La ville à l’heure du changement.
A Venise, la biennale d'architecture mise sur l'adaptation

En sondant la manière dont diverses formes d’“intelligences” peuvent venir au chevet du climat, Carlo Ratti, commissaire général de la 19e Biennale d’architecture de Venise, signe une édition spectaculaire, mais pleine d’ambivalences…

Une Biennale d’architecture placée sous le signe de l’intelligence ? Vu la trajectoire de son commissaire Carlo Ratti, il n’y a là rien qui doive surprendre. L’ingénieur et architecte italien est en effet à la tête du MIT Senseable City Lab, dont le crédo est de développer et mettre en œuvre divers outils et applications numériques permettant aux citadins de mieux interagir avec leur environnement. 

Le thème de la 19e édition de la Biennale de Venise ne se réduit pas pour autant à mesurer l’apport de l’intelligence artificielle dans le pilotage et la gestion des villes. En accordant le terme au pluriel, il s’agit plus largement de voir comment trois approches différentes - la première fondée sur la nature, la deuxième sur les technologies, la troisième sur l’humain et le collectif - peuvent se conjuguer pour répondre à un défi majeur : le dérèglement climatique. 

Des solutions de toutes natures

Dans la Corderie de l'Arsenal qui accueille pour cette édition l’exposition principale, l’enjeu est posé dès l’entrée. Plongés dans le noir, une série de climatiseurs y saturent l’air d’une chaleur étouffante. Il faut passer dans la salle suivante pour renouer avec la fraîcheur du bâtiment et découvrir un ensemble de “solutions” fondées sur la “nature” : végétaux, minéraux, mais aussi culture de micro-organismes…

Dans le pavillon du Canada, le projet Picoplanktonics mise sur la culture de plancton pour créer une architecture durable et résiliente


La salle suivante tranche avec la douceur de cette première section, où les matériaux les plus vernaculaires (briques, pierre, chaume, corde…) composent une série d’abris spectaculaires (arches, tentes, etc.) : on y aborde l’apport des nouvelles technologies au pilotage des villes via un ensemble de projets comme celui de Sidewalk Labs, chantre de la smart city imaginé pour la ville de Toronto, et abandonné.

Am I a strange loop ? de Takashi Ikegami et Luc Steels dans la section "Artificial" de l'exposition à l'Arsenal

Il y est aussi possible d’y converser avec un robot humanoïde conçu par Takashi Ikegami et Luc Steels  (Am I a strange loop ?), qui semble à l’opposé de l’idée développée dans la salle suivante, selon laquelle c’est la discussion, le débat, l’agir politique qui sauveront le monde. Dans cette section, domine l’impressionnante agora en bois (le speaker’s corner) conçue par Christopher Hawthorne, Johnson Marklee et Florencia Rodriguez. S’y dégage l’idée générale que l’architecture et l’aménagement sont une forme de ménagement, une culture du soin et de l’attention. 

A la corderie de l'Arsenal, une installation faite de climatiseurs plonge l'entrée de l'exposition dans une chaleur étouffante

S’adapter ou trouver une planète B ? 

Fruit d’une consultation mondiale, “space for ideas”, qui a permis d’ouvrir la Biennale à environ 750 participants et de souligner la diversité des approches de l’architecture, cette 19e édition pose question pour plusieurs raisons. A parcourir les divers pavillons situés dans les Giardini, on comprend que le discours global en matière de dérèglement climatique a définitivement tourné une page : celle de l’atténuation. Malgré la gravité des constats opérés ici et là, dont le pavillon du Chili, qui souligne de manière spectaculaire l’impact des data centers, il s’agit désormais de s’adapter. C’est notamment le discours à l'œuvre dans l'espace d’exposition aménagé par l’agence Jacob & McFarlane devant le pavillon français, fermé pour rénovation : intitulée “vivre avec”, leur proposition tourne au catalogue de projets séduisants, mais dont on devine d’emblée l’insuffisance. 

Le pavillon français conçu par l'agence Jacob & McFarlane invite à "Vivre avec"


Carlo Ratti semble lui-même douter de la capacité de l’architecture à faire face à l'immense défi de l’adaptation. C’est en tous cas ce que suggère la dernière salle de l’exposition dont il signe le commissariat à l’Arsenal. Il n’y est plus question d’intelligence naturelle, artificielle ou collective, mais bien de survie en milieu hostile. Dans l’obscurité, diverses tentes, combinaisons, dispositifs émergent, et dévoilent autant d’outils et de moyens de s’implanter dans l’espace. Façon de suggérer que si, il y a bien une planète B ? Ou plutôt de pointer l’urgence d’agir pour éviter la fuite dans l’espace ?  Quoi qu’il en soit, l’ensemble fait froid dans le dos, et tempère sérieusement l’optimisme et la séduction des projets présentés par ailleurs.

Dans la dernière salle de l’Arsenal, un abri pour survivre dans l’espace
SPACESUITS US: A CASE FOR ULTRA THIN ADJUSTMENTS d’Emily Ezquerro, Jerónimo Ezquerro, Charles Kim, Stephanie Rae Lloyd, Emma Sheffer et Sam Sheffer

Infos pratiques

19e biennale d'architecture de Venise - du 10 mai au 23 novembre 2025

L’exposition se déroule dans deux lieux différents (à 10 minutes à pied l’un de l’autre). Les horaires d’ouverture sont valables pour les deux lieux de visite.

Giardini : Viale Trento 1260 und Sant’Elena (Viale IV Novembre)

Arsenal : Campo della Tana 2169/F et Ponte dei Pensieri (Salizada Streta)

Horaires : 11h-19h

2025-06-05
Le bricolage urbain, créateur de convivialité dans l'espace public

Porté par l'engouement pour le DIY et le mouvement des "makers", le bricolage urbain propose d'expérimenter des usages alternatifs et conviviaux de l'espace public. Mode d'emploi avec Etienne Delprat et le collectif YA+K, qui viennent de publier un manuel illustré aux éditions Alternatives.

