
Justinien Tribillon : "Le périphérique n’est pas une artère comme les autres, mais un seuil, une frontière sociale et symbolique."J’ai grandi à Paris, dans le quartier de République, avant de vivre dix ans à Londres. Cette expérience m’a révélé deux modèles urbains opposés : à Londres, le centre, surtout composé de bureaux et d’écoles, est peu habité, la vie se concentre en banlieue, dans des pavillons avec jardins. À Paris, au contraire, la centralité est dense, désirée, et les espaces verts rares. En découvrant le goût britannique pour la vie suburbaine, j’ai commencé à questionner mon rapport à Paris et à sa géographie, notamment la frontière symbolique du boulevard périphérique entre la capitale et sa banlieue. En enquêtant pour un article pour le Guardian, j’ai pris conscience que cette séparation relevait moins d’une barrière physique que d’un imaginaire collectif, nourri de mythes et de préjugés. Le fait de m’être expatrié m’a offert la distance nécessaire pour déconstruire ces représentations, et constater qu’aucune étude approfondie n’avait encore analysé le périphérique comme objet urbain et social.
La Zone est une bande de terre de 250 mètres de large et d'environ 33-34 kilomètres de long entourant les fortifications construites autour de Paris en 1840 sur ordre d’Adolphe Thiers, au moment même où les autres grandes villes européennes démantelaient leurs murs. Prévue comme une zone non ædificandi (interdite à la construction pour des raisons militaires), cette zone théoriquement non-constructible n'a jamais été respectée et un certain nombre d’habitations plus ou moins solides et pérennes se sont mises en place. Des baraques, ateliers, guinguettes et théâtres y sont également apparues, formant une ceinture populaire et animée entre Paris et sa banlieue. Cet espace hybride, « illégal » mais vivant, abritait ouvriers, immigrés, artisans et marginaux, des « zoniers", comme on dit d'abord, puis des « zonards », attirés par des loyers faibles et une certaine liberté. À la fois lieu de travail, de divertissement et de précarité, la Zone symbolisait l’envers du Paris haussmannien, ordonné et bourgeois. Elle a inspiré autant la peur que le fantasme : repaire de pauvreté et de crimes et de plaisirs pour les uns, refuge de liberté et de créativité populaire pour les autres, la Zone devint un mythe urbain.

La zone des fortifications, fruit d’une planification à la fois urbaine et militaire, a fait l’objet de débat pour comprendre s’il s’agissait moins d’un outil de défense que de contrôle social. Durant les travaux d’Haussmann, la rénovation de Paris expulse les classes populaires du centre : elles sont repoussées vers les banlieues et cette zone sans statut clair.
La zone des fortifications, fruit d’une planification à la fois urbaine et militaire, a fait l’objet de débat pour comprendre s’il s’agissait moins d’un outil de défense que de contrôle social.
Espace interlope, ni tout à fait rural ni urbain, celle-ci accueille ouvriers, immigrés et populations nomades cherchant un logement bon marché et un petit lopin de terre. Dépourvue d’infrastructures (routes, égouts, électricité), la zone reste précaire mais accessible. À la fin du XIXe siècle, l’essor de l’hygiénisme et du modernisme nourrit chez les élites parisiennes une aversion envers cet espace qui entoure la capitale. Soit pour des raisons de progrès social, soit pour des raisons réactionnaires et anti-populaires, il y a un véritable désir de l'élite de l'époque de réformer la Zone en profondeur.
Au début du XXe siècle, la zone des fortifications, soit environ 15 % de la surface de Paris, devient un terrain d’expérimentation urbaine et politique. L’architecte Eugène Hénard imagine un projet progressiste reliant Paris et sa banlieue par une alternance de logements, d’équipements publics et d’une douzaine de parcs, formant une continuité urbaine et sociale avec les villes de banlieue. Mais c’est le projet conservateur de Louis Dausset qui s’impose en 1919 : il conçoit une « ceinture verte » séparant Paris de sa banlieue, soutenue par la chambre des propriétaires, désireuse de maintenir la valeur foncière et l’isolement d’un Paris bourgeois face à une banlieue populaire. La Zone, très habitée, n’est évacuée que très lentement jusqu’en 1943, quand le régime de Vichy l’évacue brutalement et manu militari. Sur la Zone, que Pétain qualifiait de « ceinture lépreuse », le régime de Vichy projette son projet politique de « régénération nationale », et va construire alors des stades et écoles, dans la lignée du projet Dausset. Mais le projet de parc continu est finalement balayé par la construction du boulevard périphérique. Considérée alors comme voie « paysagère », cette autoroute urbaine viendra symboliser durablement la rupture entre Paris et sa périphérie.

La construction des habitations à bon marché, les HBM au début du XXᵉ siècle, l'ancêtre des HLM , a façonné autour de Paris une « ceinture de briques ». Ces logements, souvent sociaux, bordant les boulevards des Maréchaux, sont construits en brique, matériau alors jugé peu noble, ce qui leur confère une mauvaise réputation. Conçus sans « grands architectes » mais par la mairie de Paris dans un contexte de pénurie, ils manquent d’audace face aux idéaux modernistes de l’époque. Leur architecture répétitive crée un paysage uniforme, souvent jugé triste, elle est très décriée par l'élite architecturale et intellectuelle de l'époque. Pourtant, ces immeubles ont offert des logements familiaux confortables et abordables, toujours habités et appréciés aujourd’hui. Symboliquement, cette ceinture matérialise un anneau prolétaire entourant la capitale, une « ceinture rose », prolongement de la « ceinture rouge » des banlieues ouvrières et communistes, perçues comme une menace politique face au Paris bourgeois, centre du pouvoir et des révolutions françaises.
Mon approche consistait à déconstruire l’idée, très répandue, selon laquelle une infrastructure comme le périphérique serait un objet purement technique, donc apolitique. En m’appuyant sur les travaux des sciences et techniques en société, j’ai cherché à montrer que toute décision technique porte en réalité les biais, les valeurs et les rapports de pouvoir de ceux qui la conçoivent. Derrière la façade rationnelle de l’ingénierie urbaine se cachent des choix profondément humains et parfois inégalitaires. Le périphérique en est un exemple frappant : son tracé et ses aménagements traduisent des arbitrages sociaux et économiques. Des quartiers riches, comme ceux du 16ᵉ arrondissement, ont réussi à éloigner l’infrastructure de leurs habitations, tandis que d’autres zones, plus populaires, ont subi de plein fouet les nuisances.
