
Le média qui analyse et présages des mutations de la fabrique de la ville.
L’espace public serait en danger : entre privatisation, surveillance, émiettement et stérilisation, il perdrait sa capacité à rassembler. La succession des confinements et des couvre-feu, la fermeture des bars et des restaurants du fait de la pandémie de Covid-19 n’arrange évidemment rien. Dans ce contexte, la lecture de L’espace public artisanal, publié au mois de janvier 2021 aux éditions Élya et préfacé par Thierry Paquot, s’avère roborative et rassurante. Son auteur, Thomas Riffaud, est sociologue et arpente la ville avec des patins à roulettes. Ce mode de déplacement n’est pas étranger à ses recherches, qui portent sur les activités sportives et artistiques dans l’espace urbain. Trois d’entre elles sont d’ailleurs analysées comme autant de cas pratiques dans la seconde partie de l’Espace public artisanal : les sports de rue (skateboard, roller et BMX), la danse et le street art. Ces trois manières distinctes de lire et de réécrire la ville et d’y laisser une trace forment plus largement la chair de son livre, et permettent d’éclairer à la fois la manière dont l’espace public s’élabore et se négocie, et celle dont il est « bricolé » par une frange de citadins actifs et soucieux d’imprimer leur marque à leur environnement quotidien.
Rédigé avant l’épidémie de Covid-19, L’espace public artisanal s’attache d’abord à définir précisément un objet, l’espace public, presque usé à force d’être mobilisé. Si l’expression fait florès, elle demeure en effet très floue, puisqu’elle ne recoupe pas exactement la propriété publique : il est des espaces privés qui sont fréquentés par le public et ont un caractère d’espaces publics (les centres commerciaux en sont un exemple criant), tandis que des espaces vraiment publics ne jouent pas leur rôle. Pour mieux cerner les contours de cette notion, l’auteur en emprunte la définition à Michel de Certeau : l’espace public, affirme-t-il, est un « lieu pratiqué ». Il est accessible à tous, à la fois physiquement et psychologiquement. Il doit être ouvert, appropriable et permettre l’expression des opinions. C’est l’espace de la transaction, de la négociation, de la cohabitation, bref le lieu du politique - d’où le sens élargi que revêt l’expression. Il a en somme « une dimension non-spatiale »Ces critères expliquent que les espaces désignés comme « publics » ne le soient pas toujours dans les faits, et même qu’ils le soient de moins en moins. A force de caméras, de surveillance, de rythmes différenciés, de privatisation et de stérilisation, l’espace public serait devenu “liquide”. Voilà pour le constat pessimiste, teinté de nostalgie, qui accompagne généralement les discours contemporains. Tout en le partageant, Thomas Riffaud voit cependant dans les pratiques artistiques et sportives urbaines des raisons d’espérer. A la standardisation de la ville et la stérilisation des espaces publics, celles-ci offrent une résistance et un démenti en forme de jeu et de joyeux bricolage.
« Ces citadins ne souhaitent pas attendre l’avis des experts, ni la mise en place d’une concertation pour agir. Ils entrent en action quitte à devoir négocier ensuite avec ceux qui témoigneraient leur opposition. » Thomas Riffaud
Ces pratiques sont selon l’auteur de l’ordre de l’artisanat : elles « modifient l’espace public en se l’appropriant ». Le terme d’artisanat est choisi parce qu’il réfère à un travail de la matière, qui la transforme soit physiquement, soit symboliquement. Street artists, danseurs ou skaters ont une même attitude en partage : selon Thomas Riffaud, « ils vivent la ville sur le mode de l’usufruit. Ils s’occroient en fait un droit d’usage (usus) et un droit de jouir des fruits (fructueusement) du lieu qu’ils ont préalablement choisi. » Leurs pratiques microbiennes ne modifient pas la ville dans sa globalité, mais la travaillent pour l’optimiser par petites touches, via une capacité à la lire et à en interpréter les traces et les signes pour mieux écrire leur partition au gré d’un ingénieux bricolage. Ce travail engage leur corps et une longue pratique, c’est « une appropriation sensible et corporelle des lieux » : « d’une certaine manière, écrit Thomas Riffaud, en plus de redonner de l’espace au corps, les artisans d’espace public redonnent du corps à l’espace ». L’intérêt de telles pratiques est de faire un pas de côté avec la fabrique de la ville et ses procédures, fussent-elles « concertées » et « horizontalisée ». « Ces citadins ne souhaitent pas attendre l’avis des experts, ni la mise en place d’une concertation pour agir, écrit Thomas Riffaud. Ils entrent en action quitte à devoir négocier ensuite avec ceux qui témoigneraient leur opposition. » En cela, ajoute l’auteur, « l’artisan d’espace public traduit la résistance de l’habiter face à l’acte de projeter et de construire ». L’ouvrage n’élude pourtant pas les écueils et les risques de cet artisanat. Il suggère que ce dernier est de nature ambiguë, et qu’il peut aussi être « un atout de plus dans la main de ceux qui exercent déjà une grande influence sur la ville d’aujourd’hui ». L’institutionnalisation du street art en offre un exemple : elle peut conduire à édulcorer ce qui faisait précisément l’intérêt d’une appropriation spatiale. L’artisan devient alors ouvrier et respecte à la lettre le cahier des charges qui lui a été fixé. Pour que l’artisanat de l’espace public puisse advenir, il faut aussi que la ville puisse l’accueillir et créer des conditions propices à son émergence. L’urbanisme de contrôle, rigide et zoné, n’est pas précisément créateur d’opportunités dans ce sens. Il faut au contraire que la ville soit malléable, qu’elle « conserve une part essentielle d’indétermination.”
