
La construction, l’architecture et l’urbanisme figurent parmi les secteurs que le confinement a bousculés. Repli sur la sphère domestique, espaces publics inaccessibles, télétravail et école à la maison ont amené nombre d’entre nous à porter nos regards sur nos conditions de logement. Et, au-delà, sur la fabrique urbaine. Cette qualité d’attention forme le point de départ des contributions que le Pavillon de l’Arsenal à Paris a recueillies pendant et juste après le confinement sur le forum « Et demain on fait quoi ? ». En tout, plus de 200 cabinets d’architectes, urbanistes, paysagistes, ingénieurs, maîtres d’ouvrage ou philosophes se sont pliés à l’exercice d’imaginer « le monde d’après ». Accessibles en ligne, leurs textes, dessins et photographies sont aussi présentés jusqu’au 6 septembre au Pavillon de l’Arsenal sous forme de Kakémonos. Ils esquissent à la fois un état des lieux et une série souhaits et d’enseignements. Les mots « local », « vivant », « nature », « espace public », « densité », y reviennent comme autant de pensums, et montrent un corps professionnel soucieux de changement...
Oiseaux qui chantent, cieux libérés de leur chape ordinaire de particules fines, vie collective qui s’organise au sein des copropriétés : le confinement aura d’abord été l’expérience d’un écart avec les conditions de vie ordinaires. Pour en rendre compte, Antoine Bertin a enregistré le son de paris confiné, et l’a fusionné avec une mélodie composée à partir de la séquence génétique de la covid 19. Ce qu’on y entend ? Le chant des oiseaux ! Le confinement a aussi rimé avec exode à la campagne. A ce titre, plusieurs contributions invitent à réévaluer les espaces extra-métropolitains. Selon Arte Charpentier architectes, « il faut faire preuve d’inventivité et donner leur chance à quantité de villes moyennes pour tisser un réseau alternatif de villes dynamiques, connectées entre elles, mises en réseau localement, ayant acquis leur indépendance vis-à-vis des métropoles tout en étant reliées à elles. Une forme de réseau parallèle secondaire et complémentaire aux grandes villes. Développer ces villes suppose de les faire entrer dans un cercle vertueux de désirabilité où l’attrait de la nature se combine avec un attrait culturel, à l’image du travail réalisé par Nantes depuis de nombreuses années. » Dans la même veine, les architectes Cyril Brûlé, Peggy Garcia et Mathieu Mercuriali invitent à retisser des alliances entre Paris et son hinterland, dont le massif du Morvan, en Bourgogne. Leurs propositions font écho à celles d’Anne-Claire le Vaillant, architecte, qui plaide pour un rééquilibrage territorial entre métropoles et zones peu denses.
Cet élan vers la campagne tient en partie à un autre effet du confinement : l’élan qu’il a généré vers la nature et le jardinage. A ce titre, nombre de contributions postées sur le forum du Pavillon de l’Arsenal appellent à planter des forêts au coeur des villes ou à végétaliser les espaces publics. Caracalla Architectes écrit ainsi : « Nous imaginons la plantation et la constitution de forêts sauvages inaccessibles en ville, réserves de biodiversités et lieu d’habitation protégé pour les espèces non humaines comme les plantes, les animaux ou les insectes. Au sein de parcelles vides ou amenées à le devenir, cela permettra de créer un tissu urbain ouvert à la cohabitation entre toutes les espèces. Cette opération va dans la direction d’une dé-densification du tissu bâti, de la sauvegarde d’espaces vides exemplaires constituant dès lors une nouvelle réserve d’habitats sauvages. » Dans la même veine, l’architecte et urbaniste Carmen Santana propose d’« asseoir le paysage comme une infrastructure » et d’ « aller vers des villes nourricières, où l´espace public ne sera plus dédié à 80% aux voitures, des villes où il fera bon vivre et que pourront s’approprier ses habitants. »
Pour nombre de contributeurs, ménager une place à la nature en ville suppose d’en aborder les vides et interstices. La Paysagiste Mélanie Gasté plaide pour une telle approche. Selon Franck Boutté, « Toute la question est de repenser la ville par les vides qui la composent. Nous avons passé beaucoup de notre temps à surdéterminer les pleins, car ce sont eux qui sont porteurs de propriété, de pouvoir et de richesse, ainsi que d’appropriation univoque ; il faut maintenant et avant tout penser à qualifier les espaces vides, car ils sont les lieux de la mise en commun réussie, de la coexistence pacifique, de l’accueil de tous les vivants, des manifestations de l’environnement (comme milieu); ils sont par nature non propriétaires, non appropriés car appropriables par tous. En un sens, la crise nous rappelle encore une fois une question de bon sens : ce sont les espaces publics, dans une acception qu’il convient de réinterroger pour qu’ils deviennent véritablement l’espace physique et vécu de toute l’assemblée des vivants, qui constituent le sens même de la ville comme lieu habité et infrastructure de la mise en commun et du partage. »