Ma recherche montre que le périphérique n’est pas seulement un ouvrage d’ingénierie : c’est le produit d’un système technocratique, socialement situé, façonné par des élites convaincues de leur neutralité, mais porteuses de biais de classe et de culture.
De même, le refus initial d’installer des murs anti-bruit fut justifié par des arguments techniques, alors qu’il relevait en réalité de jugements esthétiques ou subjectifs des ingénieurs. Ce n’est qu’en 1977, avec l’élection du premier maire de Paris, que la décision fut imposée, révélant combien la hiérarchie politique pouvait infléchir la logique technique. Ainsi, ma recherche montre que le périphérique n’est pas seulement un ouvrage d’ingénierie : c’est le produit d’un système technocratique, socialement situé, façonné par des élites convaincues de leur neutralité, mais porteuses de biais de classe et de culture.
Ce qui m’a intéressé, c’est de comprendre à quel point la fabrique urbaine de Paris et de sa périphérie est marquée par l’héritage colonial. Au XIXᵉ et au XXᵉ siècle, alors qu’on construit puis qu’on repense les fortifications, la France vit l’apogée de son impérialisme : architectes, urbanistes et ingénieurs formés dans les colonies y testent modèles et méthodes qu’ils ramèneront ensuite en métropole. Dans ces territoires marqués par la domination et la ségrégation, ils expérimentent l’idée d’un ordre spatial hiérarchisé, qu’ils appliquent ensuite à Paris. La « ceinture verte » imaginée au Maroc dans les années 1930, pour séparer les « villes européennes » des « villes indigènes », inspire directement la réflexion sur la périphérie parisienne.
Après 1945, avec l’arrivée des travailleurs immigrés, notamment algériens, cet imaginaire se rejoue. Le mot « bidonville », né dans le contexte colonial, désigne désormais ces quartiers informels en métropole. Peu à peu, les populations issues de l’immigration se retrouvent assignées aux cités de transit, puis aux grands ensembles, identifiées à une architecture jugée dégradée. La « question urbaine » est alors associée à la « question immigrée », comme si la destruction des tours pouvait résoudre les inégalités sociales. Derrière cette illusion d’un urbanisme neutre se cache en réalité la persistance d’un imaginaire colonial : une manière d’organiser la ville selon un régime de ségrégation ethno-raciale et de contrôle des populations.

Le boulevard périphérique, héritier direct de la « Zone », reste aujourd’hui un marqueur fort du paysage parisien. Même s’il tend lentement à s’apaiser, il incarne encore cette marge urbaine. Autour de lui subsistent des espaces de relégation : à la Porte de la Villette, par exemple, des personnes sans abri ou souffrant d’addictions au crack trouvent refuge sur ces franges repoussées hors du centre pour « déranger » le moins possible. Le long des Maréchaux ou des échangeurs, les tentes se succèdent, rappelant la persistance d’un Paris des marges.
La « Zone » a cessé d’être un lieu pour devenir une idée : celle d’un espace entre deux mondes, où la ville repousse ce qu’elle ne veut pas voir, mais qu’elle ne peut effacer.
Cette identité périphérique perdure donc : le périphérique n’est pas une artère comme les autres, mais un seuil, une frontière sociale et symbolique. Peut-être, dans un siècle, aura-t-il été absorbé par la ville. En attendant, comme le souligne le chercheur Jérôme Beauchez, la « Zone » a cessé d’être un lieu pour devenir une idée : celle d’un espace entre deux mondes, où la ville repousse ce qu’elle ne veut pas voir, mais qu’elle ne peut effacer.

Justinien Tribillon, La Zone, une histoire alternative de Paris, Paris, éditions B42, 2025
Tout a commencé sur Change.org, ce cahier des doléances en ligne. En mai dernier, Priscillia Ludosky, gérante d’une boutique en ligne de cosmétiques domiciliée en Seine-et-Marne, lance une pétition pour exiger la baisse du prix du carburant à la pompe. L’initiative peine à récolter des signatures, jusqu’à ce qu’elle soit médiatisée le 12 octobre dans un article de La république de Seine-et-Marne. Au même moment, Eric Drouet, chauffeur routier, annonce sur Facebook un rassemblement le 17 novembre avec son association d’automobilistes, le Muster crew. Relayée par le Parisien, l’initiative fait boule de neige, et le mouvement des gilets jaunes grossit progressivement jusqu’à devenir l’un des sujets les plus médiatisés, mais aussi les plus âprement débattus dans la presse et sur les réseaux sociaux.
Si la hausse du prix du carburant a mis le feu aux poudres, c’est d’abord en raison de la hausse des taxes sur le gasoil, décidée en partie pour le gouvernement pour supprimer l’avantage fiscal du diesel. Classé cancérigène certain par le CIRC, celui-ci n’est pas seulement émetteur de CO2, mais aussi de particules fines et d’oxyde d’azote, surtout pour les véhicules les plus anciens. Selon une étude publiée en 2017 dans la revue Environmental Research letters, 10 000 morts prématurées en Europe (sur les 425 000 imputées à la pollution de l’air) lui seraient directement imputables. La taxation du diesel n’est donc pas seulement un levier pour lutter contre le dérèglement climatique : elle est aussi un enjeu de santé publique. « Une hausse de 10% du coût des énergies fossiles permet de réduire de 6% leur consommation à long terme, diminuant en même temps les nuisances associées : pollution atmosphérique, émissions de gaz à effet de serre », affirme ainsi sur son site Internet le ministère de la Transition écologique et solidaire. Cela dit, comme l’ont souligné nombre d’observateurs, la hausse du prix des carburants n’est qu’en partie imputable à leur taxation. C’est l’envol du prix du baril (il a presque triplé depuis 2016) et la variation des taux de change, qui expliquent en partie ce renchérissement. Ce dernier succède d’ailleurs à des années de baisse : l’essence était plus chère en 2012 qu’aujourd’hui.
