale propose rien moins que de superposer une ville à la ville. A la même époque, les utopistes d’Archigram ont également alimenté la réflexion sur la densité urbaine avec le projet « Instant City », qui mettait en avant l'idée d'une ville nomade et aérienne dans laquelle des structures gonflages créent une architecture de l'instantané. Favoriser la prothèse plutôt que la transformation radicale a aussi nourri l'architecte prospectif jean-Louis Chanéac qui a imaginé des cellules parasites à poser sur les façades des grands ensembles pour agrandir les appartements, reflet de ses convictions sur la modularité et l'accès à l'habitat pour le plus grand nombre.

"Le fait de reconstruire sur la ville déjà existante tempère les prix et permet surtout d'augmenter l'offre." Stéphane Malka

Le monde de l'Art n'est pas en reste. L'artiste japonais Tadashi Kawamata, dont les cabanes réalisées à partir de matériaux de récupération ont orné la façade du Centre Pompidou en 2010, s'intéresse à ces zones intermédiaires qui subsistent dans l’espace urbain. C’est aussi le cas d’Alain Bublex : reprenant les idées d'Archigram, le plasticien français imagine « Plug-in City », soit des unités mobiles d'habitations à poser sur des structures déjà existantes.

Créer des surprises architecturales

Pour Stéphane Malka, les délaissés urbains comportent de nombreux avantages. Premier d’entre eux : contourner un prix du foncier particulièrement élevé dans les grandes métropoles. « Le fait de reconstruire sur la ville déjà existante tempère les prix et permet surtout d'augmenter l'offre. De plus, cela permet de créer des surprises et génère de la spontanéité », estime l’architecte, ajoutant que « cela permet de faire des économies liées aux destructions et au recyclage des déchets de chantier ». Pourtant, un tel positionnement se heurte encore aux réticences de ceux qui veulent préserver le patrimoine en l'état. «  Les seules limites aujourd'hui sont les règlementations, qui restent rigides. C’est le cas de mon projet « Bio-Box » (installer des terrasses en façades) qui n’a pas reçu aujourd'hui d’ autorisation, alors qu’il permettrait au Parisiens de disposer d'une terrasse pour quelques centaines d'euros » .

2011-09-01
Écrit par
Pierre Monsegur
Un logement social parisien : l'Astrolabe

Nicolas Ziesel, de KOZ architectes, nous présente l'une des réalisations phares de son agence : l'Astrolarbre. Soit un ensemble de 12 logements sociaux parisiens en bois dont l'originalité tient aussi bien à la qualité environnementale du bâti qu'aux solutions imaginées pour permettre aux habitants de mieux vivre ensemble...

2010-06-29
Écrit par
midi:onze
Produire en milieu urbain : la tour vivante de SOA

Créé en 2005 par le cabinet d'architecture SOA, le concept de la Tour vivante propose de produire des denrées agricoles en milieu urbain. Une solution possible aux problèmes d'approvisionnement posés par l'explosion urbaine...

2011-01-04
Écrit par
midi:onze
Reconquérir les rues avec Nicolas Soulier - Chapitre 1

Nicolas Soulier est l'auteur aux éditions ULMER de Reconquérir les rues, ouvrage indispensable pour refertiliser les espaces publics. Troisième et dernier volet de notre entretien vidéo avec l'urbaniste.

Pour en savoir plus :

Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde, éditions ULMER, 2012, 288 pages.

2012-12-05
Le gaspillage alimentaire, enjeu économique et moral

Effet rebond d’une société de l’hyperconsommation, le gaspillage alimentaire est devenu un sujet d’études depuis quelques années et arrive progressivement dans le débat public. A l’occasion de la 4ème édition de la Semaine Européenne de la Réduction des Déchets (SERD du 17 au 25 novembre), midi : onze s’intéresse à la question.