On s’en doute : les contributeurs s’intéressent aussi aux logements. Ces derniers sont évidemment revus à l’aune de critères de confort et de bien-être. Ils sont aussi abordés en tant qu’espaces à la frontière du collectif et de l’individuel, comme lieux privatifs autant que comme lieux communs. L’architecte Francis Nordemann synthétise de la sorte cette ambition : « Il ne s’agit pas de prôner simplement une augmentation généreuse des surfaces, mais les leçons du moment que nous traversons devraient pousser à retrouver le sens de l’habiter et permettre d’inventer au domicile des espaces propices à la fois au télétravail, à la vie de famille et à la vie sociale. Au-delà de la nécessité d’un seuil partagé, chacun devra pouvoir trouver un coin à soi avec son téléphone ou devant son terminal, et des dépendances de rangement. Des logements traversants et des cuisines en lumière naturelle permettront la ventilation et le renouvellement naturel de l’air, et un prolongement extérieur - une terrasse, un balcon - de mettre le nez dehors, de regarder au loin et de rencontrer son voisin. Une cour privée commune, un jardin réservé étendront et protégeront le domaine habité de chacun. »
Une telle ambition invite aussi à se plonger aussi dans le hard de la construction, dans ses matériaux et ses infrastructures. L’enjeu est de taille, comme le rappellent le philosophe Victor Petit et l’atelier Senzu. Ces derniers invitent à considérer les « communs négatifs » qui nous sont légués par « l’héritage infrastructures et architectural » : déchets nucléaires et plastiques, pollutions diverses, bâtiments devenus inhabitables. Selon eux, la question n’est pas seulement celle de « comment construire autrement », mais bien : « comment prendre soin collectivement (commoning) de ces déchets dont nous ne pouvons faire table rase ? Que défaire demain ? (...) Comment vivre avec ce que nous avons fait, avec cet environnement en ruine qui ne fait plus milieu ? Comment défaire ce faire qui n’a d’autres horizons souhaitables que de se transformer en commun négatif ? »A cet égard, Elizabeth de Portzamparc invite à se saisir des circuits courts comme d’une réponse à la crise environnementale et la gabegie de matériaux : « on connaît l’impact environnemental de la division internationale du travail, mais aussi ses conséquences inégalitaires, écrit-elle. L’architecture ne peut échapper à ce mouvement, elle doit même être une force motrice en la matière. »Clara et Philippe Simey plaident quant à eux pour un vrai « green new deal ». Celui-ci se marquerait notamment par la généralisation du réemploi. Un voeu qui suppose d’organiser et de structurer une filière encore balbutiante. Aussi le couple d’architectes plaide-il pour la création d’une école du réemploi.
« Et demain on fait quoi ? » - Expositions et rencontres pour penser « l’après »Du 16 juin au 6 septembre 2020 au Pavillon de l’Arsenal21, boulevard Morland75004 ParisDu mardi au dimanche de 11h à 19HEntrée librehttps://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/
Le confinement nous force à porter toute notre attention sur nos logements, au risque de révéler d’importantes disparités dans ce domaine. Quel regard la promotion immobilière porte-t-elle sur cette crise, et quelles leçons en tire-t-elle ? Quelques éléments de réponses avec Vidal Benchimol, maître d’ouvrage et inventeur des Ecofaubourgs.
Vidal Benchimol - Elle met en lumilère une rupture, que nous connaissions, déjà au niveau du parc de logements. Un grand nombre de logements, notamment du parc social, est insalubre, et les bailleurs qui en sont les propriétaires et les gestionnaires ont beau redoubler d’efforts, rien ne change. Cette insalubrité est liée à la taille des logements, à l’inconfort acoustique et à la promiscuité. Ces logements construits dans les années 1960 et 1970 génèrent des situations dramatiques. Les populations qui y vivent sont doublement défavorisées. Mais l’inconfort vaut aussi dans les immeubles anciens. Du fait du confinement, nous sommes plus nombreux à occuper nos logements sur de longues périodes. En restant chez soi 24h/24, on se rend alors compte que les voisins font du bruit. Les populations les plus privilégiées, qui ont de grands logements, ne vivent pas ces désagréments de la même manière, mais elles sont confrontées à d’autres limites. Principalement des limites d’usage, notamment pour le télétravail et l’accès aux espaces extérieurs.