Thomas Riffaud, L’espace public artisanal, éditions Élya, janvier 2021, 144 pages, 10 euros.Voir la présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur.
« En France comme ailleurs, la nécessité de répondre à l’urgence écologique et climatique place le secteur de la promotion, de la construction, de l’aménagement, et plus globalement l’habitat, face à d’immenses défis. Gros consommateurs d’espace et de ressources (45% des consommations d’énergie en France), émetteurs avérés de gaz à effet de serre (25%), ces derniers sont sommés d’évoluer pour réduire l’impact écologique du bâtiment. En ce domaine, la contrainte réglementaire (exprimée par la succession de règlementations thermiques de plus en plus ambitieuses) est un levier possible, mais ne peut prétendre résoudre seule le problème. Et d’autant moins qu’elle entre souvent en confrontation, sinon en contradiction, avec les habitudes et contraintes (budgétaires notamment) des acteurs de la fabrique urbaine et des divers usagers des lieux. De fait, l’habitat ne peut être envisagé comme un isolat et une « machine célibataire » : ses « performances énergétiques », selon l’expression consacrée, dépendent non seulement de ses caractéristiques intrinsèques (isolation, compacité, orientation du bâtiment, mode de chauffage, etc.) mais aussi d’autres éléments décisifs, parmi lesquels sa localisation et les modes de transport qu’il induit. Elles sont surtout déterminées par les usages quotidiens des habitants, et plus largement des usagers. Or, ces éléments sont encore rarement pris en compte par les promoteurs immobiliers, encore moins par l’Etat, qui fixe les mêmes règles et mêmes contraintes de performance énergétique quel que soit l’emplacement du bâtiment.En somme, pour répondre à l’ampleur des défis écologiques contemporains, concevoir des bâtiments énergétiquement « performants » ou des écoquartiers ne suffit pas. Une telle ambition plaide au contraire pour une tout autre approche de l’habitat, non plus sectorisée, mais holistique, globale, et capable de s’adapter à la variabilité des contextes et des modes de vie : le standard doit y faire place au sur-mesure, le « prêt à habiter » à la « haute culture ». Elle implique aussi d’informer, d’accompagner, de sensibiliser les habitants, tout en tenant compte de leurs usages et leurs aspirations. Elle appelle à faire place à la diversité des modes de vie, et donc à une dose d’imprévu et d’imprévisible. C’est alors sur le plan des cultures, des représentations, des comportements et des imaginaires qu’il faut agir. Il faut en somme « faire avec » – le contexte, l’Histoire, les usagers, les habitudes, mais aussi avec l’inventivité et l’imagination sans limite de tous les habitants. » (Introduction, p. 10-11)
En se focalisant sur la performance énergétique, les acteurs de la construction ont ainsi eu tendance à refouler d’autres questions décisives touchant à l’habitat, dont l’exigence de confort. Ensuite, tout gain énergétique est susceptible de susciter des effets rebonds : parce qu’on a acquis un logement labellisé “basse consommation”, on fait moins attention, on chauffe toutes les pièces, et plus chaudement que ne le recommandent les bâtisseurs. (...) Enfin, les réglementations thermiques ont le défaut de borner leurs calculs à l’échelle du logement, et n’envisagent jamais l’impact énergétique global d’une construction neuve - impact lié entre autres à sa localisation et aux usages induits, en termes de mobilité notamment. Or, selon qu’un logement sera situé dans une zone bien ou mal desservie en transports en commun, en pistes cyclables, en aménités diverses, les besoins énergétiques de ses habitants changeront du tout au tout. Il convient donc de sortir d’une approche sectorielle, uniquement centrée sur le bâtiment, pour ancrer chaque projet dans un territoire, et le concevoir en fonction. C’est dans cet esprit que l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich a imaginé en 1998 les contours de “la société à 2000 watts”. 2000 watts, c’est en effet la consommation énergétique annuelle moyenne par habitant à l’échelle planétaire. Cette moyenne inclut tous les postes quotidiens : le logement, le transport, l’achat et l’usage de tous biens matériels, l’alimentation. Elle recouvre évidemment de très fortes disparités : un Européen “consomme” 6000 watts par an, un Américain 12 000, un Indien 1000 et un Bangladeshi 300. Pour limiter le changement climatique dans un esprit d’équité, le projet suisse vise à ramener à 2000 watts/personnes les consommations annuelles d’énergie. Or, un tel objectif suppose une approche holistique. Il implique d’aborder ensemble, et non plus séparément, le logement, le transport, l’approvisionnement alimentaire, la gestion des déchets, etc. Il préconise en somme d’entrer dans le détail des usages quotidiens, pour agir à tous les niveaux, et dans tous les domaines de l’activité humaine. (Chapitre 1, p.30-31)
Cette étroite coopération est nécessaire à plus d’un titre. Elle permet d’abord d’affiner considérablement la connaissance du territoire où l’on envisage d’acquérir un terrain, raison pour laquelle il est souhaitable de rencontrer les élus avant même tout acte d’acquisition. Certes, les promoteurs immobiliers disposent de nombreux outils pour connaître l’environnement où ils construisent, à commencer par les classiques études de marché. Mais les élus apportent à ces éléments commerciaux des indications autrement plus fines : données démographiques, nature du tissu associatif et professionnel, programmes d’aménagement et planification urbaine, besoins en équipements et services… Ils permettent à ce titre d’ajuster la conception du programme immobilier au contexte, de faire du sur-mesure plutôt que du standard. Ils peuvent aussi mobiliser un réseau local et mettre en lien les opérateurs du projet immobilier avec divers acteurs professionnels et associatifs, dans une logique de circuits-courts, nous y reviendrons. Ils peuvent enfin, nous l’avons dit, adapter tant que faire se peut la réglementation au projet, voire l’accompagner financièrement dans certains cas. Autant d’éléments de nature à favoriser l'appropriation de nouveaux programmes immobiliers sur le plan local. (Chapitre 2, p.58)