Véritable enjeu économique, écologique, social mais aussi éthique, le gaspillage alimentaire n’a pas aujourd’hui de définition officielle et peut englober des approches assez variables en fonction des organismes. Le plus généralement, les « pertes et gaspillages alimentaires » renvoient à la quantité de nourriture qui aurait pu être mangée par l’homme et qui est finalement jetée. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, le gaspillage alimentaire représente un coût de 400 euros pour une famille de quatre personnes et un volume annuel, par habitant, de 20 à 30 kg de nourriture jetée. La FAO (Food and agriculture organisation) donne aussi quelques chiffres : selon elle, un tiers de la production alimentaire mondiale est perdu ou jeté, soit l’équivalent de 1, 3 milliards de tonnes chaque année, alors même qu’un milliard de personnes sont considérées comme mal nourries au niveau mondial.

Selon la FAO, un tiers de la production alimentaire mondiale est perdu ou jeté, soit l’équivalent de 1, 3 milliards de tonnes chaque année, alors même qu’un milliard de personnes sont considérées comme mal nourries au niveau mondial.

Du gaspillage à tous les niveaux de la chaîne alimentaire

« La France ne fait pas figure d’exception : ses commerces alimentaires regorgent de 180 % de la quantité de nourriture dont sa population a vraiment besoin. On pourrait économiser 33% des aliments produits dans le monde, soit assez pour répondre aux besoins nutritionnels de 3 milliards d’humains supplémentaires », annonce Tristran Stuart, leader d’opinion anglais engagé dans le gaspillage alimentaire et qui signe la préface du livre de Bruno Lhoste La grande (sur-)bouffe. Pour en finir avec le gaspillage alimentaire, publié en 2012 aux éditions Rue de l’Echiquier. Dans son livre, l’auteur met en avant les pertes et gaspillages qui se déroulent à tous les stades de la chaine alimentaire : production, transport, stockage, transformation, distribution et consommation. « Le rôle de la grande distribution se déroule en amont et aval : elle a un impact très fort en tant qu’acheteur (en reportant les surplux sur les fournisseurs) et en tant que prescripteur à travers la publicité et les offres promotionnelles qui permettent de liquider les surstocks… sans parler des critères esthétiques pour les fruits et les légumes qui éliminent une grande partie de la production », explique Bruno Lhoste. Et la suppression en 2009 de normes européennes pour mettre fin au calibrage des fruits et des légumes n’a pas vraiment changé la donne.

Un cadre institutionnel qui se met en place

Chapeautée par l’ADEME, la Semaine Européenne de la Réduction des Déchets (SERD) organise cette année 2 888 actions partout en France. L’ambition affichée de cet événement est de sensibiliser le plus grand nombre à « la nécessité de réduire la quantité de déchets produite en France et de donner des clés pour agir au quotidien ». Au programme : collectes, animations, mises à disposition de bac à compost, stands d’informations et de documentations au niveau des collectivités, entreprises, écoles…L’Europe commence également à s’impliquer. Le Parlement européen a adopté une résolution le 19 janvier 2012 afin de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025 et 2014 sera « l’Année Européenne de la lutte contre le gaspillage alimentaire. »

"Le rôle de la grande distribution se déroule en amont et aval : elle a un impact très fort en tant qu’acheteur (en reportant les surplux sur les fournisseurs) et en tant que prescripteur à travers la publicité et les offres promotionnelles qui permettent de liquider les surstocks… sans parler des critères esthétiques pour les fruits et les légumes qui éliminent une grande partie de la production." Bruno Hhoste, auteur de La grande (sur-)bouffe (éditions Rue de l'échiquier)