La métropolisation a favorisé la densification, mue par la volonté d’optimiser les flux, de réduire les temps de transports, de rapprocher les habitants des activités et des commerces. Mais quand toutes les activités et les commerces sont inaccessibles, on ne peut juger son bien-être que sur le fondement du logement qu’on occupe. Or, dans les grandes métropoles, ce logement est forcément plus exigu, et donne rarement accès à un jardin. Pendant le confinement, le besoin fondamental qui s’exprime est d’accéder à l’air libre. Les personnes qui ont fait le choix d’avoir une maison et un jardin dans le périurbain se trouvent alors favorisées puisqu’elles ont plus d’espace à l’intérieur et à l’extérieur de leur logement.
Le confinement génère ce qu’on pourrait appeler le syndrome du prisonnier. Quelqu’un à qui on dit qu’il doit rester chez lui va très vite se rendre compte que son moment de joie est celui où il va remplir son attestation pour aller se promener pendant une heure en bas de chez lui. Ce syndrome se traduit par des cauchemars, par des appels aux urgences psychologiques ou psychiatriques, qui sont en pleine explosion, y compris de la part de gens qui n’y avaient jamais eu recours. Le confinement nous place dans une situation de dépendance vis-à-vis d’un pouvoir qui, agissant dans notre intérêt sanitaire, se voit obligé de nous enfermer de notre plein gré dans l’espace domestique. Les besoins essentiels qui s’expriment alors sont liés au bien-être chez soi. Celui-ci dépend d’abord, comme je l’ai dit tout à l’heure, des espaces extérieurs, de la taille du logement et de la manière de l’utiliser. Tout le monde est d’accord pour dire que le télétravail est une solution, mais dans quelles conditions ? Les logements ont-ils été prévus pour un tel usage ? On constate que dans bien des cas, les conditions d’un télétravail efficace ne sont pas réunies. Nous autres professionnels de la construction, avons une réflexion à mener sur ce point : de quelles manières ces espaces de télétravail doivent-ils être équipés et aménagés ? Comment les isoler phoniquement et les équiper numériquement ? Quelle doit être leur taille ? Faut-il les doter de fenêtres ? Il faut aussi porter notre attention sur les espaces extérieurs, qui sont considérés en cette période comme indispensables. Enfin, la qualité acoustique du logement s’affirme plus que jamais comme un critère fondamental de confort… La RT2012 a fait d’énormes bonds en la matière, mais tout ce qui a été construit avant 2006 n’est pas performant sur ce point. On peut supposer que les normes acoustiques vont devenir encore plus cruciales qu’auparavant. Et l’on se doit de considérer désormais le bruit comme une pollution majeure.
Au cours des dernières décennies, les réglementations ont surtout abordé la question des économies d’énergie. Les normes acoustiques sont arrivées après, mais elles sont aujourd’hui suffisantes pour offrir un vrai confort aux nouveaux occupants. Reste la question des espaces extérieurs. Je suis dubitatif quand je vois qu’on construit toujours en ville dense des programmes de logements sans aucun espace extérieur, balcon ou terrasse. Or, quelqu’un qui dispose d’un balcon ou d’une terrasse allant de 16 à 20m2 peut considérer qu’il a une pièce à vivre en plus dans son logement. Avec le changement climatique, cette pièce peut être investie six mois dans l’année.
La densité n’est pas incompatible avec les espaces extérieurs ! Ce sont souvent les promoteurs immobiliers qui en excluent l’aménagement pour des questions de coûts. C’est vrai que la conception de balcons ou de terrasses requiert plus de travail et occasionne des coûts supplémentaires, mais elle est tout à fait possible, y compris en zone dense. Là où la demande est très forte, quand un immeuble neuf se construit, on y trouve des terrasses, mais elles se paient alors très cher.
Je pense que oui, au moins en partie. Beaucoup de gens se rendent compte que vivre dans un appartement situé plus loin du centre, mais offrant plus d’espace, est plus confortable que de vivre dans des quartiers à la mode, mais où il n’y a ni balcon ni terrasse, et dont l’intérêt est très réduit quand tout est fermé autour.