Si la valeur sociale d’un projet immobilier se joue en amont et pendant sa réalisation, ce qui advient en aval, après la livraison, est donc absolument déterminant. Après tout, la phase de conception et de mise en œuvre n’est que la portion congrue du cycle de vie d’un bâtiment ou d’un quartier ! C’est après, une fois les habitants installés, que le lieu prend réellement vie. (...) Au cours de nos recherches, nous avons visité nombre de lieux où l’ambition de départ s’était heurtée à la réalité des usages. C’était notamment le cas d’un immeuble à structure bois situé en Suisse, et que ses concepteurs avaient tenu à doter d’une salle commune à destination des habitants. Lorsque nous les avons interrogés sur son taux de fréquentation, ils nous ont confié à regret qu’il était bien en-deçà de leurs attentes : l’espace restait vide la plupart du temps. Il offrait pourtant toutes les qualités d’usage requises. Il était vaste, pourvu de toutes les commodités, et situé au rez-de-chaussée. De la même manière, tous les professionnels de la construction notent un écart entre les projections en matière de consommation énergétique des bâtiments et leurs consommations réelle en situation d’occupation. Cet écart s’explique précisément par la difficulté d’aborder les usages, et de prévoir la façon dont les gens vont s’approprier un lieu. Pour pallier ces écueils, nombre de professionnels envisagent la mise en œuvre de divers outils d’information et de médiation, sur le modèle des livrets d’accueil et autres sites Internet qui accompagnent généralement la livraison de programmes énergétiquement performants. Toutefois, aucun de ces outils ne peut prétendre remplacer efficacement une présence humaine, et les premiers retours d’expérience dans ce domaine montrent que de tels dispositifs ont de sérieuses limites. Sur le strict plan des consommations énergétiques par exemple, ils ne permettent pas de combler l’écart entre performances théoriques et performances réelles. Pour une raison simple : les gens ne lisent pas, ou pas toujours, les documents d’information et de communication mis à leur disposition. A fortiori dans un logement qui devrait théoriquement se passer de mode d’emploi. (Chapitre 3, p.101-102)
Vidal Benchimol, Les nouveaux bâtisseurs, éditions Alternatives, 2020, 160 pages, 17 €
L’installation d’un caviste ou d’une boutique bio au milieu des commerces exotiques, l’ouverture d’une galerie branchée dans une zone que la clientèle aurait pourtant le réflexe d’éviter, l'aménagement d'une zone 30 : c’est à ce genre de signes qu’on peut mesurer la transformation sociale d’un quartier. Les Parisiens repèrent ces signes d’autant mieux qu’ils ont accompagné la « boboïsation » de Belleville, Ménilmontant ou Montreuil depuis la fin des années 1990, et qu’ils commencent aujourd’hui à se faire jour, quoique très discrètement, à Pantin ou Saint-Denis. C’est toujours peu ou prou la même histoire : d’abord relativement épargnés par l’envolée du prix du mètre carré, les quartiers populaires attirent une population de plus en plus aisée en quête d’opportunités, et qui vient disputer aux habitants originels la réserve foncière disponible. Pour décrire un phénomène qui touche Paris comme New York, Berlin ou Bordeaux, on ne parle pas d’embourgeoisement mais de « gentrification ».
"le déclin des emplois d’ouvriers (en partie compensés par les emplois de service peu qualifiés) et la forte augmentation des emplois cadres sont des facteurs de gentrification, explique Anne Clerval, géographe et auteur de Paris sans le peuple aux éditions La Découverte. Ils sont eux-mêmes liés aux choix politiques macro-économiques qui ont accompagné la mondialisation néolibérale et l’internationalisation croissante de la production." Anne Clerval, autrice de Paris sans le peuple (éditions La découverte)
L’anglicisme a l’avantage de souligner ce que le processus doit aux mutations récentes de l’économie et la recomposition sociale qu’elles entraînent : « le déclin des emplois d’ouvriers (en partie compensés par les emplois de service peu qualifiés) et la forte augmentation des emplois cadres sont des facteurs de gentrification, explique Anne Clerval, géographe et auteur de Paris sans le peuple aux éditions La Découverte. Ils sont eux-mêmes liés aux choix politiques macro-économiques qui ont accompagné la mondialisation néolibérale et l’internationalisation croissante de la production. » Autrement dit, la mondialisation et la concentration dans quelques grandes villes des activités les plus qualifiées (ie : la métropolisation) accouchent d’une nouvelle géographie sociale marquée par une mise à l’écart (spatiale, économique et culturelle) des classes populaires. Alors que celles-ci sont assignées aux grands ensembles et, de plus en plus, à l’espace périurbain et rural, les villes centres tendent à devenir l’apanage quasi exclusif des populations les mieux intégrées à l’économie-monde : cadres, professions intellectuelles supérieures, etc.