Comment expliquer dès lors le mouvement des gilets jaunes ? En l’absence d’homogénéité et de discours unifié, on en est réduit à des conjectures. Il faut d’abord rappeler dans quelle séquence s’inscrit cette mobilisation. Elle succède en premier lieu à l’émoi suscité par la réforme de l’ISF : ce geste inaugural du gouvernement a d’emblée instillé l’image d’un Emmanuel Macron « président des riches » uniquement dédié aux « premiers de cordée ». En octobre dernier, une évaluation de l’Institut des politiques publiques (IPP) confirmait largement ce soupçon, en montrant que la réforme et la flat tax bénéficiaient aux 0,1% de ménages les plus aisés. De même, on peut trouver éclairante l’exacte coïncidence, dans l’actualité, de la révolte des gilets jaunes et de l’arrestation au Japon de Carlos Ghosn, PDG de Renault, pour fraude fiscale.La séquence qui conduit aux blocages du 17 novembre voit ensuite se succéder le rapport Spinetta sur l’avenir du rail, qui préconise le démantèlement des lignes secondaires, le refus par l’Assemblée nationale d’interdire le glyphosate d’ici 3 ans, l’autorisation accordée à Total de forer du pétrole au large de la Guyane, et bien sûr la démission fracassante de Nicolas Hulot, dont le discours est venu conforter l’idée d’un pouvoir acquis aux lobbies. Dans un tel contexte, le gouvernement apparaît peu crédible lorsqu’il fait passer la hausse des taxes sur le carburant pour une mesure écologique. D’autant moins d’ailleurs que seule une partie des recettes sera affectée à la transition, le reste étant destiné à alimenter le budget général. Et que le kérosène des avions et le fioul des bateaux sont exonérés de taxes, y compris pour les liaisons domestiques. Au-delà de la question des moyens, c’est enfin celle des solutions qui est mise en cause. Des doutes s’expriment tout particulièrement à l’égard des véhicules électriques sensés faciliter la transition vers une mobilité décarbonée. Pour plusieurs raisons : d’abord parce que la faible autonomie des batteries ne leur permet pas de concurrencer les moteurs à essence sur les longs trajets. Ensuite parce que les modèles électriques demeurent inaccessibles aux ménages qui ont fait le choix du diesel pour des raisons de coûts. Enfin, parce que le diesel fut lui-même longtemps présenté comme écologique. Dans ces conditions, comment être certain que les véhicules électriques ne seront pas bientôt frappés du même discrédit, surtout quand on aborde la délicate question des batteries au lithium ?
En faisant peser la transition écologique sur les seules mobilités individuelles, la mesure a dès lors tout l’air d’une injustice fiscale. Elle donne le sentiment qu’elle vient pénaliser précisément ceux qui sont le plus dépendants de la voiture, et ont le moins les moyens de s’en passer : les travailleurs pauvres et les classes moyennes des périphéries des métropoles et de l’espace rural, déjà fragilisés par le démantèlement du rail et des services publics de proximité (hôpitaux, écoles, bureaux de poste…). A cet égard, le mouvement des gilets jaunes a ravivé le débat autour d’une figure controversée : celle de Christophe Guilluy. Et pour cause : il a fait ressurgir le spectre d’une « fracture française » entre des métropoles supposées seules bénéficiaires de la mondialisation, où se concentrent le capital social, culturel et économique, et une « France périphérique » en voie accélérée de déclassement. Le mouvement vient de fait pointer les limites du modèle d’aménagement en vigueur partout dans le monde occidental : celui de la métropolisation. Un modèle inégalitaire, dans la mesure où la gentrification qu’il génère est synonyme d’éloignement pour les plus pauvres, et anti-écologique dès lors qu’il suppose un immense gaspillage de ressources.
Mais parce qu’il est né sur les réseaux sociaux, le mouvement déborde largement ces supposés clivages territoriaux. Il s’est d’ailleurs déployé aussi bien dans les métropoles – dont Paris – que dans les petits villages et villes moyennes. Sa composition sociale et idéologique semble tout aussi hétérogène : classes moyennes et classes populaires, extrême droite et extrême gauche, et au milieu sans doute pas mal d’abstentionnistes. Les gilets jaunes sont à ce titre un défi politique, sinon un redoutable piège autour duquel s’écharpent les militants de gauche et les écologistes : faut-il s’allier à eux au risque de favoriser l’extrême droite ? Ou faut-il au contraire s’en désolidariser au risque de… favoriser l’extrême droite ? Parce qu’il se donne pour une révolte du « peuple » face aux « élites », le mouvement instille un peu plus la crainte de voir le populisme, en l'occurrence le RN, s’approcher du pouvoir, et suggère que le parti de Marine Le Pen est désormais la boussole autour de laquelle se cristallise tout débat public.A scruter les modes d’action des gilets jaunes, on pourrait pourtant se laisser tenter par une autre approche, teintée d’utopie. De fait, il est pour le moins paradoxal qu’un mouvement apparemment décidé à faire valoir son droit à la mobilité ait choisi le blocage comme moyen privilégié. Paralyser les routes, freiner l’incessant flux des hommes et des marchandises… : est-ce une façon pour les immobiles de rendre sensible à tous leur condition ? Et si c'était aussi l'occasion reconduire le mot d’ordre de l’an 01 : « on arrête tout et on réfléchit. » Face à la perspective du cataclysme climatique et à un modèle économique dont tout le monde s’accorde à dire qu’il nous conduit droit dans le mur, ce serait alors une mesure de bon sens.
Est-ce l’épisode de sécheresse qui frappe la France depuis le mois de juin ? La démission de Nicolas Hulot le 28 août dernier et son discours sans appel sur le rôle des lobbys dans la catastrophe écologique en cours ? La publication début octobre du 5e rapport du GIEC sur le climat terrestre, qui insiste une fois de plus sur la nécessité de contenir le réchauffement à +1,5° ? Toujours est-il que les mobilisations pour le climat prennent une ampleur inédite en France : après le succès de la marche organisée le 8 septembre dernier à l’initiative de Maxime Lelong, simple internaute, près de 120 000 personnes ont à nouveau défilé le 13 octobre dans 80 villes en France pour exhorter les hommes politiques à agir concrètement et massivement contre le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité. Les manifestants ne comptent d’ailleurs pas en rester là : les marches pour le climat promettent de se succéder tous les mois.