Il y a d’abord un aspect réglementaire. Quand on dépose un permis de construire, on doit préciser si la construction envisagée est un logement, un commerce ou un local d’activité. Les règlements doivent évoluer pour proposer des logements avec espace de travail, comme il en existait avant la dernière guerre, où nombre de logements, à Paris notamment, intégraient un atelier. Il faudrait en somme revoir la définition de ce qu’est un logement, pour y intégrer les locaux d’activités dédiés au télétravail. Cela aurait des incidences fiscales, puisque les taxes ne sont pas les mêmes pour les logements et les locaux d’activités. Une telle évolution permettrait aussi à un employé de récupérer une petite prime. Imaginons que vous habitiez dans un logement où il y a un espace dédié au télétravail. Vous seriez alors fondé à demander à votre employeur de prendre à sa charge une partie de cet espace. L’entreprise y trouverait son compte, car elle pourrait réduire la taille de ses locaux. Le salarié s’y retrouverait aussi, car une partie de son loyer ou de sa charge d’emprunt serait pris en charge. Ces dispositifs ne concerneraient pas seulement les personnes dont le travail s’exerce sur un ordinateur, et pourraient s’étendre aux travailleurs manuels. Pour le maître d’ouvrage, il s’agirait de produire 10 à 20 mètres carrés supplémentaires pour que les acquéreurs puissent travailler chez eux. Cette surface pourrait d’ailleurs être affectée à d’autres usages, et être considérée comme un studio où accueillir un ami, une personne âgée, un enfant qui a grandi et veut prendre son envol. Cela participerait de la modularité des logements…
La modularité est une question compliquée car elle est liée au mode de vie et à la taille du ménage. On peut très bien généraliser les choses pour les espaces de télétravail, mais le reste dépend de la composition de la famille. Il n’y a pas de règles générales. Le confinement donne à réfléchir à une autre question, qui est celle de la mobilité. Pour les personnes qui sont en mesure de télétravailler, la question de la mobilité est plus souple que pour quelqu’un qui ne le peut pas. L’économie réalisée sur le temps de transport peut inciter à s’installer plus loin de son entreprise. D’autant que l’épidémie de Covid-19 remet en question la fréquentation des transports publics. Le déconfinement va nécessairement s’accompagner d’un boom des trajets en voiture. Certes, nous sommes au printemps, et certains pourront se déplacer à vélo, mais que se passera-t-il si l’épidémie se prolonge jusqu’à l’hiver prochain ? Les gens refusaient déjà d’être entassés dans les transports publics, mais ils le refuseront de manière encore plus vigoureuse. Ce rejet va inciter un certain nombre d’entre eux à aller vivre plus loin des villes, et je suis persuadé que beaucoup de familles avec de jeunes enfants vont franchir le pas. Sur les sites de recherche immobilière, le nombre de consultations en direction des maisons à la campagne, particulièrement en Bretagne, est en nette hausse. Cela décrit déjà une certaine tendance.
Non, pas du tout. Je ne pourrais pas me lancer sur un tel marché, car il n’a pas de règles, il est très disparate et diffus. A ce titre, c’est un marché qui est très difficile à travailler, et doit s’appréhender comme une somme de demandes individuelles.
La crise sanitaire interdit tout usage de lieux communs. De ce fait, elle vient appauvrir ce type de projet. On peut toutefois espérer que ce genre de situation restera rare, voire unique, dans notre existence. Les espaces communs sont faits pour réunir des usagers, et ils participent d’une nouvelle réflexion sur la conception de logements en milieu dense. Par ailleurs, je pense que la situation actuelle montre qu’il faut poursuivre la construction d’écoquartiers. Par hasard, ces derniers se trouvent favoriser la distanciation sociale, car ils ménagent des zones de promenades et des trames vertes larges et aérées. Ils se révèlent de bons vecteurs de développement de logements collectifs dans des zones relativement denses, mais où la distanciation sociale est possible.
Le marché de l’immobilier est un marché à cycle lent. La conception de logements ne se fait pas sur un coup de tête ou un caprice. La notion de risque sera prise en compte, mais de manière marginale dans les prochaines réalisations. Sur le plan technique, on devra peut-êre réfléchir à des technologies de filtration de l’air. On peut estimer que les logements sont déjà confinés, surtout avec les nouvelles règles d’isolation thermique. On va peut-être être amenés à réfléchir différemment à la question de la ventilation.
La crise sanitaire n’annule pas le besoin de logement, bien au contraire. Ce besoin ne pourra pas être satisfait de la même manière qu’en temps normal. Un grand nombre de projets risque d’être reporté. Beaucoup de gens vont se retrouver avec des difficultés d’emploi, et vont donc être contraints d’ajourner leurs projets. Ma plus grande crainte est qu’on se retrouve pris dans un effet ciseau où le besoin de logements n’est plus satisfait par la production et où les demandeurs reviennent à des pratiques comme celles qui avaient suivi la loi de 1948. Les gens payaient alors un pas de porte pour avoir accès aux logements à loyer plafonné. Les mairies vont pour certaines bloquer les loyers, et le parc ne va pas se renouveler, au risque de favoriser ce type d’abus. S’il n’y a pas une intervention extrêmement forte de l’Etat ou du monde du logement social dans la production de logements neufs, on risque de fabriquer une nouvelle crise du logement. Cela dit, cette crise sanitaire, qui va déboucher sur une crise économique et sociale, va aussi donner un coup de frein aux spéculations. Prenez une ville comme Bordeaux, où le prix du mètre carré a explosé, et où une partie de la population ne peut pas faire face à cette hausse. Il est probable qu’on y assiste à de fortes corrections sur les produits qui ne présentent pas de caractéristiques 5 étoiles et se vendent à des prix beaucoup trop élevés. En revanche, l’Ile-de-France où le marché est très tendu pourrait s’affronter à une grave crise du logement.