En France, le Grenelle de l’Environnement a abouti à une mesure réglementaire en vigueur depuis le 1er janvier 2012 (l'article 204 de la loi Grenelle II). Désormais les "gros producteurs" (Industries agro-alimentaires, commerce et grande distribution, restauration, marchés,…) de biodéchets sont tenus de les faire traiter en vue de permettre la valorisation de la matière de manière à limiter les émissions de gaz à effet de serre et à favoriser le retour au sol.Pour participer à l’objectif de réduire de moitié le volume des déchets alimentaires d’ici à 2025, le ministère de l'Agriculture a relancé le sujet à travers « un pacte national contre le gaspillage » d'ici à juin 2013. En pratique, le programme annoncé se traduit par deux mesures principales : collecter les invendus au profit des plus démunis en généralisant aux 22 marchés d’intérêt national (Min) d’ici 2013 les premiers accords avec des associations caritatives et lancer cinq opérations pilotes en janvier (dans des collèges en Dordogne et un restaurant d’entreprises en Mayenne) pour réduire la part des déchets dans la restauration collective. Le ministre dédié à l’agroalimentaire Guillaume Garot souhaite également favoriser la vente à l’unité dans les rayons de la grande distribution. « Il s’agit pour le moment d’un effet d’annonce, on attend le plan. L’heure n’est plus à l’expérimentation et à quelques sites pilotes. L’enjeu est tel qu’il nécessite un véritable changement d’échelle. Il manque une politique territoriale alimentaire en France », estime pour sa part l’auteur de La grande (sur)bouffe.Reste que le gâchis alimentaire ne pourra jamais être réduit à zéro. Tristran Stuart estime qu’il est acceptable de prévoir 130% de surplus dans la production pour éviter les impondérables (mauvaises récoltes, problèmes d’approvisionnements). De plus, une part inévitable de déchets est produite, de l’ordre de 50% selon une étude réalisée par la FNE : il s’agit ici des déchets non comestibles comme les carcasses ou les coquilles… Toutefois, un potentiel de réduction existe. Il passe notamment par ces trois leviers : un objectif central de « réduction » des déchets, de «réutilisation » notamment à travers des banques alimentaires et de « recyclage » avec entre autres l’alimentation animale, le compost, la méthanisation (méthode qui permet également de produire du gaz) pour tout ce qui ne peut pas être consommé…

" Il y a eu une perte du fil de l’origine de la nourriture. On a oublié que ce n’était pas n’importe quel produit manufacturé, et ce, surtout en milieu urbain." Bruno Lhoste

Le gaspillage alimentaire, un phénomène culturel

A travers les 6 R (Réduire, redistribuer, recycler mais aussi reconnaître, reconnecter et Réapprendre), Bruno Lhoste propose une lecture plus large du problème et dégage une explication davantage culturelle : « Il y a eu une perte du fil de l’origine de la nourriture. On a oublié que ce n’était pas n’importe quel produit manufacturé, et ce, surtout en milieu urbain. De plus, il n’y a plus le savoir-faire traditionnel que l’on apprenait auparavant dans la famille ou le milieu scolaire de la cuisine des restes. Il y a une composante culturelle énorme dans le gaspillage alimentaire ». Les Amap, l’engouement croissant pour les circuits courts qui mettent directement en lien le producteur et le consommateur (comme la Ruche qui dit Oui !) ouvrent la voie vers une relocalisation de l’économie et offrent la possibilité de reprendre contact avec un système de production alimentaire plus « durable » et moins standardisé. En toile de fond se dessine une problématique plus globale à l’échelle du territoire : Alors même que 75% de la population mondiale vivra en ville en 2050, la question de l’autonomie alimentaire et de l’approvisionnement des denrées devient cruciale et devrait inciter les différents acteurs à donner à la question alimentaire une dimension plus humaine.

2012-11-20
La CoRévolution porte une multitude d'alternatives»

Anne-Sophie Novel est journaliste, docteure en économie et fondatrice du blog collectif Ecoloinfo.com. Elle vient de publier un ouvrage co-écrit avec Stéphane Riot : Vive la co-révoltion. Pour une société collaborative aux éditions Alternatives. Midionze l'a interrogée sur cette notion.