Des bombes à graines pour végétaliser la ville. Un sound system juché sur une trottinette. Une terrasse mobile en palettes. Un vélo projecteur mobile. Une bibliothèque où déposer et prendre librement des livres. Une balançoire en kit…

Ces objets, dont le point commun est d’être entièrement faits de matériaux trouvés dans la rue, Ya+ K (prononcez “Y’a plus qu’à”) les construit et expérimente depuis 2011 au cours de résidences, de festivals et d’interventions diverses dans l’espace public. Sous la houlette de son co-fondateur Etienne Delprat (déjà auteur de Maisons en kit et Système DIY aux éditions Alternatives), le collectif d’architectes, d’urbanistes et de designers en livre aujourd’hui le mode d’emploi dans Le Manuel illustré de bricolage urbain, publié le 20 octobre aux éditions Alternatives. Au programme, un catalogue de projets expliquant comment construire une petite trentaine de pièces de mobilier urbain à usage récréatif et/ou professionnel, tout en spécifiant aussi bien le niveau de difficulté que le budget nécessaire à leur assemblage.

L’ouvrage se veut résolument pratique : “ce livre n’est pas un ouvrage théorique autour de ces nouvelles formes d’urbanisme et de design, y lit-on. Il se veut une invitation à les expérimenter.” A l’instar de nombreux collectifs comme ETC, Bellastock ou eXYZt, YA+K revendique en effet un pas de côté hors des routines professionnelles des “faiseurs de villes”, dont l’activité planificatrice et rationnelle est à mille lieues du bricolage. Loin de l’ingénierie complexe à laquelle ils ont été formés, loin des normes et des processus classiques auxquels est soumise la fabrique de l’urbain, les auteurs de l’ouvrage proposent de se retrousser les manches, de mettre la main à la pâte, bref de “faire”, de tester. Doubles héritiers du mouvement DIY et des “makers”, ils superposent à l’urbanisme institué un “urbanisme du quotidien” fondé sur les usages, la sérendipité et l’emploi judicieux des ressources locales.

Mobiles, légers, peu chers, faciles à fabriquer, les objets dont ils offrent le mode d’emploi répondent à un désir croissant des citadins contemporains comme des professionnels de la ville de se retrouver, d’activer, d’animer, de s’approprier l’espace public. Enfants de la révolution numérique et de son élan vers le partage et la collaboration, les membres de YA+K insistent sur la convivialité de leur démarche : ils plaident moins en faveur du DIY que du DIT (“do it with others”). D’ailleurs, de Serie+ (sérigraphie mobile) à Agora (public chair) en passant par palette+1 (terrasse mobile) et Balco (balançoire pour deux personnes), nombre des objets dont ils livrent le mode d’emploi sont dévolus à un usage festif...

A moins qu’ils n’aient une fonction économique, comme le Surface to sell à l’usage des vendeurs ambulants ou le Food bike dédié à la cuisine de rue. Le pas de côté revendiqué par YA+K en conduit les membres à explorer le potentiel de l’économie informelle. Il faut dire que l’émergence du bricolage urbain et du mouvement “faire” se situent au point de convergence de trois crises : économique, écologique et politique. Face à la raréfaction des ressources publiques, ce mode d’intervention collectif dans l’espace public affirme à la fois son caractère expérimental et sa capacité à s’adapter au contexte, à faire feu de tout bois. “Penser la rencontre entre la ville et le mouvement DIY, c’est appréhender la ville comme un support et une ressource”, peut-on lire dans le Manuel illustré du bricolage urbain. Les matériaux de prédilection des bricoleurs sont donc les rebuts de la société de consommation et de la logistique : palettes et cagettes, mais aussi encombrants qui jonchent les trottoirs et autres objets manufacturés, tels que vélos, caddies, etc.  Ces ressources, YA+K propose de les utiliser selon diverses modalités : le détournement (du hacking visant à critiquer la fonction première d’un objet au plug-in, qui en augmente la fonctionnalité) et la production (par assemblage ou par façonnage). En cela, le collectif invite à une approche résolument critique des modes de production et de consommation contemporains, dans le droit fil du mouvement faire et de l'urbanisme tactique…

Des lectures pour aller plus loin :

Les pionniers :

Le Whole earth catalog de Stewart Brand : Publié entre 1968 et 1972, cet ouvrage propose un “accès aux outils” permettant d’atteindre l’autosuffisance. En France, sa parution est suivie de près par celle, en 1975, du Catalogue des ressources aux éditions Alternatives, déjà.

Penser le "faire" :

Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur : Essai sur le sens et la valeur du travail, éditions La Découverte, 2010.

Brillant universitaire, Matthew Crawford décide un jour de claquer la porte du think tank pour lequel il travaille et de se reconvertir dans… la réparation de motos. Dans Eloge du carburateur, il souligne combien le travail manuel peut s'avérer plus satisfaisant (mais aussi plus exigeant) intellectuellement que les emplois, de plus en plus taylorisés et précaires, pourvus par "l'économie du savoir".

Michel Lallement, L’âge du faire : hacking, travail, anarchie, éditions du Seuil, collection "la couleur des idées", 2015.

L'ouvrage est le fruit d'une enquête sociologique menée au sein de divers hackerspaces californiens, et décrit la façon dont le mouvement des "makers" reconfigure nos pratiques et nos imaginaires du travail.

2016-11-03
Écrit par
midi:onze
Carlos Moreno : « Le bien commun est au cœur de la smart city humaine »

Professeur des Universités, expert international de la smart city humaine, le franco-colombien Carlos Moreno, développe une approche humaine de la ville intelligente. Il répond aux questions de Midionze.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la ville, et à la ville intelligente en particulier ?

En tant que scientifique du monde des sciences dites « dures » comme les mathématiques, les systèmes artificiels ou la robotique, je suis venu à m'intéresser à la ville par la problématique de la résilience et des villes à risques (risques naturels ou technologiques). Elles ont la particularité d’être soumises à des risques aléatoires et doivent anticiper les crises. C'est par ce biais que j'ai compris l'importance de l’acceptabilité sociale des citoyens, c'est à dire de l'adhésion à la manière de gérer les risques dans la ville. J'ai été assez pionnier dans l'utilisation du numérique et la production de données dans la ville, ce qui m'a mené à considérer que l'essentiel n'était pas de développer les technologies dans la ville mais de concevoir de nouveaux usages avec les citoyens ou du moins qu'ils les acceptent socialement.