Ce serait une bonne chose ! Un tel exode permettrait de rééquilibrer la situation à Paris et en première couronne, et donnerait une autre impulsion au marché... Mais il y a en matière de logement notamment, un écart entre des velléités exprimées sous le coup de l’émotion provoquée par une telle crise, et le passage à l’acte. Si cette prise de conscience est suivie d’effet, alors oui, on pourra alors parler d’un véritable changement en profondeur.
Une « kerterre » en chaux et chanvre aux allures de maison de Hobbit. Une maison bioclimatique en paille porteuse. Une série de trois conteneurs assemblés en demeure confortable. Un local agricole en super-Adobe dédié à la production de safran… Les trente constructions repérées dans le Tour de France des maisons écologiques, paru le mois dernier aux éditions Alternatives, sont aussi diverses qu’insolites. A l’origine de l’ouvrage, trois jeunes auteurs aux profils complémentaires : Mathis Rager est conducteur de travaux, Emmanuel Stern anthropologue et constructeur, Raphaël Walther architecte. Soucieux de faire évoluer leurs pratiques professionnelles à l’aune de la crise écologique, ils ont peaufiné leur itinéraire pendant un an, puis conduit deux mois de recherche sur le terrain. Au cours de leur périple de la Bretagne au Jura, ils ont glané les témoignages des habitants, souvent maîtres d’ouvrage, des diverses réalisations visitées, puis les ont confrontés au regard d’une poignée d’experts de la construction et de l’habitat - architectes, ingénieurs, philosophes, etc.
Le résultat : un Tour de France des maisons écologiques inspirant et documenté. Entre entretiens, décryptages, photographies, plans de coupe, glossaire et éléments chiffrés, l’ouvrage offre un panorama aussi divers que complet des modes constructifs et des formes d’habitat alternatifs contemporains. En abordant les aspects concrets et techniques de chaque chantier (coût, main d’œuvre, temps de construction, technicité…), il peut même s’avérer un outil d’aide à la construction, à la limite du mode d’emploi. L’enjeu, annoncé dès l’introduction du livre, est de taille : le secteur du bâtiment est un poids lourd en termes de consommations d’énergie (43%) et d’émissions de GES (25%). Quand le béton-roi est responsable à lui seul de 5% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, les alternatives repérées dans le Tour de France des maisons écologiques pourraient offrir quelques pistes judicieuses. Elles permettent en effet d’alléger l’empreinte écologique du bâtiment en relocalisant la production. A rebours d’un secteur qui recourt massivement aux bois exotiques ou au sable acheminés par cargo de l’autre bout du monde, elles misent sur les matériaux trouvés à proximité du chantier (paille, chanvre, terre…) et sur les savoir-faire traditionnels (bauge, etc.). Souvent réalisées en auto-construction, ces formes d’habitat permettent aussi de « faire soi-même » en levant les freins à une telle entreprise, notamment grâce à l’organisation de chantiers participatifs où se transmettent les savoirs.