 

Tout d'abord, pourriez-vous définir le terme de "co-révolution" ?

La Corévolution désigne l'ensemble des pratiques collaboratives qui émergent à tous les niveaux de la société aujourd'hui. Dans un contexte de crises économique et écologique, les dynamiques de partage sont réinventées, portées par l'essor des technologies numériques et par le besoin de tisser du lien social. Ce phénomène est global et montre à quel point il est possible de "faire autrement" aujourd'hui. Face à ma morosité ambiante, la CoRévolution porte une multitude d'alternatives qui ouvrent de nouveaux possibles, pour peu qu'on veuille bien les voir.

Selon vous, la consommation collaborative est l'un des champs de la co-révolution ?

Bien sûr, c'est la partie émergée de l'iceberg, une façon de partager, donner, troquer qui est facilitée par la diffusion d'une "mentalité 2.0" (en référence au Web 2.0 et aux échanges transversaux rendus possibles avec l'essor des blogs et des réseaux sociaux, etc.). Les logiques à l'œuvre dans la consommation collaborative sont très anciennes mais totalement renouvelées par le numérique et les échanges pair-à-pair (peer to peer). Désormais, un besoin donné (se déplacer) peut être satisfait par une multitude de possibilités, ce qui réinvente l'abondance et permet différents modes de consommation.

"Désormais, un besoin donné (se déplacer) peut être satisfait par une multitude de possibilités, ce qui réinvente l'abondance et permet différents modes de consommation." Anne-Sophie Novel, co-autrice de Vive la co-révolution  

Quels sont les différents piliers qui la constituent ?

Nous avons identifié quatre piliers : la crise économique qui nous oblige à avoir plus fréquemment recours au "système D", la crise écologique qui fait que nous sommes "tous concernés", les révolutions arabes, érables et le mouvement des indignés qui font que nous sommes "tous mobilisés" et enfin le web qui nous permet d'être "tous connectés", en permanence reliés.  

Quelles nuances peut-on tracer entre consommation collaborative et économie de fonctionnalité ?

Les deux sont fortement liées : l'économie de fonctionnalité travaille les services là où la consommation collaborative favorise l'usage et l'accès sur la propriété. A terme, les entreprises verront leurs modèles modifiés par ces nouvelles façons d'aborder la consommation, les constructeurs automobiles feront probablement plus de location que de vente, ou seront en tout cas obligés de revoir leur conception de véhicules pour un usage plus partagé et fréquent qu'aujourd'hui (une voiture est à l'arrêt 92% du temps).

Quelles sont les forces de ce "mouvement " ?

La force de ce mouvement est qu'il vient de la base, qu'il se construit sur une logique ascendante, par et pour les usagers. Cela est véritablement révolutionnaire. Nous sommes peut-être dans une "bulle" du collaboratif, de la co-création, de la co-construction et de l'économie du "co", mais une chose est sûre: les tendances actuelles sont pour certaines parties pour durer.

"La force de ce mouvement est qu'il vient de la base, qu'il se construit sur une logique ascendante, par et pour les usagers." Anne-Sophie Novel

Des fonds d'investissements misent sur les start-up de la consommation collaborative, la finance participative vient de se doter d'une association pour être mieux représentée en France, Ashoka vient de créer un lieu dédié à la co-construction, des forums tels convergences2015 réunissent de plus en plus de monde...

Ses principaux obstacles ? Ses limites ?

Certains services de consommation collaborative sont sympathiques mais n'ont pas les moyens d'assurer un modèle économique digne de ce nom. Certains acteurs voient d'un mauvais œil ces nouveaux services et font pression pour une réglementation juridique. Les logiques de co-construction demandent beaucoup de temps aussi, et chaque acteur doit aussi travailler sa propre posture pour être apte à véritablement collaborer.

Qu'est ce qui selon vous est véritablement novateur et "révolutionnaire" dans la consommation collaborative ?