Selon Anne Clerval, la gentrification serait d’abord le fait de la petite bourgeoisie intellectuelle issue de la massification scolaire et caractérisée par un fort capital culturel. Pour la chercheuse, cette frange occupe une position « intermédiaire dans les rapports de classe entre la bourgeoisie, qui détient encore les moyens de production, et les classes populaires, qui n’ont que leur force de travail. Elle joue un rôle d’encadrement, en facilitant directement l’exploitation des employés et des ouvriers par les détenteurs du capital », à moins qu’elle n’ait « un rôle indirect d’inculcation idéologique, à travers tous les métiers de l’enseignement, de la culture, des médias, et toutes les fonctions qui sont prescriptrices de normes, qui assurent le maintien de l’ordre social. » Relativement homogène en termes de valeurs et dominante sur le plan culturel, elle est en revanche hétérogène sur le plan du revenu. A Paris, avec la hausse des prix de l’immobilier dans les années 1990, sa frange la plus fragile économiquement a donc été contrainte de s’installer dans les zones qu’elle avait jusqu’alors soigneusement évitées : les quartiers populaires de l’Est, qu’il s’agisse du canal Saint-Martin, de Belleville et dans une moindre mesure de Château Rouge, ou, plus loin, de Montreuil ou Bagnolet. C’est en effet dans ces quartiers que le différentiel de rente foncière (rental gap), c’est-à-dire l’écart entre la rente liée aux usages actuels du sol et celle qui pourrait être capitalisée si ces usages changeaient, est la plus grande. Bien qu’insalubres et mal famés, ils sont proches du centre, bien pourvus en offre de transports, et se caractérisent par un bâti ancien de type faubourien ou industriel facile à valoriser, pour peu qu’on le réhabilite. C’est la raison pour laquelle la gentrification de l’Est parisien s’est accompagnée d’un vaste mouvement de rénovation du parc immobilier privé.
Selon Anne Clerval, la gentrification serait d’abord le fait de la petite bourgeoisie intellectuelle issue de la massification scolaire et caractérisée par un fort capital culturel.
En France, ce mouvement a été largement secondé par les politiques de la ville. Dans l’Est parisien, il a coïncidé dans les années 1990 avec la mise en œuvre d’incitations à la rénovation. Les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) subventionnent alors en partie les travaux d’amélioration du logement conduits par les propriétaires privés et copropriétés, cependant que la réforme du prêt à l’accession et la baisse des taux d’intérêt stimulent la course à l’achat. A la même époque, la déréglementation des loyers dans le cadre de la loi Malandrin-Mermaz (1989) accélère la gentrification en favorisant nettement l’intérêt des propriétaires et donc l’investissement locatif et la spéculation. Conséquence : entre 1998 et 2012, le prix des appartements anciens a été multiplié par 3,7 à Paris…
On le voit : la gentrification est essentiellement une dynamique foncière et patrimoniale. Cumulative, elle est d’abord le fait des franges les plus précaires de la petite bourgeoisie culturelle (artistes, intermittents, pigistes, etc), puis touche des catégories sociales de plus en plus favorisées : cadres, journalistes dans l’audiovisuel, ingénieurs, etc. A mesure que celles-ci conquièrent un quartier, l’offre culturelle se développe, le cadre de vie s’améliore et de nouveaux commerces font leur apparition. L’envolée des prix ne recouvre pourtant pas entièrement un phénomène qui s’accompagne partout où il a lieu de discours enthousiastes sur les vertus de la mixité sociale – mixité que les gentrifieurs confondent généralement avec la diversité ethnique et culturelle. La valorisation du « vivre-ensemble » et de « l’ouverture à l’autre » vient ainsi justifier après coup un choix résidentiel largement contraint par le marché. On peut alors voir dans la tolérance des gentrifieurs une stratégie de distinction sociale vis-à-vis de la bourgeoisie traditionnelle vivant dans « l’entre soi » des « ghettos du ghota », mais aussi vis-à-vis des « beaufs » qui peuplent les banlieues pavillonnaires et votent FN. Une telle lecture est d’autant plus tentante que les discours des gentrifieurs sur la mixité sociale cadrent mal avec leurs pratiques quotidiennes. Ils coïncident par exemple avec un évitement scolaire quasi systématique, qui contraint les enfants des classes les plus aisées à des trajets quotidiens parfois très longs dans le seul but d’éviter le collège ou le lycée de secteur. En somme, comme l’écrit le géographe Christophe Guilluy dans Fractures françaises, « l’image sympathique du « bobo-explorateur » arrivant en terre « prolo-immigrée » dissimule la réalité d’une violente conquête patrimoniale. L’euphémisation de ce processus est emblématique d’une époque « libérale libertaire » où le prédateur prend le plus souvent le visage de la tolérance et de l’empathie. » Ce « visage » avenant des gentrifieurs pourrait d’ailleurs expliquer, au moins en partie, pourquoi leur mainmise sur la ville soulève à Paris si peu de résistances dans les rangs des militants et parmi les classes populaires…
Face à un phénomène qui touche toutes les métropoles françaises, la seule réponse politique consiste à relancer la production de logements sociaux. Votée en 2000, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (dite loi SRU) contraint ainsi les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) à porter à 20% la part de leur parc social. A Paris, selon les estimations de l’Apur, on serait ainsi passé de 13,4% en 2001 à 17,6% en 2012. Pourtant, même quand les municipalités jouent le jeu (et nombre d’entre elles s'y refusent) une telle mesure a des effets limités sur la gentrification, et ce pour deux raisons. D’abord, la production de logements sociaux coïncide avec la raréfaction des logements privés dégradés, voire insalubres, qui étaient jusqu’alors occupés par les classes populaires : « La construction de logements sociaux n’est pas suffisante, affirme Anne Clerval, en particulier à Paris parce qu’elle passe par la destruction (ou le remplacement) d’un plus grand nombre de logements (certes de piètre qualité) qui étaient accessibles aux classes populaires. »