Quelle est votre définition de la ville intelligente ? Quels sont les « ingrédients » pour faire une ville intelligente ?

Je préfère parler de la ville vivante et je préfère parler d'intelligence citoyenne et urbaine. Le premier élément c'est l'inclusion sociale. Le XXIe siècle est le siècle des villes alors que le XXe siècle a été celui des Etats-nations et le XIXe siècle celui des empires. Les villes sont en perpétuelle évolution et sont portées par l’attractivité économique, la qualité de vie et les services. En France, on constate un phénomène de métropolisation et l'émergence de grandes métropoles dans le monde. Avec cette très forte croissance, l'inclusion sociale est essentielle. Le deuxième facteur est la réinvention des infrastructures urbaines pour muter vers des villes polycentriques et polyfonctionnelles. Je parle de villes du « 1/4 heure », où l'on peut accéder aux services essentiels en un quart d'heure.

"Les technologies doivent être un levier, des outils au service de la ville intelligence." Carlos Moreno

Le dernier facteur est la technologie. A l'heure de l'ubiquité, de la communication des hommes et des objets et de l'open data, tout le monde est producteur et consommateur de données. Les technologies doivent être un levier, des outils au service de la ville intelligence.

Quels modèles de ville intelligente « réussis » avez-vous pu observer dans le monde ?

Il n’y a pas de modèle, il n'y a que des sources d'inspiration. Chaque ville est le fruit d'une histoire politique, sociale, linguistique, religieuse. La ville est un organisme vivant soumis à des aléas, qui doit s'adapter et qui n'est jamais finie. En même temps, elle est artificielle car elle a été créée par l'homme. De plus, on observe une explosion de l'activité humaine dans les villes depuis 1930 car la population mondiale a été multipliée par 4 en 80 ans. Chaque ville est issue d'un contexte qui lui est propre, même à l'intérieur d'un pays. La problématique n'est pas de dire quel est le modèle de ville intelligente mais de comprendre la ville dans ce qu'elle est, dans son rythme et son métabolisme.Je pense qu'il ne faut pas tomber dans le piège des villes à copier ou à classer. Les villes doivent être des sources d'inspiration et nous devons repérer les bonnes pratiques...

Dans quelle mesure la ville intelligente peut-elle répondre aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux du XXIe siècle ?

Pour moi, il y a cinq enjeux. Tout d'abord, il y a un enjeu social, le fait de bien vivre ensemble. Ensuite, il y a un enjeu économique : les villes doivent créer de la valeur et de l'attractivité dans les territoires. Il y a aussi un défi culturel : faire en sorte que les citoyens aient de la fierté de vivre dans leur ville, qu'ils soient acteurs dans leur propre ville. Ensuite, il y a un enjeu écologique. Il est primordial que la ville puisse répondre aux défis énergétiques et climatiques majeurs. Nous devons passer à une ville post-carbone. Les villes ont un rôle de premier plan sur ce point car c'est l'activité humaine, et non uniquement la démographie, qui est le défi majeur. La ville est la principale contributrice des effets du changement climatique, par le bâtiment, les transports motorisés, par les réseaux de chaleur et de froid. Ces trois facteurs représentent 70 % de la pollution dans les villes. La vraie problématique c'est qu'aujourd'hui la ville est le creuset de l'activité humaine. Le 5e enjeu c'est la résilience qui est aujourd'hui au cœur de la problématique de nos villes. La résilience, c'est la vulnérabilité des villes. A vouloir faire de la smart city technologique et techno-centrique, on a oublié que la ville est extrêmement fragile et très vulnérable. Et la vulnérabilité est avant tout sociale et territoriale. Aujourd'hui, cet aspect est une donnée d'entrée. Les villes sont monofonctionnelles, inégalitaires et produisent d'énormes chocs.

Selon vous, les seuls algorithmes ne peuvent faire une ville intelligente. Vous pointez notamment le danger de faire des citoyens des « zombies-geeks » hyperconnectés. Comment éviter cet écueil ?

La révolution technologique est bien plus large que la révolution numérique. Les enjeux technologiques sont autant énergétiques, liés à l'économie circulaire pour les déchets, aux biotechnologies et aux nanotechnologies. L'économie urbaine est en effet transformée par les avancées des technologies numériques avec le développement de l'ubiquité massive liée aux objets connectés et l'explosion de la production de données ; ce sont là des outils très puissants mais il ne faut pas avoir une vision techno-centrée. Il vaut mieux avoir des villes imparfaites mais des villes où il y a de l'entraide, du dialogue avec les voisins, où l'on créé des emplois de proximité. La technologie doit être au service de l'homme. L'hyper-connectivité technologique peut produire de la déconnexion humaine massive, et transformer les hommes en « zombies-geeks » qui sont aussi déconnectés socialement. Aujourd'hui, il y a un énorme pari à faire sur l'idée d'hyper-proximité pour reconstruire du lien social dans les quartiers, pour vivre dans des villes métropolitaines avec une échelle humaine et où l'on utilise la technologie comme un outil pour recréer du lien social.

Quel regard portez-vous sur les Civic Tech ? Peuvent-elles réellement changer la démocratie ?

La Civic Tech est aujourd'hui un enjeu majeur car elle résume comment les technologies peuvent récréer du lien social, peuvent aider les hommes et les femmes à communiquer, créer de nouveaux modèles démocratiques. Pour moi, ce n’est pas une fin en soi mais des outils intéressants pour démultiplier la manière de faire du lien social.