Le pouvoir que reprennent les consommateurs sur leur consommation, le fait de sortir de l'hyperconsommation et de générer plus d'autonomie et de solidarité. Dans nos sociétés développées, ce retour de nouvelles dynamiques de partage fait du bien ! Après, cela est peut être "contraint" par la crise, mais ça reste enthousiasmant.

Dans quelle mesure la consommation collaborative et le développement durable (DD) sont-ils liés ? En quoi la co-révolution sert-elle le DD ?

La consommation collaborative permet concrètement de mutualiser les usages, d'éviter que chacun possède des objets "dans son coin" alors qu'ils ne servent qu'occasionnellement. Partager ou louer ces objets permet de rendre service à d'autres pour la durée de leur usage. Le fait d'échanger des compétences ou des services permet aussi de (re)tisser des liens sociaux que nous avons souvent oubliés.

"La consommation collaborative permet concrètement de mutualiser les usages, d'éviter que chacun possède des objets "dans son coin" alors qu'ils ne servent qu'occasionnellement." Anne-Sophie Novel

Plutôt que de jeter des choses qui nous sont devenues inutiles, on dispose de possibilités plus nombreuses pour les donner ou les réutiliser différemment. En réalité, on entre ici dans le développement durable par les portes économiques et sociales. L'avantage est que cela sert de fait des aspects plus environnementaux, et ce alors qu'il reste encore beaucoup à faire en matière de sensibilisation au DD. La consommation collaborative est un coup de pouce formidable pour le DD. Pour la CoRévolution en général, les logiques de co-contruction ou de co-création ONG-Entreprises, ainsi que les modifications profondes du management sont autant d'éléments qui réinventent les façons de faire en portant des valeurs plus solidaires, plus conviviales, véritablement au service du vivre-ensemble.

 

Pour en savoir plus :

Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot, Vive la corévolution. Pour une société collaborative, éditions Alternatives, collection Manifestô, 2012, 208 pages.

2012-10-30
"La RSE doit être au coeur de la stratégie de l'entreprise"

Nicolas Mottis est économiste et professeur à l’ESSEC. Il s’intéresse à deux domaines de recherche principaux : la gestion de projets dans les environnements high-tech et le pilotage des performances sur les marchés financiers avec notamment les aspects liés aux interactions entre les firmes et ses mêmes marchés financiers. Il répond à nos questions sur la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) et sur l’innovation.

Vous vous intéressez au concept de «création de valeur », pouvez-vous préciser cette notion ? Quelle est votre approche sur les liens entre valeurs financières et impacts environnementaux et bien-être des salariés dans une entreprise ?

Pendant longtemps, la vision de la performance était dominée par les critères de performances financière pour l’actionnaire. Depuis 15-20 ans, cette dimension de la performance a connu une forte montée en puissance, avec par exemple comme conséquence les débats sur l'alignement des rémunérations des dirigeants sur l'intérêt des actionnaires. Par la suite, les performances financières ont été mises en lien avec des critères extra-financiers, ou E.S.G (Environnemental, social, de gouvernance). De nombreuses études ont été publiées sur les liens entre performances financières et ESG, mais les conclusions sont encore très ouvertes. En effet, création de valeur pour l'actionnaire et performances ESG ne vont pas forcément de pair. Cela est d'autant plus sensible en période de crise, alors que de nombreux dirigeants d’entreprise se demandent si les éléments E.S.G vont réellement permettre à leurs entreprises de se consolider.

"En période de crise, de nombreux dirigeants d’entreprise se demandent si les éléments E.S.G vont réellement permettre à leurs entreprises de se consolider." Nicolas Mottis, économiste

Pour une entreprise, dans quelle mesure, le développement durable est-il un investissement qui peut s’avérer rentable à moyen et long terme ? Quels sont les avantages offerts aux entreprises qui choisissent de se positionner sur ce segment ?