Inédites, ces manifestations constituent la part visible d’un sursaut citoyen qui se déploie sur tous les fronts, et semble enfin venir à bout d’un clivage tenace : celui qui oppose le « ça commence par moi » de citoyens rétifs au militantisme « classique » et les modes d’action des organisations militantes. Plus question d’opposer la spontanéité et la stratégie, l’action individuelle et la lutte collective : c’est dans la fine articulation de ces deux registres que se dessinent les contours du « sursaut » à l’œuvre. Pointant cette singularité du mouvement en cours, Nicolas Haeringer de l’ONG 350.org affirmait ainsi à Libération tout récemment : « ce qu’ont les organisations par rapport aux individus, c’est la capacité à penser des stratégies et à s’inscrire dans le long terme. L’enjeu est de trouver des manières de prolonger cet élan, de le canaliser, le structurer, sans que les organisations ne récupèrent la dynamique, mais en étant en mesure de s’inscrire dans la durée. (…) Maintenant, il faut arriver à atterrir sur des revendications un peu plus précises, pour gagner quelques batailles. »
Pour articuler changement individuel et collectif, une approche de l’action par campagnes pourrait s’avérer ici particulièrement fructueuse. Or, c’est exactement ce qui se dessine actuellement. Ainsi, le site Internet Il est encore temps regroupe les campagnes de diverses ONG et oriente d'emblée les internautes vers des actions concrètes, en prenant soin de distinguer d’emblée ceux qui veulent agir « solo », et ceux qui envisagent de se mobiliser en groupe. La plateforme recense une typologie d’actions très variée : pétitions, boycott à la consommation, interpellations des banques, écogestes, mais aussi action directe non-violente – à l’instar du climate Friday organisé le 23 novembre prochain, et qui invite les citoyens à cibler les super et hypermachés - et désobéissance civile, comme en Allemagne où se succèdent les actions pour protéger la forêt de Hambach et stopper l'extraction du lignite. A partir de fin octobre, la plateforme proposera aussi aux internautes une nouvelle version de 90 jours : créée en 2015, cette application « coache » ses usagers pour « changer le monde » en 3 mois ou, à défaut, réduire significativement son empreinte écologique au gré de « défis » quotidiens (faire le ménage avec du vinaigre blanc, acheter des fruits et légumes de saison, etc.).Le climat n’est pas le seul à mobiliser de plus en plus massivement. Dans le sillage de la démission du Nicolas Hulot, le journaliste Fabrice Nicolino, auteur de Pesticides, révélations sur un scandale français, a ainsi lancé en septembre dernier l’appel des coquelicots, visant à l’interdiction de tous les pesticides. A ce jour, la campagne a reçu plus de 290 000 signatures.
Comment la crise écologique et les scandales liés à l’industrie agro-alimentaire invitent-ils à redéfinir la place de l’agriculture, et plus largement de la nature, dans les zones urbanisées ? Quelles formes la production alimentaire prend-elle aujourd’hui dans des villes ? Sous le commissariat d’Augustin Rosenstiehl, cofondateur de l’agence SOA, l’exposition « Capital Agricole – chantiers pour une ville cultivée » au Pavillon de l’Arsenal aborde tout à la fois l’histoire et le devenir de l’agriculture urbaine, et s’interroge sur le possible avènement d’un urbanisme agricole capable de remodeler en profondeur le rapport ville/nature.
Pour ce faire, elle propose tout d’abord un voyage dans le temps. Au travers de photographies, elle nous plonge dans un passé révolu : à la fin du XIXème siècle, la ceinture de la capitale produit sa nourriture (plateaux céréaliers, plaines et vallées de maraîchage ou d’horticulture). Paris la transforme avec ses abattoirs, tanneries et moulins et la vend dans ses célèbres Halles. Le recyclage est une réalité et les déchets organiques repartent amender les sols des producteurs. La forêt est également exploitée de mille façons. Des cartographies montrent comment l’urbanisme moderne va modifier ce métabolisme urbain dans l’après-guerre. Les sols agricoles ont, depuis, perdu la moitié de leur surface, mangés par la progression du bâti – qu’il s’agisse des grands ensembles ou des pavillons de la « France de propriétaires ». La PAC et le remembrement finissent de modifier, de massifier et d’uniformiser le paysage agricole. Les dessins naïfs et colorés de Yann Kebbi montrent également l’évolution des outils et habitats du monde paysan. L’idée de fondre ville et campagne n’est pas abandonnée pour autant. L’exposition présente ainsi des projets d’utopies architecturales proposés depuis 1930 pour concilier urbanisation et approvisionnement alimentaire, comme la Ferme Radieuse de Le Corbusier ou la Broadacre City de Frank Lloyd Wright.
Aujourd’hui, face à la crise écologique, l’urbanisme doit se repenser en rebattant les cartes, et notamment en dépassant les séparations fonctionnelles habituelles et en fusionnant l’Urbain et la Nature. Il s’agit d’abord de cultiver partout : dans les grands ensembles, dans les zones d’activités inhabitées, dans les jardins des zones pavillonnaires, sur les toits comme dans les sous-sols, ou à l’inverse d’habiter dans les espaces agricoles. On cherche aussi à cultiver autrement : circuits courts, transport fluvial, recyclage in situ des déchets de la ville pour fertiliser les terres (compost des biodéchets, urine des habitants…), techniques intensives et éco-circulaires (aquaponie, hydroponie), utilisation de la High-tech, construction en bois, mobilité animale… « Capital agricole » souligne ainsi toute la diversité des approches contemporaines de l’agriculture urbaine, des moutons de Clinamen aux sous-sols investis par la start-up Cycloponics. Autant d’initiatives que Sylvain Gouraud présente via les portraits photographiques des défricheurs expérimentant ces nouvelles façons de cultiver l’Ile de France.