"La construction de logements sociaux n’est pas suffisante, en particulier à Paris parce qu’elle passe par la destruction (ou le remplacement) d’un plus grand nombre de logements (certes de piètre qualité) qui étaient accessibles aux classes populaires." Anne Clerval
Autrement dit, la production de logements sociaux ne compense pas la captation et la rénovation par les gentrifieurs du parc social « de fait ». Entre 1982 et 1999, la part des logements dits « sans confort » est ainsi tombée de 29,4% à 3,6%.Ensuite, les logements sociaux créés dans le cadre de la loi SRU ne s’adressent plus seulement aux classes populaires. A Paris, pour favoriser la mixité sociale dans certains quartiers pauvres, une grande partie du parc y a été attribuée, via des dispositifs comme le prêt locatif à usage social (PLUS), à des ménages dont les revenus excédaient pourtant les plafonds d’attribution. A l’inverse, les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI, qui recouvrent le logement très social) ne constituent que 25% des logements agréés entre 2001 et 2011.Enfin, les appels à la mixité sociale à l’échelle du quartier se traduisent par un rééquilibrage géographique du logement social dont les effets sont délétères : à Paris, sous prétexte de favoriser la production de logements sociaux dans les arrondissements déficitaires, tout en la maîtrisant dans les zones déjà bien pourvues, on a limité la part des classes populaires à l’échelle de la ville…Dès lors, il se pourrait qu’une lutte efficace contre la gentrification passe d’abord par la reconnaissance de son caractère social : « les bons sentiments comme l’ouverture à l’autre n’ont pas grand-chose à voir avec une politique de redistribution des richesses, rappelle Anne Clerval. Autrement dit, c’est l’idéologie même de la mixité sociale qu’il faut remettre en cause à l’heure où on ne parle plus du tout de remettre en cause les inégalités sociales. »
Anne Clerval, Paris sans le peuple : la gentrification de la capitale, Paris, la découverte, 2013. Lire un extrait ici et là un article sur le sujet.Christophe Guilluy, Fractures françaises, Champs essais, Paris, Flammarion, 2013
Je tiens à préciser que je ne suis pas promoteur. J’ai choisi ce terme par provocation. C’est un mot très négativement connoté : pour les architectes et les paysagistes, le promoteur, c’est le méchant ! Or, je pense qu’on peut faire de très belles choses en tant que maître d’ouvrage, et qu’on peut avoir une approche éthique du métier. Du coup, j’entends plutôt le terme au sens de « moteur », de celui qui impulse. Quant à la « courtoisie urbaine », il faut y voir l’attitude qui consiste à prendre le temps de comprendre, d’écouter, dans une démarche empathique, à rebours de ce que font la plupart des professionnels de la ville. La courtoisie dont je parle est un idéal, un temps pour que l’humain existe. L’habitant expert existe vraiment. Il peut apporter une vraie valeur ajoutée au projet !
J’inverse le timing habituel du promoteur. Dans un schéma classique, l’utilisateur final d’un bâtiment ne participe pas à sa conception. A l’inverse, je propose de passer un an à travailler avec un groupe d’habitant, de prendre le temps d’animer une communauté, de la structurer pour voir comment elle pourra habiter ensemble. La personnalisation du logement constitue 5% de cette démarche, qui consiste surtout à construire de l’en commun. En aucun cas je ne dis aux gens comment ils devront habiter ensemble. Tout doit être discuté, y compris la performance énergétique, le choix du BBC ou du passif.
"Dans un schéma classique, l’utilisateur final d’un bâtiment ne participe pas à sa conception. A l’inverse, je propose de passer un an à travailler avec un groupe d’habitant, de prendre le temps d’animer une communauté, de la structurer pour voir comment elle pourra habiter ensemble." Rabbia Enckell, fondatrice de l'agende Promoteur de courtoisie urbaine
Absolument ! L’agence part de l’homme, dans ses interactions avec les autres. Il s’agit d’essayer de voir comment mon voisin m’aide à vivre mieux. La démarche est elle-même source de bien être, puisqu’elle permet aux gens de se rencontrer et d’échanger.
J’ai été formée à l’école du paysage à Versailles, et j’y avais comme enseignant Michel Corajoud, paysagiste et grand prix de l’urbanisme. A rebours des paysagistes de l’époque, il ne concevait pas son intervention comme une façon de remplir les creux, mais s’intéressait aux pleins de la ville. Il nous a aidés à devenir légitimes sur la ville, à en revendiquer la connaissance. Une fois mes études terminées, j’ai passé un an en agence et j’ai vu la limite des marchés de définition. Je me suis dit qu’il fallait passer du côté plein. C’est à ce moment que j’ai répondu à une offre d’emploi de Brémond. Ce promoteur m’a donné la possibilité de construire tout en restant fidèle à moi-même. Avec lui, on est dans le faire, on confronte les choses à l’échelle 1, on a la possibilité d’expérimenter : on a livré les 1ers bâtiments à énergie positive, et on s’est intéressés très tôt aux questions de responsabilité sociétale. Le participatif a été la limite de mon travail chez Brémond. J’ai senti qu’il fallait monter une structure parallèle, d’où la création de l’agence il y a un an.