A cet égard, les auteurs abordent dans le livre un parti-pris à contre-courant des discours dominants sur l’habitat écologique : quand celui-ci est généralement décrit en termes de densité et de compacité, ils affirment tout au contraire que « la révolution verte passera par la maison individuelle ! ». Dans l’introduction, ils affirment ainsi : « Alors que l’habitat collectif reste le plus souvent tributaire des schémas constructifs conventionnels, elle favorise un foisonnement d’initiatives personnelles et se présente à l’heure actuelle comme un laboratoire d’idées et d’inventivité pour penser des maisons de demain réconciliées avec leur environnement territorial, économique et humain. » Conçues sur mesure, à l’image de celles et ceux qui les édifient et les habitent, les maisons présentées dans le livre sont très largement délestées des contraintes qui pèsent sur la production standard. Ce faisant, elles ont tout le loisir d’aller techniques traditionnelles et technologies contemporaines, pour esquisser des modes de construction et d’habitat adaptés à leur environnement immédiat…
Le tour de France des maisons écologiques, de Mathis Rager, Emmanuel Stern et Raphaël Walther, éditions Alternatives, mai 2020, 240 pages, 170x240 mm, 24,90 euros
« En France comme ailleurs, la nécessité de répondre à l’urgence écologique et climatique place le secteur de la promotion, de la construction, de l’aménagement, et plus globalement l’habitat, face à d’immenses défis. Gros consommateurs d’espace et de ressources (45% des consommations d’énergie en France), émetteurs avérés de gaz à effet de serre (25%), ces derniers sont sommés d’évoluer pour réduire l’impact écologique du bâtiment. En ce domaine, la contrainte réglementaire (exprimée par la succession de règlementations thermiques de plus en plus ambitieuses) est un levier possible, mais ne peut prétendre résoudre seule le problème. Et d’autant moins qu’elle entre souvent en confrontation, sinon en contradiction, avec les habitudes et contraintes (budgétaires notamment) des acteurs de la fabrique urbaine et des divers usagers des lieux. De fait, l’habitat ne peut être envisagé comme un isolat et une « machine célibataire » : ses « performances énergétiques », selon l’expression consacrée, dépendent non seulement de ses caractéristiques intrinsèques (isolation, compacité, orientation du bâtiment, mode de chauffage, etc.) mais aussi d’autres éléments décisifs, parmi lesquels sa localisation et les modes de transport qu’il induit. Elles sont surtout déterminées par les usages quotidiens des habitants, et plus largement des usagers. Or, ces éléments sont encore rarement pris en compte par les promoteurs immobiliers, encore moins par l’Etat, qui fixe les mêmes règles et mêmes contraintes de performance énergétique quel que soit l’emplacement du bâtiment.En somme, pour répondre à l’ampleur des défis écologiques contemporains, concevoir des bâtiments énergétiquement « performants » ou des écoquartiers ne suffit pas. Une telle ambition plaide au contraire pour une tout autre approche de l’habitat, non plus sectorisée, mais holistique, globale, et capable de s’adapter à la variabilité des contextes et des modes de vie : le standard doit y faire place au sur-mesure, le « prêt à habiter » à la « haute culture ». Elle implique aussi d’informer, d’accompagner, de sensibiliser les habitants, tout en tenant compte de leurs usages et leurs aspirations. Elle appelle à faire place à la diversité des modes de vie, et donc à une dose d’imprévu et d’imprévisible. C’est alors sur le plan des cultures, des représentations, des comportements et des imaginaires qu’il faut agir. Il faut en somme « faire avec » – le contexte, l’Histoire, les usagers, les habitudes, mais aussi avec l’inventivité et l’imagination sans limite de tous les habitants. » (Introduction, p. 10-11)
En se focalisant sur la performance énergétique, les acteurs de la construction ont ainsi eu tendance à refouler d’autres questions décisives touchant à l’habitat, dont l’exigence de confort. Ensuite, tout gain énergétique est susceptible de susciter des effets rebonds : parce qu’on a acquis un logement labellisé “basse consommation”, on fait moins attention, on chauffe toutes les pièces, et plus chaudement que ne le recommandent les bâtisseurs. (...) Enfin, les réglementations thermiques ont le défaut de borner leurs calculs à l’échelle du logement, et n’envisagent jamais l’impact énergétique global d’une construction neuve - impact lié entre autres à sa localisation et aux usages induits, en termes de mobilité notamment. Or, selon qu’un logement sera situé dans une zone bien ou mal desservie en transports en commun, en pistes cyclables, en aménités diverses, les besoins énergétiques de ses habitants changeront du tout au tout. Il convient donc de sortir d’une approche sectorielle, uniquement centrée sur le bâtiment, pour ancrer chaque projet dans un territoire, et le concevoir en fonction. C’est dans cet esprit que l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich a imaginé en 1998 les contours de “la société à 2000 watts”. 2000 watts, c’est en effet la consommation énergétique annuelle moyenne par habitant à l’échelle planétaire. Cette moyenne inclut tous les postes quotidiens : le logement, le transport, l’achat et l’usage de tous biens matériels, l’alimentation. Elle recouvre évidemment de très fortes disparités : un Européen “consomme” 6000 watts par an, un Américain 12 000, un Indien 1000 et un Bangladeshi 300. Pour limiter le changement climatique dans un esprit d’équité, le projet suisse vise à ramener à 2000 watts/personnes les consommations annuelles d’énergie. Or, un tel objectif suppose une approche holistique. Il implique d’aborder ensemble, et non plus séparément, le logement, le transport, l’approvisionnement alimentaire, la gestion des déchets, etc. Il préconise en somme d’entrer dans le détail des usages quotidiens, pour agir à tous les niveaux, et dans tous les domaines de l’activité humaine. (Chapitre 1, p.30-31)