Capital Agricole – Chantiers pour une ville cultivée au Pavillon de l’Arsenal jusqu’au 27 janvier 2019
21 boulevard Morland 75004 Paris
Du mardi au dimanche de 11h à 19h
Entrée libre
Un catalogue est édité à l’occasion de l’exposition. Plus d’informations ici.
Apparus timidement dans les années 1990, les « collectifs d’architectes » ont le vent en poupe, et jouissent depuis quelques années d’une belle reconnaissance médiatique et institutionnelle. Depuis le mois de mai, c’est même l’un d’entre eux (du moins dans sa forme initiale) – l’agence parisienne Encore Heureux – qui représente la France à la Biennale d’architecture de Venise autour de cette question emblématique : « construire des bâtiments ou des lieux ? »
Pourtant, les contours de cette nébuleuse hyperactive sont difficiles à saisir : souples, interdisciplinaires, sans statut juridique unique (de l’association à la SCOP), les collectifs d’architectes se meuvent à mi-chemin de l'événementiel, de la recherche-action, de la médiation, de l’urbanisme temporaire et de l’architecture, et se déploient à l’intersection de l’art, de l’activisme, de la fabrique urbaine et de l’action sociale. Ils ont aussi chacun des dominantes et des prédilections – implication et "empowerment" pour certains, réemploi et recyclage pour d'autres.
A ceux qui chercheraient à appréhender ce qu’ils font, L’Hypothèse collaborative offre plus qu’une entrée en matière. Publié en mai dernier aux éditions Hyperville, « cabane d’édition » initiée entre autres par Etc et la revue Strabic, cet ouvrage collectif déplie les ressorts d’une pratique plurielle. Sous la direction éclairée de l’Atelier Georges (agence d’urbanisme, de paysagisme et d’architecture) et de Mathias Rollot (architecte et maître de conférence), il en cerne les points communs et les singularités, en pointe promesses et limites – le tout grâce à un corpus très robuste de textes théoriques et d’entretiens avec une vingtaine de collectifs français, dont Encore Heureux, Etc, Ya+K, Bellastock, Yes we camp, Echelle inconnue ou l’ANPU.
Il en ressort une analyse très fine de leur démarche, où saillent d’emblée deux traits principaux : une approche collaborative du projet urbain et une attention au faire, avec ce que cela suppose d’improvisation, de précarité et de risque.Collaboratifs, les collectifs d’architectes le sont doublement : d’abord parce qu’ils revendiquent la transdisciplinarité, mais aussi parce que, souligne l’architecte Enrico Chapel en ouverture de l’ouvrage, ils « hybrident le monde savant et non savant, le monde de la conception et le monde de l’exécution ».
Par un pas de côté hors des modes de production standards de l’urbain, ils s’attachent à « faire sur le terrain pour savoir comment faire ». Leur ambition, résumée par Enrico Chapel, consiste à « casser la distinction entre espace conçu et espace vécu, en partant de l’idée que pour bien dessiner et concevoir la ville il faut d’abord la vivre et l’expérimenter au quotidien, si possible en compagnie de ceux qui la vivent et l’habitent déjà. » Quand les opérateurs classiques (aménageurs, bailleurs, promoteurs…) se cantonnent au hard, à la construction, au bâtiment, eux privilégient le soft – les usages, les gens, les lieux.
A la maîtrise d’œuvre, ils préfèrent selon l’heureuse formule d’Edith Hallauer la « déprise d’œuvre » et proposent de « s’ouvrir à l’imprévu, au non-programmé, et même en générer les conditions », de « laisser faire » et de « faire faire ». « Ce que révèlent les collectifs interrogés est un fait paradoxal, écrit encore Mathias Rollot en dernière partie de l’ouvrage : celui d’une réappropriation de la discipline architecturale au moyen d’une forme de dissolution de celle-ci. » Pour le co-directeur de L’hypothèse collaborative, ces structures opèrent ainsi un déplacement de leur regard – « de l’expertise vers l’échange, de l’élitisme vers l’éthique, de l’art vers la politique. »
Cette mise en question concrète, à travers une praxis collective, des cadres et conditions d’exercice de l’architecture s’inscrit dans un certain contexte, que l’ouvrage éclaire. C’est d’abord, y lit-on en introduction, celui d’une « crise sans précédent au sein des métiers de la fabrique urbaine ». Le modèle de production urbaine dessiné après-guerre, dans un contexte de forte croissance urbaine, serait en effet devenu obsolète : la plus-value dégagée n’y est plus suffisante pour rétribuer tous les acteurs de la construction, bref « la chaine se grippe ». Enfants du marasme, les collectifs d’architectes ont dû se frayer une troisième voie entre une commande publique réservée à une poignée de « starchitectes » et une commande privée de plus en plus adossée à des bureaux d’études techniques. Significativement, leur explosion dans les années 2000 suit aussi de près l’avènement du développement durable et le renouveau de la participation. Cette double injonction, ils l’interprètent à la lueur d’Henri Lefebvre, de Debord, de Michel de Certeau, de Foucault, de Hakim Bey, et côté professionnel, de Lucien Kroll, Patrick Bouchain, Gilles Clément et Yona Friedman. Autant de références qui les conduisent à s’engager sur le terrain des pratiques quotidiennes, à mettre en œuvre des « hétérotopies » dans le « négatif de la ville » et parfois, à « faire sans pour faire autrement », voire à jouer l’improductivité contre le modèle productiviste dominant.
Mais si les situations – souples, transitoires, expérimentales, incrémentales – qu’ils mettent en œuvre questionnent de façon salutaire la fabrique urbaine ordinaire, elles dessinent aussi aux les collectifs d’architectes un horizon incertain. A ce titre, L’hypothèse collaborative n’élude pas les limites ni même les ambivalences d’une pratique dont l’institutionnalisation pose question. Ce tournant institutionnel, repéré entre autres par Elise Macaire, interroge d’abord leur évolution : « comment pérenniser une démarche militante et désintéressée ? La commande publique va-t-elle soutenir et professionnaliser ces pratiques ? » demande l’architecte-sociologue.