Quand j’ai commencé a vouloir impliquer les habitants, je ne savais pas ce qu’était l’habitat participatif. En revanche, je connaissais le travail de patrick Bouchain. C’est lui qui m’a inspiré le terme de promoteur. Puis, j’ai découvert toutes les richesses du faire ensemble et de l’agir collectif en voyageant en Finlande. J’ai aussi vu qu’il existait dans ce champ un petit écosystème très militant, parfois trop. Mon ambition est de rendre l’habitat participatif accessible à tous, au-delà de ce cercle très politisé. Je professionnalise la démarche. Les coopératives d’habitants ont fait de très belles choses, mais dans un entre soi social. Je voulais garder ce principe de la libre association, mais sans la cooptation.
"Les coopératives d’habitants ont fait de très belles choses, mais dans un entre soi social." Rabbia Henckell
A l’île Saint-Denis, notre projet rassemble pour l’instant 9 ménages très hétérogènes : il y a des seniors, des familles, des couples mixtes, des primo accédants…
Nous participons à un programme d’habitat groupé à l’Ile Saint-Denis, dont le groupe Brémond est promoteur, et qui est pour nous un projet pilote. La ville avait inscrit dans la charte de l’écoquartier qu’il y aurait un îlot d’habitat participatif. Elle avait aussi à cœur de voir ce projet sortir de terre dans un délai satisfaisant, alors qu’il y a souvent des retards de livraison pour ce type de bâtiment. Ici, le dépôt du permis de construire ne devait pas se faire au-delà du 4e trimestre 2014. D’où l’intérêt de faire appel à une agence comme la nôtre, qui travaille dans le calendrier du promoteur.Je m’étais fixé une limite de 30 ménages, et idéalement de 20. Le programme accueillera 16 à 18 familles au final. J’ai commencé à rencontrer des familles bloquées dans leur parcours résidentiel car l’offre actuelle ne leur correspond pas. Je les ai emmenées sur place, leur ai montré les lieux et expliqué la démarche. Toutes étaient rassurées par le fait qu’il y ait un maître d’ouvrage.
"Dès le permis de construire est purgé de tous recours, on peut lancer les travaux sans attendre, comme c’est le cas dans une promotion classique, que la commercialisation soit faite à hauteur de 50%." Rabbia Henckell
Suit un premier atelier où tout le monde se rencontre. On lance la démarche au moment où on a la moitié du groupe d’habitants (comme une promotion classique). Le premier document que je distribue aux futurs habitants est une fiche des attentes. On leur demande de lister les prestations et la surface souhaitées, ainsi que le budget dont ils disposent. Ils ont un mois et demi pour définir leur logement et leurs attentes, mais aussi ce à quoi ils sont prêts à renoncer. Je leur annonce le prix de sortie du m2, et donc ce qui est possible de faire. Ensuite, on établit un contrat avec chaque habitant. Je m’y engage à leur permettre d’accéder à un logement privé, ainsi qu’à un pourcentage des parties communes dans les limites de leur budget. J’annexe à ce contrat la méthodologie de travail avec mes honoraires.Les appels de charge commencent au moment du dépôt du permis de construire. On déroule alors une VEFA classique. Dès le permis de construire est purgé de tous recours, on peut lancer les travaux sans attendre, comme c’est le cas dans une promotion classique, que la commercialisation soit faite à hauteur de 50%. En somme, le temps « perdu » en amont du projet est regagné à ce moment-là.
Anne D’Orazio, chercheuse en habitat participatif, explique qu’en auto-promotion on peut espérer économiser 20%. Sauf qu’en général, les dépassements liés à l’absence de professionnalisme se montent à 17%. Le fait de travailler avec un maître d’ouvrage, qui sait faire tenir recettes et dépenses dans un planning. Mais l’aspect participatif du projet déleste aussi des frais de commercialisation et des frais de communication… L'idée est que ma rémunération ne génère pas de surcoût supplémentaire, car elle se fait sur un nombre d'ateliers et non sur la transaction. Et puis nous ne nous lançons pas dans des outils de communication sophistiqués mais mettons en oeuvre des outils simples tels que Facebook ou autres blogs que le groupe fera vivre par lui même...
Il y a d’abord la question des espaces communs. Les promoteurs réfléchissent aujourd’hui à en proposer, parce que les communes les réclament et que la construction de commerces en rez-de-chaussée a ses limites et débouche souvent sur des vitrines au blanc d’Espagne. L’agence apporte une vraie solution à cela…Ensuite, la démarche a une haute valeur sociétale. Elle est l’occasion pour les promoteurs de démontrer qu’ils peuvent être des acteurs responsables de la ville, et non de simples spéculateurs fonciers.
"La démarche a une haute valeur sociétale. Elle est l’occasion pour les promoteurs de démontrer qu’ils peuvent être des acteurs responsables de la ville, et non de simples spéculateurs fonciers." Rabbia Henckell
Elle apporte aussi une solution à la commercialisation, même si je ne me définis en aucun cas comme une commerciale. Enfin, elle assainit la relation avec les habitants : la levée de réserves, qui est toujours un moment délicat dans la VEFA, est alors plus simple, puisque le projet est déjà approprié. Cela crée moins de frustrations.