"Aujourd'hui, il y a un énorme pari à faire sur l'idée d'hyper-proximité pour reconstruire du lien social dans les quartiers, pour vivre dans des villes métropolitaines avec une échelle humaine et où l'on utilise la technologie comme un outil pour recréer du lien social." Carlos Moreno

La démocratie est en danger car elle est devenue une représentation élective par procuration. On vote pour des élus, devenus alors des professionnels de la politique, non soumis au contrôle des citoyens. La Civic Tech peut oeuvrer à ce que les citoyens soient plus impliqués, à ce qu’ils s’organisent pour demander des comptes et participent aux budgets participatifs, et pourquoi pas à soumettre des projets. C'est une voie vers une meilleure représentativité participative des citoyens et un levier pour que la ville soit incarnée. La Civic Tech peut donc changer la démocratie, il faut aller vers la co-création, vers l'économie circulaire, l'agriculture urbaine, toutes ces initiatives peuvent avoir un rôle car alors le bien commun est mis en valeur. Le grand défi aujourd'hui est de valoriser le bien commun. C’est au cœur de la smart city humaine.

Qu'est-ce qu'une smart city humaine ?

Ce sont des espaces publics, des zones vertes, de la biodiversité ! Il faut réinventer les places publiques dans lesquelles on se rencontre pour offrir la possibilité de créer les liens entre les citoyens. Le retour d’investissement de la smart city humaine se mesure à la qualité des rencontres que l'on créée. Je milite donc pour que les places publiques soient données aux citoyens pour aller dans le sens du brassage et pour combattre la vulnérabilité donc je parlais précédemment. Si l'espace public est pris par les voitures, on ne crée pas du lien social. Il est temps de rentrer dans le paradigme de la ville du XXIe siècle, dans la ville respirable et où les hommes peuvent investir les espaces pour échanger.

" Le retour d’investissement de la smart city humaine se mesure à la qualité des rencontres que l'on créée." Carlos Moreno

Qu'est-ce que l'intelligence sociale et collective nécessaire selon vous à la ville intelligente ?

Une ville intelligente se distingue par les nouveaux usages et les nouveaux services lui offrant la capacité de se transformer. La gouvernance de la ville doit se tourner vers les citoyens. Je suis persuadé que les villes dotées d'une nouvelle gouvernance vont proposer de nouveaux modèles économiques de développement urbain, au moment même où l'économie du partage et collaborative se développent. Les villes qui vont « tirer leur épingle du jeu » seront celles qui auront su s'approprier ces changements autour de l'idée de l'usage. Ces nouveaux modèles sont les nouveaux défis de la ville. Et pour cela, il faut commencer par décloisonner les mètres carrés dans lesquels les gens vivent. Dans le meilleur des cas, ils vivent dans des écoquartiers, mais ils sont déconnectés de la ville ! Si l'on veut que la ville soit humaine, festive et collective, il faut décloisonner avec les nouveaux paradigmes de l'ubiquité et de l'économie collaborative. La prochaine étape est donc de réinventer la vie dans la ville.

Quels sont les défis qui attendent les villes du XXIe siècle ?

L'inclusion sociale est au cœur des problématiques urbaines. Pour relever les défis, il va falloir répondre à ces questions : comment faire des territoires attractifs, comment faire une gouvernance d'intégration urbaine avec de la biodiversité et la nature, comment utiliser les technologies pour faire du lien social et comment créer un bien commun qui puisse faire en sorte que les habitants s'identifient à leur ville et que les habitants soient acteurs de la ville.Propos recueillis par Déborah Antoinat

2016-10-11
Écrit par
Pierre Monsegur
"Partir" au Château de Blois : l'architecture mobile entre hédonisme et catastrophe

Au Château royal de Blois, le FRAC Centre-Val de Loire examine dans l’exposition « Partir – Architectures et mobilités » un corpus d’œuvres d’art et de projets architecturaux qui interrogent depuis les années 1950 le devenir nomade de l’homme du 20e et 21 siècle…

En Occident, la mobilité est un art de vivre, une valeur, et sans doute une vertu. A son évocation, se dressent les images, également séduisantes, de l’individu métropolitain hyperconnecté et du voyageur (touriste ou traveller) en quête d’hédonisme et d’ailleurs. L’individu mobile se donne pour curieux, émancipé et ouvert sur le monde, à l’exact inverse de la posture du « repli ». A cette mobilité choisie sinon revendiquée, le réfugié vient pourtant superposer une toute autre image : celle d’un mode d’existence et d’habitat précaires et contraints par la nécessité de fuir la catastrophe – climatique, économique, politique.

Soucieux d’interroger les formes artistiques et architecturales auxquelles donne naissance le nomadisme du 20e et 21e siècle, le FRAC Centre - Val de Loire oscille naturellement entre ces deux figures. En lien avec le thème « Partir » des rendez-vous de l’Histoire 2016, l’institution puise dans ses collections et déroule au Château de Blois une histoire de l’architecture mobile qui en explore tout à la fois la part d'utopie et la vocation critique.Ce tour d’horizon présente d’abord quelques projets conçus dans les années 1950, à l’heure où l’avènement de la société des loisirs et le développement des systèmes de communication et de transport font de la mobilité une question sociétale de premier ordre : de la Maison tout en plastiques (1956) de Ionel Schein au projet de « Ville spatiale » (1959), entièrement modulable, extensible et démontable de Yona Friedman, les imaginaires se portent alors vers un mode de vie libre et presque sans attaches. Dans la décennie suivante, l’invention de la Cité aérienne (1964-65) de Pierre Székely qui évolue à plus de mille mètres d’altitude, la maison de vacances volante (1963-64) de  Guy Rottier ou Instant City d’Archigram, poussent un degré plus loin ce fantasme d’un homme hors-sol, que la conquête spatiale contribue à éloigner de son ancrage terrestre.  Dès l’époque, pourtant, l'image idéalisée du traveller hédoniste commence à se craqueler : dans My Wings (1970), Mario Terzic rejoue le mythe d’Icare pour mieux évoquer la guerre du Vietnam et l’enracinement, tandis que les architectes italien du groupe Cavart ou Ettore Sottsass font de l’architecture éphémère et du « bricolage » une charge contre la culture industrielle. Au fil des décennies, la figure dystopique du campeur post-apocalyptique héritée de la Guerre froide, bientôt relayée par celle du réfugié contemporain, prend ainsi le pas sur celle du voyageur émancipé, et annonce l'avènement d’une nouvelle mobilité planétaire largement contrainte par l'état du monde. Significativement, l’exposition se clôt ainsi par une carte blanche au PEROU, pôle d’exploration de ressources urbaines ayant notamment arpenté la jungle de Calais et qui entend expérimenter de nouvelles tactiques urbaines pour « fabriquer de l’hospitalité tout contre la ville hostile ».