Après avoir souligné la « plus-value » sociale de l’urbanisme transitoire, mais aussi son apport à la fabrique urbaine (préfiguration d’un projet, valorisation d’un site…), Cécile Diguet, pointe elle aussi la précarité des collectifs, qui récoltent tout au plus les « miettes de la plus-value » : « comment faire en sorte, écrit-t-elle, que cet apport soit justement rétribué, pérennisé, alimenté, le tout dans un contexte où toute l’économie de l’aménagement est en train d’être bousculée et repensée ? » Enumérant quelques-unes des réserves exprimées à leur encontre, l’urbaniste pointe aussi le rôle possiblement ambivalent des collectifs : « Le sujet déclenche des controverses à haute teneur politique, note-t-elle : l’urbanisme transitoire peut être le vecteur d’une ville plus inclusive, plus ouverte et plus juste, ou bien, l’instrument de la gentrification urbaine, d’un turn over et du « jetable », du marketing territorial, producteur d’une image lisse et moderne qui garantit le succès de la commercialisation des produits immobiliers. »
Un questionnement dont l’architecte, urbaniste et chercheuse Julia Tournaire se fait elle aussi l’écho en fin d’ouvrage : « Et si l’alternatif n’était plus le révolutionnaire mais plutôt l’huile de coude du fonctionnement capitaliste actuel ? Et s’il représentait l’écran de fumée, ou de néon, que forme la poussière lors du combat de classe ? » Avant de conclure : « A la question de savoir s’il est possible de créer du différent, du responsable, du non-marchand, de l’inclusif, du commun depuis l’intérieur même de la ville et de son fonctionnement, l’hypothèse collaborative nous donne (…) l’envie de répondre positivement. »
L'hypothèse collaborative : conversation avec les collectifs d'architectes français, sous la direction de l'Atelier Georges et de Mathias Rollot, éditions Hyperville, 2018, 288 page, 25 euros.
Photo : Collectif ETC, "Made in Vitrolles", 2013. Crédit photo : S.L
Quels points communs entre Melbourne et les Minguettes ? Entre Vancouver et Grigny ? La question peut sembler absurde tant les univers, les imaginaires, les représentations attachés à ces territoires urbains apparaissent éloignés. Quels points communs entre des villes championnes de la globalisation et qui ont su faire fructifier des flux massifs de capitaux de plus en plus mobiles, en tête de tous les classements en matière d’attractivité et de développement durable et des villes et des quartiers devenus, au fil des quatre dernières décennies, les symboles même d’une politique de la ville en mal de repères et d’une France urbaine divisée ?La réorientation de la politique de la ville appelée de ses vœux par le Président de la République en ce mois de mai 2018, à la veille d’un rendez-vous largement médiatisé avec les dirigeants de grands groupes de nouvelles technologies, célèbre volontiers le pragmatisme, un retour au terrain salvateur, la volonté d’inclure les gens plutôt que de développer de nouveaux grands plans… Certains n’hésitent pas à y voir la fin de la politique de la ville, d’autres appellent à un nouveau contrat entre l’Etat et les territoires. Or la querelle des anciens et des modernes est peut-être mal posée. La politique de la ville est, de toutes les grandes politiques publiques mises en œuvre en France depuis les années 1970, la plus républicaine et la plus continue de toutes. On l’oublie trop souvent, mais elle a servi à maintes reprises de sas entre problématiques urbaines locales et européennes et internationales, d’incubateur d’idées autant que de partenariats. Dans la France de 2018, cette articulation fait défaut et l’on découvre progressivement combien de nouvelles égalités, frappantes, sont attachées à la métropolisation.
Globalisation « + » versus globalisation « - » nous dit Bruno Latour. Urbanisation « + » versus urbanisation « - » voudrait-on ajouter. Faire des techs, même des civic techs, le marchepied entre les quartiers et la Silicon valley, qui serait le graal du monde de demain, paraît un raccourci hasardeux. Pour autant, il n’est pas plus réaliste d’envisager la politique de la ville au seul prisme d’enjeux nationaux. Même si certains architectes voudraient nous convaincre du contraire, il n’est pas sérieux de prétendre que nous, en France, faisons modèle pour les autres villes du monde, que nos villes et nos quartiers seraient des modèles d’urbanité mondiale.
"La politique de la ville est, de toutes les grandes politiques publiques mises en œuvre en France depuis les années 1970, la plus républicaine et la plus continue de toutes." Nicolas Buchoud
Pour comprendre ce qui est à l’œuvre et ouvrir vers des solutions qui sortent de la querelle des anciens et des modernes, décentrons le regard. Lors d’une vigoureuse intervention au Parlement européen à la fin du mois de mai, la nouvelle directrice exécutive d’ONU Habitat a souligné que l’avenir urbain s’écrivait avec les Etats et avec les collectivités, mais aussi avec les territoires et leurs acteurs. Incontournable, le cadre étatique ne saurait s’envisager seul. Au sein de nombre d’enceintes de coopération multilatérales, à commencer par celle du G20, les alertes se multiplient pour appeler gouvernements, acteurs financiers privés et entreprises à comprendre combien le management des territoires est un facteur clé du développement durable. Pour Dennis J. Snower, président du Kiel Institute for the World Economy (Allemagne), il y a une vraie urgence à reconnecter (to re-couple) innovation et progrès social, et cela passe par les territoires. C’est aussi l’objet de plusieurs des groupes de travail du T20, l’instance qui rassemble think tanks et instituts de recherche auprès du T20, et dont le Cercle Grand Paris est partie prenante. Ces mutations tout à fait contemporaines sont le résultat de l’adoption par les Nations Unies de l’Agenda 2030 et des Objectifs de Développement Durable, un cadre de référence fructueux mais encore largement méconnu et sous-estimé, notamment dans le Grand paris. Après de sérieuses émeutes raciales en 2015, Baltimore a été l’une des premières villes aux Etats-Unis et dans le monde à recourir au nouveau cadre des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unies pour réévaluer les causes des mécanismes de ségrégation sociale, raciale et spatiale à l’œuvre, et pour recréer des cadres de confiance à partir de référentiels extérieurs et auréolés d’une certaine forme de neutralité. Ce travail précurseur, présenté à l’occasion du Forum du Cercle Grand Paris en 2017, reste quasi inconnu en France alors même qu’il n’a plus rien d’isolé. Depuis deux ans, organisations internationales, banques multilatérales, réseaux professionnels et de collectivités… ont entrepris de réviser en profondeur leurs doctrines de développement. On est passé en peu de temps de visions génériques d’un monde de plus en plus urbain à l’affirmation d’un monde de plus en plus métropolitain, pour constater finalement que les mécanismes de gouvernance restent très en deçà des mutations économiques et sociales à l’œuvre. On assiste bien à la fin d’un monde, mais ce n’est pas tant celui de la politique de la ville que de la loi cardinale du développement durable qui prévaut depuis le sommet de la terre de Rio en 1992. L’urbanisation et la métropolisation du monde scellent la fin du think global & act local dans une collision quotidienne des échelles géographiques et des temps. Pourquoi la France des villes y ferait-elle exception ? Mais surtout, pourquoi la France n’a-t-elle pas saisi ce tournant à bras le corps ?