Cette étroite coopération est nécessaire à plus d’un titre. Elle permet d’abord d’affiner considérablement la connaissance du territoire où l’on envisage d’acquérir un terrain, raison pour laquelle il est souhaitable de rencontrer les élus avant même tout acte d’acquisition. Certes, les promoteurs immobiliers disposent de nombreux outils pour connaître l’environnement où ils construisent, à commencer par les classiques études de marché. Mais les élus apportent à ces éléments commerciaux des indications autrement plus fines : données démographiques, nature du tissu associatif et professionnel, programmes d’aménagement et planification urbaine, besoins en équipements et services… Ils permettent à ce titre d’ajuster la conception du programme immobilier au contexte, de faire du sur-mesure plutôt que du standard. Ils peuvent aussi mobiliser un réseau local et mettre en lien les opérateurs du projet immobilier avec divers acteurs professionnels et associatifs, dans une logique de circuits-courts, nous y reviendrons. Ils peuvent enfin, nous l’avons dit, adapter tant que faire se peut la réglementation au projet, voire l’accompagner financièrement dans certains cas. Autant d’éléments de nature à favoriser l'appropriation de nouveaux programmes immobiliers sur le plan local. (Chapitre 2, p.58)
Si la valeur sociale d’un projet immobilier se joue en amont et pendant sa réalisation, ce qui advient en aval, après la livraison, est donc absolument déterminant. Après tout, la phase de conception et de mise en œuvre n’est que la portion congrue du cycle de vie d’un bâtiment ou d’un quartier ! C’est après, une fois les habitants installés, que le lieu prend réellement vie. (...) Au cours de nos recherches, nous avons visité nombre de lieux où l’ambition de départ s’était heurtée à la réalité des usages. C’était notamment le cas d’un immeuble à structure bois situé en Suisse, et que ses concepteurs avaient tenu à doter d’une salle commune à destination des habitants. Lorsque nous les avons interrogés sur son taux de fréquentation, ils nous ont confié à regret qu’il était bien en-deçà de leurs attentes : l’espace restait vide la plupart du temps. Il offrait pourtant toutes les qualités d’usage requises. Il était vaste, pourvu de toutes les commodités, et situé au rez-de-chaussée. De la même manière, tous les professionnels de la construction notent un écart entre les projections en matière de consommation énergétique des bâtiments et leurs consommations réelle en situation d’occupation. Cet écart s’explique précisément par la difficulté d’aborder les usages, et de prévoir la façon dont les gens vont s’approprier un lieu. Pour pallier ces écueils, nombre de professionnels envisagent la mise en œuvre de divers outils d’information et de médiation, sur le modèle des livrets d’accueil et autres sites Internet qui accompagnent généralement la livraison de programmes énergétiquement performants. Toutefois, aucun de ces outils ne peut prétendre remplacer efficacement une présence humaine, et les premiers retours d’expérience dans ce domaine montrent que de tels dispositifs ont de sérieuses limites. Sur le strict plan des consommations énergétiques par exemple, ils ne permettent pas de combler l’écart entre performances théoriques et performances réelles. Pour une raison simple : les gens ne lisent pas, ou pas toujours, les documents d’information et de communication mis à leur disposition. A fortiori dans un logement qui devrait théoriquement se passer de mode d’emploi. (Chapitre 3, p.101-102)
Vidal Benchimol, Les nouveaux bâtisseurs, éditions Alternatives, 2020, 160 pages, 17 €
Plantons le décor : Grande-Synthe a tout pour tout déplaire. Pourtant située sur la très jolie Côte d’Opale, cette ville accueille sur son territoire et alentour des activités industrielles polluantes et dangereuses : métallurgie, port méthanier, centrale nucléaire de Gravelines. Elle concentre par ailleurs une grande misère : camp de migrants et fort taux de chômage (24 % dont 40 % de jeunes).
Face à ces difficultés écologiques et sociales, citoyens, associations et pouvoirs publics de Grande-Synthe se sont retroussé les manches pour trouver des solutions avec enthousiasme et humanisme, comme le souligne notre reportage sur le sujet. Plutôt que d’avoir peur des migrants, elle les accueille, les aide et les intègre (installation d’un camp, distribution de repas). Emmaüs y est une institution fort utile pour insérer ses compagnons mais également par ses distributions de paniers repas aux plus précaires de la commune. Pour contrer la mal information et lutter contre le désengagement citoyen elle crée une Université Populaire pour faire réfléchir les citoyens. Des jardins en pied d’immeuble et des jardins ouvriers sont développés pour redonner de l’autonomie alimentaire à petit prix à leurs utilisateurs. On construit des logements basse consommation qui réduiront la facture énergétique de leurs habitants. Toutes les cantines de la ville ne servent plus que du bio.