Travailler dans le cadre d’une VEFA permet justement de les contourner. C’est le promoteur qui souscrit la garantie future d’achèvement, qui donne la caution immobilière pour le terrain, qui paye le permis de construire, le géomètre, etc. Le fait de travailler avec un maître d’ouvrage permet aussi de contourner la solidarité financière qui fait que si quelqu’un se désiste, tout le groupe est fragilisé. Aujourd’hui, les banques sont intellectuellement incompatibles avec l’habitat participatif. Alors qu’en restant dans le cadre de la VEFA, on les rassure.
Il y a une demande sociale de plus en plus forte pour ce type de projet, mais pas d’offre. Nous vivons une crise du sens, et l’habitat participatif est une façon de fabriquer de l’en commun, de permettre aux gens de se rencontrer et de se connaître. La demande est aussi liée aux économies qui découlent de la mutualisation des espaces… Le type de projet que nous montons est dans l’air du temps, mais il répond aussi à un besoin.
C’était un des engagements de la campagne électorale : à l'horizon 2025, François Hollande veut réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité de 75% à 50%. Une ambition qui suppose d’augmenter la part des énergies renouvelables à 40% (environ 15% actuellement), mais semble difficilement tenable sans penser la sobriété énergétique des logements. Ainsi, lors de la Conférence Environnementale des 14 et 15 septembre dernier, un objectif ambitieux a été annoncé en matière de réhabilitation des logements: «doter chaque année, un million de logements neufs et rénovés d’une isolation thermique de qualité. »
Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement ont confié à Philippe Pelletier, avocat et ancien président du Plan Bâtiment Grenelle, entre janvier 2009 et juillet 2012, le pilotage et la mise en œuvre du nouveau plan de performance thermique des logements. Dans la lettre de mission, les deux ministères rappellent que l’enjeu n’est pas uniquement énergétique et environnemental mais qu’il s’agit ici d’une « exigence sociale» : « En luttant contre la précarité énergétique et en contenant la hausse des charges en chauffage, ce plan contribuera à améliorer le pouvoir d’achat des ménages tout en donnant un souffle nouveau au secteur de la construction ». Les enjeux annoncés : enrayer la hausse des dépenses d’énergie, limiter les émissions de gaz à effet de serre ou encore réhabiliter les logements insalubres…
Selon une étude de l’Insee, en France métropolitaine, 3,5 millions de ménages ont déclaré avoir souffert du froid dans leur logement au cours de l’hiver 2005.
Selon une étude de l’Insee, en France métropolitaine, 3,5 millions de ménages ont déclaré avoir souffert du froid dans leur logement au cours de l’hiver 2005. Les principales raisons invoquées sont relatives à l’état du logement : une mauvaise isolation (41 % des ménages interrogés), une installation de chauffage insuffisante (33 % des situations) et une panne (ponctuelle, récurrente ou pérenne) de l’installation (18 % des cas). Par ailleurs, dans plus d’un cas sur cinq, les ménages limitent leur consommation de chauffage en raison de son coût. Selon l’Ademe, les 20 % de ménages les plus pauvres consacrent à l’énergie une part de budget 2,5 fois plus élevée que les 20 % les plus riches… Des tarifs sociaux et des aides diverses existent, dans le cadre notamment du service public de l'électricité et du gaz, mais les chiffres de cette précarité suscitent l’interrogation sur leur performance. Jugée insuffisante pour beaucoup d’acteurs, la tarification progressive du gaz, de l'eau et de l'électricité devrait bientôt voir le jour (le texte sera présenté au Parlement d'ici fin octobre ou début novembre). Une nouvelle mesure attendue alors même que l’augmentation du prix de l’électricité a été annoncée en juillet dernier dans un rapport du Sénat se basant sur projections de la Commission de régulation de l'énergie (CRE): la facture moyenne d'électricité d'un ménage français va s'alourdir de 50 % d'ici à 2020 compte tenu des investissements élevés du renouvelable et ceux du nucléaire.
En juillet 2012, l’Observatoire Permanent de l’amélioration Energétique du logement (OPEN), financé par l’ADEME, a publié les résultats de son étude annuelle sur la rénovation thermique dans l’habitat portant sur l’année 2010. Si le marché de l’entretien-amélioration des logements est en baisse en 2010, les travaux portant sur l’amélioration de la performance énergétique sont les seuls à progresser. Les ménages deviennent de plus en plus vigilants sur le plan de la qualité et choisissent des solutions techniques toujours plus performantes.
Le marché de la rénovation du logement se structure autour de 3 axes : l’amélioration du chauffage, l’isolation des ouvertures et l’isolation des parois opaques (toitures, façades).
Les chantiers portent en priorité sur l’isolation des ouvertures et des parois, ainsi que sur l’amélioration du chauffage. En 2010, 300 000 logements au total ont été rénovés au niveau thermique, ce qui représente plus d’un point de plus qu’en 2008. Le marché de la rénovation du logement se structure autour de 3 axes : l’amélioration du chauffage, l’isolation des ouvertures et l’isolation des parois opaques (toitures, façades).