"L’urbanisation et la métropolisation du monde scellent la fin du think global & act local dans une collision quotidienne des échelles géographiques et des temps." Nicolas Buchoud
On voit depuis peu se multiplier sur tous les continents les initiatives en faveur d’une territorialisation des ODD. L’OCDE a créé une mission destinée à soutenir la mise en œuvre des ODD à l’échelle locale. Ce n’est pas une question de relations internationales mais un enjeu pour les politiques publiques de développement urbain, de logement et d’aménagement du territoire, qui nous projette bien au-delà des stratégies traditionnelles de marketing territorial. Le rapport quadriennal d’évaluation du Nouvel Agenda Urbain Mondial élaboré au premier semestre 2018 et qui doit être présenté devant l’assemblée générale d’ECOSOC, le conseil économique et social des Nations Unies, au début du mois de juillet 2018 met en lumière la recomposition des dimensions locales et globales de la vie urbaine contemporaine. La déclaration finale du forum urbain mondial de Kuala Lumpur au mois de février ne dit pas autre chose. Le Forum économique mondial de Davos s’est saisi des réseaux sociaux pour se faire l’écho de sociétés urbaines interconnectées. Nous avons évoqué plus haut les travaux du G20, à quoi l’on pourrait ajouter la préparation d’un U20, un groupe de travail permanent du G20 sur la ville. Quels acteurs français de la politique de la ville participent ces travaux ? La question des banlieues françaises aujourd’hui, ce n’est ni d’abord celle de l’insécurité, ni d’abord celle de la radicalisation, c’est celle d’un monde qui tourne définitivement la page des lendemains de la guerre froide, près d’une génération après la chute du Mur de Berlin. On en constate les effets dans de multiples sphères, jusque dans l’épuisement du modèle des classes créatives tellement mises en avant ces vingt dernières années.
"La question des banlieues françaises aujourd’hui, ce n’est ni d’abord celle de l’insécurité, ni d’abord celle de la radicalisation, c’est celle d’un monde qui tourne définitivement la page des lendemains de la guerre froide, près d’une génération après la chute du Mur de Berlin." Nicolas Buchoud
Et si le marketing des classes créatives avait nourri l’émergence d’un nouveau prolétariat urbain ?Jamais depuis l’après-Guerre, les inégalités n’ont crû aussi rapidement, suscitant frustrations et appels à de nouvelles formes de leadership. Comment tirer le meilleur parti de ce contexte nouveau ? Comment faire fructifier la mondialisation dans tous les territoires ? Au quotidien, les ODD paraissent bien éloignés des priorités de la gestion locale. On peinerait à les transformer en instruments de financement du développement. Nous y sommes presque, pourtant. La préparation en France de la loi PACTE suscite une certaine effervescence parmi les acteurs de l’investissement responsable. On se prend même à parler d’investissement territorial responsable. On convoque le secteur privé. Mais un maillon essentiel reste manquant.La métropolisation accélère la concentration de ressources et de richesses sans favoriser la redistribution. On innove mais sans que cela ne renforce les solidarités. Créer des cadres de gouvernance réellement métropolitains n’est tâche facile pour personne, particulièrement dans le Grand Paris. Pour connecter innovations et solidarités, nous avons besoin de nouveaux mécanismes de partenariats, réellement redistributifs. Nous avons besoin de coalitions d’acteurs, publics, privés, entrepreneuriaux, issus de la société civile, académiques. C’est le sens du programme urbain du Global Compact des Nations Unies et du Cities Partnerships Challenge, qui vise à outiller les acteurs locaux dans un environnement urbain globalisé.Depuis le milieu des années 1990, on a eu coutume de célébrer les villes monde, traduction française un peu étrange des global cities, mais sans s’attacher à développer des savoir-faire territoriaux faire à même de leur assurer un bon gouvernement. On ne sait toujours pas convertir la diversité en un instrument de développement économique et un vecteur de création d’emplois. La fragmentation des territoires n’est pas inéluctable, reconnecter innovations et solidarités est à portée de main. Il y a 10 ans, le processus du Grand Paris était lancé pour reconquérir l’attractivité de la région capitale. En une décennie, le monde urbain a pourtant profondément changé. La population urbaine mondiale est passée de près de 3 milliards à près de 4 milliards d’habitants. Nous avons besoin d’un nouveau Grand Paris, pas seulement celui de l’architecture ou de l’urbanisme, mais celui de partenariats ouverts, qui fassent vivre et respirer les territoires, qui nous projette dans l’avenir.
Le programme du 7e forum du Cercle Grand Paris de l'investissement durable est ici.
A priori, compostage ne rime pas vraiment avec ville. Et pourtant ! Depuis dix ans, Jean-Jacques Fasquel prouve le contraire : « tombé dans le compost » avec la « crise de la quarantaine », ce Parisien a initié dès 2007 dans son immeuble du 12e arrondissement le projet d’un compost collectif, qui attire aujourd’hui 80 foyers. Fort de ce succès, il développe depuis 2009 une activité de maître composteur et de consultant en prévention des déchets, qu’il relaie sur son blog Compostory.