Il y a quatre cas assez simples. Le premier cas concerne la majorité des entreprises. Faire des économies d’énergie, adapter des attitudes éco-responsables permet de faire des économies : isolation du bâtiment, plan de mobilité, économie de papier, de matières premières…Ici, on fait des gains sur les deux tableaux.

Le deuxième cas concerne des entreprises qui sont concernées par une réglementation en place ou à venir. Le fait d’anticiper offre alors un avantage concurrentiel pour ses structures que ce soit auprès des clients pour un appel d’offre ou auprès des autorités…

Le troisième cas évoque les entreprises qui sont dans une situation contradictoire. Elles décident de faire des efforts mais savent déjà que cela va leur coûter de l’argent. Cette décision s’inscrit dans une approche, une vision à moyen terme. En période de crise, les critères E.S.G ne sont alors plus privilégiés.

Enfin, le quatrième cas met en avant des entreprises qui décident de travailler sur la RSE pour redéfinir leur façon de faire du business, elles choisissent la voie de l’innovation pour proposer de nouvelles façons de faire, de nouveaux usages, de repenser leur modèle. Cela concerne notamment les entreprises de l’économie de fonctionnalité (on ne vend plus un bien mais l’usage de ce bien). Ce quatrième cas n’est pas le plus répandu même si de grands groupes et des PME s’y intéressent depuis environ 5 ans, il se situe davantage dans sa phase de réflexion et d’exploration.

"En France comme en Europe, il y a tout d’abord un frein structurel, un frein mental à considérer que la RSE serait une sorte de lubie des dirigeants, un simple outil de communication." Nicolas Mottis

Selon vous, quels sont en France les freins à l'innovation en matière de développement durable?

En France comme en Europe, il y a tout d’abord un frein structurel, un frein mental à considérer que la RSE serait une sorte de lubie des dirigeants, un simple outil de communication. Beaucoup estiment encore qu’elle est périphérique au métier, qu’elle est une contrainte alors qu’elle doit être au cœur de la stratégie d’une entreprise. L’autre frein est à mon sens conjecturel. Aujourd’hui, la préoccupation des entreprises c’est déjà de survivre, les dirigeants des PME sont assez stressés et voient la RSE comme quelque chose de secondaire.

Quelles innovations en lien avec le développement durable vous semblent aujourd'hui les plus prometteuses ?

Il y a beaucoup de choses intéressantes sur la question de l’efficacité énergétique pour différents acteurs (énergéticiens, distributeurs d’énergie, industries) avec notamment l’intégration de nouvelles sources d’énergies, l’optimisation des process, l’intégration dans les réseaux et le rôle des systèmes d’informations…

"L’urgence, c’est de redonner confiance aux entrepreneurs et dirigeants qui sont à l’heure actuelle en phase de report ou même d’annulation de leurs projets." Nicolas Mottis

Dans quelle mesure les innovations liées au thème du développement durable peuvent-elles être une piste pour sortir de la crise ?

Je pense qu’il s’agit d’une piste comme une autre mais qu’en période de crise, l’enjeu central, l’urgence, c’est de redonner confiance aux entrepreneurs et dirigeants qui sont à l’heure actuelle en phase de report ou même d’annulation de leurs projets. Le levier de l’innovation pour créer de nouveaux projets, de nouveaux services a un rôle à jouer mais à moyen terme car cela demande un investissement temps important et pas forcément d’argent.

Que pensez-vous de la politique du gouvernement en la matière, va-t-elle assez loin ?

Je pense que le gouvernement a un rôle clé à jouer et que la politique actuelle en fait déjà beaucoup même si on voudrait toujours que les autorités en fassent plus. Le gouvernement fait notamment des choses intéressantes sur la question de la rénovation thermique et son ambition de structurer les filières. Le rôle du gouvernement, son positionnement doit surtout être de proposer une vision longue et une stabilité dans ses orientations pour soutenir l’innovation qui a besoin de constance et d’équilibre…

2012-10-16