Infos pratiques :

"Partir - Architectures et mobilités"

Du 6 octobre au 12 décembre 2016

Château de Blois, 6 place du Château - 41000 Blois.

Tous les jours de 9h à 18h

Tarif plein : 10 euros

http://www.frac-centre.fr

2016-10-19
Écrit par
midi:onze
Stefan Buljat, association Bastina Voyages : « Le voyage commence ici, près de chez soi. »

L'association Bastina a déployé le programme européen Migrantour à Paris. Lancé en 2010 à Turin, celui-ci a pour objectif de proposer des itinéraires urbains interculturels, accompagnés par des habitants issus de l'immigration pour découvrir le territoire avec un regard différent. Depuis, il a été expérimenté dans 9 villes européennes (Turin, Milan, Gênes, Florence, Rome, Marseille, Paris, Valence, Lisbonne). Midionze a voulu interroger ces formes alternatives de tourisme urbain et déterminer en quoi les migrations peuvent être un facteur d’enrichissement et de transformation des villes. Entretien avec Stefan Buljat, responsable de l'agence Bastina.

Vous avez remporté l'appel à projets pour mettre en place le projet Migrantour à Paris. Qu'est ce qui vous a intéressé dans ce projet ?

Nous réalisions déjà des balades urbaines depuis 2012. Ce qui nous a séduit avec le projet Migrantour, c'est le changement de paradigme dans le tourisme équitable qu'il propose. Habituellement, ce type de tourisme s'opère à travers des destinations exotiques, à des milliers de kilomètres. Ce projet permet de le recentrer ici et maintenant. Le voyage peut commencer ici, près de chez soi.

Quelles ont été les principales difficultés auxquelles il a fallu faire face ?

Au départ, il a fallu identifier et trouver les « passeurs de culture » et il a fallu du temps pour que nos différents partenaires nous accordent leur confiance. Depuis, nous avons lié des partenariats avec le Musée de l'histoire de l'immigration et l'Université Paris Descartes, la Ville de Paris et des acteurs de la Politique de la Ville et de l'économie sociale et solidaire.

Les balades sont donc guidés par des habitants des quartiers issus de l'immigration. Qui sont ces « passeurs de cultures » et comment les recrutez-vous ?

Venant de tous horizons socio-culturels, ce sont souvent des personnes qui se sentent concernées ou qui ont un intérêt pour la diversité culturelle, qui travaillent dans des associations de quartier ou culturelles. La formation se déroule avec des étudiants en anthropologie de l'Université Paris Descartes avec lesquels les "passeurs" ont réalisé des enquêtes et travaillent pour élaborer des projets touristiques alternatifs. La prochaine session de formation débute fin septembre avec une promotion de 25 personnes.

Le contexte actuel des attentats et des discours ultra-sécuritaires qui ont suivi a-il eu une influence sur les balades ou les passeurs ?

Il y a en effet une influence. Il y a encore 2/3 ans, lorsque l'on faisait des balades, on percevait les migrants comme « des oiseaux migrateurs » ! Aujourd'hui, le mot "migrant" est systématiquement associé aux primo-arrivants. On le ressent avec certaines balades comme celle que nous proposons sur le thème des frontières à Saint-Denis. Beaucoup de gens hésitaient après les événements de novembre dernier. Nos balades se déroulent principalement dans l'est parisien, dans le 18e, 19e  et le 20e arrondissement de Paris ainsi que dans sa proche banlieue. Ces mêmes lieux que le journaliste Nolan Peterson de l’émission de Fox News a identifié sur une carte de Paris comme des « No-Go-Zones ». Notre rôle est aussi de lutter contre les préjugés et les a-priori mais l'actualité n'arrange pas les choses.

"Nos balades se déroulent principalement dans l'est parisien, dans le 18e, 19e  et le 20e arrondissement de Paris ainsi que dans sa proche banlieue. Ces mêmes lieux que le journaliste Nolan Peterson de l’émission de Fox News a identifié sur une carte de Paris comme des « No-Go-Zones »." Stefan Buljat

On estime qu'en Île-de-France, une personne sur 5 est d'origine extra-européenne. Selon vous, en quoi les multiples migrations au fil des siècles sont un facteur d'enrichissement des villes, en l’occurrence de Paris ?

Paris se revendique comme la ville-Lumière, de la Liberté depuis le XIXe siècle. Une Ville-Monde qui n'est pas uniquement une image mais bien une réalité avec la présence de nombreux exilés politiques ; il y a eu aussi les migrations pour des raisons économiques, des gens ont vécu ici, portant en eux leur culture, façonnant le territoire par leur présence, leurs activités.Toutes ces migrations ont créé une capitale aux multiples visages avec une multitude de cultures. La future balade « Les petites Italies », par exemple, s’intéresse aux migrations transalpines des années 1930 qui ont transformé ou créé des quartiers entiers à La Courneuve en Seine-Saint-Denis. La balade Fashion Mix dans le quartier de la Goutte d'Or permet de mettre en lumière ce qu'ont apporté les migrants au développement du prêt-à-porter et à la mode parisienne. Paris est la ville la plus touristique au monde, notre ambition est de montrer qu'il n' y a pas que la Tour Eiffel et les Champs-Élysées mais que Paris, c’est aussi des quartiers populaires d'une incroyable richesse culturelle ! Ce patrimoine vivant et immatériel mérite d’être mis en valeur. Par ailleurs, Migrantour participera à un cycle de conférences à la Cité de l'architecture et du patrimoine à l'automne prochain pour évoquer ce Grand Paris cosmopolite.

Ces balades cherchent à attirer des habitants du quartier, de la ville, des étudiants, des touristes. En pratique, qui participe à ces visites ?

A plus de 70 % ce sont des Franciliens, de Paris et de région parisienne qui cherchent à connaître les « codes » de ces quartiers pour acheter par exemple des produits dans une épicerie ou dans une boutique de Wax. Nous avons aussi quelques touristes étrangers. Récemment, une trentaine de jeunes venus de Tunisie, du Maroc ou encore de Serbie et Macédoine, hébergés par l'Auberge de jeunesse de la Halle Pajol dans le 18e arrondissement ont participé à des visites.