Composter en ville est donc l’ouvrage d’un passionné soucieux de renverser les idées reçues, et la quatrième de couverture proclame d’ailleurs que « la vie urbaine n’est pas un obstacle au compostage ». Clair et didactique, ce manuel publié récemment aux éditions Rustica aborde successivement tous les aspects d’une pratique qui requiert un peu de savoir-faire. Le BA-ba du compostage ? Il tient selon Jean-Jacques Fasquel en quelques principes simples. D’abord, respecter les micro-organismes (vers, larves de cétoines, etc.). Ensuite, veiller au bon équilibre entre matières vertes (déchets, tontes, etc) et brunes (feuilles mortes, copeaux de bois, etc.). Enfin, assurer un brassage régulier pour permettre l’oxygénation du compost, et surveiller le taux d’humidité du bac, qui ne doit être ni trop humide, ni trop sec. Le livre fait aussi le point sur ce qui peut se composter ou pas. Les agrumes ? Pas de problème, contrairement à une idée reçue. La viande ? En théorie oui, mais ça peut attirer les rongeurs. Le papier et le carton ? Ok, à condition qu’ils ne pas pollués par les encres et autres produits ménagers… Composter en ville prodigue enfin quelques conseils pour lancer un compost domestique ou partagé en pied d’immeuble, liste le matériel nécessaire à cette entreprise, et passe en revue les solutions existantes – du simple bac au lombricompostage. Sans oublier questions juridiques et pistes méthodologiques…
Mais l’intérêt de l’ouvrage tient aussi à sa capacité à situer le compostage dans un contexte plus large de préservation des ressources et de limitation du gaspillage alimentaire (20 à 30kg par personne et par an, selon l’ADEME !). Il rappelle d’abord qu’un tiers des 360 kg de déchets produits en moyenne par personne en France est constitué de matières putrescibles. Le compostage représente donc un levier important de réduction des déchets à l’échelle domestique – d’autant plus appréciable qu’une tarification incitative se met progressivement en place. Déjà appliquée dans 190 communes, elle pourrait concerner 15 millions d’habitants en 2020 et 25 millions en 2025. A ce titre, Composter en ville intègre des conseils pour limiter les épluchures, en vertu de ce principe élémentaire que « le meilleur déchet (même organique) est celui qu’on ne produit pas ».Dans la pratique du compostage, Jean-Jacques Fasquel voit encore d’autres avantages : un fertilisant pour les cultures, mais aussi un véritable activateur de liens sociaux et un outil de reconnexion avec la nature, via une meilleure compréhension des mécanismes naturels. Autant de raisons de s’y mettre, même si la collecte du compost et sa valorisation (dans un potager par exemple) restent compliqués dans un contexte urbain…

Jean-Jacques Fasquel, Composter en ville : le recyclage des biodéchets pour tous et partout, éditions Rustica, 2018, 128 pages
C’est dans l’amphithéâtre comble du siège de Paris Habitat que l'Agence de la Biodiversité en Ile de France avait invité les professionnels intéressés par la gestion écologique des espaces verts pour remettre leurs diplômes Ecojardin aux 34 nouveaux labellisés Ecojardin et présenter pendant une journée entière différents retours d’expérience.Le label a été lancé en 2012 pour certifier la gestion écologique des espaces paysagers français. Il est supervisé scientifiquement par l’association Plante & Cité et animé par l'Agence de la Biodiversité en Ile de France. Dans la dynamique du plan Ecophyto, le référentiel comporte sept domaines relevant de la gestion d’un espace vert : planification et gestion du site, sol, eau, faune et flore, mobiliers et matériaux, matériels et engins, formations des jardiniers et accueil du public. Au-delà du processus de labellisation, le référentiel est un guide de bonnes pratiques et donc un outil d’amélioration continue pour les jardiniers et gestionnaires de ces espaces. Sur la base de la visite d’un auditeur (organisme externe indépendant) et du dossier technique du candidat, le comité de labellisation accorde ou non le label pour une période de 3 ans (5 ans en cas de renouvellement). En 2017, 128 sites ont été labellisés ou renouvelés, ce qui porte à 392 le nombre des sites EcoJardin en France.Le label ne se cantonne pas aux parcs et jardins publics (même s’ils représentent 66 % des labellisés) mais à tous les types d'espaces verts ouverts au public - publics ou privés. Il concerne ainsi les espaces naturels, les cimetières, les terrains de sport, les jardins partagés ou ouvriers, les espaces verts des bailleurs sociaux ou encore ceux des entreprises ou des lieux d’hébergement de vacances.Cette labellisation vient souvent consacrer une démarche initiée plusieurs années auparavant, souvent avec l’arrêt de l’utilisation de produits phytosanitaires. Dans les cimetières par exemple, le désherbage chimique a été remplacé dans un premier temps par un désherbage manuel ou mécanique mais aujourd’hui une étape supplémentaire a été franchie : on ne lutte plus contre le végétal, on le gère. De sorte que les cimetières, oh combien minéraux, se transforment en parcs végétalisés. Comme le citait avec beaucoup d’humour l’un des témoins de la remise des diplômes : « Quitte à manger les pissenlits par la racine, autant qu’ils soient bio ! ».Cette journée Ecojardin présentait des retours d’expérience portant sur des espaces verts divers et variés, voire atypiques. Parmi eux, le Jardin du monastère de Cimiez à Nice avec ses contraintes de « jardin de patrimoine », les cimetière de la Chartreuse de Bordeaux et Toutes Aides à Nantes, le site du champ captant des Gorgets géré par Suez à Dijon, le lycée agricole Coutances Métiers Nature, le Parc de la Pépinière à Nancy ou encore le verger partagé Essen‘Ciel à Grenoble.Chez les bailleurs sociaux, Paris Habitat présentait sa résidence du groupe Villiot Rapée dans le 12ème arrondissement parisien et Effidis son site Les Folies de Choisy le Roy. Dans leur cas, il faut autant former les équipes internes que les prestataires espaces verts à cette nouvelle gestion écologique. Une révolution culturelle qui implique d’informer les locataires, d’autant que cette prestation leur est facturée dans les charges locatives. La création d’un jardin partagé peut être un bon moyen de les aculturer aux nouveaux aspects des espaces (massifs paillés, prairie fleurie, fauche tardive…) et de les impliquer dans cette révolution verte.