Toutefois, ces chiffres ne nous renseignent pas sur le niveau de vie des habitants effectuant des travaux de rénovation. Les foyers les plus modestes ont-ils accès aux aides ? Le précédent gouvernement avait déjà lancé une mission sur la précarité énergétique orchestrée par Philippe Pelletier. Le rapport, rendu en janvier 2010 soulignait « une accessibilité différenciée des ménages en situation de précarité énergétique aux dispositifs de droit commun : L’éco-PTZ est en pratique peu accessible aux plus modestes du fait de la faiblesse de leur revenu, d’un profil emprunteur peu « sécurisant » pour les prêteurs, le Crédit d'impôt développement durable, s’il est accessible aux ménages non imposables, oblige à avancer les fonds pendant environ 18 mois, ce qui le rend en pratique inaccessible aux ménages les plus modestes qui n’ont pas la trésorerie nécessaire ou encore l'écosubvention de l'Anah, subvention accordée sous condition de ressources , permet de cibler des ménages modestes sans toutefois privilégier les ménages en situation de précarité énergétique »…
"La nécessaire transition énergétique ne peut réussir si elle exclut 15 à 20 % de la population !" Extrait d'un communiqué du CLER, réseau pour la transition énergétique
Un bref bilan ? L’inscription de la précarité énergétique dans la loi a été effectuée mais rien quant au « bouclier énergétique » dont il fut question… Dans un communiqué datant du 13 septembre dernier, le CLER, réseau pour la transition énergétique a déclaré : « La nécessaire transition énergétique ne peut réussir si elle exclut 15 à 20 % de la population ! Il est urgent de passer à la vitesse supérieure, non seulement en intervenant massivement sur le parc de logements pour le rendre plus performant, mais aussi en soutenant financièrement et en accompagnant les ménages modestes touchés de plein fouet par cette nouvelle expression de la précarité. »Ce nouveau plan de route sera-t-il plus abouti ? Philippe Pelletier devra poursuivre son travail amorcé dans le cadre du Plan Bâtiment Grenelle, avec comme consigne d’intégrer davantage de personnalités issues du mouvement associatif et des syndicats professionnels. Le pilotage de cette ambition devra être décentralisé avec un rôle de premier plan donné aux collectivités territoriales. L'organisation et la feuille de route du "Plan Bâtiment 2012-2017" devraient être précisées début octobre.
Hier, lundi 24 janvier, dans le cadre du salon maison&objet, se tenait une conférence sur la réutilisation et le détournement dans la construction. Parmi les invités, Eric Tabary, architecte de la « Villa Déchets », construite et exposée à Nantes durant tout l’automne, et Pierrick Jourdain, venu promouvoir « Métisse », un isolant fait à partir de jeans usés. Les projets présentés à l’occasion soulignaient assez les enjeux du recyclage dans le bâtiment, qui produit 50 millions de tonnes de déchets BTP par an.
De fait, le réemploi de matériaux divers (palettes, bouteilles plastiques, papier, etc.) répond dans ce secteur à une double nécessité : limiter l’extraction et le transport de matières premières et revaloriser des déchets dont l’accumulation a un coût écologique et économique…
C’est d’ailleurs pour réduire la part des déchets ultimes dans le secteur vestimentaire que le Relais d’Emmaüs a créé « Métisse ». D’abord dédié à la collecte, au tri et au recyclage des vêtements, le réseau d’entreprises à but socio-économique a en effet dû faire face il y a quelques années à une évolution préoccupante : l’augmentation significative, dans les bacs de collectes, de la part des vêtements en fibres de mauvaise qualité (ils forment jusqu’à 15% des textiles recueillis). Plutôt que de les envoyer à l’incinérateur, le Relais s’est alors mis en quête de solutions innovantes. Le résultat ? Un isolant mêlant fibres de coton et acrylique, qui a reçu l’agrément du CSTB. Métisse offre les mêmes performances qu’un isolant minéral type laine de roche, mais son impact environnemental est beaucoup plus faible. Quant à son prix (autour de 12 €/m²), il le situe parmi les isolants écologiques les moins chers du marché…
La valorisation des déchets dans le bâtiment est aussi un formidable moyen d’alerter l’opinion sur le cycle de vie des produits et les investissements nécessaires à leur traitement. Pour Eric Tabary, maître d’œuvre de la « Villa Déchets », les projets comme le sien jouent un rôle préventif : « je voulais créer un événement qui intéresse les gens, explique-t-il. Or, évoquer les déchets n’est pas facile, parce que personne ne veut en entendre parler. »
À la manière de César, qui exposait en 1996 « un mois de lecture des Bâlois » sous forme d’énormes ballots de papier compressé, l’architecte s’est donc attaché à rendre nos rebuts visibles. Le bâtiment, né de la collecte de déchets urbains (en tout, 25 tonnes de bois et papier) et de leur assemblage en 20 jours par une association de bénévoles, a d’abord été exposé dans l’une des zones les plus touristiques de Nantes : l’île où se trouve le hagard à bananes et son célèbre éléphant. Au printemps prochain, il sera remonté dans l’écoquartier de la Bottière (toujours à Nantes), avant d’être exposé à Paris en octobre 2011. Pourtant, la « Villa Déchets » n’est pas un éloge du recyclage. Au contraire : « contre toute attente, explique Eric Tabary, le bilan carbone de l’opération est négatif, et le bilan financier n’est pas très bon : l’édifice a coûté autour de 1 800 €/m², ce qui est plus cher qu’un projet lambda. » Et l’architecte d'en conclure : « moins il y a de déchets à recycler, mieux ce sera. »