"Paris est la ville la plus touristique au monde, notre ambition est de montrer qu'il n' y a pas que la Tour Eiffel et les Champs-Élysées mais que Paris, c’est aussi des quartiers populaires d'une incroyable richesse culturelle !" Stefan Buljat

Comment éviter de faire de ces balades urbains un passe-temps pour personnes en mal d’exotisme ou encore de tomber dans le folklore, ce qui serait à contre-courant des objectifs visés ?

L'exotisme est un écueil mais il me semble qu'il est intrinsèque au tourisme ! On ne peut pas lutter contre l'exotisme mais on peut essayer de mettre en perspective, de montrer que l'altérité fait partie de paysage parisien, français et faire appel à l'imaginaire ! On souhaite éviter les lieux communs.  En donnant la parole aux habitants eux-mêmes, à ces passeurs de culture, on fait en sorte que le migrant devienne un véritable interlocuteur. Leur discours et leurs propos leur appartiennent complètement ! Et les balades sont désormais payantes [ndlr : 15 euros la balade, la moitié est reversée au passeur]. Ce n'est pas tout à fait la même démarche que pour d'autres formes de tourisme alternatif.

Autre danger : la « touristification » de la diversité culturelle et donc sa commercialisation ne risquent-elles pas d’accélérer le phénomène de gentrification de certains quartiers et ainsi d'écarter les émigrés qui y vivent ?

Si en effet ! Si elle est faite de façon massive et incontrôlée. En ce qui nous concerne, nous réalisons quelques interventions ponctuelles et je pense que Barbès ne sera jamais les Champs-Élysées ! L'idée est de faire découvrir un territoire, d'apporter une valeur ajoutée au niveau économique en faisant découvrir des commerces sans jamais forcer à l'achat. Il est important de respecter une éthique et de ne pas transformer les habitants en animaux de foire ! Et cela ne peut pas se faire sans la collaboration des habitants eux-mêmes.

2016-09-07
Du potager à l'assiette, les chefs misent sur les circuits courts

Le mouvement locavore séduit de plus en plus le monde de la gastronomie. De nombreux chefs en France et à l'étranger cultivent eux-mêmes leurs propres fruits et légumes servis directement dans leur restaurant. A l'image du célèbre Alain Passard, ce chef précurseur qui dès 2002 dispose de jardins potagers dans la Sarthe et dans l'Eure pour alimenter sa table triplement étoilée L'Arpège, les chefs veulent pouvoir offrir une cuisine saine composée de produits frais, quitte à investir (parfois) les toits parisiens. Reportage.

A seulement quelques mètres de la Tour Eiffel, en plein cœur de Paris, le chef Andrew Wigger du restaurant franco-californien Frame me conduit sur le toit de l'hôtel Pullman sur lequel est niché un jardin potager de près de 600 mètres carrés où poussent courgettes, aubergines, tomates, melon, figues, pommes, poires et romarin. Près d'une centaine de variétés de fruits, légumes et herbes aromatiques sont cultivés en fonction des saisons. Quatre ruches ont été installées, d'où partent les abeilles butineuses qui ont produit près de 180 kilos de miel en 2015. Les quelques poules qui caquettent dans un coin, fournissent les œufs du brunch servi le week-end. Un véritable îlot de verdure qui contraste avec le bâti ultra dense environnant. « Ce matin, j'ai cueilli des courgettes et des aubergines dont j'avais besoin pour mon plat du jour », m'explique le chef Andrew. A 32 ans, cet américain originaire du Missouri a fait ses armes auprès d'un chef français en Californie. Dans son restaurant, Andrew sert une cuisine fusion aux influences asiatiques et mexicaines typique de la gastronomie californienne, associée à la cuisine française. « J'ai grandi dans une ferme alors ici je me sens comme à la maison quand je cuisine les légumes du jardin. Chaque matin, j'observe ce qui est mûr ou non et je cueille ce qui va me servir pour les plats. Avoir son propre potager permet de mieux ressentir la saisonnalité, de se reconnecter à la nature et bien sûr les légumes ont beaucoup plus de goût ! »

EIFFEL

Des potagers loin d'offrir l'autosuffisance en fruits et légumes

La carte de l'établissement évolue chaque mois en fonction des récoltes. En ce mois d’août, le chef propose au menu la salade du jardin, uniquement composée des légumes du potager. Ce dernier ne permet pourtant pas de satisfaire tous les besoins en fruits et légumes... En fonction du temps, de l'ensoleillement ou de la pluie, le jardin permet d'atteindre une autosuffisance sur quelques produits et pour une semaine environ. « Nous produisons beaucoup de salades, et une semaine sur deux, nous n'avons pas besoin d'en acheter, ce qui correspond à une économie d'environ 400€ /mois », explique Andrew Wigger. Pour les autres produits, le restaurant essaie de privilégier au maximum une approche locale, sans toutefois s'interdire d'acheter des produits espagnols pour la nécessité d'une recette.

« Nous produisons beaucoup de salades, et une semaine sur deux, nous n'avons pas besoin d'en acheter, ce qui correspond à une économie d'environ 400€ /mois. » Andrew Wigger, chef du restaurant Frame (Paris)

L’installation et l'entretien du potager ont été confiés à Topager, une entreprise spécialisée dans les jardins potagers sur les toits et les murs végétalisés. Trois fois par semaine, un membre de l'équipe veille à l'état du jardin et replante une variété de fruits ou légumes en fonction des envies du chef. Impossible toutefois de connaître le montant d'un tel projet, la direction se refusant à le communiquer. A Paris toujours, l'école de gastronomie Ferrandi cultive ses propres herbes aromatiques sur son toit pour produire des fleurs comestibles et des aromatiques rares. « Ces produits sont fragiles et coûteux, la production locale permet ainsi des économies significatives et apporte une valeur gustative supérieure », peut-on lire sur le site internet de Topager. Aussi, le chef Yannick Alléno a été l'un des premiers à installer un petit jardin au-dessus de son restaurant « Le Terroir parisien », à la Maison de la Mutualité à Paris.