Voilà plus de 40 ans qu’on plante des arbres pour remettre de la Nature dans ce plat pays. Toutes ces actions ont notamment pour but de redonner de la dignité à tous ces laissés pour compte. Ce documentaire est illustré d’images très esthétiques, et rythmé par des interventions et questionnements de comédiens d’une troupe de théâtre local très investie sur les problématiques sociales de la Ville.
http://grandesynthelefilm.com
Durée du film 90 minutes – Prix : 20 euros
En 2012, les éditions Ecosociété publiaient la traduction française de Pour des villes à échelle humaine de Jan Gehl, paru deux ans plus tôt. Le lectorat francophone a alors pu découvrir l’apport décisif de l’architecte danois, qui défend depuis les années 1960, en réaction au modernisme, un aménagement urbain adapté aux besoins et désirs des citadins : attentif à la vie sociale et à la qualité des espaces publics, mais aussi soucieux de limiter la place de la voiture grâce à l’aménagement de voies piétonnes et cyclables - il a notamment contribué à la piétonnisation, dès1968, du Stroget à Copenhague. Dans le sillage de cet opus indispensable, paraît ce mois-ci, toujours aux éditions Ecosociété, La vie dans l’espace public, comment l’étudier. Ecrit avec Birgitte Svarre, directrice et chef d’équipe de la ville chez Gehl, l’ouvrage est en quelque sorte le versant opérationnel de Pour des villes à échelle humaine, puisqu’il se présente comme un guide à destination des élus et des urbanistes. Il est d’ailleurs préfacé par Anne Hidalgo et Valérie Plante, respectivement mairesses de Paris et Montréal, qui toutes deux soulignent leurs efforts pour mettre en oeuvre les grands principes édictés par Jan Gehl, notamment à dessein de limiter la place de l’automobile en ville dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
En sept chapitres abondamment illustrés de photographies, de graphiques ou de cartes et de références bibliographiques, La vie dans l’espace public énumère les questions essentielles à se poser lorsqu’on veut animer une ville. Il décrit aussi les diverses méthodes mises en oeuvre au cours des cinquante dernières années pour étudier les interactions entre vie urbaine et espaces publics, que ce soit en prévision d’un aménagement ou pour en évaluer l’impact. Du pistage à la promenade d’essai, en passant par le journal de bord, la recherche de traces ou la cartographie, ces méthodes sont fondées pour l’essentiel sur l'observation directe, avec carnet de notes, stylo et chronomètre, mais peuvent aussi recourir ponctuellement aux nouvelles technologies (GPS notamment). “Grâce à l’observation directe, on est à même de mieux comprendre pourquoi certains lieux grouillent de vie tandis que d’autres sont pratiquement déserts”, écrivent ainsi Jan Gehl et Birgitte Svarre. Etudes de cas à l’appui, La vie dans l’espace public souligne également l’impact de ce temps d’étude et d’observation : en juxtaposant des photographies d’un même lieu avant et après transformation, il montre combien l’attention portée à l’échelle humaine et aux comportements des citadins a pu changer radicalement l’animation de certaines rues, places et quartiers à Copenhague, Londres, Melbourne ou New York.
Autre grand mérite de l’ouvrage : l’histoire très détaillée qu’il dresse de l’étude de la vie dans l’espace public depuis les années 1960, dans un contexte de poussée moderniste, d'explosion urbaine et d'avènement de la voiture. Le chapitre 4 souligne ainsi l’apport de Jan Gehl dans ce domaine, tout comme celui d’autres pionniers parmi lesquels Jane Jacobs, William H.Whyte, Clare Cooper Marcus ou Donald Appleyard. Chacun à leur manière, ils ont contribué à la mise en question du zoning et des grands ensembles, contre lesquels ils ont défendu une ville à hauteur d’homme - mais aussi de femme, d’enfant, de personne à mobilité réduite... La vie dans l’espace public suggère qu’ils le firent d’abord dans un relatif isolement, en tous cas à rebours des préceptes en vogue à l'époque, avant que l’avènement du développement durable et le changement climatique ne leur offrent un écho croissant chez les élus et professionnels de l’urbain. L’influence qu’ils exercent désormais en matière d'aménagements d'espaces confirme que c’est bien en partant de l’expérience directe, de la ville vécue, qu’on est à même d’aménager une ville désirable.
Jan Gehl et Birgitte Svarre, La vie dans l'espace public, comment l'étudier, éditions Ecosociété, Montréal, 2019, 192 pages, 29 €
Lire notre interview de Jan Gehl dans midionze.com