SALADES

Un flou juridique au niveau des réglementations

Et la pollution dans tout ça ? Contrairement à certaines idées reçues, la pollution de l'air n'a quasiment pas de conséquences sur la qualité des produits cultivés. Comme nous l'explique Nicolas Bel, fondateur de Topager, « la pollution de l'air affecte surtout nos poumons mais ne rentre pas dans les légumes ! Seuls les métaux lourds peuvent être un danger lorsque les végétaux sont placés en bordure de route. Nous effectuons des tests régulièrement qui révèlent des chiffres en dessous des normes européennes. » Des relevés par ailleurs obligatoires dans les réglementations sanitaires et les fruits et légumes du potager suivent la même procédure que ceux achetés sur le marché ou en magasin.

« La pollution de l'air affecte surtout nos poumons mais ne rentre pas dans les légumes ! Seuls les métaux lourds peuvent être un danger lorsque les végétaux sont placés en bordure de route. Nous effectuons des tests régulièrement qui révèlent des chiffres en dessous des normes européennes. » Nicolas Bel, fondateur de Topager

«  Il n'y a pas de réglementations spécifiques pour les potagers sur les toits. Il y a actuellement un flou juridique car cette pratique reste encore anecdotique », précise Nicolas Bel.Ailleurs, d'autres chefs veulent aller encore loin. A Copenhague, le Danois René Redzepi, à la tête du Noma, a annoncé la fermeture de son restaurant fin 2016 pour le transformer en « ferme urbaine ». Le nouveau lieu devrait ouvrir dans le quartier de Christiania, quartier « libertaire » créé par des communautés hippie dans les années 1970. Réputé pour mettre un point d'honneur à cuisiner des produits de saison et locaux, le chef danois souhaite pousser davantage ses ambitions locavores à travers son restaurant-ferme doté d'une serre pour proposer, au maximum, une carte « zéro kilomètre ».

2016-08-29
Ville intelligente : vers une ville plus participative ?

Smart city, ville intelligente, ville connectée, digitale ou numérique : tous ces termes ont en commun de s'attacher à designer un modèle urbain s’appuyant sur les nouvelles technologies vers lequel tendre pour la ville de demain. De nombreux acteurs (élus, industriels, architectes et urbanistes, entrepreneurs, collectifs) œuvrant à la fabrique de la ville multiplient les initiatives en ce sens. Entre Open Data, objets connectés, applications et plate formes numériques, où est-on dans le déploiement de la Smart City ? Sera-t-elle une véritable opportunité pour la ville de demain ?

Pour commencer, attardons-nous sur la définition de la ville intelligente. Le magazine Raisonnance, la Revue internationale des maires francophones datant Juillet 2015 qui consacre son numéro à ce sujet propose de définir la «  ville intelligente » comme « une ville où la démocratie locale, les rapports avec et entre les citoyens, les services publics, le développement culturel et socio-économique s’enrichissent au contact des technologies numériques ».Alors que le nombre de citadins ne cesse de croire [Près de 75 % de la population mondiale vivra en ville en 2050] dans un contexte d'urgences environnementales, les nouvelles technologies se positionnent comme des solutions efficaces pour mieux vivre en ville et optimiser l'accès aux ressources et aux services. En France, la ville d'Issy-les-Moulineaux s'affiche comme l'un des fers de lance de ce concept. Entre l'ouverture des données, le déploiement de services pour optimiser les stationnements et les déplacements mais aussi le développement d'un réseau intelligent pour maîtriser les consommations d’électricité à l'échelle d'un quartier, Issy-les-Moulineaux se positionne comme une « ville soucieuse de son environnement, capable d’éviter la congestion de ses infrastructures de transport, maîtresse de ses consommations (eau, énergie) et dotée de moyens de communication facilitant l’accès des citoyens à l’ensemble des services. »

« Il y a plusieurs générations de Smart City ou villes intelligentes, la première a été portée par les industriels et la seconde, vers laquelle nous sommes en train d'aller, est celle des villes de l'intelligence collective où les nouvelles technologies conservent un pouvoir important mais associent davantage les citoyens ». Alain Renk, architecte et urbaniste

Ailleurs, Rennes, Lyon ou Montpellier mettent en place des expérimentations pour construire la ville intelligente. Avec parfois quelques ratés et rétropédalages. A Nice par exemple, la municipalité a abandonné son système de stationnement intelligent mis en service en 2012 pour un montant de 10 millions d'euros après avoir constaté son inefficacité. « Cette smart City là, portée par des industriels, conduit davantage à la ville jetable qu'à la ville intelligente », estime l'architecte et urbaniste Alain Renk, également fondateur de UFO, une start-up technologique dont l'objet est de développer et d'expérimenter des outils d'intelligence collective dédiés à l'urbanisme. Selon lui, « il y a plusieurs générations de Smart City ou villes intelligentes, la première a été portée par les industriels et la seconde, vers laquelle nous sommes en train d'aller, est celle des villes de l'intelligence collective où les nouvelles technologies conservent un pouvoir important mais associent davantage les citoyens ».

Des applications pour booster la participation citoyenne

En ligne jusqu'au 30 septembre 2016, la Ville de Paris a lancé un site Internet sous la forme d'un jeu à la « Sim City » qui propose aux Parisiens de dessiner eux-mêmes le prochain grand parc de la capitale, « la Chapelle Charbon » , qui sera situé dans le 18e arrondissement à l’horizon 2020-2023. Aux habitants de conceptualiser le paysage du parc et de prévoir les différents équipements. D'autres applications et plates-formes numériques comme City2Gether, Fluicity, ou Neocity adoptent le même principe : associer les citoyens à la fabrique de la ville, consulter et soumettre les projets au vote des habitants pour tenter d'adapter au maximum les usages au programme. Aussi connus sous le nom de « Civic Tech », ces outils portent en eux la promesse d'une ville plus participative. « Notre vision est liée à l'idée de ville contributive car nous pensons que la transition numérique, écologique, démocratique et économique demande un changement des comportements, et que cela ne sera possible que s'il y a une co-construction et donc une appropriation de la part des citoyens dans la façon de faire la ville, pour réduite le fossé qui sépare les élus et la société civile », estime Alain Renk. Pour répondre aux enjeux de construire des territoires contributifs, l'agence d'architecture a développé un outil de programmation augmentée.

"La transition numérique, écologique, démocratique et économique (...)ne sera possible que s'il y a une co-construction et donc une appropriation de la part des citoyens dans la façon de faire la ville, pour réduite le fossé qui sépare les élus et la société civile. » Alain Renk, architecte et urbaniste

La méthode propose aux habitants, via une tablette, de modifier la ville en prenant en compte différents choix d’aménagements (place du végétal, importance des pistes cyclables ou choix du mobilier urbain, etc.) grâce à une base de données d'images. Il s'agit aussi pour les participants de justifier et de commenter leur avis. « Ce qui est fascinant avec cet outil très ludique, c'est de se rendre compte que les élus et les habitants aspirent à des modèles de villes similaires : dense, végétalisée et bien pourvue en transports en commun. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, les habitants consultés privilégient l’intérêt commun et non l’intérêt particulier. Leurs choix vont en faveur des besoins de leurs enfants ou leurs amis ! Ils réfléchissent à du vivre-ensemble de façon naturelle », analyse Alain Renk.

Big data et ville intelligente

Dans ce type de démarches, le numérique souhaite davantage rapprocher le citoyen de son cadre de vie. Car l'écueil serait aussi d'isoler les habitants. C'est par ailleurs la mise en garde soulevée par le spécialiste des villes intelligentes Carlos Moreno dans une interview publiée dans le magazine Raisonnance : « Il faut également évacuer l'idée selon laquelle une ville connectée est une ville intelligente. L'intelligence des villes, c'est ce souci constant de l'amélioration de la qualité de vie, c'est placer l'humain, tous les humains, au cœur du projet urbain. Si la ville connectée ne crée pas de lien social, elle peut devenir paradoxalement régressive, favorisant l'isolement, développant ce que nous appelons alors les « zombies-geeks », là où nous avons besoin de citoyens rompus au numérique certes, mais avant tout proactifs.»

"Si la ville connectée ne crée pas de lien social, elle peut devenir paradoxalement régressive, favorisant l'isolement, développant ce que nous appelons alors les « zombies-geeks », là où nous avons besoin de citoyens rompus au numérique certes, mais avant tout proactifs." Carlos Moreno, spécialiste des villes intelligentes

L'ouverture des données, la multiplication des capteurs et des objets connectés reliés en réseau sur internet inquiètent de nombreux citoyens et défenseurs des libertés individuelles quant à la sécurisation des données. Certes, la promesse n'est autre que d’améliorer la vie urbaine mais il est aujourd'hui impossible d'empêcher un éventuel piratage des données. De même, comment ne pas craindre la dérive vers une surveillance de masse accrue grâce à ces capteurs qui sont autant de mini mouchards, présents partout dans notre vie quotidienne ? Pour ce qui est des données d'utilité générale, il semble intéressant de parier davantage sur l'open source pour développer la ville intelligente en considérant les données comme des biens communs, comme le préconise la chercheuse Valérie Peugeot : « Si on trouve des controverses sur l’usage de la donnée, son contrôle, l’intérêt de la donnée n’est pas discuté. Les deux visions de la Smart City ne proposent ni l’une ni l’autre une utilisation plus frugale de la donnée. » Et la chercheuse d'imaginer une cogestion entre l’utilisateur du service et l’entreprise pour les données valorisées par des acteurs privés.

2016-09-09
Mutations urbaines à la Cité des sciences : de la ville réelle à la ville rêvée

Jusqu'au 5 mars 2017, l'exposition Mutations urbaines, qui s'est ouverte le 14 juin dernier à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris, explore de manière documentée et interactive les transformations en cours et à venir dans les villes contemporaines. Petite visite guidée.

Le fait est bien connu : depuis 2008, la population mondiale est devenue majoritairement urbaine. Sur 1 000 m2, "Mutations urbaines" à la Cité des sciences (La Villette, Paris) explore non seulement les effets de cette irrésistible urbanisation, mais les alternatives possibles à un modèle de développement métropolitain préjudiciable à l'environnement et la qualité de vie. Pour ce faire, l'exposition se déploie en trois temps. Intitulé "Villes sous tensions", le premier d'entre eux évoque la complexité des systèmes urbains contemporains à travers une série de panneaux et de dispositifs interactifs, souvent ludiques. Il aborde tour à tour la consommation énergétique des mégapoles contemporaines, les modes de déplacements des citadins (des enfants, notamment), la densité et sa relation avec le type d'habitat, le développement de l'habitat informel, la question migratoire ou encore la multiplication des dispositifs de surveillance.Au sein d'un deuxième espace, "Terre urbaine" complète cet état des lieux et immerge le visiteur dans un vaste dispositif de data-visualisation et de data-sonorisation projeté sur un écran hémisphérique de 8 mètres de long et 3,5 m de haut.Enfin, l'espace "Devenirs urbains" présente quelques-unes des initiatives menées aujourd'hui pour favoriser l'avènement d'une ville plus "durable" et plus résiliante. Des "incroyables comestibles" à la culture hors-sol de fruits et légumes (fermes verticales, serres sur toits d'immeubles, etc.), en passant par le développement du vélo à Copenhague, l'exposition invite le visiteur à un questionnement sur ce que serait, en dernière analyse, une ville souhaitable, où il ferait bon vivre…Si "Mutations urbaines" expose des données et des initiatives bien connues de tous ceux qui réfléchissent à la ville, elle offre un aperçu des questions urbaines d'autant plus profitable au néophyte qu'elle mobilise des dispositifs ingénieux et ludiques. A voir en famille, donc.

Infos pratiques :

Mutations urbaines, jusqu'au 17 mars 2017 à la Cité des sciences et de l'industrie, Paris

A partir de 11 ans

Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h, le dimanche de 10h à 19h.

Plein tarif : 12 euros

2016-07-15
Écrit par
midi:onze